Pars, cours ! Bernadette

Par Nadine Poirier et Manuella Côté

En juin, j’irai au bal des finissants avec Lenny. C’est décidé ! Rien ni personne ne pourra m’en empêcher !

Pour le séduire, j’ai besoin :

- de noix et de raisins secs;
- de billes;
- de ficelles et de bouts de tissu;
- de ma salive (beurk !);
- de quelques-uns de ses beaux cheveux châtains-trop-parfaits-qui-sentent-si-bon !

Pourquoi ? Pour faire de la magie vaudou. C’est ma grand-mère qui me l’enseigne ! Le vaudou, c’est la sorcellerie LA PLUS PUISSANTE du monde. À moi, le beau Lenny ! Et adieu, les mauvais coups d’Alexis ! Rien ne m’arrêtera ! (Même s’il faut que je me promène avec une crotte de chien dans mon sac d’école.)

Un livre tordant qui fait place à l’amour, à la magie et à l’espoir.

• Langue: Français
• Éditeur: Éditions de Mortagne
• Date de sortie: 21 août 2019
• ISBN: 9782897920029

Nadine Poirier

Je suis née en 1965 à Bonaventure en Gaspésie. Cinquième d’une famille de 7 enfants, je n’étais pas particulièrement intéressée par les livres. Après une enfance à jouer avec les crabes au bord de la mer, à me rouler dans la glaise, à courir dans le champ derrière les vaches, et ensuite à travailler dans une base de plein air, je me suis installée à Trois-Rivières pour obtenir mon baccalauréat en récréologie. Durant 15 ans, j’ai organisé les loisirs dans une école secondaire. Mais depuis que j’ai une famille de 4 jeunes lecteurs, j’ai découvert l’univers sensationnel des livres jeunesse. J’ai trouvé une autre façon d’exploiter mon imaginaire débordant. Par le biais de l’écriture, je découvre une grande liberté de penser et de m’exprimer. Mon écriture évolue au rythme de mes enfants. Elle prend de l’âge, se refait une beauté, change selon mes humeurs. Je n’aime pas la routine. Souvent, mes récits aboutissent dans ma collection d’idées abandonnées. Dans ce métier, j’apprends aussi à tourner la page. J’aime aborder des sujets qui touchent l’être humain et ses complexités, sa nature imperfectible et son grand potentiel. Les petites choses de la vie quotidienne qui me font sourciller, rager ou sourire se retrouvent bien souvent à la pointe de mon crayon. J’en profite pour exprimer ce qui me trotte dans la tête. Mes personnages reflètent toujours une partie de moi, même les plus détestables!

Aperçu du livre

XXX

Chapitre 1

La sorcellerie

C’est aujourd’hui que Lenny tombera amoureux de moi, j’en suis convaincue ! J’ai tout prévu. À la fin de l’année, nous irons au bal des finissants ensemble. Please ! Please ! Please ! Il faut que mon sortilège d’amour fonctionne !

— Damieeen !

Punaise ! Qu’est-ce que j’ai fait ? Damien vient de planter comme un chef sur le plancher du gymnase !

— Monsieur Adam ! Damien saigne du neeez ! que je m’écrie.

— Même pas vrai, Bernadette ! Ta gueule !!! me décoche Damien en se couvrant le pif avec sa main.

— Gros mal élevé ! Madame Geneviève va le savoir, que tu m’as dit « ta gueule » !

— Et que toi, tu m’as dit « gros mal élevé » !

C’est sûrement ma faute s’il a dégringolé du mur d’escalade ! Le vaudou, c’est la magie la plus puissante du monde ! La plus hot ! La plus dangereuse aussi… Grâce à Damien, j’en ai la preuve.

Pourquoi mon sortilège d’amour s’est-il transformé en sortilège de dégringolade au dernier moment ? Ça demeure un mystère. Au lieu de Lenny qui me fait des yeux doux, je me retrouve avec Damien qui se pète la fiole en plein cours d’éduc. PAF ! Trop nul ! Une chance que notre prof avait le dos tourné : il était occupé avec Léo, qui était en train de vomir tout ce qu’il a mangé depuis ce matin. En plus d’avoir le nez écrabouillé, Damien aurait eu mal aux pectoraux à force de faire des pompes. Ça, c’est la conséquence mégasuprême lorsqu’un élève désobéit ou qu’il grimpe au mur d’escalade sans l’autorisation de notre prof d’éduc, monsieur Adam.

— Clara ! T’as vu ça ?

Mon amie me fixe, les pupilles rondes comme des billes.

— Ça alors ! Ton sortilège est trop génial !

— Pas du tout ! Je l’ai raté.

Clara tente de me réconforter. Elle attrape sa sœur jumelle, Léa, pour lui montrer ce que je viens d’accomplir.

— Lenny ne te remarque pas, murmure Léa.

— Je sais. C’est décevant ! Le vaudou, ce n’est pas si facile que ça en a l’air. Ma grand-mère me répète que c’est l’art de la GRANDE sorcellerie ! Alors, pourquoi ai-je livré de la minimagie de rien du tout aujourd’hui ?

— Damien est quand même tombé du mur d’escalade, m’encourage Clara.

— Je vais demander à grandma ce soir pourquoi ça n’a pas marché.

Grandma signifie « grand-mère » en créole. Ma petite mamie d’amour est une prêtresse vaudou chevronnée. La meilleure qui soit ! Elle m’enseigne tout ce qu’elle connaît. Ensuite, je m’exerce à réciter des incantations, à tenir des cérémonies et à faire de la SORCELLERIE ! Comme elle. Dans mon grimoire secret, j’écris les sortilèges qu’elle m’apprend. Grandma et moi, on se parle presque tous les jours. Enfin… quand le réseau Internet fonctionne chez elle, à Port-au-Prince, en Haïti.

Dans sa ville, il y a beaucoup de gens qui pratiquent le vaudou. Il y a souvent des manifestations dans les rues. Les adeptes se déguisent en dieux et en esprits. Un jour, j’irai participer et je m’habillerai en déesse de l’amour !

— Au moins, Damien va rester tranquille jusqu’à la fin de la période ! me souffle Léa d’un air espiègle.

Elle a raison. C’est déjà ça de gagné !

— Les filles ! Pas un mot sur ce qui vient de se passer, OK ?

— Oui. Motus et bouche cousue !

Léa et Clara glissent discrètement un index sur leurs lèvres en signe de solidarité avec moi. Ouf !

Le vaudou, c’est secret ! Mon béguin pour Lenny aussi. Si l’une d’entre elles en parle, elle devra subir l’ultime châtiment : manger un ver de terre VIVANT ! Beurk !

Au début de l’année, cachée derrière la grosse pancarte de l’école Sainte-Marie, j’ai accepté de mettre les jumelles dans la confidence. Depuis des jours, elles me questionnaient à propos de ma petite pochette de tricot. Elles avaient remarqué que j’y rangeais plein de trucs bizarres comme des raisins secs, une bille bleue, un bout de tissu et des noix pour faire des offrandes vaudou.

— À quoi lui sert le vaudou, à ta mamie ?

— Toutes sortes de choses. Par exemple, elle attire la guérison  et le succès a. Une fois, elle m’a sauvée d’une grippe. Et aussi d’une énorme verrue.

— Trop hot !

— Elle demande des faveurs à plein d’esprits : Ogou, le dieu de la guerre, Ogoun Zobla, celui de l’intelligence et de la réussite, Erzulie, la déesse de l’amour…

— Hoooouuuuu ! Smack smack smack ! s’est excitée Clara en soufflant des bisous.

— Comment communique-t-elle avec eux ? m’a questionnée Léa.

— Elle offre à manger et à boire au dieu Papa Legba.

— C’est qui, lui ?

— C’est celui qui détient la clé du monde invisible. Personne ne peut discuter avec les dieux et les esprits si Papa Legba refuse d’ouvrir la porte.

— Mais est-ce qu’il est gentil ? m’a demandé Clara.

— Des fois oui, des fois non. J’entends souvent grandma prononcer la formule en créole : « Papa Legba, ouvri barriè pou nous passer. » Elle lui donne des pistaches, des bananes, des patates douces, du riz et du maïs grillé parce qu’il aime ça. Pour l’amadouer davantage, elle ajoute de petits présents.

Les jumelles étaient curieuses.

— Comment ta grand-mère sait-elle qu’il mange cette nourriture ?

— Les filles, la magie, c’est rempli de mystères !

— Si Papa-machin-truc accepte d’ouvrir la barrière, il se passe quelque chose de spécial ?

— Ah, ça, oui !

Mon air enthousiaste les a excitées davantage. Clara me secouait le bras en me répétant : « Il se passe quoi ? Dis-le-nous !!! » J’ai tourné la tête pour voir si quelqu’un nous écoutait. Est-ce que je pouvais leur raconter ça ? Hum ! J’ai hésité, alors que les jumelles me regardaient sans respirer.

— Je vais vous le confier si vous me promettez de ne jamais le révéler à qui que ce soit !

— Sinon, on mange un ver de terre vivant ! a déclaré Clara.

— OK.

J’ai inspiré à fond. J’avais peur qu’elles ne me croient pas ou bien qu’elles pensent que je suis complètement dingue de la caboche !

— Quand le portier accepte d’ouvrir la barrière, grandma entre en transe. Ça veut dire que Papa Legba pénètre dans son corps.

— Wouaaaaah ! Comme dans les films d’horreur ! s’est amusée Clara.

— Exact ! Ensuite, il envoie la demande de mamie au dieu qu’elle a choisi. De la vraie sorcellerie ! Le top du top ! Dans ces circonstances, ma grand-mère n’est pas toujours drôle à voir. N’importe qui jurerait qu’elle vient de péter un câble !

— Comment ça ?

— Une fois, elle s’est mise à ramper comme un serpent, en sifflant. Sssiiii-sssiiii-sssiii. Damballah, le dieu de la connaissance, avait pris possession de son corps. Pauvre mamie ! J’ai cru qu’elle avait perdu un boulon au cerveau ! Ses prunelles tournaient dans tous les sens et sa langue sortait de sa bouche. La peur que