Tamangur: Prix suisse de littérature
Par Leta Semadeni
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À propos de ce livre électronique
A Tamangur, pas d'herbes tendres, pas de choucas, pas de dimanches, pas de Noël, pas de rôtis, pas de lapin de Pâques, pas de vacances...Depuis la disparition du grand-père, l’enfant vit seule chez sa grand-mère, au village. La chaise vide du grand-père rappelle l’absence du frère, emporté par la rivière. Tamangur est le lieu mystérieux où le grand-père est parti : « Là-bas, il n’y a pas de chamois qui jouent comme les enfants et qui, au printemps, descendent les pentes neigeuses en glissant sur le derrière pour atteindre les herbes tendres. Il n’y a pas de choucas à Tamangur, pas de dimanches, pas de Noël, pas de rôtis, pas de lapin de Pâques, pas de vacances. C’est comme si. »
En 73 scènes parfois à la frontière du fantastique, entre sourire et larmes et dans une langue riche d’images, Leta Semadeni nous ouvre le quotidien des deux êtres qui se tiennent mutuellement à la vie.
Découvrez un récit touchant qui, en 73 scènes parfois à la frontière du fantastique, livre le quotidien de deux êtres qui se tiennent mutuellement à la vie.
EXTRAIT
"Les jeunes serveurs en restent bouche bée. Elsa profite de cette petite gêne pour ajouter :
En principe je ne mange que les mâles, ils sont plus digestes.
L’enfant pouffe de rire et le jeune serveur sourit comme s’il avait mal quelque part. Il n’est pas habitué à parler de digestion ni du sexe des homards avec les clients.
Il ne connaît pas bien son métier, dit la grand-mère à Elsa au moment où le serveur part se renseigner.
Une si large croupe ne peut être que celle d’une femelle, dit-elle avec une étincelle dans les yeux, ça se voit tout de suite. Et avant même que le serveur, qui est revenu, ne puisse ouvrir la bouche, elle dit :
Je sais, mais nous allons quand même la manger.
La première fois que la grand-mère a mangé du homard, c’était avec le grand-père, pendant leur voyage de noces à Venise, dans un petit restaurant avec vue sur le Canale della Giudecca, près de la Fondamenta degli Incurabili. La surface de la lagune scintillait comme si elle avait été couverte d’écailles des truites de leur pays, et les bateaux se déplaçaient sur l’eau comme des chenilles, tandis qu’ils étaient tous deux époustouflés par cette opulente vie à deux.
Époustouflés pendant des journées entières, même une fois rentrés chez eux.
Oui, la vie avec le grand-père ! Emballés dans leur aspiration mutuelle à échapper au quotidien, ils partaient à la dérive. C’est à ça que pense la grand-mère tout en se mettant au travail. Elle tend son cou, prend le homard dans une main et lui arrache la queue de l’autre.
Le corps n’a aucun goût, dit-elle en le posant sur l’assiette des déchets, la meilleure chair est dans la queue – et aussi dans les pattes et les pinces.
Elle casse les pinces avec la pince à homard et, de ses mains robustes, casse les pattes en deux au niveau de l’articulation."
CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE
"Ce joyau de roman vit d'allusions, de clins d’oeil et de possibilités. Et d’une langue qui ouvre un espace infini, sans pour autant susciter un sentiment d’égarement." - Vice versa littérature
À PROPOS DE L'AUTEUR
Née en 1944 à Scuol, en Engadine, Leta Semadeni a étudié les langues à l’université de Zurich. Elle écrit essentiellement de la poésie, en romanche ou en allemand, qu’elle transpose elle‐même dans l’autre langue. Son oeuvre a été couronnée par le Prix de littérature du canton des Grisons en 2011, le Prix de la fondation Schiller suisse la même année. Tamangur, son premier roman, lui a valu le Prix suisse de littérature en 2016.
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Aperçu du livre
Tamangur - Leta Semadeni
1
Il est midi, les cloches sonnent, les rues sont déjà vides. Le goudron jaillit des fissures sous les pieds. L’enfant se penche, retire un peu de cette masse noire avec l’index, agite rapidement le doigt pour faire refroidir le goudron, le met dans sa bouche et le mastique tout en montant la ruelle en pente, à toute vitesse, la tête baissée, et encore captivée par la fin d’une histoire que le maître a lue : un garçon et une fille étroitement enlacés dérivent sur une barque chargée de foin, et la lune en or rouge a déposé sur le fleuve une traînée brillante.
Le goudron a dans sa bouche un goût dangereux.
Son oreille qui est encore libre pour les bruits extérieurs entend approcher de petits pas, et, lorsqu’ils passent devant cette oreille libre, sa bouche dit automatiquement bonjour.
Mais comme elle ne reçoit pas de réponse, l’enfant s’arrache en un éclair à l’histoire de la lune rouge, ajuste ses lunettes sur son nez et suit les pas du regard.
Plus bas dans la ruelle en pente marche une chèvre couleur rouille avec une bande noire sur le dos. Elle tourne la tête et a l’air de vouloir s’excuser pour son impolitesse.
Parfois, le grand-père disait à la grand-mère : Tu es comme une chèvre, très affectueuse d’un côté, mais, dès que tu humes un brin d’herbe, on ne peut plus te retenir.
Peu après, l’enfant est assise dans la cuisine et mange la soupe avec la grand-mère. De temps en temps, la vieille femme pose sa cuiller dans l’assiette et regarde le plafond.
La troisième chaise autour de la table est vide. Le grand-père est à Tamangur.
Le sureau s’incline derrière la fenêtre de la cuisine. Il regorge déjà de baies.
Au moment où un chasseur est accueilli à Tamangur, il perd vingt et un grammes parce que son âme s’échappe du corps pour retourner là où elle habitait avant.
L’âme aime bien ses petites habitudes, dit la grand-mère, elle est forte bien qu’elle ne pèse que quelques grammes, et elle impose toujours sa volonté.
Elle peut aller partout, et quand elle veut. Avec ses vingt et un grammes, elle trouve toujours une petite place où se loger pour sortir la grand-mère de son train-train. La grand-mère se dispute avec l’âme, l’insulte : Espèce de rien du tout, pauvre petite chose ! Que faire avec une pauvre petite chose pareille ?
2
Le village est un endroit plein d’ombres, profondément encaissé entre les montagnes, et encore plus bas mugit le fleuve, épais et scintillant, en direction de la frontière.
Il y a une église sur une colline, à la lisière de la forêt, une école, quelques magasins et restaurants, et la place du village. Sur la place se trouve un long banc.
Quand le banc est vide, l’enfant s’y assied et se demande quelles histoires a entendues le banc. Sa surface est encore chaude peut-être, cela veut dire que quelqu’un y était installé juste avant, qui a eu le temps de raconter des mensonges au banc. C’est pourquoi on l’appelle le banc des mensonges.
L’enfant passe le doigt dans les fissures et les rainures du bois, un chien ou une chèvre trottine devant elle dans la rue principale, qui à cette heure vibre au soleil et empeste le goudron.
On ne sait pas pourquoi la chèvre sans clochette est toujours seule en vadrouille. S’est-elle perdue dans les ruelles ? On dirait qu’elle est sans cesse à la recherche de quelque chose.
L’enfant est parfois malheureuse à cause de la quête infructueuse de la chèvre. Elle ne sait pas garder le chagrin d’autrui à distance.
De l’autre côté du fleuve, une vallée transversale disparaît entre les montagnes.
Le grand-père avait raconté à l’enfant que des lièvres des neiges vivaient là-bas, et des perdrix des neiges, et d’autres créatures, et des plantes capables de si bien adapter leur robe à l’environnement qu’on ne les voit plus.
3
Certains soirs, tout a un goût de nostalgie. La grand-mère n’a rien de bon à dire sur le village.
Il commence là où il s’arrête, dit-elle, ce n’est qu’une chiure de mouche sur la carte.
Quand le vent souffle dans la forêt, on sent déjà les frissons de l’automne.
La grand-mère inspire bruyamment l’air par le nez. Elle le fait pour repousser une larme dans son canal, et ensuite elle a de nouveau ses grands yeux, elle arrange ses cheveux et se déshabille.
Sous sa robe, elle porte encore une robe couleur chair avec des crochets scintillants qu’elle dégrafe l’un après l’autre. Elle la plie méticuleusement, la pose bien en ordre sur la chaise et la lisse avec la main.
Même nue, la grand-mère a l’air habillée. Elle s’arrête un moment devant le miroir et le regarde avec curiosité, comme si elle y voyait une autre. Elle montre aussi son derrière à l’autre et tourne la tête vers le miroir pour voir à quoi ressemble l’autre de dos, puis elle laisse retomber sa chemise de nuit.
Les pieds de la grand-mère sont tout petits. Quand elle est allongée sur le lit avec les jambes tendues, ses orteils ont l’air de baies juteuses, mais, quand elle est debout sur le tapis, les baies s’étalent sous son poids et s’aplatissent. Le poids les enfonce dans les fleurs de la descente de lit. Elle se dandine encore une fois dans la chambre, entrouvre à peine la fenêtre, retourne au miroir, prend ses lourds seins dans les mains, les remonte un peu et dit à l’autre dans le miroir :
J’ai encore une belle poitrine.
Dans la lumière blafarde du réverbère, son corset ressemble à un insecte avec ses petits crochets scintillants.
4
Le cœur de la grand-mère est une grande forêt pleine d’épaisses broussailles, d’arbres plus ou moins hauts et de nombreux arbustes. On peut s’y promener ou s’y égarer.
Il y a aussi des clairières qui s’ouvrent comme une surprise. Un pas, et l’enfant se trouve soudain dans la lumière, au-dessus d’elle le ciel, les coussins moelleux des nuages, le soleil. La grand-mère est alors un ange qui exauce tous les souhaits.
Elle sautille dans l’appartement, prend l’enfant par la main, file avec elle dans le magasin de chaussures et lui achète tout à coup les ballerines rouges qu’elle désirait depuis si longtemps.
Une autre fois, l’enfant est envoyée dans les broussailles, elle s’égratigne les pieds et les jambes, les branches lui fouettent le visage, elle s’accroupit dans le noir et tremble devant la grand-mère, qui devient une sorcière.
Sans le vouloir, l’enfant a réveillé un mauvais souvenir chez la grand-mère ; elle a joué les mauvaises notes sur le piano, au mauvais moment.
Alors elle hait la grand-mère de toutes ses forces. Sa manière de pincer les lèvres parce qu’une masse de vilains mots s’est formée dans sa bouche. L’enfant connaît ces lèvres minces, elle doit rester sur ses gardes dans ces moments-là, elle se terre dans le sous-bois jusqu’à ce que la bouche se détende.
La masse de mots ne doit pas s’échapper. Il y a des sons et des mots qui vous déchirent le cœur, mieux que n’importe quel couteau tranchant. Il est alors conseillé de disparaître quelque temps dans le sous-bois et de ne pas faire de bruit.
Il en va du cœur comme des articulations, dit la grand-mère. Regarde un peu l’Inde, dit-elle. Il y a des hommes de nonante ans qui enroulent leurs jambes autour du cou. Le cœur aussi doit s’entretenir. Il a besoin d’être ébranlé – et étiré jusqu’au déchirement pour rester en forme. On doit l’utiliser tant qu’il bat, sinon il s’atrophie et finit par ressembler à une pomme de terre ratatinée.
La grand-mère n’a pas envie de s’asseoir sur le petit banc qui est devant la maison et
