Le quartier du Fleuve

Baby a peur de la nuit, peur du noir, des ombres, de son ombre. Il faut toujours l’escorter, l’accompagner, dès le moment où l’obscurité drape son manteau sur le quartier du Fleuve. Inconsciemment, Baby se souvient-elle de sa naissance une nuit d’orage, une nuit de drame ? Ombre et feu. Noir et sang. Jessie, elle, ne veut pas, ne veut plus s’en souvenir, de cette nuit-là qu’elle a racontée à Marguerite Berthet, de ce petit corps écarlate et gluant qui glisse entre les jambes de sa mère, du sang, des larmes, de la peur. Pourquoi s’est-elle confiée ainsi ? Cette histoire relève du domaine de l’intime.

– Alors, pisseuse, dit-elle avec affection, on y va?

Elle se penche sur le bout de chou et remonte la capuche de l’anorak de sa sœur.

– On y va ! Dis, Jessie, tu m’expliques pourquoi tu es arrivée en retard ?

– Toi, tu as de la suite dans les idées. J’étais avec Marguerite Berthet. Elle m’apprend le métier. Nous sommes passées à la mairie pour faire un papier sur le tri des déchets ménagers. Marguerite m’a aidée, mais je crois que je me débrouillerai vite. Ensuite on a expédié les articles de chez elle, sur son ordinateur. Il m’en faudrait un, très vite.

– Quand tu seras riche ! que t’auras fait des économies !

– Ce n’est pas demain la veille, ronchonne Jessica.

– Alors tu ne peux pas me payer une brioche ?

– Bien sûr que si ! demain. Parce que ce soir on n’est pas en avance, tu es bien d’accord.

Baby passe vite du rire aux larmes et, vice versa. En ce moment, dans la lueur jaune du réverbère, elle apparaît, mignonne à croquer, riant de toutes ses dents de lait qui ne se décident pas à tomber.

La fillette place sa menotte grassouillette dans la main de Jessica, et elles partent, l’aînée tirant la toute petite, qui n’est jamais bien rapide.

– Raconte ! ordonne-t-elle sans arrêt.

Et Jessica parle encore de Marguerite, une grand-mère à la page, de la photo de Sylvio qui n’a pas un cheveu