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Le Rêve des Pixies (Les Pixies du Chaos, tome 3)
Le Rêve des Pixies (Les Pixies du Chaos, tome 3)
Le Rêve des Pixies (Les Pixies du Chaos, tome 3)
Livre électronique475 pages6 heures

Le Rêve des Pixies (Les Pixies du Chaos, tome 3)

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À propos de ce livre électronique

Troisième tome de la saga Les Pixies du Chaos.

« Ne bouge pas, Jiyari, nous venons te chercher ! »

Accompagné d'un mercenaire en fuite, j'essaie de tenir mes promesses tout en négociant avec le Pixie impulsif qui partage mon corps. Heureusement qu'en tant qu'Arunaeh, je suis plutôt patient.

LangueFrançais
Date de sortie11 oct. 2021
ISBN9781005152581
Le Rêve des Pixies (Les Pixies du Chaos, tome 3)
Auteur

Marina Fernández de Retana

I am Kaoseto, a Basque Franco-Spanish writer. I write fantasy series in Spanish, French, and English. Most of my stories take place in the same fantasy world, Hareka.Je suis Kaoseto, une écrivain basque franco-espagnole. J’écris des séries de fantasy en espagnol, français et anglais. La plupart de mes histoires se déroulent dans un même monde de fantasy, Haréka.Soy Kaoseto, una escritora vasca franco-española. Escribo series de fantasía en español, francés e inglés. La mayoría de mis historias se desarrollan en un mismo mundo de fantasía, Háreka.

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    Aperçu du livre

    Le Rêve des Pixies (Les Pixies du Chaos, tome 3) - Marina Fernández de Retana

    1 Volonté

    Laboratoire, Dagovil, an 5572.

    On ne nous soigne pas. On nous tue.

    La réalité était trop atroce. Mais c’était Lotus qui nous en avait parlé et je le croyais. Le laboratoire, les expériences, le monde saïjit libre qu’il y avait au-dehors… Mes yeux brûlaient, mes paupières rouillées arrivaient à peine à s’ouvrir. Ma poitrine me faisait si mal qu’un instant, j’essayai d’oublier, mais je ne pouvais pas. Je ne pouvais pas parce que…

    Si vous continuez comme ça, vous mourrez, avait dit Lotus. Vous mourrez tous, et très prochainement.

    Recroquevillé dans mon coin, ignorant les Masques Blancs qui passaient, je m’efforçais de pleurer en silence.

    — « Qu’est-ce que c’est que ça, Kala ? » dit soudain une voix légère et familière.

    Je haussai mes paupières métalliques et regardai. Rao. Elle me scrutait, les bras croisés.

    — « Tu boudes encore, gros bêta ? » me sermonna-t-elle. Puis elle ajouta, baissant la voix : « Ne pleure pas. Ils vont croire que tu as trop mal et ils t’emmèneront à la salle de récupération. »

    J’écarquillai les yeux face à la menace, mais je cognai ma poitrine avec mon poing et murmurai :

    — « J’ai mal. J’ai mal, Rao. Je ne veux plus être soigné… »

    — « Tss ! » me tança Rao en s’accroupissant. « Ne dis pas ça. Ne les alerte surtout pas. La fuite est prévue dans quatre jours. Tiens bon jusque-là. »

    — « Je sais. Mais j’ai quand même mal, » sanglotai-je. « J’ai peur, Rao. Et j’ai de la rage, là, au-dedans. Je veux les soigner tous. Tous. »

    Je voulais les tuer. Tous ces masques sans visage. Je voulais les faire payer pour ce qu’ils nous faisaient… Mais l’horreur me tenaillait tant qu’elle m’empêchait même de bouger. Je sentis la main velue de Rao se poser sur mon front et glisser jusqu’à mes larmes pour les sécher, tandis qu’elle murmurait avec une douceur inhabituelle :

    — « Nous serons libres. Je te le promets, Kala. Je suis l’aînée et je m’occuperai de vous tous. Pour toujours. »

    Ses yeux grands et félins brillaient.

    — « Tu ne pleureras plus, Kala. Lotus nous aidera. Je t’aiderai. Moi aussi, j’ai peur, mais je ne me rends pas. Parce que tout cela ne fait que commencer. Nous sommes les Huit Pixies du Chaos, Kala. Nous avons tant de choses à faire encore. Nous avons un monde à découvrir. Un monde qu’on ne nous a pas permis de voir dans cette vie. Et je veux que tu sois auprès de moi pour le voir. Je veux que nous l’explorions tous ensemble. Alors, s’il te plaît… ne te brise pas. »

    Je la dévisageai, déconcerté, avec un ébahissement croissant. Dans son regard, je lus de l’audace et de la décision, mais pas seulement ça. Non, pas seulement ça : Rao avait de l’espoir. Ce dont je manquais, parce que la peur l’avait enchaîné et broyé jusqu’à l’anéantir… Rao continuait à en avoir. Son espoir brillait comme les éclairs d’énergie de la salle de soins, il rayonnait comme dix lanternes, mille lanternes… Sa lumière me transperça, m’enveloppa, m’enchaîna, et me libéra.

    J’inspirai profondément comme si je venais tout juste de sortir de mon cristal sphérique. Ma poitrine ne me faisait plus aussi mal.

    — « Moi aussi, je veux voir le monde, » murmurai-je. « Avec toi. Avec tous. »

    Rao sourit, découvrant ses deux crocs, et se leva.

    — « Nous le verrons. Ensemble. Quoi qu’il arrive. »

    J’admirai sa confiance. J’admirai sa détermination. Et je la crus de tout mon cœur.

    2 Le don de l’eau

    Je ne me rappelais pas avoir jamais vu ce village. Il devait avoir plusieurs centaines d’habitants, peut-être même mille. Blagra était la seule localité entre Dagovil et Doz à être aussi peuplée et, pourtant, cette ville n’était pas Blagra : je me souvenais bien que Blagra avait tout un quartier construit contre les parois de la caverne, or, ici, celles-ci étaient en grande partie plongées dans la pénombre ; quelques rares pierres de lune éclairaient faiblement les lieux. De plus, la caverne était différente. Quel était donc cet endroit ?

    Tapis derrière une grosse stalagmite, Reyk et moi, nous observions les allées et venues des voyageurs du Grand Tunnel de Dagovil depuis environ deux heures.

    Alors ? lança Kala. Nous allons rester là encore longtemps ?

    Même après plusieurs heures, on voyait que mon compagnon de corps n’était pas encore dégrisé. Deux jours s’étaient écoulés depuis que nous avions quitté la Forêt de Liireth. Deux jours durant lesquels nous n’avions fait qu’éviter des patrouilles, dormir mal et passer par des tunnels si étroits que j’avais même dû détruire quelques roches pour que Neybi ne reste pas coincée entre les parois. À présent, l’anobe creusait la terre de sa patte à la peau épaisse, silencieuse, mais visiblement aussi impatiente que Kala.

    Je soupirai mentalement.

    Si tu n’avais pas bu toute l’outre, peut-être qu’on aurait pu passer. Mais, tout de suite, c’est impossible.

    Aaah… Tu veux dire que c’est ma faute ?

    Je ne voulus pas insister, mais, oui, assurément, c’était sa faute. Des trois outres que nous avions emportées, deux contenaient de l’eau bonne et salutaire de l’île de Taey. La troisième… Dist l’avait remplie de vin. Je me demandais si les Stabilisateurs buvaient tant de vin parce qu’ils n’avaient pas de source proche ou simplement parce qu’ils étaient allergiques à l’eau… Attah. Quoi qu’il en soit, une fois les deux outres d’eau terminées, incapable de résister à sa soif, Kala s’était vivement et traîtreusement emparé de l’outre de vin.

    Je ne l’ai pas bue tout entière, ajouta-t-il après un silence.

    Non, de fait, j’avais réussi à le déstabiliser suffisamment pour nous faire avaler de travers et forcer le maudit à jeter l’outre. Reyk l’avait récupérée avant qu’elle ne se vide complètement… et le gaspillage l’avait mis de mauvaise humeur. À présent, nous étions là, assoiffés et exténués, n’osant pas traverser le Grand Tunnel parce que Kala était saoul.

    Et parce que le village grouillait de Dagoviliens en uniforme.

    Mon esprit, lui, était clair, avec un Datsu bien plus débridé que d’ordinaire à cause de l’alcool, de sorte que l’impatience de Kala m’affectait relativement peu et mon attention était principalement centrée sur les lumières qui éclairaient le village. Quelque chose en lui me paraissait familier. Je devais certainement être passé par là lorsque j’avais élargi le tunnel avec mon frère, quelques années auparavant. Mais je ne me rappelais pas avoir vu un village aussi grand. Assurément, Dagovil avait changé depuis que j’étais parti.

    Je jetai un coup d’œil à Reyk. Grâce au Zorkia, nous avions évité tous les tunnels susceptibles d’être gardés par des patrouilles. Il est vrai qu’en tant que Zorkia, il avait justement beaucoup opéré, disait-il, à l’est de Dagovil et il connaissait bien la zone entre Doz et la Cité Perdue, ayant vécu dans sa jeunesse une multitude d’escarmouches durant la Guerre de la Contre-Balance. Et pourtant, tout comme moi, il avait découvert le grand village avec surprise.

    — « Ne vaudrait-il pas mieux essayer de passer par un autre endroit ? » demandai-je après un très long silence.

    Reyk fit une grimace disgracieuse.

    — « Et rebrousser chemin par le tunnel d’où nous venons ? »

    Je lui répondis par une autre grimace.

    — « Ça… »

    Ce serait tenter le diable, convins-je. Je n’en dis pas plus et je scrutai une nouvelle fois les maisons. Nous étions relativement proches de celles-ci, à une centaine de mètres, au pied d’un terrain rocailleux. Monter par cette pente équivalait à crier à tous que nous étions là. Si seulement Sanaytay et Sirih avaient été avec nous, nous serions passés aussi inaperçus que des ombres… Mais les Ragasakis étaient loin. Nous n’étions que Reyk, Neybi et moi… et cet ivrogne de Kala. Je levai de nouveau les yeux vers la cité, convaincu d’avoir entendu le murmure de l’eau d’une rivière. Était-ce mon imagination ?

    — « Dis, » fit soudain Reyk.

    Je détournai mon regard de la ville. Le Zorkia essayait depuis un moment d’attraper la dernière goutte de vin de l’outre.

    — « Quoi ? »

    Reyk avait l’air pensif.

    — « N’avais-tu pas dit qu’un Arunaeh ne pouvait pas être saoul ? »

    Subitement, Kala eut un petit rire et je le coupai net avec une moue gênée. Reyk devait sans doute penser que mon comportement était étrange. Parfois, mes expressions changeaient brusquement et Kala ne s’en apercevait probablement pas, vu son état. Mais, moi, je m’en rendais compte. Bien que ma vue soit brouillée et comme éblouie, mon sang-froid était remarquable et je savais que quelque chose en moi troublait le Zorkia.

    — « Si, » dis-je, la voix pâteuse. « C’est ce que j’ai dit. Je ne suis pas saoul. Mais mon Datsu ne fonctionne pas comme il devrait. C’est pour ça que ma famille a cherché à savoir pourquoi et que mon frère m’a fait sortir de l’île. »

    — « Ton frère ? » répéta Reyk.

    — « Il m’a laissé tomber. » Je souris avec ironie et toussai avant d’ajouter : « Mais il m’a sauvé. »

    — « Je vois. » Il joua avec l’outre et, après avoir jeté un autre coup d’œil vers la ville, il dit : « Ces autres frères que tu dois trouver… ce sont vraiment tes frères ? »

    L’étaient-ils biologiquement parlant ? J’en doutais. C’est Kala qui répondit avec force :

    — « Ils le sont. »

    — « Baisse la voix, maudit, » marmonna le Zorkia avec lassitude.

    Il y eut un silence. Je ne savais pas ce dont j’avais le plus envie, de dormir ou de boire. Cependant, je pensai soudain que je n’avais encore rien expliqué au Zorkia et je décidai de lui éclaircir certaines choses en disant :

    — « Ils sont six, et Jiyari est l’un d’eux. Les autres… je ne sais pas du tout où ils sont, mais, si nous cherchons ce Zarafax, nous pourrions en apprendre davantage et, si nous allons à Lédek… nous pourrons peut-être aussi obtenir des informations. »

    — « Lédek, » répéta Reyk, et il me lança un regard scrutateur. « Là où se trouvent les Yeux Blancs d’après toi. »

    — « Leur leader, Zyro, a participé à la guerre, » expliquai-je.

    — « Zyro, » murmura Reyk, et il leva son regard vers les stalactites de la caverne, songeur. « Le nom me dit quelque chose. »

    J’ouvris soudain grand les yeux. Une pensée venait de me traverser la tête.

    — « Maintenant que j’y pense, toi, tu as vécu la guerre de la Contre-Balance ! Tu as dû combattre contre les dokohis. Et, pourtant, dans l’Aiguilleux, tu avais l’air surpris d’en avoir rencontré quelques jours avant. »

    — « Comment n’aurais-je pas été surpris ? » souffla Reyk. « Les Yeux Blancs sont censés avoir été vaincus il y a trente ans. La Guilde des Ombres a imposé le secret sur ces colliers… Moi, j’ai toujours cru qu’ils avaient été détruits. »

    Je fronçai les sourcils.

    — « Tu veux dire qu’ils ont été confisqués par la Guilde ? »

    Reyk secoua la tête.

    — « Aucune idée. Certains, sûrement. Mais comme nous ne savons pas combien ces mages noirs en ont fabriqué… À vrai dire, à cette époque, je n’étais guère plus âgé que toi, je combattais avec mes compagnons et je ne me posais pas de questions. Ashgavar, » jura-t-il. « Si nous restons ici, nous allons mourir de soif. »

    Je soupirai, jetai un coup d’œil à Neybi, qui continuait à racler le sol, et écartai la tête de la stalagmite en disant :

    — « Moi, je peux entrer dans la ville sans problèmes. »

    Je n’avais pas de raison de craindre les Dagoviliens : j’avais ma licence de destructeur en règle et je pouvais me promener avec le vieil uniforme de destructeur de Lustogan, avec les gants et le masque pour cacher ma peau grise et mes yeux rouges sur fond noir. Quant à Reyk, il avait déchiré sa chemise déjà loqueteuse pour en faire un bandeau et dissimuler ainsi l’Œil de Norobi sur son front, mais, si par malheur les Dagoviliens voyaient la marque, ils le renverraient directement à la prison de Makabath. Je hochai la tête pour moi-même et pris ma décision.

    — « À quoi penses-tu ? » demanda Reyk en se redressant.

    — « Je vais chercher de l’eau. »

    — « Une seconde ! » Il me saisit par la manche pour m’empêcher de me lever. « Si tu vas chercher de l’eau et qu’on te voie revenir ici, on soupçonnera quelque chose. »

    — « Toi, tu viens avec moi, » répliquai-je. Je lui tendis mes habits de Firassien tout en disant : « Prends ça. Réfléchis. Qui va imaginer un fugitif de Dagovil en compagnie d’un destructeur Arunaeh ?  »

    Reyk écarquilla les yeux… et un sourire sardonique se dessina sur ses lèvres de mercenaire. Je conclus :

    — « Tu es un kadaelfe comme nous : si tu te fais passer pour Lust, que tu n’ouvres pas la bouche et que tu mets un masque, même quelqu’un qui a déjà vu mon frère aîné y croira. Nous allons faire un détour et entrer directement dans la ville. Par ici, on dirait que… »

    J’indiquais la partie nord de la caverne quand, soudain, quelque chose dans cette colline bleue où s’ouvrait le Grand Tunnel me parut plus que familier.

    — « Dannélah, » murmurai-je.

    — « Quoi ? » répliqua Reyk tout en s’habillant.

    Malgré l’obscurité, je distinguai clairement les nombreuses cicatrices qui sillonnaient le corps du mercenaire et j’éprouvai un élan de compassion. Avoir dû souffrir tant de coups sans Datsu avait dû être dur.

    Le mercenaire finit d’attacher la ceinture et leva un regard vif vers moi.

    — « Quoi ? » répéta-t-il.

    Je secouai la tête et souris.

    — « Rien. Je viens de m’apercevoir que je reconnais cette caverne. Cette ville… il y a quelques années, c’était un village dénommé Yadella. Je suis passé par là avec mon frère en construisant le tunnel et je fonçais tellement que j’ai creusé au mauvais endroit ; et, en plus, j’ai provoqué la chute d’une roche qui a détruit la statue d’Antaka du village. »

    Reyk demeura un instant silencieux.

    — « Yadella, hein ? » dit-il enfin. « J’ai dû passer par là il y a trois ans lors d’une mission de la compagnie… Assurément, ça a changé. On dirait qu’ils ont découvert une mine d’or. »

    Ce n’était pas si impossible, pensai-je. Kala souffla mentalement depuis sa semi-léthargie.

    Démons, vous n’arrêtez pas de parler, je commence à avoir mal à la tête…

    Et moi aussi, pensai-je.

    — « Dis-moi, » reprit le Zorkia, « tu as de mauvaises relations avec les gens de ce village ? »

    — « Penses-tu, » assurai-je. « Ni bonnes ni mauvaises. Mon frère leur a fait une autre statue et je crois qu’elle était bien plus réussie que l’originale. En tout cas, c’est une bonne nouvelle, parce que, les tunnels au nord d’ici, je les connais assez bien. »

    — « Une drôle de bonne nouvelle : je croyais que nous allions vers le sud. »

    Attah…

    — « C’est vrai, » reconnus-je. « Mais pour traverser le Grand Tunnel… »

    — « Il vaut mieux ne pas le traverser, » m’interrompit Reyk. « Toutes les entrées sont bouchées hormis les principales et il y a tant de circulation qu’il est impossible de les faire éclater avec ton orique sans être vu ou entendu. Je préfère me déguiser et prendre carrément la voie principale, tout droit vers le sud. »

    L’idée était courageuse… très courageuse. Mais Reyk avait raison : continuer à adopter un comportement de fugitif avec tant de gardes et de témoins alentour, c’était courir à l’échec. Je soupirai et fouillai dans mon sac. Heureusement, Lustogan n’avait pas retiré mon ancien masque de destructeur. Je le lui passai.

    — « Mets ça. Ne t’inquiète pas, les destructeurs sont très spéciaux : il y en a qui, pour ainsi dire, n’enlèvent pas leur masque même pour dormir, comme mon grand-père. »

    Reyk allait mettre le masque, mais il s’arrêta net.

    — « Il porte le tatouage des Arunaeh. »

    Je lui jetai un regard en coin.

    — « Et alors ? »

    Reyk marqua un temps et je me demandai à quoi il pouvait bien penser quand il rompit à nouveau le silence.

    — « Si ton frère t’a fait sortir de l’île… c’est parce qu’ils te torturaient ? »

    Son ton n’était empreint d’aucune compassion, il était purement interrogatif. Je roulai les yeux.

    — « C’est plus compliqué que ça. J’ai accepté qu’ils entrent dans mon esprit. »

    Reyk se releva brusquement.

    — « Comment diables ? Comment as-tu accepté ? Non, » ajouta-t-il avec un souffle d’autodérision, « tu me fais marcher. Premièrement, tu ne serais pas aussi tranquille s’ils l’avaient vraiment fait. Et deuxièmement, les Arunaeh ne sont pas monstrueux au point de faire ça à l’un des leurs. »

    Je soupirai.

    — « J’ai accepté, je te dis. Écoute, je ne sais pas si c’est le meilleur moment pour t’expliquer ça, mais… il se trouve que j’ai en moi deux personnes. L’une d’elles, c’est moi, Drey, et l’autre qui s’est réveillée il y a peu, c’est Kala, le véritable frère de ces six autres que je recherche. D’où le nom de Kaladrey. Quant à ma famille, elle a essayé de m’aider un peu trop en s’introduisant dans ma tête, c’est tout. »

    Le Zorkia me regardait fixement.

    — « Mouais… » dit-il finalement. « Ce que je vois, mon garçon, c’est que tu ne tiens effectivement pas l’alcool. »

    Je laissai échapper un long soupir et regrettai de lui avoir parlé de ça.

    — « Au moins, tu es franc, » répliquai-je. « Et, moi, je l’ai été aussi. Bah, pourquoi parle-t-on de ça ? Mets ce masque et sortons de là… »

    Brusquement, j’entendis un bruit d’éclaboussure et je me tournai vers Neybi, les yeux écarquillés. À force de tant attendre, l’anobe avait creusé un profond trou dans la terre avec ses pattes, elle avait découvert une nappe phréatique et, à présent, elle buvait avec délectation toute l’eau que sa grande langue râpeuse pouvait absorber.

    — « De… de l’eau, » murmurâmes-nous en même temps, Reyk et moi.

    — « De l’eau ! » s’écria Kala, sortant de sa torpeur.

    Il se précipita, s’appropriant mon corps, et je sifflai :

    Kala, cette eau n’est pas bonne à boire ! Surtout, n’en bois pas, ça nous rendra malades.

    Kala s’arrêta en entendant la dernière phrase et il leva la tête tandis que Neybi nous jetait un regard curieux de ses énormes yeux dorés et reptiliens.

    — « Malades ? » répéta-t-il. « Diables, l’eau aussi te rend malade ? »

    — « L’eau boueuse oui, » grognai-je à voix haute.

    — « Quel corps de mauviette. »

    — « Je ne te le fais pas dire. Regarde dans mes souvenirs et tu comprendras. Attah… Tu as souillé tout mon pantalon de boue. »

    Tout d’un coup, Neybi poussa une sorte de grognement de plaisir et plia les pattes, se roulant dans la fange. Je m’empressai de me lever, m’écartant de la flaque qui avait surgi et des éclaboussures et, tout en m’efforçant de calmer l’enthousiasme de Neybi, j’essayai d’ignorer le regard prudent et fermé de Reyk. Il devait réellement penser qu’il s’était trouvé pour allié un drôle de spécimen à la personnalité multiple. Mais… c’est lui qui avait commencé à poser des questions, non ?

    Neybi se leva enfin et me donna un coup de langue humide sur la main qui, malgré la bave, m’arracha un léger sourire. Je pris mon sac, tirai les rênes et l’anobe se mit docilement en marche.

    — « Reyk, » lançai-je alors, m’arrêtant à l’autre coin de l’énorme stalagmite. Je transperçai du regard le Zorkia éberlué à travers mon masque de destructeur. « Je t’ai promis que je t’aiderais à sortir tes compagnons de Makabath en échange de ton aide. Je ne t’ai pas promis que ma compagnie serait facile. Je fais ce que je peux. On y va ? »

    Reyk passa une main dans ses cheveux noirs embroussaillés et je l’entendis soupirer avant de mettre le masque de destructeur. Je lui tournai le dos et regardai vers les lumières de Yadella avec une moue décidée. Ma démarche n’était pas encore très droite, mais cela passerait bientôt, me dis-je. Normalement, la boisson n’affectait pas autant les saïjits, mais Kala semblait la supporter aussi mal que Jiyari. Était-ce une particularité des Pixies ?

    Dis-moi, Kala, demandai-je mentalement, soudain inquiet. Je sais que tu ne t’évanouis pas comme Jiyari face au sang… mais juste hypothétiquement, si tu t’évanouissais… est-ce que tu crois que je m’évanouirais, moi aussi ?

    Un souffle abattu me répondit. Kala n’était pas en état de beaucoup réfléchir, compris-je. Bah. Je préférais ne jamais avoir à connaître la réponse.

    3 Le professeur de caeldrique

    Nous parvînmes à entrer dans la ville en contournant le terrain rocailleux et en passant par la colline bleue. C’était une des rares zones constructibles qui étaient encore libres : Yadella avait tant grandi en si peu de temps que certaines demeures à la périphérie avaient davantage l’air de baraques que de maisons. Alors que nous cheminions dans une ruelle, je vis dans l’une d’elles un jeune professeur donnant des leçons à une nombreuse bande de gamins. Des enfants de mineurs, compris-je. Si les parents avaient décidé d’emmener leur famille jusque là, c’est qu’ils pensaient rester des années. Ce n’était pas courant. Si ce qu’ils avaient trouvé là était un gisement d’or… la mine devait être grande.

    Personne ne nous prêta attention. Quelques passants remarquèrent peut-être nos masques, mais les destructeurs n’étaient pas les seuls à en porter et, pour des mineurs, il n’était pas facile de les distinguer ni de reconnaître le tatouage des Arunaeh.

    Neybi avançait derrière moi, et Reyk fermait la marche. Quand nous arrivâmes sur une place plus spacieuse, je localisai tout de suite une étable. Je parlai au gérant, fis boire Neybi et, après avoir convaincu Kala de ne pas se jeter dans l’abreuvoir, je dis à Reyk :

    — « Allons manger. »

    Nous sortîmes de l’étable et Reyk murmura :

    — « Dis… Si nous mangeons dans une taverne, nous serons obligés d’enlever les masques. Ne vaudrait-il pas mieux continuer à manger tes Yeux de Sheyra… ? »

    — « Diables, non. Pas question de continuer à manger ça alors que nous avons des tavernes avec de la vraie nourriture, » soufflai-je. « Regarde. Le masque a une ouverture au niveau de la bouche, tu n’as pas besoin de l’enlever. »

    — « Oh, » s’étonna le mercenaire, vérifiant que je disais vrai.

    Je souris derrière mon masque.

    — « Allez, frère. Nous allons entrer dans cette taverne. »

    Lorsque Reyk vit l’établissement que j’indiquais, je perçus son hésitation. C’était une jolie maison de pierre avec une pancarte qui annonçait Le Hawi Noir. Reyk grommela :

    — « Ça… ce n’est pas une taverne de pauvres, Drey. »

    Assurément, ça ne l’était pas, mais Lustogan m’avait laissé une bourse pleine de kétales, que les Stabilisateurs de la Forêt de Liireth avaient eu l’amabilité de respecter. Et, à mon avis, il valait mieux entrer dans une taverne aisée que dans une bon marché : nous aurions moins de possibilités de tomber sur des gardes et des patrouilles. Comme Reyk tournait les yeux vers une taverne de l’autre côté de la place à l’aspect plus accessible, je roulai les yeux.

    — « Le Mâchon ? » lis-je sur la pancarte. « Allons, Lust. Ne pense pas aux kétales, c’est moi qui t’invite… Oh, juste un truc, » ajoutai-je à voix basse. « Pas question de boire de l’alcool. Les Arunaeh… »

    — « Je sais, » me coupa Reyk.

    Son ton sec me rappela si bien Lustogan que je ne pus m’empêcher de sourire à nouveau derrière mon masque.

    Dès que nous entrâmes au Hawi Noir, je sentis la tension monter malgré mon Datsu. Il y avait là trop de gens en uniforme autour des tables : au total, une bonne dizaine de fonctionnaires, des secrétaires de la Guilde, des officiers, et je vis même un juge portant son grand chapeau blanc à larges bords. Assurément, la taverne n’avait pas l’air modeste —ses murs étaient finement ouvragés, il y avait même des pots de fleurs avec des plantes exotiques dans les coins et un vase stylé sur le comptoir— mais… diables, était-ce une réunion de la Guilde des Ombres, ou quoi ? Je sentis avec mon orique que Reyk se raidissait. Tandis que nous avancions vers le comptoir, je perçus plus d’un regard posé sur nous. Le Pixie marmonna :

    Tant de saïjits, ça me donne la nausée…

    Eh bien, serre les dents un moment, lui dis-je, m’appuyant sur le comptoir.

    À travers le masque, je posai mes yeux sur le tavernier. Bien vêtu, la chevelure exubérante et portant plusieurs bagues à chaque doigt, le grand drow sourit à un client, lui servant un verre de vin de zorf en disant :

    — « Assurément, assurément, mahi ! En deux ans à peine, cette ville est devenue une ruche. Mais vous devez me comprendre : moi, je ne me plains pas. Les affaires sont les affaires. »

    Son client acquiesça simplement de la tête et le tavernier se tourna vers Reyk et moi. Il ouvrit grand les yeux en reconnaissant le masque et s’approcha aussitôt en disant respectueusement :

    — « Mahis ! Soyez les bienvenus. Que désirez-vous ? »

    — « Deux verres de jus de zorf, s’il te plaît, » dis-je.

    — « Euh… De vin de zorf, tu veux dire ? »

    — « Non. » Je le foudroyai du regard, tout en sachant que le tavernier ne pouvait pas voir mes yeux à travers mon masque. Je répétai : « Du jus de zorf. Et le menu, s’il te plaît. »

    — « Bien, je vous l’apporte tout de suite ! »

    Je choisis une table le plus à l’écart possible des divers groupes de fonctionnaires dagoviliens. Pourquoi diables y en avait-il autant à Yadella ? Je m’assis, leur faisant face, de sorte que Reyk, lui, leur tourne le dos. Le tavernier ne tarda pas à nous apporter une bouteille de jus de zorf et, quand un garçon arriva avec le menu, nous l’avions déjà bue tout entière.

    — « Une autre bouteille, s’il te plaît, » confirmai-je au garçon.

    Dès que le repas arriva et que j’humai les vapeurs qui s’en dégageaient, l’eau me vint à la bouche et je me rendis compte à quel point j’en avais assez de manger des Yeux de Sheyra. Je m’emparais déjà de ma fourchette quand je remarquai un client qui nous regardait effrontément et, un instant, je restai avec la fourchette en suspens. Ce jeune homme aux cheveux bruns bouclés et au visage d’adolescent… Je faillis me mordre la langue. Bluz ? Le jeune Moine du Vent était attablé avec le juge, un secrétaire de la Guilde et un autre type sur une chaise roulante, ce dernier assis de dos. J’inspirai. Dannélah, était-ce… ?

    — « Drey… ? » chuchota Reyk, anxieux.

    J’aperçus alors ma fourchette encore en suspens et je décidai de me concentrer sur le repas. Il était délicieux. Je sauçai mon assiette jusqu’à la dernière goutte. Reyk continuait de manger comme si chaque bouchée avait du mal à passer. Il était plus tendu que la corde d’un arc bandé, pensai-je. En cet instant, je bénis mon Datsu de m’avoir aidé à oublier notre compagnie. Grâce à lui, la vue des deux Moines du Vent ne m’avait pas coupé l’appétit.

    Cependant, dès que j’assouvis ma faim, la présence de ces deux-là revint au premier plan dans mon esprit et je me mis à réfléchir. Bluz n’avait jamais vu Lustogan : mon frère avait volé l’Orbe avant que celui-ci n’arrive comme apprenti au temple. Mais celui de la chaise roulante, lui… c’était une autre histoire.

    Alors, j’entendis le bruit des roues contre le parquet et je sentis l’air bouger. Le destructeur nous tâtonnait de son orique comme pour avertir qu’il nous avait vus et, durant un instant, il augmenta sa pression avant de laisser son subtil sortilège s’effilocher. Toutefois, il ne s’arrêta pas à notre table et continua vers la sortie, Bluz derrière lui, nous lançant encore des coups d’œil indiscrets. Je ne tournai pas la tête une seule fois. Étaient-ils partis ? Non, pensai-je. Impossible. Pas s’ils soupçonnaient qu’un des deux destructeurs Arunaeh était Lustogan. Cet homme… allait-il nous tendre une embuscade ? Mais alors… pourquoi m’avait-il averti avec cette fine menace orique ? Je plissai les yeux. À moins qu’il ne sache que celui qui était assis en face de moi n’était pas Lustogan. Dans ce cas, il nous tenait entre ses mains.

    Attah… Pourquoi diables n’étais-je pas entré au Mâchon ? Penser que c’était pour des questions de qualité culinaire me fit honte.

    Qu’est-ce qu’il t’arrive maintenant ? demanda Kala. Nous n’avons plus ni faim ni soif, et Reyk a fini de manger. Tu me laisses la place un moment ? Je suis tout à fait remis maintenant.

    Il était de bonne humeur. Je fermai l’ouverture du masque et attendis que Reyk en fasse autant pour me lever et m’approcher du comptoir.

    — « L’addition, s’il te plaît. »

    Le drow me la donna. Trente-cinq kétales. Mar-haï, ce n’était pas peu. Je payai de toute manière et nous sortîmes, non sans sentir plus d’un regard posé sur nous. Alors, je dis à Kala :

    Tu peux maintenant.

    Kala sourit derrière le masque et marcha avec décision vers l’étable. Dès que je vis les deux Moines du Vent nous attendant au milieu de la place, je grommelai :

    Non, tu ne peux pas.

    Kala m’ignora.

    Quel est le problème avec ces types ? Ce sont des Moines du Vent, et alors ? Nous, nous sommes des Arunaeh.

    Tu le reconnais maintenant ? le taquinai-je. Eh bien, ce n’est pas le meilleur moment : ces moines sont en colère contre les Arunaeh.

    Oh ?

    — « Drey, » intervint Reyk dans un murmure derrière son masque. « J’ai un mauvais pressentiment. »

    — « C’est normal ! » dit Kala avec naturel. « Ces types sont en colère contre nous. »

    — « Nous devrions l’être ? » fit une voix.

    Kala avait parlé si fort que les moines nous avaient entendus et, maintenant, Bluz poussait la chaise roulante. Je me raclai la gorge en voyant le visage du drow assis là. Les yeux rouges et le visage dur et sec, il n’était guère plus âgé que mon père.

    — « Tu ne salues pas ton ancien maître de caeldrique, Drey ? »

    Kala arqua les sourcils et je luttai pour reprendre le contrôle de mon corps. Qu’il me salue moi avant Reyk était la preuve qu’il n’avait pas confondu celui-ci avec mon frère, ni avec mon père, ni avec mon grand-père… il savait donc que ce n’était pas un destructeur Arunaeh. Ignorant mes efforts, Kala dit sur un ton affable :

    — « Bien sûr que je salue. Je ne me rappelle pas très bien, mais… oui, je crois que je me souviens de toi. Draken, n’est-ce pas ? »

    Par Sheyra… Draken de la Maison Isylavi était un des destructeurs les plus connus de Dagovil. Un héros qui avait perdu tragiquement ses jambes en creusant le Grand Tunnel. Moi, j’avais du respect pour lui. Et Kala venait de me faire passer pour un malappris.

    Draken fronça les sourcils.

    — « J’ai entendu dire que tu t’étais rendu sur l’île de ta famille. T’ont-ils détraqué le cerveau par hasard, mon fils ? »

    Kala fit claquer sa langue.

    — « Non. Mon cerveau va parfaitement bien. Et je ne suis pas ton fils. Que veux-tu de moi, saïjit ? »

    Il avait abandonné son ton affable. Je grognai mentalement, protestant. Le destructeur marqua un temps tout en scrutant mon masque.

    — « Ce que je veux ? D’abord, savoir qui t’accompagne. »

    Kala acquiesça, indiquant Reyk du pouce.

    — « Facile. Lui, c’est mon frè… »

    À force de lutter pour le contrôle, je réussis à nous faire mordre notre langue et j’émis un grognement de douleur.

    Maudis sois-tu ! s’écria Kala. Je suis en train de faire un effort pour Reyk et, toi, tu me mords la langue !

    C’était aussi la mienne. Ignorant aussi bien Kala que la douleur, je levai une main.

    — « Pardon, maître. Oublie mon compagnon. Que veux-tu ? »

    Les yeux rouges de Draken étincelèrent, alternant entre Reyk et moi.

    — « Il se passe quelque chose de bizarre, ici, mon fils. J’espère que tu n’es pas pressé. Si tu nous accompagnais Bluz et moi jusqu’au temple, qu’en penses-tu ? Il est si près et il y a bien longtemps que tu n’y passes pas : je suis sûr que le Grand Moine se réjouira de te voir. Tu sais ? » ajouta-t-il alors que je gardais le silence, « tu lui as manqué quand tu es parti. Je suis sûr qu’il a beaucoup de questions à te poser. »

    Je réprimai un soupir.

    Bon sang, murmurai-je mentalement. Tu sais, Kala ? Cet homme n’est pas bête. Il m’attire au temple en échange de son silence au sujet de Reyk.

    Ça m’est égal, répliqua Kala. Je l’avais vraiment mis en colère, m’étonnai-je.

    Draken ajouta :

    — « Nous partirons sans tarder par la sortie nord. Yadella est si pleine de gardes que c’en est presque étouffant, n’est-ce pas ? Avez-vous des anobes ? »

    Je soupirai longuement.

    — « Nous en avons un pour deux. Draken, » ajoutai-je alors que celui-ci acquiesçait, satisfait, et faisait un signe à Bluz. « J’avertis. Je ne sais pas où est l’Orbe. »

    — « Vraiment ? » Draken afficha un sourire torve. « Alors, c’est une chance que le Grand Moine le sache. »

    Je fronçai les sourcils sans très bien savoir ce qu’il voulait dire par là. Quoi qu’il en soit, ce n’était pas une bonne idée de contredire Draken. Il n’avait pas mauvais caractère, mais c’était un Moine du Vent, il travaillait pour le Temple du Vent et il n’allait pas me laisser filer si facilement.

    Je haussai les épaules et, quand je le vis s’éloigner, poussé par Bluz, je sus que Draken ne craignait pas que je m’échappe. Pas en ayant un fugitif avec moi. Draken aurait envoyé toute la garde dagovilienne à mes trousses et nous aurions été capturés en un tournemain. Pendant que j’allais vers les étables chercher Neybi, Kala n’arrêta pas de grommeler qu’il en avait assez de moi. Reyk lança enfin :

    — « Drey. Qu’est-ce que cela signifie ? Où va-t-on ? »

    Sa voix était faussement sereine. J’acceptai les rênes que me tendit un garçon d’écurie et tirai l’anobe. On s’était si bien occupé d’elle que celle-ci ne voulait pas bouger, mais elle allait devoir le faire. Elle avança enfin et nous sortîmes. Je commentai :

    — « Je ne sais pas si tu as entendu parler du Temple du Vent. »

    — « Tu plaisantes ? C’est le temple des destructeurs, bien sûr que j’en ai entendu parler, » souffla Reyk. « Alors, ce type est un destructeur comme toi. »

    — « Le jeune aussi est un destructeur. Enfin, voilà, » expliquai-je, « j’ai été éduqué au Temple du Vent, mais j’ai été expulsé il y a trois ans parce que mon frère a volé la relique la plus précieuse du temple. Draken est un Moine du Vent et un de mes anciens maîtres. Ils veulent des réponses… et, pour le moment, nous n’avons pas d’autre option que de l’écouter. »

    Je ne fus pas plus explicite, mais Reyk ne posa pas d’autres questions. C’était un mercenaire, et il aimait les explications courtes, me réjouis-je. Bien. Il ne me restait plus qu’à calmer Kala…

    Kala. Eh.

    Il ne me répondit pas. S’était-il vraiment fâché pour si peu ? Je soufflai de biais.

    Réponds au moins. On dirait un gamin.

    Sans répondre, Kala s’appropria de nouveau mon corps et nous faillîmes perdre l’équilibre, mais je lui laissai à temps tout le contrôle. Après un silence durant lequel le Pixie avançait vers l’entrée nord de la ville d’une démarche ferme, je constatai que sa colère s’était dissipée, remplacée par la joie de bouger, et je confirmai : c’était vraiment un gamin.

    Draken m’avait dit d’attendre près du Grand Tunnel, et nous nous installâmes là, à quelques mètres à peine des gardes. Nous ne dîmes rien. Kala et moi, nous nous appuyâmes contre un arbre tawman, les mains dans les poches, Neybi s’allongea paresseusement à mes pieds, étirant son

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