Bord de mer
On allait au bord de la mer, « avec mon père, ma sœur, ma mère ». Enfin, presque. Ça, c’était dans la chanson que mes parents fredonnaient souvent dans la voiture quand nous étions plus jeunes, mon frère et moi. Oui, parce que moi, j’ai un frère et ça ne collait pas exactement avec la chanson. Mais bon, on faisait comme si. Parce que c’était les vacances, et que pendant les vacances, comme disait ma mère: « On est moins à cheval sur les principes. » Ma mère en avait plein, comme ça. Des expressions, et des principes aussi. Et puis, le temps passant, ils ont plus ou moins arrêté de chanter dans la voiture. Je me suis dit que c’était parce qu’on était trop grands, Félix et moi. Il avait neuf ans et demi et moi trois ans de plus. Je me suis toujours demandé à quoi avaient bien pu me servir ces trois ans sans lui puisque je ne me souviens pas du temps où il n’était pas encore à la maison. Il me semble l’avoir toujours connu. C’est injuste. Je n’ai même pas profité du moment où j’étais fils unique.
A la place on s’est mis à écouter des stations de radio, du genre Nostalgie. La nostalgie était plutôt celle de nos parents. Nous, on découvrait ces chansons du siècle dernier, un peu ringardes, mais avec des mélodies faciles à retenir. Elles finissaient par vous trotter dans la tête sans s’arrêter. La nostalgie de ces chansons-là, ça nous viendrait sans doute plus tard, à mon frangin et moi.
Nous avions essayé l’Atlantique, une fois, pour changer. Mais nous n’avons jamais retenté l’expérience. Les vagues étaient trop hautes, d’après ma mère. Elle avait peur qu’on se fasse emporter. Mais je pense que c’était surtout parce qu’elle ne nageait pas très bien, en fait, et qu’elle avait peur d’être emportée aussi. Surtout si elle était obligée de nous porter secours, en admettant que notre père soit en train de nager au loin et que les maîtres-nageurs soient tous à la pause déjeuner, ou occupés à taper une belote à l’ombre. J’imaginais cette histoire quand j’étais déprimé, ce qui arrivait de temps en temps. Ma mère, mon frère et
