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Le carnage: Fuse (French), #4
Le carnage: Fuse (French), #4
Le carnage: Fuse (French), #4
Livre électronique641 pages10 heures

Le carnage: Fuse (French), #4

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À propos de ce livre électronique

Romance, magie et dragons sont au programme de ce quatrième tome tant attendu de l'envoûtante saga de fantasy signée E. L. Todd, auteure de best-sellers du New York Times.

 

Les péripéties de notre groupe de héros se sont jusqu'ici enchaînées de façon complètement inattendue et, les éléments jouant contre eux, la victoire n'est qu'un mince espoir. Mais ils se battront jusqu'au bout pour libérer les dragons assujettis d'Anastille, renverser le roi Lux, et unir les factions divisées d'une contrée déchirée par la guerre.

 

LangueFrançais
Date de sortie24 juin 2022
ISBN9798201676117
Le carnage: Fuse (French), #4
Auteur

E. L. Todd

E. L. Todd was raised in California where she attended California State University, Stanislaus and received her bachelor’s degree in biological sciences, then continued onto her master’s degree in education. While science is interesting and a hobby, her passion is writing. After writing novels as a small child, her craft grew until she found the confidence to show her closest friends—which is how Only For You, the first installment of the Forever and Always series, and the Soul Saga series began. When she isn’t reading or writing, she is listening to indie rock music. Her current favorite artist is Mumford and Sons, whom she credits most of her inspiration for her novels. She also enjoys running and swimming, as well as working as a high school teacher. She also works as an assistant editor at Final-Edits.com. She has an unusual obsession with dogs, even though she doesn’t own one, and her favorite vacation spot is Disneyland, which she visits several times a year. The most important aspect of her life is her friends, whom contributed so much time and energy into all of her novels. According to E. L. Todd, “Without them, Only For You and Soul Catcher never would have come to fruition. I am theirs forever.”

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    Aperçu du livre

    Le carnage - E. L. Todd

    1

    LES RÉSERVES

    Une fois tout le monde debout, Rush réapparut, ses écailles rouges escamotées pour la traversée du désert.

    – La dernière fois qu’un elfe a fusionné avec un dragon, c’était avant la Grande Guerre. Je ne pensais pas vivre assez vieux pour le voir se reproduire.

    – Hum, toussota Cora, le regard dur, mais amusé.

    – En dehors de toi, bien sûr.

    Il faisait encore nuit, le désert brûlant s’étant transformé en toundra glaciale. Une fois le soleil levé, la fournaise s’abattrait de nouveau, et le sable serait si chaud que seules les créatures couvertes d’une carapace pourraient résister aux températures caniculaires.

    – On va marcher jusqu’à Polox ? demanda Lilac avec incrédulité. J’ai l’impression qu’on ne fait que ça depuis des mois… des allers-retours incessants.

    – C’est le cas, s’esclaffa Rush. Je n’ai jamais été aussi en forme de ma vie.

    Des souvenirs frappèrent Cora comme une flèche, elle imagina la dureté de ses bras sous ses doigts. Peut-être était-ce la force de son esprit, mais une fois que sa mémoire avait été sollicitée, elle pouvait se rappeler d’infimes détails, l’odeur du jasmin, la chaleur du feu près de son dos, la façon dont les ombres obscurcissaient la moitié du visage de Rush, mais illuminaient l’autre moitié. Ce qui était arrivé en un éclair avait disparu tout aussi rapidement.

    – On a traversé le désert en volant, dit Brice. On ne peut pas traverser Anastille de la même façon ? On gagnerait des semaines.

    Non.

    Cora sentit le refus d’Ashe bien avant de l’entendre.

    Rush prit la tête du groupe, son lourd paquetage dans le dos, son épée à la ceinture.

    – Tu sais que c’est trop risqué, mec. Tu te souviens de ce qui s’est passé au Bastion ? Il y avait bien trois dragons au-dessus de la grotte — dont Obsidian. Ils sillonnent Anastille avec leur flotte de chamans.

    – Mais les chamans ne représentent plus de danger, n’est-ce pas ? s’enquit Liam. Grâce aux pouvoirs de Cora.

    Cora suivait le rythme de Rush, calant son pas sur ses longues enjambées.

    – J’ai une quantité limitée d’énergie. Donc je ne peux pas faire grand-chose dans ces conditions. Quand j’ai combattu le général Noose à l’Étoile d’Eden, j’ai réussi à tuer six chamans d’un coup, mais ensuite, j’étais épuisée. Sinon, j’aurais zigouillé le général Noose aussi.

    Rush se tourna vers elle.

    – Que se passe-t-il si tu épuises toutes tes réserves ?

    Elle haussa les épaules.

    – Je deviens impuissante.

    – Mais tu ne meurs pas ?

    – Non, je ne pense pas.

    Tu épuises ta magie vitale, pas ta force vitale. Deux choses très différentes.

    Elle relaya le message.

    – Ashe dit que ce n’est pas le problème.

    Rush prit l’affirmation comme un fait.

    – Bien.

    Il réfléchit un moment.

    – Franchement, dit-il, c’est un peu décevant.

    – Pourquoi ? demanda Cora.

    – Je pensais qu’on serait en mesure de décimer tous les chamans durant la prochaine bataille. Mais si on ne peut en tuer qu’une poignée…

    Cora sentit ses poumons s’affaisser de déception.

    Il a raison.

    – Mais ils l’ignorent, poursuivit Rush. Faisons-en sorte qu’ils ne l’apprennent pas.

    Ils voyagèrent pendant des jours, empruntant une route différente de la dernière fois pour s’assurer que leurs itinéraires précédents n’avaient pas été suivis par le général Noose et son armée. Ils limitaient les feux de camp, se déplaçaient furtivement, et ils furent bientôt épuisés par le voyage.

    – Avant, je rêvais d’être riche, murmura Brice sur sa natte, sans couverture, car il faisait chaud, même la nuit. Maintenant, je rêve d’un matelas confortable, d’une chambre avec quatre murs, d’une corbeille remplie de pain et de muffins du marché…

    – C’est mieux qu’être riche, si tu veux mon avis, commenta Lilac non loin de lui.

    La lumière des braises éclairait leurs visages.

    – Dommage que les elfes nous détestent autant, dit Liam. Ce serait tellement sympa qu’ils nous offrent l’hospitalité. Je parie qu’ils dorment sur des nuages.

    Cora ressentait la musique de la forêt partout où elle allait, mais c’était seulement sa mémoire qui la recréait pour atténuer le chagrin de l’éloignement. Elle entendait les oiseaux du matin, sentait la présence de toutes les créatures vivantes qui peuplaient la forêt. Elles l’accompagnaient partout, tout le temps.

    – Je pense que c’est mieux ainsi. Il aurait été impossible de partir.

    Lorsque Rush tourna les yeux vers son visage, il les laissa sur elle. Les secondes défilaient sans qu’il n’exprime aucune émotion, comme si ses pensées étaient enfouies si profondément dans son cœur qu’elles ne voyaient jamais la lumière du jour.

    Elle soutint son regard, hésitant sur sa signification.

    Il tourna la tête, se racla la gorge et s’adressa à elle.

    – Tu as parlé à Callon ?

    – Non.

    Elle s’assit à côté de lui sur le tronc d’arbre, son baluchon à ses pieds ainsi que les plates de son armure. Elle la portait lorsqu’ils voyageaient, un bon moyen de renforcer l’endurance de ses muscles, mais il était impossible de dormir avec, alors elle l’enlevait le soir.

    – Quand il est en colère, ça dure un certain temps, car les elfes gèrent le temps différemment… comme il l’a mentionné, genre, un million de fois.

    Il se fendit d’un petit sourire.

    – Je veux qu’il passe du temps avec Talc. Je sais qu’il va finir par apprécier leur relation. Il est brut de décoffrage, mais son cœur est plus doux qu’un lit de fleurs.

    Ashe avait été tout aussi dur, mais le lien intime entre Cora et lui était trop puissant pour qu’ils ne cèdent pas à son charme. Maintenant, leur relation était basée sur bien plus que la simple confiance. Quelque chose de plus profond… quelque chose qui ne pouvait même pas être décrit.

    – Tu as entendu Talc. J’ai l’impression qu’elle est plus coriace que lui.

    – Sincèrement, je pense qu’ils sont faits pour s’entendre. Callon ne la respecterait pas si elle avait un caractère différent.

    – C’est sûrement vrai.

    Les bras sur les genoux, il contemplait le feu qui s’éteignait.

    Elle vit les autres s’endormir sur leur paillasse, si épuisés par leur voyage ardu qu’une conversation feutrée ne suffisait pas à perturber leur sommeil profond.

    – Qu’espères-tu obtenir de Mathilda ?

    Il garda les yeux sur le feu mourant.

    – Elle sait où se trouvent les membres de la résistance.

    – Elle te l’a dit ?

    Il secoua la tête.

    – Non, mais c’est évident. La dernière fois que j’étais à Polox, un tueur à gages qui bossait pour mon père se cachait dans sa cave, sous le plancher. Maverick. Son visage ne me disait rien au début, mais il s’est souvenu de moi.

    Cora ne se souvenait pas de cette histoire.

    – Tu ne m’as jamais confié ça.

    – Ça a dû me sortir de l’esprit… avec tout ce qui se passe, dit-il en la regardant. Je leur ai proposé mes services. J’ai désigné mon père comme l’ennemi. Je me suis rallié à leur cause. Mais en raison de mon sang, ils ne me feront jamais confiance.

    – Alors pourquoi on y va ?

    – Parce que Mathilda te confiera ses secrets.

    – Tu t’avances un peu vite.

    – Elle t’a aidée auparavant sans rien attendre en retour.

    – Je lui dois une reconnaissance de dette, tu te souviens ?

    – Donc elle connaît ta valeur.

    Il l’observait, le visage sombre, plongé dans ses pensées. Quand il la taquinait, il y avait de l’espièglerie dans ses yeux, ce qui les rendait plus brillants et illuminait son beau visage. Mais il était beau également quand il était grave, concentré sur son objectif.

    – J’ai de la valeur aussi à ses yeux, mais en raison de mon sang, elle ne me fait pas confiance.

    – Je suppose qu’on doit essayer. C’est notre seule piste, non ?

    Rush hocha la tête.

    – La seule et unique.

    – Mais on va avoir du mal à entrer dans Polox maintenant que les hommes de l’empire sont partout.

    – Je connais un passage secret.

    – C’est vrai ? Eh bien, ça aurait été utile il y a un an.

    Il lui sourit, se souvenant de leur premier voyage à Polox.

    – Au moins, c’est une histoire marrante à raconter.

    2

    MATHILDA

    Après une autre semaine de voyage, ils atteignirent Polox.

    C’est inquiétant. Très inquiétant.

    De quoi tu parles ?

    Rush les fit patienter jusqu’à la tombée de la nuit pour s’approcher de la cité, sachant qu’il serait plus prudent de se faufiler par le passage secret dans l’obscurité.

    Le roi Lux attend ton retour.

    Rush monta au sommet de la colline, d’où il avait une bonne vue de la ville. Au début, il ne voyait au loin que des lumières, mais en se rapprochant, il distingua l’armée de soldats à l’extérieur des portes. Il s’accroupit derrière un rocher et expulsa un souffle si lourd qu’il lui fit mal aux poumons.

    Super…

    Cora le rejoignit et s’accroupit à côté de lui.

    – Polox est assiégée ?

    – Non. C’est l’armée du général Noose. Ils sont venus ici soit pour se reposer… soit pour recruter des soldats.

    – Tu les as vus sur le chemin de l’Étoile d’Eden, lui rappela Cora.

    Rush hocha la tête.

    – Je ne savais pas ce qu’ils faisaient alors, et je ne le sais toujours pas.

    – On ne peut pas faire demi-tour. On doit parler à la sorcière.

    Rush observa les milliers d’hommes qui entouraient Polox. Les chevaux étaient attachés aux chariots et des tentes indiquaient l’endroit où ils dormaient. Le général Noose n’était nulle part en vue, sans doute parce qu’il était logé au château, dans une chambre confortable.

    – J’en ai conscience, mais je ne sais pas comment on va y parvenir.

    N’oublie pas que nous sommes deux dragons maintenant.

    Ce n’est pas une solution envisageable.

    On pourrait réduire tous ces soldats en cendres. Puis cramer le général Noose.

    L’existence d’Ashe doit être gardée secrète à tout prix. Le moment n’est pas venu d’abattre nos cartes.

    Flam abandonna son argumentation.

    – Il n’y a que moi qui aie besoin d’y aller, déclara Cora. Je vais me glisser dans la cité, et tu m’attendras ici.

    – Pas question, s’empressa de dire Rush. On ira ensemble et les autres resteront ici.

    – Si tu restes à l’extérieur, on pourra communiquer…

    – J’ai dit non.

    Elle se tut au ton tranchant de sa voix, fronçant les sourcils en réaction à sa froideur.

    – Mathilda est peut-être en danger, expliqua-t-il. Ça pourrait être une autre raison de la présence du général Noose ici.

    Une fois qu’elle eut cette explication, les dagues dans ses yeux s’émoussèrent.

    – C’est mieux si on y va ensemble, ajouta-t-il.

    Elle acquiesça de la tête.

    – Allons-y.

    Ils durent contourner l’armée pour se placer du bon côté de Polox. Ils attendirent la fin de la nuit, lorsque la plupart des soldats dormaient, pour se faufiler le long de la barrière.

    Aucune sentinelle ne montait la garde, car ils se sentaient invincibles par la terre. Mais il y avait quelques gardes sur la tour, qui faisaient leur ronde en scrutant l’horizon à la recherche d’une éventuelle invasion… ou d’un dragon.

    Attends mon signal.

    Cora se dissimulait derrière une tente, aussi près de la clôture qu’elle pouvait l’être sans se faire repérer.

    Rush continuait d’étudier le garde et de minuter son parcours.

    Très bien. Trois… deux… un.

    Ils coururent vers la barrière aussi vite que possible.

    Rush compta les planches jusqu’à ce qu’il trouve la bonne, puis il essaya de l’ouvrir.

    Tourne d’abord.

    Oui, monsieur je-sais-tout.

    Il tourna le cadran et bascula la planche pour qu’ils puissent se glisser de l’autre côté.

    Ils entrèrent dans la ville. Les rues étaient désertes et éclairées par les torches murales.

    – J’aurais aimé connaître cette astuce plus tôt, dit Cora.

    – Moi aussi.

    Ils tournèrent dans plusieurs rues avant d’arriver à la boutique de Mathilda. La lumière était éteinte, et l’endroit semblait silencieux. Ses appartements privés se trouvant au-dessus, elle dormait probablement à l’étage. Rush scruta la rue de bas en haut avant de sortir un crochet de sa poche pour forcer la serrure.

    Cora surveillait les alentours.

    – Ce ne serait pas plus facile d’ouvrir une fenêtre ?

    – J’y suis presque…

    Il manipula le crochet jusqu’à ce qu’il sente un léger déclic.

    – C’est bon.

    Il ouvrit la porte et ils se faufilèrent dans la boutique avant de refermer derrière eux.

    Cora longea les étagères en regardant les objets insolites exposés. Lorsqu’elle arriva devant la fleur noire sous la fenêtre, elle s’arrêta pour l’examiner. Elle se trouvait sous une cloche en verre, ce qui interdisait de la toucher. Elle était plantée dans un pot rempli de terre et ses pétales métallisés brillaient au clair de lune.

    Voyant que Cora était fascinée par la plante insolite, Rush la rejoignit.

    Elle ne quitta pas la fleur des yeux.

    – Tu entends ça ?

    – Quoi ? chuchota-t-il.

    Je l’entends.

    Tu entends quoi, exactement ?

    Une langue que je ne comprends pas. Mais elle est sinistre… et envoûtante.

    – Flam peut l’entendre. Pas moi.

    Ces mots firent détourner le regard à Cora pour reporter son attention sur Rush.

    Il la fixa en retour, happé par l’éclat brillant de ses yeux verts.

    – Ashe l’entend ?

    Elle opina.

    Des pas audibles en provenance de l’escalier interrompirent leur discussion. Mathilda descendit en portant une bougie allumée sur un plateau d’argent qui éclairait la pénombre de la boutique.

    – Ça ne peut pas attendre demain matin ?

    Comment elle fait pour toujours savoir ?

    Elle a sans doute une alarme invisible.

    Rush émergea de derrière les étagères, flanqué de Cora. Ils baissèrent leur capuche et dévoilèrent leur visage. Inutile de se dissimuler alors qu’elle connaissait déjà leur identité.

    Mathilde s’adressa d’abord à Rush.

    – Je pensais que tu avais fini rôti sur un feu.

    – Déçue ?

    Elle continua de le fixer comme s’il n’avait rien dit.

    – Donc c’est un oui…

    Mathilda se tourna vers Cora.

    – Merci de m’avoir prévenu, au fait, ajouta Rush.

    Mathilda le regarda de nouveau.

    – Je t’ai dit que la mort vivait dans ces montagnes.

    – Tu ne trouves pas ça un peu vague. Orc tient en une syllabe. Tu aurais pu simplement dire « orc », ça m’aurait grandement aidé.

    Son regard se durcit.

    – Pourquoi tu es revenu ? Les hommes du roi ont envahi notre cité… à cause de toi.

    – N’oublions pas l’épée unique que tu as obtenue grâce à moi, s’agaça Rush. Tu peux la vendre à prix d’or.

    Cora se tourna vers lui.

    – Tu lui as donné tes écailles ?

    – C’était le seul moyen pour qu’elle nous indique le chemin vers la montagne des orcs qu’elle a omis de mentionner.

    – Qu’est-ce que vous faites ici ? insista Mathilda.

    Elle était irritable, mais ce n’était pas parce qu’ils l’avaient tirée du sommeil, car elle semblait bien réveillée. Son regard allait de l’un à l’autre, dans l’attente d’une explication.

    Laisse Cora parler.

    Est-ce que j’ai dit quelque chose ?

    Tu parles trop, Rush.

    Et tu es un trouduc, Flam.

    Il n’allait rien dire de toute façon, car ses précédentes questions avaient été muselées d’une main de fer.

    Cora s’exprima d’une voix légèrement différente, où l’on décelait une pointe d’autorité qu’elle ne possédait pas avant. Sa confiance s’était épanouie comme une fleur d’orchidée qui attend la saison idéale pour ouvrir ses pétales.

    – Le général Noose et les chamans ont envahi l’Étoile d’Eden. Ils ont percé la magie de la forêt et l’ont incendiée, détruisant tout sur leur passage. On a réussi à les chasser et à sauver ce qu’on a pu, mais beaucoup d’elfes ont péri cette nuit-là.

    Mathilda était captivée par le récit, les yeux plissés par la concentration.

    – Le roi Lux commence sa conquête. Si les elfes tombent, tous les autres peuples tomberont. On a besoin d’alliés et je sais que tu sais à qui je fais allusion.

    Elle parle comme un elfe.

    Elle ressemble de plus en plus à un elfe chaque fois que je la vois.

    Mathilda soutint le regard de Cora, gardant le silence.

    – Nous sommes vos alliés, poursuivit Cora. Confie-toi à nous.

    Mathilda tourna la tête vers Rush comme s’il était la cause de son silence.

    Sa réaction le blessa comme la dernière fois. Elle raviva sa colère, une rage qu’il était obligé de refouler au plus profond de lui.

    Laisse tomber.

    – Je t’attends dehors.

    Rush prit congé et sortit de la boutique. Il s’adossa au mur, les bras sur la poitrine, un pied contre le mur. La rue était si calme qu’il entendait la torche brûler à quelques mètres. Il pouvait même entendre les soldats de l’autre côté de l’enceinte.

    Cora va la convaincre.

    Je n’ai pas besoin qu’on parle en mon nom. Merde, ce n’est pas évident que je m’oppose à mon père sur tous les plans ?

    Flam resta silencieux.

    C’est évident, non ?

    Comme Flam ne répondait toujours pas, Rush comprit que quelque chose lui échappait.

    Dis-le.

    La voix profonde de Flam s’exprima sans retenue, alors qu’il choisissait ses mots avec soin.

    Je sais mieux que quiconque vers qui va ta loyauté — ainsi que ton cœur. Mais tu as eu l’occasion de tuer ton père, et tu ne l’as pas saisie.

    Rush raidit les bras sur sa poitrine.

    Leur interrogation est justifiée.

    Je l’aurais occis au Bastion — s’il n’était pas si lâche.

    C’est ce que tu dis. Mais qui sait ce qui se serait passé ?

    Je sais ce qui se serait passé.

    Je suis de ton côté, Rush.

    Tu as une drôle de façon de le montrer.

    Si tu étais à ma place, tu sais que tu douterais aussi.

    Rush serra la mâchoire et secoua la tête.

    Peut-être que mettre un terme à la vie de mon père est difficile. Problématique. Mais ne pas l’avoir tué ne m’empêche pas de vouloir protéger mon peuple, servir les dragons et redonner à Anastille sa splendeur d’autrefois.

    3

    LES DICHOTOMIES

    Lorsque Mathilda eut fini d’allumer les bougies, chaque recoin de la boutique était illuminé. Elle et Cora s’assirent ensemble à la table à manger près de la fenêtre, tandis que le clair de lune entrait par la fenêtre et projetait sur le bois une lumière blanche contrastant avec la lueur dorée des bougies.

    Mathilda était assise devant Cora, et les yeux de la sorcière la fixaient avec une telle intensité qu’elle avait l’impression que des aiguilles lui transperçaient la peau.

    – Ça commence enfin.

    – Quoi donc ?

    – La deuxième Grande Guerre. Le roi Lux n’a jamais attaqué les forêts de l’autre côté du désert. C’est un message pour nous tous. Les elfes l’ont gravement provoqué, et maintenant ils doivent mourir.

    – Ce n’était pas les elfes. C’était moi.

    Mathilda n’eut pas l’air surprise le moins du monde.

    Elle ne pose pas de questions — comme si elle connaissait déjà les réponses.

    – Je dois protéger l’Étoile d’Eden. Mais je ne peux pas le faire seule.

    Tu l’as déjà fait, petit dragon.

    Cora ignora la chaleur dans sa poitrine.

    – Je comprends ton aversion pour Rush. Il est responsable de maintes atrocités au fil des siècles. Il a même tué mon propre père…

    – Le roi Tibère.

    – Oui. Comment… comment tu le sais ?

    Elle en sait plus qu’elle ne le laisse paraître. Beaucoup plus.

    Mathilda jeta un coup d’œil à la bague au doigt de Cora.

    – Je l’ai deviné.

    Les yeux de Cora se posèrent sur la bague à leur tour, l’émeraude de la même couleur que ses yeux. Dans le passé, cette bague avait représenté un homme qu’elle n’avait pas connu. Aujourd’hui, elle représentait une relation intense, et vivante.

    – Je voue une confiance aveugle à Rush. Je peux jurer que son cœur est pur et noble. Je peux promettre que son allégeance est inconditionnelle.

    Mathilda avait les mains jointes sur la table, et les cheveux si hirsutes qu’ils ne pouvaient pas être disciplinés par des rubans. Elle portait sa cape pourpre habituelle, une couleur profonde qui rappelait les améthystes de l’île du Rocher.

    – Il a mis mille ans à devenir l’homme qu’il est. C’est beaucoup d’années à vivre sans conscience.

    – Il n’a jamais approuvé ce qu’il faisait. Il a seulement mis beaucoup de temps à trouver la force de partir. J’admire sa bravoure. Il est déjà si difficile de tenir tête à quelqu’un qu’on déteste, mais tenir tête à quelqu’un qu’on aime… ça nécessite une autre forme de courage.

    Mathilda affichait une expression indéchiffrable, ses yeux ne trahissant jamais ses pensées.

    – Ton affection mal placée brouille ta raison.

    Cora sentit la colère monter en elle.

    – Mon affection n’est pas mal placée — elle est méritée. Je le respecte pour ses crimes, et je le respecte pour sa rédemption. C’est toi qui dois arrêter de vivre dans le passé et te tourner vers l’avenir. Rush pourrait être un allié important, mais tu es trop partiale pour le reconnaître. On a tous les deux beaucoup à offrir, et tu serais idiote de refuser notre offre alors que notre existence collective ne tient qu’à un fil.

    Sois prudente, Cora.

    Je pense ce que je dis.

    – Ce n’est pas toi que je refuse d’aider, dit Mathilda. C’est lui.

    – On forme une équipe, alors c’est soit nous deux, soit ni l’un ni l’autre.

    Cora. Elle a le droit d’avoir des préjugés comme j’ai le droit d’en avoir aussi. Ne mets pas cette alliance en péril à cause de lui.

    Elle va céder.

    Ne mise jamais ce que tu ne peux pas te permettre de perdre.

    Après un long silence, Mathilda parla de sa voix rêveuse.

    – Crois-tu au destin, Cora ?

    La question était si inopinée que Cora en resta muette.

    – Réponds-moi.

    – Je… je ne crois pas. Je crois qu’on façonne notre propre destin.

    Ce fut au tour de la sorcière d’être silencieuse.

    – Pourquoi ? demanda Cora.

    – Le destin est une dichotomie.

    Cora cilla, perplexe.

    – Qu’est-ce que ça veut dire ?

    – Ça veut dire qu’il existe toujours deux possibilités pour chaque événement, chaque décision, chaque chemin. Vivre ou mourir. Aller au nord ou au sud. Épouser un homme ou un autre. Chaque décision existe en paire — deux opposés.

    Je n’ai aucune idée de ce qu’elle essaie de dire…

    Je n’ai jamais aimé les devinettes.

    – Rush va soit nous trahir, dit Mathilda. Soit ne pas nous trahir.

    – Je viens de te dire qu’il ne le fera…

    – La plus grande mise à l’épreuve de son caractère n’est pas encore arrivée. Ce moment aura le pouvoir de tout changer, de détruire nos sacrifices, de faire pencher la balance de la guerre si fort contre nous que nous ne nous en relèverons jamais.

    Mathilda était si immobile qu’elle semblait presque inanimée, à croire qu’elle faisait partie du mobilier. On aurait dit qu’elle ne respirait pas. Ses yeux semblaient éteints. Sans vie.

    – Le choix que l’on s’apprête à faire aura des conséquences éternelles. Choisis sagement.

    Elle peut voir l’avenir.

    C’est possible ?

    Je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui possédait ce don. Mais je n’avais non plus jamais rencontré un elfe qui possédait la magie de la mort sans la malédiction, alors mon ignorance ne veut rien dire.

    Mathilda fixait toujours Cora.

    – Je te laisse la décision. Mais tu porteras seule les conséquences.

    – Je ne comprends pas.

    Elle soutint son regard.

    – Le vent a changé de direction, et tu es la puissance dans nos voiles. Tu es la raison pour laquelle nous allons triompher, mais pas la raison pour laquelle nous allons échouer. Si la présence de Rush est non négociable pour toi, tu ne me laisses aucun choix. Cette décision t’appartient — et mes mains restent propres.

    – Tu peux voir l’avenir ?

    – Non.

    – On dirait bien…

    – Je peux voir les dichotomies.

    Cora fronça les sourcils, agacée.

    – S’il te plaît, sois plus claire.

    – Tu veux de la clarté ? dit-elle d’une voix soudain aussi glaciale que l’hiver qu’ils n’avaient pas eu depuis des années. Ma clairvoyance me dit que Rush peut soit nous trahir, soit rester loyal envers nous, cela dépendant de la série d’événements qui mèneront à sa décision. Il n’y a aucun moyen de savoir ce qu’il fera — mais il est possible qu’il fasse l’un ou l’autre de ces choix.

    Le cœur de Cora se serra douloureusement.

    – Plus il en sait, plus nous serons vulnérables. Si la décision me revenait, je ne prendrais pas ce risque. Alors elle te revient, pour le meilleur ou pour le pire. C’est toi qui prendras ce risque — et qui mèneras à notre perte éventuelle.

    Je comprends maintenant.

    Cora était sans voix. Sans pensée.

    On doit le laisser à l’écart.

    Elle ne faisait que respirer. Inspirer, expirer. Lentement et profondément.

    – Je peux lui répéter ce que tu as dit ? demanda-t-elle.

    – Tu peux, dit Mathilda. Mais tu ne sais pas comment le fait de lui dire affectera l’avenir. Ça pourrait améliorer ton sort — ou le corrompre de manière irrémédiable.

    Le risque est trop grand, Cora. Si Rush est vraiment l’homme qu’il prétend être, il comprendra.

    Les pensées et les émotions tourbillonnaient dans son cœur et son esprit, qui étaient en conflit l’un avec l’autre. Une guerre faisait rage en elle, car la décision était trop lourde à porter.

    – Alors, que décides-tu ? demanda Mathilda.

    Cora lança les dés — et sentit le pincement dans son cœur.

    – Je m’en tiens à ce que j’ai dit. Je lui fais confiance.

    Lorsque Rush revint dans la pièce, il étudia les deux femmes une à une avant de s’asseoir à côté de Cora. Son comportement disait tout ce que sa bouche taisait ; il était profondément blessé par le rejet. Même un nombre infini de bonnes actions ne suffirait pas à effacer les atrocités qu’il avait commises. Ses exploits étaient sans importance.

    Mathilda parla.

    – Vous allez voyager jusqu’à Karth. Dans la ville se trouve une taverne — le Dragon d’or. Suivez les symboles sur les murs jusqu’à la cave. Vous y rencontrerez Sabre. Il vous conduira là où vous devez aller, dit-elle en sortant une enveloppe scellée. Donnez-lui ceci. Ne la lisez pas. Si le sceau est brisé, on vous coupera la tête.

    Le langage corporel de Rush trahit sa surprise.

    Cora prit l’enveloppe contenant un parchemin plié en trois. Un sceau texturé se trouvait sur le rabat, pourpre comme le vin, où la silhouette d’un dragon avait été étampée avant que la cire refroidisse.

    Rush fixa l’enveloppe.

    Un long silence passa alors qu’ils digéraient le choc d’avoir obtenu l’accès à cet endroit dont ils n’étaient pas sûrs de l’existence. Mais maintenant, ils avaient le billet d’entrée entre les mains. Ils n’avaient plus qu’à s’y rendre.

    Cora parla la première.

    – Merci.

    Mathilda la transperça du regard.

    – Ton destin est une dichotomie — la victoire ou l’échec. Aucun dénouement n’est garanti. C’est exactement pourquoi je ne te dois rien, et tu me dois tout. Je t’ai donné les larmes de dragon en espérant une contrepartie.

    La sorcière détenait le moyen d’atteindre l’étape suivante de leur périple, un moyen qu’ils n’auraient pas trouvé par eux-mêmes. Quelle que soit la requête de Mathilda, elle en vaudrait la peine.

    – Tout ce que tu voudras.

    Un sourire étira ses lèvres minces.

    – La Malédiction noire.

    Cora sentit l’adrénaline déferler en elle alors que son estomac se serrait.

    – Elle ne pousse que dans la forêt de l’Étoile d’Eden. Cueille-la pour moi.

    – Pourquoi ? Tu en as déjà une dans ta boutique.

    Elle était toujours au bord de la fenêtre, protégée par une cloche de verre pour empêcher les gens d’y toucher et d’en mourir.

    – Ça ne regarde que moi.

    Qu’est-ce que la Malédiction noire ?

    La fleur dont je t’ai parlé.

    Mais à quoi sert-elle ?

    Cora ne dit rien, refusant de mentir.

    Cora.

    – La prochaine fois que j’irai à l’Étoile d’Eden, je la cueillerai si je la vois. Mais elle est rare.

    Rush se tourna vers elle.

    La réponse de Cora sembla satisfaire la sorcière, qui opina.

    – Soyez prudents.

    Cora opina, glissa l’enveloppe dans sa poche, puis Rush et elle sortirent de la boutique. Les rues étaient toujours désertes, aussi ils se faufilèrent jusqu’à l’accès secret d’où ils étaient arrivés. Se déplacer était beaucoup plus difficile cette fois, car ils s’éloignaient de la clôture au lieu de s’en approcher, mais leurs dragons les guidèrent afin qu’ils passent inaperçus aux yeux des soldats, et ils atteignirent la forêt sans être vus.

    Réponds-moi.

    Sa voix était plus forte maintenant, plus autoritaire.

    Je ne sais pas pourquoi elle la veut…

    Tu sais que ce n’est pas ce que je veux savoir. Tu esquives mes questions comme si c’était des attaques. Nous ne sommes qu’un, n’est-ce pas ?

    Son cœur se serra de plus belle.

    Toujours.

    Alors, dis-moi.

    Mon père a dit que c’était du folklore elfique qui ne doit pas être partagé…

    Il était fusionné avec un dragon ; je suis sûr qu’ils ont partagé cette information.

    Cora était maintenant coincée par des yeux gris et un visage couvert d’écailles noires. La furie sur le visage d’Ashe était aussi réelle dans son esprit que si le dragon se trouvait en face d’elle.

    Parlons-en plus tard.

    Le roi des dragons t’a posé une question — et tu vas y répondre.

    Très bien. Plus tard.

    Pourqu…

    Ce n’est pas le moment, d’accord ? Je te promets que je te le dirai quand le temps me le permettra.

    Ashe cessa d’insister, mais son esprit était chaud comme une fournaise.

    Rush jeta un coup d’œil à Cora.

    Je suis passé par là.

    C’est si évident que ça ?

    Je le vois dans tes yeux. Il veut savoir ce qu’est la Malédiction noire, n’est-ce pas ?

    Oui. Et il ne me laisse pas tranquille cette fois.

    Qu’est-ce que tu vas faire ?

    Lui dire. Seulement, je ne sais pas quand.

    Ça ne sera pas beau, Cora.

    Je sais. Mais je ne peux pas continuer de lui cacher. C’est une insulte à notre lien.

    Si on perd Ashe, on perd cette guerre.

    Je sais… et il le sait aussi.

    Tu vas devoir le faire le plus délicatement possible. Tes paroles portent le poids du destin.

    Tu crois que je ne le sais pas ? Tu ne fais que me rajouter de la pression.

    Rush resta silencieux un instant.

    Je te rappelle ce qui est en jeu : tout. Mais j’ai confiance en votre lien.

    Ces mots apaisèrent la terreur de Cora.

    Tu ne crois pas qu’il va défusionner et partir ?

    Je crois qu’il va vouloir le faire. Je crois qu’il va menacer de le faire. Mais lorsqu’il réalisera que son abandon te laisse sans défense, il se ravisera.

    J’espère que tu as raison…

    Rush parla à haute voix de nouveau.

    – Comment tu l’as convaincue ? Vous n’avez pas parlé très longtemps.

    Cora hésita, ignorant comment lui répondre.

    – Je lui ai dit que je te faisais aveuglément confiance — et qu’elle devrait aussi le faire.

    – Et ça a suffi ? dit-il en se tournant vers elle et fixant son profil.

    Elle regardait devant elle, en tremblotant. Elle et Rush ne faisaient qu’un aussi, et elle souffrait à l’idée de ne pas être complètement honnête avec lui.

    – Oui.

    Il regarda devant lui de nouveau.

    – Heureusement qu’ils te font autant confiance. Ils te connaissent à peine… mais bon.

    Il essaya de dissimuler son amertume, mais elle perçait dans sa voix.

    – Peu importe. Ça a marché, non ?

    Il se força à répondre en regardant droit devant.

    – Oui.

    Ils retrouvèrent les autres derrière les rochers. Liam et Zane dormaient sur leur paillasse, et Lilac et Brice faisaient le guet. Brice se leva en les voyant arriver.

    – Vous n’êtes pas partis longtemps. C’est soit une excellente nouvelle… soit une très mauvaise nouvelle.

    – C’est une bonne nouvelle, dit Rush en posant son sac par terre. Mathilda nous a donné l’information.

    – Ah bon ? fit-il en se tournant vers Cora pour qu’elle confirme.

    Cora sortit l’enveloppe scellée de sa poche.

    – On doit aller porter ça à un type à Karth.

    – Euh, Karth est gigantesque, dit Lilac en s’approchant, les bras croisés sur la poitrine. Vous avez plus de détails ?

    – Il s’appelle Sabre, dit Cora. Et on le trouvera au Dragon d’or. Vous y êtes déjà allés ?

    Lilac secoua la tête.

    Brice prit un air lointain en imaginant la ville dans son esprit. Puis il secoua la tête à son tour.

    – C’est un nom assez distinctif, alors on trouvera l’endroit. Peut-être que les gars en ont entendu parler.

    Il se tourna vers eux, mais ils dormaient à poings fermés.

    – S’il y a notre portrait affiché partout à Karth comme à Polox, on va avoir du mal à entrer dans la ville, et encore plus à faire le tour des boutiques et des tavernes, remarqua Lilac. On va devoir le faire la nuit quand il n’y a personne dans les rues.

    – Elle a raison, dit Rush. Bonne idée, Lilac.

    – On devrait se mettre en route, dit Cora. Il y a beaucoup trop de soldats par ici pour nous déplacer en plein jour.

    Brice se tourna vers Zane et lui donna un petit coup de pied.

    Zane grogna en roulant sur le dos.

    Liam l’entendit et se réveilla à son tour.

    – On voyage sans arrêt depuis neuf jours. On a besoin de repos.

    – Si on se repose ce soir, on va perdre une journée, dit Rush. On peut dormir à Karth.

    – Je connais un aubergiste là-bas, dit Lilac. Je parie que je peux nous obtenir une chambre.

    – Avec un lit ? demanda Brice, les yeux enflammés. Avec un matelas ? Et de la bière ? Et du poulet rôti avec des pommes de terre ?

    Lilac ne regarda pas son frère.

    – Je ne sais pas pour le poulet et les pommes de terre, mais pour le reste, oui.

    Brice prit son sac et l’accrocha sur ses épaules.

    – Alors, allons-y.

    4

    KARTH

    Ils mirent une semaine à atteindre la ville près du port. Ils s’approchèrent par le nord, arrivant du côté opposé à la cachette. Ils campèrent à l’extérieur de la ville pendant la nuit, puis ils réfléchirent à un plan au matin.

    Brice s’approcha de Rush et lâcha un petit sifflement.

    – Tu vois ce que je vois ?

    Le périmètre de la ville grouillait de soldats, et les gardes postés à l’extérieur des portes principales contrôlaient les arrivants qui entraient dans l’enceinte de la cité, sans doute venus vendre leurs récoltes au marché ou y acheter des produits. Ils leur faisaient baisser leur capuche et les examinaient durement avant de les laisser entrer dans Karth. Ils passaient aussi les chariots au peigne fin pour s’assurer qu’ils ne contiennent pas de passagers clandestins.

    – Malheureusement.

    – Je doute que Lilac nous soit aussi utile que la dernière fois.

    – En effet.

    Si elle essayait de flirter avec les soldats pour les distraire, elle se ferait tuer. Rush observait la file de chariots qui s’avançait lentement au fur et à mesure que les gens passaient le contrôle de sécurité.

    – Qu’est-ce qu’on va faire ? demanda Brice. Tu n’aurais pas une de tes bonnes idées, là ? On en aurait grandement besoin.

    – Je réfléchis.

    Les bras aux flancs, Rush fixait les portes de la ville depuis sa cachette dans les arbres.

    Brice se tourna vers Cora.

    – Et toi ?

    – À part se faufiler derrière un chariot, puis le contourner quand les gardes le fouillent… non.

    Rush fronça les sourcils en l’entendant.

    – Attends… ça pourrait marcher.

    – Ça ne va pas marcher, dit Cora en s’approchant. Ils sont trop nombreux.

    Elle a raison.

    – Pas si tu leur fais l’Écraseur de crâne.

    Il la regardait les yeux brillants comme s’il venait de déterrer un trésor.

    – Quoi ? fit-elle. Tu veux que je les tue ?

    – Mais non, dit Rush. Fais ce que tu as fait aux gnomes. Décontenance-les assez longtemps pour qu’on se faufile dans la ville sans se faire repérer.

    Cora attacha ses cheveux, si longs qu’ils lui arrivaient maintenant aux épaules. Elle portait toujours son armure d’elfe, mais si elle voulait passer inaperçue parmi les autres, elle allait devoir trouver un moyen de la cacher.

    – Mais alors ils sauront qu’on est ici, parce qu’il n’y a que moi qui peux faire ce genre de magie — et les chamans.

    – Je doute que ces simples soldats le sachent, fit remarquer Rush. Je parie qu’ils n’auront pas la moindre idée de ce qui s’est passé.

    C’est un bon plan.

    – On devrait vraiment utiliser ce truc à notre avantage plus souvent, ajouta-t-il. C’est si pratique…

    Je veux voir Cora faire tomber Ombre du ciel.

    Il n’est pas idiot. Il va se tenir loin d’elle le plus possible.

    Il ne peut pas l’éviter éternellement.

    – On attend ici jusqu’à ce qu’il n’y ait plus qu’un chariot dans la file, dit Rush en se tournant vers elle. Prête ?

    Une lueur différente brûlait dans le regard de Cora. Elle y était depuis le jour de sa rencontre avec Rush, mais elle luisait maintenant d’une intensité plus chaude que jamais. Toutes ses incertitudes et ses insécurités s’étaient envolées. Sa confiance décuplait sa force.

    – Je suis toujours prête.

    – Ah bon ? dit-il en la regardant des pieds à la tête. Tu ne crois pas que cette armure verte d’elfe va attirer l’attention ?

    Elle se regarda.

    – Je la porte depuis tellement longtemps qu’on dirait une seconde peau.

    Elle se mit à détacher les parties, révélant son corps leste et ses vêtements minces en dessous.

    – Je vais expliquer le plan aux autres, dit Rush en se forçant à s’éloigner.

    Son esprit était immédiatement retourné à l’après-midi chaud au bord d’un lac tranquille, un an plus tôt, où il aurait dû détourner le regard, mais ne l’avait pas fait.

    Le groupe se rassembla derrière le dernier chariot de la file pour entrer dans la ville. Un homme conduisait le chariot à l’avant, et sa récolte de tomates était visible sous la toile qui les protégeait du soleil.

    Ils avançaient, puis arrêtaient. Avançaient, arrêtaient.

    Une fois le chariot arrivé à l’entrée, ils entendirent l’échange entre les gardes et le conducteur. Puis des bottes lourdes s’approchèrent de l’arrière du chariot.

    Ils le contournèrent de l’autre côté en gardant la tête baissée pour éviter d’être vus.

    La toile fut soulevée pour examiner le contenu du chariot.

    Maintenant, Cora.

    Les gardes postés devant les portes se mirent à se convulser quand la pression commença dans leur crâne. Ils empoignèrent leur casque et vacillèrent de gauche à droite, tenant à peine debout. Le soldat qui inspectait le chariot fit la même chose, et l’homme qui le conduisait fut affecté lui aussi, car ils ne pouvaient pas se permettre d’être vus par lui non plus.

    Ils se mirent à courir, passant devant les gardes et entrant dans la ville, où ils disparurent dans la foule avant que quiconque ne les remarque.

    Ils filèrent vers l’auberge, dissimulés sous leurs capuches, qui les protégeaient du soleil. Ils marchaient le plus loin possible les uns des autres sans se perdre de vue, sachant qu’un groupe de personnes encapuchonnées attirerait l’attention.

    Ils atteignirent l’auberge, l’Hippopotame dansant, et ils y entrèrent.

    Lilac se dirigea vers le comptoir, et Rush l’intercepta en l’attrapant par le bras.

    – Sois discrète.

    Elle leva les yeux au ciel avant de se libérer de son emprise.

    – Et qu’est-ce qu’on fait depuis le début ? Tu crois que j’avais oublié ?

    Elle se dirigea vers la réception alors qu’ils restaient à l’écart dans le vestibule.

    Rush soupira et s’adossa au mur, les bras croisés sur la poitrine.

    Dis à Liam et Zane de baisser leur capuche.

    Pourquoi ?

    Parce que Cora et toi êtes plus faciles à reconnaître qu’eux deux. Vous avez l’air ridicule en ce moment, ce qui ne fera qu’attirer l’attention sur vous.

    Plein de gens portent leur capuche.

    Quand il pleut…

    Lilac discuta avec l’aubergiste au comptoir, et en moins d’une minute, elle avait plusieurs paires de clés dans les mains. Elle revint vers le groupe en trottinant tout en faisant tournoyer les clés autour de son doigt, les faisant cliqueter bruyamment.

    – Regardez ce que j’ai trouvé…

    Rush lui arracha les clés des mains.

    – Seulement trois chambres ?

    – C’est tout ce qu’ils avaient.

    Rush examina les clés, puis leva les yeux vers Cora.

    – Je me fiche de partager un lit, dit Brice. Pourvu que ce soit un bon plumard… et pas le sol.

    Cora évita délibérément le regard de Rush.

    – Brice, toi et moi on va crécher ensemble, dit Rush. Les filles peuvent partager un autre lit. Liam et Zane, vous prenez l’autre ?

    Il leur tendit les clés sans attendre la confirmation.

    Lilac croisa les bras sur la poitrine et regarda Cora, un sourcil arqué.

    – C’est moi ou c’est débile ?

    Rush lui mit une clé dans les mains et éluda la question.

    – On va d’abord se reposer, commander à manger, puis on cherchera le Dragon d’or après minuit. Vous avez des questions ?

    Brice lui attrapa la clé des mains.

    – Nan. Allons-y.

    Dans leur chambre, Rush et Brice mangèrent leur meilleur repas depuis des semaines, puis ils tirèrent les rideaux pour empêcher le soleil d’entrer par les fenêtres. Ni l’un ni l’autre ne fut gêné de se déshabiller en caleçon et de se glisser au lit.

    Brice poussa un grognement de satisfaction.

    – Je ne me rappelle pas la dernière fois où j’ai été aussi heureux.

    – Eh ben, garde ton bonheur de ton côté du lit.

    Brice lâcha un autre grognement satisfait.

    J’espère que Mignonne va bien.

    Ne t’inquiète pas.

    Mais Lilac est sacrément fougueuse.

    Cora aussi.

    Ce n’est pas ce que je veux dire.

    Eh bien, parle clairement. Je suis fatigué.

    Tu n’as pas peur que Lilac révèle à Mignonne ce qui s’est passé entre vous deux ?

    J’ai déjà tout dit à Cora.

    Ah oui ? Quand ça ?

    Quand on avait une conversation privée qui ne te regarde pas.

    Quand même… je ne l’aime pas.

    Lilac a sacrifié sa normalité pour nous aider dans cette mission et elle va sans doute sacrifier sa vie aussi, alors ton aversion est injuste.

    Je ne suis pas d’accord.

    Dormons, Flam.

    Ensemble ?

    Brice ronfla bruyamment en se tournant sur le flanc, son bras se drapant sur le ventre de Rush.

    Flam lâcha un rire.

    On dirait que

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