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Saint-Pol, Cathédrale infernale: Les enquêtes du commandant Le Fur - Tome 8
Saint-Pol, Cathédrale infernale: Les enquêtes du commandant Le Fur - Tome 8
Saint-Pol, Cathédrale infernale: Les enquêtes du commandant Le Fur - Tome 8
Livre électronique240 pages3 heures

Saint-Pol, Cathédrale infernale: Les enquêtes du commandant Le Fur - Tome 8

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À propos de ce livre électronique

La cathédrale Pol Aurélien est frappée par des crimes abominables...

Que cherchaient donc à obtenir les brutes qui ont torturé à mort Corentin Direur, le sacristain de la cathédrale Pol Aurélien à Saint-Pol-de-Léon ? Figure locale, personnage attachant, un peu falot et vulnérable, dont la tête a été littéralement arrachée et exposée parmi les boîtes à crânes, sur “Les étagères de la nuit”, une des curiosités de la cathédrale. Seraient-ce les mêmes monstres qui ont agressé chez elle la vieille gardienne de l’édifice, et lui ont infligé les sévices les plus horribles ? Le commandant Guillaume le Fur et son équipe se mettent en quête des coupables. Mais quel serait donc le lien entre ces deux meurtres barbares ? À l’ombre de l’antique et majestueux vaisseau de pierre dont les tours jumelles dominent la cité Léonarde, ils vont mener à bien une enquête étonnante, marquée par la présence troublante d’une vieille femme au double visage.

Suivez le commandant Guillaume le Fur et son équipe le long du mystérieux fil qui relie ces deux meurtres effroyables, avec ce polar breton palpitant !

EXTRAIT

Didier commençait à donner des signes d’impatience.
— Il a aussi pu la balancer n’importe où, dans le port, dans un champ de choux ou dans le premier container à ordures rencontré, juste en passant. D’ailleurs, il faudrait commencer par fouiller tous les recoins de la cathédrale, on retrouverait peut-être cette boîte jetée dans un coin obscur. Joana semblait plongée dans une profonde réflexion.
— Il me vient une autre idée. Il y avait peut-être autre chose que le crâne de l’évêque dans la boîte.
Une chose qui intéressait le ou les criminels.
— Peut-être. Mais quoi ?
— Un objet quelconque, Guillaume. Je ne sais pas lequel. Mais quand même petit. N’importe quoi.
Un objet déposé par la famille du défunt quand elle l’a placé dans la boîte. On peut imaginer un bijou par exemple ou un document précieux comme un plan par exemple. C’est finalement une cachette assez sûre. Il ne viendrait à personne l’idée d’aller récupérer quelque chose là-dedans.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Jean-Louis Kerguillec né à Kervaliou dans les dunes de Cléder, au plus près de la côte léonarde dont il connaît le moindre recoin, a exercé une longue carrière de professeur de lettres classiques au lycée Tristan Corbière à Morlaix. Désormais retraité, il cultive son jardin, pratique la pêche en mer, la course à pied et se passionne pour la peinture et toutes les littératures. Il vit actuellement et écrit à Taulé.
LangueFrançais
Date de sortie30 sept. 2019
ISBN9782355506307
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    Aperçu du livre

    Saint-Pol, Cathédrale infernale - Jean-Louis Kerguillec

    PROLOGUE

    Faisons tout d’abord connaissance avec Corentin Direur, sa chatte Zoé et deux ombres malfaisantes.

    *

    Lundi 29 octobre 2018 - 21 heures environ

    C’était une petite maison basse, longue et d’allure ancienne, comme il y en a tellement en Bretagne, plutôt à l’abandon au fond de son jardin en friche, et aux volets gris déglingués. La façade percée d’une petite fenêtre garnie de barreaux et envahie jusqu’au toit, de lierre et de vigne vierge, dans le quartier de la chapelle de Kelou Mad à Saint-Pol-de-Léon, à la lisière de Roscoff, non loin du nouveau cimetière de la ville.

    Ce soir-là, veille de la Toussaint, Corentin Direur avait gravi l’escalier de sa maison avec beaucoup de difficulté, pesamment, posant un pied, puis l’autre, marche après marche, soufflant et marquant des temps d’arrêt, son cœur battant la chamade. Il venait tout juste de se coucher et s’était à peine déshabillé. Le moins possible. Il n’en avait pas eu le courage. Il se sentait frigorifié et à la limite du malaise. Il avait seulement enlevé ses chaussures, ses chaussettes trempées et son manteau de pluie. Il grelottait. Il faisait tellement froid dans sa petite chambre mansardée, tournée au nord, vers la mer, et qui ne recevait jamais le moindre rayon de soleil. Corentin se recroquevillait sous sa couette et essayait de la remonter le plus haut possible jusqu’à couvrir ses épaules. Les radiateurs électriques de sa chambre, des modèles anciens, qu’il n’avait jamais réussi à régler, consommaient beaucoup et ne chauffaient, pour ainsi dire, rien. Il ne les allumait d’ailleurs quasiment jamais, ne comprenant pas vraiment leur fonctionnement. Il avait quantité de factures d’électricité en retard, qu’il ne pourrait jamais espérer payer, sans compter les menaces de coupures de courant. Il n’avait jamais réussi à isoler correctement la vieille maison héritée de sa mère. Parce qu’il n’en avait jamais eu les moyens. Encore moins réellement l’envie. À vrai dire, il n’avait pas vu passer les hivers, remettant toujours les travaux au printemps suivant. Puis au suivant encore. Sa modeste retraite de la Marine Nationale, acquise après tout juste quinze ans de carrière, lui permettait à peine de survivre. Une fois payées quelques factures, toujours en retard, les plus criantes, surtout les plus menaçantes, il restait encore à faire réparer sa voiturette, à condition de trouver à vingt kilomètres à la ronde, un garagiste à qui il ne devait pas d’argent. Pour manger de temps en temps autre chose que les derniers légumes de son jardin laissés à l’abandon et ceux qu’il récupérait, promis à la décharge, au dépôt de légumes Délices du Léon à Kerfissiec. Ce qui restait était pour boire quelques verres avec ses amis, dans les différents cafés de Saint-Pol et surtout à L’Abri Côtier, une petite paillote isolée au bord de la mer, entre Saint-Pol et Roscoff où ils se retrouvaient le plus souvent. Sans doute trop de verres, trop de bouteilles, trop de tournées dans les cafés de la ville. Beaucoup trop d’allées et retours entre les commerces et sa maison pour se ravitailler en boisson au fil des jours gris et vides et d’interminables soirées d’automne.

    Corentin Direur avait passé cette soirée-là à jouer aux dominos avec ses amis, ce qu’il n’aimait pas vraiment. Ce jeu l’ennuyait très vite, le fatiguait, lui donnait mal à la tête, prétextait-il, pour refuser de participer à une partie. Mais les journées solitaires sont longues, il faut bien occuper le temps et faire plaisir à ses amis. Au moins s’efforcer de faire semblant. Alors il faisait le quatrième dans les parties, qui s’étaient succédé toute cette soirée-là et les tournées de vin rouge avaient suivi sur un rythme équivalent. La tête lui tournait quand il était rentré et il s’était couché sans avoir envie de manger. D’ailleurs, il n’y avait même pas songé. Il voulait s’étendre et surtout avoir chaud. Depuis que sa voiturette était en panne, et se laissait dévorer de rouille, recouverte de feuilles mortes, sous la haie dans son jardin, il avait remis en service un vieux scooter, au rancart depuis plusieurs années, qui fumait noir et n’avançait guère. Il faut dire que Célestin avait un nombre certain de kilos en trop et que sa pauvre pétrolette peinait, et ne parvenait pas à gravir les côtes. La nuit, en cette toute fin d’octobre, était glaciale, et son manteau trop léger et pas vraiment imperméable ne l’avait pas protégé de la pluie battante et des violentes bourrasques de la tempête. Mais il n’en avait pas d’autre.

    Au dehors, en effet, depuis la fin de l’après-midi, la tempête faisait rage. Une violente tempête d’automne beuglait dans l’obscurité, la pluie claquait sur les ardoises et ruisselait sur les vitres. Les vents violents et les averses de pluie et de grêle fouettaient les fenêtres et secouaient les branches des vieux cyprès dans le jardin et faisaient craquer la charpente de la maison. Un véritable temps de Toussaint. Corentin sombra durant quelques minutes. Il crut entendre un craquement au rez-de-chaussée de sa maison, suivi juste après, d’un autre, bien plus violent. Il repoussa sa couette, se redressa et tendit l’oreille. Il se disait qu’il aurait dû fixer les volets qui battaient la façade ou qu’il avait mal poussé le verrou de la porte qui avait dû s’ouvrir, bousculée par la bourrasque. À moins que Zoé, sa vieille chatte devenue sourde et aveugle, qui se cognait à tous les meubles et à tous les obstacles, n’ait renversé quelque chose dans la cuisine en cherchant à se hisser sur la table. Elle devait vouloir trouver à manger dans l’obscurité. Corentin se souvint alors qu’il avait oublié de lui donner ses croquettes. D’ailleurs, il n’y en avait plus. Le paquet était vide et traînait depuis plusieurs jours sur la paillasse de l’évier. Il aurait pu lui ouvrir une boîte de sardines ou de thon à l’huile. Mais, à cela non plus, il n’avait pas vraiment pensé. Il n’est pas facile de penser à tout quand on a envie de tout oublier. Il entendit un craquement plus violent que les précédents, comme une planche qui éclate, ou une porte qui cède sous une poussée trop forte. Contrarié et marmonnant des injures, Corentin Direur se décida enfin à se lever, repoussa sa couette, ramena ses jambes, pivota sur son séant et posa, sur son plancher, prudemment, l’un après l’autre, un pied méfiant et mal assuré. Tout tournait et vacillait dans la pièce. Le plancher se soulevait, montait et redescendait, ondulait, faisait des vagues, et avait sous ses pieds nus, comme les oscillations d’une houle étrange. Il se disait qu’il aurait dû moins boire la veille, mais il se disait la même chose tous les matins en émergeant péniblement de son lit. La tête de travers et l’équilibre incertain, il se disait encore la même chose le lendemain. Et ainsi de suite. Les jours se suivaient et les semaines allaient ainsi, cahin-caha.

    Corentin descendit l’escalier nu-pieds, dans l’obscurité, chancelant, mal assuré sur ses jambes et s’accrochant ferme à la rampe, de crainte de perdre l’équilibre sur les marches inégales et grinçantes. L’ampoule de l’étroite cage d’escalier avait rendu l’âme et pendait au bout de son fil depuis plusieurs mois, inutile et constellée de chiures de mouches. Corentin n’avait jamais vraiment songé à la remplacer. Il y pensait parfois, un instant, juste en passant, le matin, puis consacrait son temps et son maigre argent à autre chose. Il s’était donc habitué à monter et à descendre l’escalier dans l’obscurité. Ce soir-là, ses jambes le tenaient à peine et se dérobaient sous lui. Arrivé à la porte de la maison, Il se sentit violemment repoussé en arrière et reçut au même moment un coup violent sur la tête. Il s’écroula sur le dos et entraîna dans sa chute le vieux poste de télévision qu’il n’avait pas regardé depuis des mois et promis depuis longtemps à la déchetterie. Deux ombres noires bondirent sur lui, le prirent aux épaules, le serrèrent à la gorge, le maintinrent au sol et se mirent à lui cogner la tête sur le dallage en ciment de la cuisine. Il voulut crier, mais aucun son ne sortit de sa bouche. Une ombre frappait du poing et du tranchant de la main, l’autre brandissait une sorte de marteau. On le frappa en le secouant, en lui criant dans les oreilles des questions brutales auxquelles il ne pouvait répondre. On lui parlait d’une vieille, d’argent, de magot, de cachette. Et encore d’une vieille pute qui traînait dans la cathédrale. On ne lui laissait même pas le temps de comprendre les questions. Ils cognaient, cognaient encore, nerveux et pressés. Déchaînés, furieux, tels des déments. Bientôt, le pauvre Corentin ne les entendit même plus. Il n’avait pas articulé un seul mot, la bouche remplie de sang. Et on le frappa encore. Et davantage encore. Il avait déjà perdu connaissance et sombré dans un brouillard de cris et une bouillie de mots. Les deux ombres s’acharnaient désormais sur un cadavre, un amas de chair pantelante. Zoé, la vieille chatte grise, en profita pour se glisser par la porte demeurée entrouverte, s’avança sur le seuil, hésita, puis recula soudain, face à la muraille de pluie et au grondement sourd du jardin tourmenté par le vent d’ouest. Elle rampa se cacher sous le buffet de la cuisine, se roula en boule et y demeura longtemps sans oser bouger.

    Une longue voiture noire. Deux ombres affairées poussent à la mer un homme sans tête.

    *

    Mardi 30 octobre 2018 - La Groue, port de plaisance de Saint-Pol-de-Léon, face à Pempoul - 5 heures du matin environ

    Un avis de vigilance extrême, diffusé en boucle sur toutes les radios, avait annoncé, la veille, l’arrivée de pluies torrentielles et d’une forte tempête de sud-ouest. On prévoyait un coup de vent de force 8, forcissant 10 et avec le risque de dégénérer en ouragan. Ce matin-là, en effet, le vent soufflait furieusement. Les vagues battaient le quai, jaillissaient en gerbes d’écume sur le parking du centre nautique de La Groue et de l’école de voile, et leur fracas couvrait par moments la rumeur sourde des grands pins maritimes de l’îlot Sainte-Anne qui, secoués par la bourrasque grondaient dans l’obscurité. De lourds nuages noirs passaient rapidement emportés par le vent d’ouest. Une lumière pauvre et jaune tombait de l’unique lampadaire, secoué dans une poussière d’eau. Les bateaux dont on distinguait à peine les formes noires et mouvantes se balançaient dans l’obscurité avec parfois l’éclair des coques blanches. Le vent portait le cliquetis incessant des drisses qui cinglaient les mâts dans l’obscurité. Une flaque de lumière s’étendait sous l’unique lampadaire du parking et éclairait pauvrement un râtelier garni d’annexes en plastique de bateau, de toutes les tailles, de toutes les formes et de toutes les couleurs.

    Une voiture, longue et noire, à l’allure funèbre, une caisse basse et allongée, de forme verticale et géométrique à l’arrière, et au long capot, tous feux éteints, s’avançait lentement. Elle cahotait dans les nids-de-poule sous la pluie battante, faisant jaillir des gerbes d’eau. Un modèle étranger très certainement, peu courant, couleur de nuit et de deuil qui s’immobilisa derrière le bâtiment de l’école de voile, une sorte de blockhaus trapu, bas, sombre et lépreux. Comme un crapaud accroupi dans l’obscurité.

    Deux silhouettes sombres elles aussi, capuches noires enfoncées sur la tête sortirent de la voiture. Courbées sous l’averse, elles avaient une allure pressée, des gestes nerveux et mécaniques, et jetaient des regards inquiets autour d’eux, fouillant les recoins d’ombre et guettant les bruits de la nuit. Une grande silhouette et l’autre, nettement plus menue. Toutes deux noires. Un jeu d’ombres. Elles donnaient l’impression de bien connaître les lieux. Elles ouvrirent le hayon arrière de la longue voiture et tirèrent à eux une bâche par à-coups, la tenant par les coins. Elles juraient, grognaient tout bas et semblaient se disputer. Lourdement chargée, la bâche s’écroula au sol avec son contenu en un bruit lourd et mou. Comme un sac de sable. Puis, les deux ombres tenant chacune un coin la tirèrent en arrière, à petits pas et en reculant jusqu’au bord du quai. Elle glissait mal sur la chaussée rugueuse et raclait sur les graviers. Les deux ombres l’approchèrent du bord du quai, changèrent de côté, la soulevèrent et en renversèrent d’un coup sec le contenu dans la mer.

    Dans le halo jaune du lampadaire, le cadavre demeura un instant à la surface, puis tourna sur lui-même, coula vers les profondeurs et disparut dans l’eau couleur d’encre. Ce cadavre n’avait plus de tête. À la place, il n’y avait qu’un grand trou noir. Les deux ombres replièrent la bâche, puis la poussèrent du pied. Elle disparut à son tour dans les remous des vagues. Le hayon arrière de la voiture noire claqua. Elle recula, fit demi-tour sur le quai, s’éloigna en cahotant, passa sur la digue de la plage Sainte-Anne et remonta la rue du Paradis, pentue et sinueuse qui mène au quartier du Champ de la Rive. Les feux arrière disparurent au-delà des premières maisons du lotissement, en direction du centre-ville de Saint-Pol. Il était environ 5 heures du matin. Le vent soufflait de plus en plus fort, désormais passé en mode ouragan.

    Un courlis, dérangé sur une grève, lança un long appel perçant et mélancolique quelque part dans l’obscurité. Puis son cri recula du côté de la pointe Saint-Jean, s’éloigna dans le vent vers la colline de Trégondern, se fit de plus en plus lointain, et se perdit enfin dans la nuit et le fracas des vagues lancées à l’assaut du rivage.

    I

    Sur la place Alexis Gourvennec, deux marchands ambulants, désemparés, tuent le temps et bavardent, espérant que la tempête mollisse enfin.

    *

    Saint-Pol-de-Léon - Parvis de la cathédrale Pol Aurélien - mardi 30 octobre 2018 - Jour de marché - Vers 7 heures du matin - Forte pluie et vent tempétueux

    Une violente tempête avait soufflé toute la nuit, accompagnée de pluies torrentielles. Un vent de galerne violent balayait en rafales la place Alexis Gourvennec, au centre de Saint-Pol-de-Léon. Il secouait les fils électriques qui sifflaient et faisait claquer les enseignes des magasins. Les feuilles mortes, les emballages, les papiers gras, les bouteilles en plastique, tout allait se perdre sous les voitures et dans les petites rues pavées du centre de la ville.

    Les rares passants, le dos arrondi et la tête baissée sous leurs capuches ou désespérément accrochés à leur parapluie, luttaient pour l’empêcher de se retourner, en vain. Toutes sortes d’objets volaient en tous sens. Ce matin-là, il paraissait impossible et même imprudent de se hasarder dans les rues.

    La place du marché hebdomadaire était encore déserte. Les marchands attendaient que la pluie se calme un peu, avant de s’installer et de déballer leurs marchandises. Les étals n’avaient pas été dressés. Les fourgons attendaient en désordre sur la place et toute activité semblait suspendue. La masse de la cathédrale, frappée par la pluie dominait la place, ses sommets encore noyés dans la nuit. Elle avait quelque chose d’un gros monstre assoupi et repu et semblait encore plus massive dans la tempête. La place luisait sous la pluie. Petites vaguelettes d’eau poussées par le vent. Tout remuait en tous sens, tout était brassé, et violemment secoué.

    L’antique vaisseau de pierre, construit en pierre de Caen transportée par la mer depuis la Normandie, sur le modèle de la cathédrale de Coutances, faisait la fierté de la ville. Elle représentait son principal attrait touristique avec la chapelle du Kreisker, dont le clocher, le plus haut de Bretagne, se dressait, plus bas, face aux imposants bâtiments du lycée de la ville. L’état de la cathédrale rendait nécessaire un chantier de restauration long et coûteux. Les travaux de la tour nord étaient achevés. Ceux de la tour sud étaient en cours. Des échafaudages impressionnants, étagés, qui s’élevaient vers le ciel, en paliers réguliers vers le sommet, jusqu’à l’extrême pointe de la tour. Ils emprisonnaient l’édifice et l’emballaient dans une vaste cage de tubes en acier et de bâches en plastique et en faisaient comme un immense paquet cadeau. Ou comme ces palettes de marchandises que les livreurs déposent à la porte des magasins au petit matin, emmaillotées dans des films transparents. Un désordre ordinaire régnait sur un chantier de cette importance ; des cabanes de chantier, des tas de planches, de sable et de gravats. Des matériaux divers s’étalaient en grand désordre devant le porche ; rouleaux de grillage, étais et sacs de ciment protégés par des bâches en plastique transparent. Des pierres anciennes rongées par le temps allaient être remplacées par de nouvelles, numérotées à la peinture rouge. Une grande plaque de chantier fixée sur le grillage qui claquait dans le vent, portant le nom des différentes entreprises qui intervenaient sur le chantier, menaçait de se détacher. Le coût des travaux et la répartition entre la commune, le département et les différents services de l’État s’affichaient sur une autre plaque.

    Le déluge ne se calmait guère et le marché hebdomadaire semblait suspendu, guettant une possible amélioration. Les camions magasins attendaient sur la place. La plupart des marchands ambulants n’en sortaient pas, craignant que leurs barnums ne s’arrachent et s’envolent. Ils patientaient dans leurs fourgons, les coudes sur leur volant ou le journal du jour à la main. Ils se disaient que leurs clients ne sortiraient pas de chez eux par un temps pareil. François, le bouquiniste, péchant par excès d’optimisme avait déjà installé des tréteaux et ses tables, avait descendu quelques caisses de son fourgon, commencé à déballer quelques cartons de livres, mais, surpris par l’averse, les avait rapidement recouverts d’une bâche en plastique noir. Maintenant la pluie, mêlée de grêle, redoublait et éclatait en grains de plus en plus violents. François avait rejoint Marc, son voisin de marché, marchand de chapeaux, de casquettes, de gants et d’écharpes, sous l’auvent de son camion magasin. Réfugiés à l’abri de la bourrasque, ils regardaient la pluie tomber de la toile, les gouttes s’écraser à leurs pieds et mouiller leurs chaussures. Ils hochaient la tête, échangeaient des remarques désabusées et des mimiques désolées, regardaient le ciel par-dessus les toits de la rue des Minimes et les nuages noirs qui, par-delà les flèches de la cathédrale Pol Aurélien précipitaient leur galop effréné vers le nord.

    Nos deux marchands attendaient, sans trop y croire, depuis deux heures déjà, que la pluie se calme et que le vent faiblisse enfin. Ne sachant s’il fallait continuer à déballer leur marchandise ou s’ils devaient y renoncer, rentrer chez eux et se mettre à l’abri. Peut-être même retourner s’abriter sous leur couette.

    Tous deux regardaient le ciel et filer

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