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Le clan du Grey Watch
Le clan du Grey Watch
Le clan du Grey Watch
Livre électronique938 pages32 heures

Le clan du Grey Watch

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À propos de ce livre électronique

En Écosse, dans une contrée et à une période que la légende n’a pas su ramener jusqu’à nous, le redoutable clan du Grey Watch est parvenu à infiltrer le monde des fantômes et menace l’ensemble des autres clans.
Lord MacClyde est le seul à l’avoir démasqué et à s’opposer à lui. Mais le vieux chef de clan ne peut mener sa mission à terme... Sur son lit de mort, il choisit de confier à ses petits-enfants Eimhir, Eithne et Uilleam la lourde tâche de poursuivre et de terminer son combat. La survie du système clanique, cœur et poumon des Hautes Terres d’Écosse, dépend d’eux.
Comment ces trois jeunes adolescents, deux filles et un garçon aux caractères si différents et sans expérience pourront-ils faire face à un clan en passe de dicter sa loi à tous ?
Emportés par le tourbillon des aventures qui vont s’enchaîner à un rythme effréné, ils vont mûrir et découvrir l’amour. Mais cela suffira-t-il, avec le soutien des vrais fantômes, à vaincre le Grey Watch ?

Stéphane Béguinot, né en 1964, est passionné par l’Écosse. Joueur de cornemuse et porteur du kilt, il a choisi de faire découvrir les Highlands en y transportant ses lecteurs tout au long de sa saga de « kilt et épée ». Une trilogie (chaque tome offrant une fin en soi) faite d’aventures à suspense où le lecteur, plongé dans un décor celte teinté de magie et de nobles sentiments, partage les tribulations de personnages hauts en couleur. Père de trois enfants, il ne pouvait que destiner son histoire à un large public tant d’adolescents que d’adultes. Son style très imagé stimule l’imagination et ses associations de mots séduiront ceux qui lisent aussi entre les lignes...

LangueFrançais
Date de sortie27 nov. 2013
ISBN9791092773033
Le clan du Grey Watch
Auteur

Stéphane Béguinot

Né en 1964, Stéphane BEGUINOT, Informaticien, ancien arbitre de tennis à Roland Garros et toujours débordant d’idées, aime raconter les histoires. Celles du soir, inventées au fil de l’eau, n’ont jamais réussi à endormir ses trois enfants. C’est donc l’œil bien vif qu’ils l’incitèrent un jour à se lancer dans l’écriture pour en faire profiter davantage de monde. Sans le leur dire leur père imagina un trio de jeunes héros présentant les caractéristiques propres de chacun de ses enfants. Ces derniers adoptèrent, sans le savoir, celui créé à leur image...L’auteur a toujours été passionné par l’Ecosse. Porteur du kilt et joueur de cornemuse, il habite l’univers des Hautes Terres. C’est donc tout naturellement qu’il a souhaité le faire découvrir aux lecteurs en leur offrant de partager une histoire d’amour et d’aventures destinée à un très large public. Son style, souvent imagé, stimule l’imagination du lecteur en lui offrant de s’évader et de tourner son propre film et ses savoureuses associations de mots plairont à ceux qui lisent aussi entre les lignes...

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    Aperçu du livre

    Le clan du Grey Watch - Stéphane Béguinot

    cover.jpg

    LES AVENTURES DES MACCLYDE

    Roman

    Le clan du Grey Watch

    Stéphane BÉGUINOT

    Dépôt légal septembre 2013

    ISBN : 979-10-92773-03-3

    Published by Stéphane Béguinot at Smashwords

    © Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction intégrale ou partielle, réservés pour tous pays.

    Carmichael Éditions

    21 rue Chantropin

    91530 ST CHÉRON

    http://macclyderoman.free.fr

    Conversion numérique : Lydie Itasse

    LES AVENTURES DES MACCLYDE

    Roman

    Le clan du Grey Watch

    Stéphane BÉGUINOT

    LEXIQUE

    Pour une meilleure compréhension, le lecteur trouvera ci-dessous, à toutes fins utiles, l’explication de certains termes propres à l’Écosse ou au monde celte. Le lecteur désireux d’élargir ses connaissances ou de découvrir les à-côtés du livre pourra consulter le site de l’auteur :

    http://macclyderoman.free.fr

    Arisaid : robe traditionnelle des femmes des Highlands (prononcer : air-i-sayed)

    Ceilidh : signifie fête ou rassemblement. On y danse au son des cornemuses des danses typiquement écossaises (prononcez : Kay-li).

    Chanter : embout de la cornemuse (aussi appelé le lévriad) sur lequel on joue les notes.

    Claymore : lourde épée écossaise tenue à deux mains.

    Drum Major : le tambour-major est le chef d’une fanfare de tambours et cornemuses. Placé en tête, c’est la figure qui se distingue dans l’œil du public. De la voix, du geste et de son bâton (mace) il commande la fanfare.

    Glengarry : calot écossais, pouvant être plié à plat, surmonté d’un pompon et assorti de deux rubans cousus sur l’arrière.

    Loch : lac en Écosse (prononcer le « ch » à l’allemande comme un « r » et non pas comme un « k »)

    Lochaber : à l’origine un outil agricole, cette hache écossaise a été transformée en une redoutable arme de guerre.

    Midges : moustiques particulièrement voraces sévissant dans la région des Highlands.

    Pipe Major : celui qui commande le groupe de cornemuses. Il est souvent placé en tête au premier rang à droite.

    Tartan : étoffe de laine à carreaux de couleurs, typique des peuples celtes.

    Tossing the caber : jeu de puissance et d’adresse consistant à lancer un tronc.

    Sgian Duh (prononcer : skeen doo) : signifie « couteau noir » en gaélique.

    Tug o’ War : épreuve du tir à la corde disputée aux Highland Games.

    Serape : grand châle en laine typique des Highlands.

    Sporran : bourse en cuir ou en fourrure portée sur le devant du kilt, faisant office de poche.

    Chapitre 1 – Les héritiers de Lord MacClyde

    À Green Hills, chacun était occupé à vaquer aux affaires du domaine lorsqu’un cavalier, galopant à bride abattue, surgit. C’était Duff, l’intendant de Lord MacClyde.

    — Nous ne vous attendions pas. Quel bon vent vous amène ? lui demanda Steafan tout en aidant Duff à arrêter et maîtriser son cheval, encore tout éperonné de sa chevauchée.

    — Hélas, une bien mauvaise nouvelle, Monsieur. Lord MacClyde ne se remettra pas de sa pneumonie. Le docteur est formel : ses jours sont comptés. Il a demandé à revoir sa fille et ses petits-enfants afin de partager avec eux ses derniers moments.

    — Passez en cuisine vous restaurer. Puis installez-vous dans le salon pour vous y reposer un peu avant que nous repartions. Je préfère annoncer moi-même la nouvelle à Kirstie. Je vous retrouverai ensuite.

    L’ivrogne de l’auberge

    Kirstie était une femme cultivée, soignée, exigeante envers elle-même, mais douce avec les autres. Elle avait hérité de son père, Lord MacClyde, le domaine de Green Hills. Possédant plus de biens que son mari, c’est elle qui dirigeait les affaires. Son matriarcat, mené de main de maître, était une belle réussite dont les fruits profitaient à tout le clan.

    Steafan, son mari, était un homme organisé et doté d’un grand sens de l’humour. On disait cependant de lui qu’il avait pour défauts les excès de ses qualités. De par son application au travail, son indéfectible dévouement aux causes justes et son souci permanent de l’équité, Steafan avait fait chavirer le cœur de Kirstie. Mais issu d’une famille de petite noblesse en comparaison de l’illustrissime ascendance de son épouse, Steafan avait dû renoncer à son patronyme pour adopter celui de sa femme. Kirstie ne pouvait y renoncer en se mariant, elle qui deviendrait un jour chef de clan. Leur mariage était une indéniable réussite. Bien que très différents, ils se complétaient à merveille et formaient un couple apprécié de tous et qui paraissait, tel le whisky, se bonifier avec le temps. De leur amour étaient nés trois enfants. Par le hasard de la nature, un même intervalle de cinq cents jours séparait l’aînée de la cadette et cette dernière du benjamin.

    — Eimhir{1}, venez et occupez-vous du cheval de Duff, je vous prie !

    Une jeune femme accourut. De grande taille, on la remarquait surtout à sa très longue chevelure. Ses beaux cheveux châtain auburn, avec de magnifiques reflets roux, formaient à eux seuls un tartan comme si elle avait hérité de tous les coloris de la généalogie familiale. Au moment de lui confier les rênes, Steafan lui retint le bras et la regarda fixement dans les yeux.

    — Ma fille, préparez le cheval de Duff afin qu’il puisse repartir au plus tôt. Ensuite, vous vous occuperez du carrosse. Vous partez tous à Clyde Park sans délai.

    Eimhir aurait dû se réjouir de retourner dans le somptueux château de son grand-père qui avait toujours entretenu des liens très étroits avec ses petits-enfants. Mais elle avait deviné, dans le regard et la poigne de son père, que quelque chose n’allait pas. Elle marqua un temps d’arrêt puis fixa son père pour lui montrer qu’elle était prête à écouter… et à entendre. C’était une fille solide que l’on avait rarement vue verser une larme. Il était donc inutile que son père s’entourât d’un luxe de précautions pour lui annoncer la mauvaise nouvelle. Dans ce monde rude, parfois dangereux et souvent injuste, bien des gens gardaient, face au malheur, le courage et la distance qu’imposait la fatalité des événements. Eimhir était de ceux-ci.

    Steafan serra sa fille contre lui.

    — Ma fille, c’est la dernière visite que vous ferez à votre grand-père. Tâchez de lui montrer, à cette occasion, tout l’enthousiasme qui vous caractérise et qu’il a toujours apprécié. Je vous prie de prévenir Uilleam{2} et dites bien à votre frère de se préparer pour un départ précipité. Je l’annoncerai à votre sœur, lorsque j’en aurai informé votre mère.

    Eimhir inspira profondément avant de répondre à son père :

    — Bien papa. Je fais tout le nécessaire pour que nous puissions partir le plus vite possible.

    La fougueuse Eimhir ne versa pas une larme. Elle s’affaira afin de combattre la tristesse qui venait de l’envahir.

    Steafan n’eut pas à rejoindre son épouse. C’est elle qui, intriguée, vint à lui. Kirstie le devança :

    — Que vient faire Duff ici ? Il m’a juste saluée et a continué son chemin sans rien me dire de plus sinon qu’il était fourbu et affamé et qu’il lui fallait d’abord manger un morceau !

    — Venez, Kirstie. Allons faire un tour dans le jardin.

    Steafan sut trouver les mots. Kirstie cacha son visage entre le cou et l’épaule de son mari. Brouillés par les larmes, ses souvenirs défilèrent à toute vitesse.

    — Pourquoi une telle injustice ? Pourquoi cette fin prématurée ? Lui qui est si bon et si généreux avec tout le monde ! Lorsque ses larmes se mirent à jaillir, Steafan l’enveloppa de tout son amour… Il connaissait son épouse. Il n’était pas nécessaire de lui parler davantage. Il suffisait qu’il soit là, solide comme un roc et doux comme un duvet. C’est tout ce qu’attendait Kirstie.

    Lorsqu’elle releva enfin la tête, ses larmes avaient cessé de ruisseler. Elles ne devraient plus jamais couler. Son deuil était fait. Elle serait bientôt chieftaine du clan. Elle devait faire bonne figure ; son père n’attendrait pas moins d’elle. Elle demanda à Steafan d’avoir la gentillesse de l’aider à paraître à nouveau belle et d’être à la fois son miroir et son peigne.

    — J’ai informé Eimhir et Uilleam. Je dois avertir Eithne{3}.

    — Non, laissez-moi m’en charger ! Je préfère m’occuper de notre fille cadette… Je n’ose même pas imaginer sa réaction en vous voyant arriver avec votre chemise imprégnée de mes larmes !

    Eithne avait le cœur sur la main. Passionnée par la nature, toujours souriante, pleine de joie de vivre et toute pétillante, elle aimait à se déplacer, rencontrer les gens et partager leur quotidien. Son sens de l’observation était tel, que sa mère se plaisait à dire qu’en comparaison l’aigle était myope. Son savoir-faire et ses connaissances étaient à l’égal de sa curiosité, les trois s’alimentant réciproquement. Tout ce qui avait trait à l’art la passionnait. À l’affût de tout ce qui était beau, elle savait apprécier toute chose à sa juste valeur. Bien qu’elle aimât la perfection, elle n’avait pas le travers de ne savourer que ce qui en approchait. Enfin, elle adorait danser et pouvait enchaîner reel, jig, Highland fling, strathspey et hornpipe.

    Eithne, loin de se douter que son destin allait basculer, répétait des pas de danse devant le grand miroir de sa chambre. Kirstie frappa à sa porte et entra. Eithne remarqua immédiatement les yeux encore rougis de sa mère. Il ne lui en fallait pas davantage pour que les siens se gorgent de larmes. Kirstie la serra très fort contre elle pour endiguer la vague de tristesse qui déferlait déjà. Eithne était beaucoup plus émotive que sa sœur aînée. L’injustice, sous toutes ses formes, révoltait autant l’une que l’autre. Mais, si Eimhir rêvait de voler au secours de l’opprimé, Eithne, plus sensible, se tournait plus volontiers vers les malheureux qu’elle s’activait à réconforter. Kirstie dut s’employer pour la convaincre de surmonter son chagrin et de retrouver son joli sourire. Eithne se devrait de l’offrir à son grand-père qui s’en émerveillait toujours.

    Elles furent rejointes par Uilleam et Eimhir dont les premières pensées avaient été pour leur mère. Kirstie les rassura et leur demanda d’adopter, dès à présent, un comportement le plus naturel possible. Tout devait rester comme avant, comme si rien ne devait se passer.

    Lord MacClyde adorait ses petits-enfants. Mais ses affaires et la distance séparant Clyde Park de Green Hills ne lui permettaient pas de les voir aussi souvent qu’il l’aurait voulu. Les deux propriétés n’étaient distantes que de deux petites journées en diligence, mais l’inconfort relatif des transports n’incitait guère à prendre fréquemment la route. Ils compensèrent cet éloignement par une abondante correspondance écrite où Lord MacClyde choisissait les mots qui plaisaient à ses petits-enfants.

    Steafan ne les accompagnerait pas à Clyde Park. Le séjour risquait d’être long et sa présence était requise à Green Hills où il suppléerait Kirstie. C’est d’ailleurs elle-même qui en prit la décision. Son père, qui avait toujours eu une très haute opinion de son gendre, comprendrait. Pendant que l’on équipait le carrosse, une ancienne diligence légère du service postal « retapée » par la famille, Duff finissait de se restaurer. Steafan était venu lui tenir compagnie par égard pour celui qui allait faire le retour dans la foulée de l’aller.

    Duff était au service de Lord MacClyde depuis tant d’années que personne ne se souvenait plus l’avoir vu arriver. C’est comme s’il avait toujours été présent. Organisateur né, zélé serviteur de son maître ; ce dernier n’avait qu’à penser pour que Duff sût ce qu’il convenait de faire sans même qu’il n’ait à le demander. Rangé et méticuleux à l’extrême, il était tout le contraire de Lord MacClyde qui avait toujours été brouillon et désorganisé. Leur collaboration, dans la gestion du château et des terres environnantes, faisait donc merveille. Toutefois, a contrario de Lord MacClyde, jovial, Duff paraissait tatillon, méfiant, sans chaleur, sans fantaisie, à la conversation courte, voire terne. Le personnage était supérieur dans sa profession et commun dans son particulier.

    Le temps était compté, il ne fallait pas le gaspiller. Les préparatifs furent promptement menés. En plus du cocher de Green Hills, deux cavaliers escorteraient l’équipage. Non pas que la contrée fut dangereuse, mais l’état des chemins était parfois tel que les petits accidents avec bris n’étaient pas rares. En cas d’avarie matérielle, quelques bras supplémentaires ne seraient pas de trop. Il y avait bien, ici ou là, quelques brigands. Mais la plupart étaient de pauvres hères qui ne prenaient le risque de détrousser autrui que lorsqu’ils étaient eux-mêmes dans la plus grande détresse. Ils ne s’emparaient alors que du strict nécessaire et disparaissaient sans nuire davantage.

    Steafan souhaita bon voyage à ses enfants qu’il embrassa. Il leur recommanda de bien entourer leur mère. En son absence, elle aurait besoin d’eux ! Puis il serra fort dans ses bras son épouse.

    — Vous allez me manquer. Donnez-moi de vos nouvelles dès que vous le pourrez.

    L’équipage s’ébranla en direction de Clyde Park. Compte tenu de l’heure avancée, l’objectif était d’atteindre une auberge qu’ils connaissaient, juste avant la tombée du jour. Ils y passeraient la nuit pour reprendre la route aux premières lueurs de l’aube. Eimhir n’avait pas pris place dans le carrosse. Kirstie n’en prit pas ombrage. Son amazone de fille préférait monter son fougueux lipizzan et sentir ses cheveux voler au vent en galopant en tête de convoi ! Du reste, Eimhir ne faisait que suivre le vœu formulé par sa mère : « restez vous-même, continuez d’être naturels ».

    Eimhir, l’aînée des enfants, était passionnée d’équitation. On disait qu’elle n’avait pas les pieds sur terre, mais les fesses sur la selle. Elle n’aurait jamais laissé à un autre le soin de s’occuper de son cheval. Ce bel étalon, répondant au nom de Whitehooves{4}, avait la particularité d’être né avec des sabots aussi blancs que sa robe. Intelligente et douée, Eimhir était capable d’assumer bien des activités ordinairement réservées aux hommes. D’un caractère un peu trop bien trempé, comme les épées qu’elle maniait remarquablement bien, il pouvait lui arriver de se lancer trop vite dans l’action. À la vérité, personne n’avait su dire si elle avait hérité de la fougue de son étalon ou si c’était l’inverse qui s’était produit. Elle avait toutefois su rester très féminine. Elle portait, de préférence, des tenues longues qui seyaient particulièrement bien à sa grande taille et à sa longue chevelure. Un vrai bonheur pour sa sœur cadette, d’une créativité sans limites et experte en couture, et à qui Eimhir devait presque toute sa garde-robe. Sa tenue préférée était sans conteste son kilt à dominante rouge aux couleurs de son clan, un tartan appelé Caledonia. C’était un tissu aux couleurs brillantes, difficiles à obtenir. Sa confection avait nécessité tout le savoir-faire des herboristes. Eithne, rompant avec la coutume voulant que le kilt effleure le sol lorsque l’on se met à genoux, avait allongé d’un volant le pan gauche pour protéger la jambe du frottement du fourreau. Côté droit, elle avait ajouté une fente pour faciliter la monte et dévoiler l’harmonieuse musculature de sa cavalière de sœur qui se prenait parfois à rêver qu’elle était une amazone. Ce souci du détail au service des goûts de son aînée traduisait toute la complicité unissant les deux sœurs aux caractères pourtant bien différents. Lorsqu’elle portait en travers de la poitrine un plaid-écharpe, Eimhir le faisait passer par sa hanche droite et l’accrochait, à l’aide d’une broche, sur son épaule gauche. En cela, au grand dam de sa mère, elle le portait comme les hommes afin de dégager sa hanche gauche pour ne pas être gênée en dégainant son épée. Pour préserver ses mollets du frottement des étrivières, sa tenue était complétée de bottes en daim, hautes ou mi-hautes. Ces dernières étaient toujours tenues par des lanières de cuir suffisamment longues pour que leurs extrémités dansassent autour de ses chevilles ; ce qu’elle affectionnait.

    *   *   *

    C’est avec un peu de retard que l’équipage rallia l’auberge. L’orage menaçait, il était temps d’arriver. Un des cavaliers était parti en avant-garde afin de prévenir l’aubergiste de l’arrivée imminente de l’équipage. Des chambres leur avaient donc été préparées, leur repas mijotait, et l’écurie attenante était sur le pied de guerre. Tant et si bien que toute la famille, Duff et les membres de l’escorte étaient déjà attablés à peine arrivés. Soudain, la porte de l’auberge s’ouvrit comme si le vent l’avait enfoncée. Dans l’embrasure apparut une silhouette qui marqua un temps d’arrêt sur le pas de la porte. Il tombait des trombes d’eau et l’individu était trempé au point de ruisseler telle une gouttière percée. L’homme avança droit devant, titubant et traînant la jambe. L’éclairage des lanternes de l’auberge, absorbé par le bois des murs, ne permettait pas de distinguer les traits de l’individu, restés à l’état d’esquisses. Il déposa son balluchon sur une petite table qui lui était réservée dans un coin isolé. Il s’apprêtait à s’asseoir lorsqu’il vit la famille MacClyde attablée... En manque de compagnie et bizarrement attiré, il s’en approcha.

    — Étrangers, vous êtes nouveaux ici ! Quel bon vent vous amène ?

    Au fur et à mesure que le plancher absorbait l’eau dégoulinant de ses vêtements, l’odeur de l’humidité cédait sa place à celle moins enviable du whisky dont l’individu était imbibé. Alors que Duff s’apprêtait à chasser l’ivrogne, Kirstie le retint du bras et eut l’amabilité de lui répondre.

    — Nous sommes en chemin pour une affaire familiale. Nous faisons halte ici ce soir et nous reprendrons notre route demain.

    Puis, se saisissant du pichet d’eau fraîche, elle se proposa de lui servir un verre. Elle lui tendit également la corbeille de pain afin qu’il puisse choisir lui-même son morceau. Dans son idée, elle pensait demander à l’aubergiste de lui servir une portion de leur soupe, qui chauffait encore dans l’âtre. Ainsi l’homme avalerait-il un vrai repas susceptible de le réchauffer. Mais, à la vue de l’eau claire offerte par Kirstie, l’individu rétorqua fièrement :

    — Madame, il y a deux choses que l’écossais préfère toutes nues ; et le whisky en est une !

    Duff considérant ces propos comme outrageants se leva d’un bond et repoussa sans ménagement l’ivrogne jusqu’à sa table. Kirstie, pichet et corbeille toujours en main, n’eut pas le temps d’intervenir que tout le monde avait déjà retrouvé sa place. L’ivrogne, ainsi éconduit, apostropha l’aubergiste : « ma pinte de whisky ! » La pinte apparut de dessous le comptoir comme si elle attendait déjà d’être servie. L’aubergiste la lui apporta séance tenante, sans en demander le paiement. Puis il se rendit à la table des MacClyde pour leur servir la soupe. Eithne, prise de pitié pour l’ivrogne, interrogea l’aubergiste :

    — Qui est donc cet homme ?

    — Nul ne le connaît. On dit de lui qu’il a goûté à tous les whiskys qu’il tient l’alcool comme nul autre. Chaque soir, il fait le tour des auberges et des tavernes du coin. C’est devenu un rituel. Sa table est gracieusement réservée et nous lui offrons une pinte de notre meilleur whisky. Moyennant quoi il nous quitte dès que le fond du culot de la pinte est sec. On le considère ici comme notre porte-bonheur. Gage que la nuit sera bonne, car, de jour, personne ne sait ni où ni comment il décuve !

    Eithne, apitoyée par l’état de l’ivrogne, ne parvint pas à avaler sa soupe. N’y tenant plus, elle se leva et se dirigea vers l’homme qui ouvrit des yeux ébahis.

    — Vous êtes trempé comme une soupe. Permettez-moi de vous donner mon châle pour vous procurer un peu de réconfort.

    — Mademoiselle, la lie ne s’est jamais plainte d’être détrempée.

    Néanmoins, il glissa délicatement le châle sous son manteau. Une larme à la couleur de l’orge ruissela sur sa joue. Un signe manifeste qu’il était touché de l’attention. Mais ne voulant rien laisser paraître, il la happa d’un coup de langue et sembla en savourer le goût. Puis il mit son doigt au fond de sa pinte et le porta à sa bouche. Constatant qu’il était sec, il rassembla promptement ses affaires et disparut dans la nuit, tel qu’il était arrivé. Le courant d’air se chargea de fermer la porte derrière lui.

    Leur repas terminé, les MacClyde gagnèrent leurs chambres à l’étage. Duff se dirigea à l’écurie pour y prendre ses quartiers de nuit en compagnie des hommes de l’escorte. Eimhir l’accompagna afin de souhaiter bonne nuit à son cheval. Elle s’assura que tout était en ordre pour un départ dès potron-minet.

    *   *   *

    La nuit fut pour tous si courte qu’un retour à la ligne suffit à les retrouver sur la route, cheminant à bonne allure. L’objectif était clair : rallier le château de Lord MacClyde avant la tombée de la nuit, car ce dernier ne recevait personne après le coucher du soleil. Eimhir voulait prendre la route du col plus difficile, mais beaucoup plus courte que celle de la vallée. Duff, qui l’avait prise à l’aller, les en dissuada. Les pluies de la veille ne pouvaient être que neige au sommet du col. Ce dernier était probablement infranchissable, avait-il péremptoirement argué. On joua donc la carte de la sécurité.

    Hélas, alors qu’ils filaient un bon train tous les cavaliers devant afin d’échapper à la poussière soulevée par l’attelage, c’est finalement le carrosse qui la mordit lorsqu’une de ses roues s’enfonça dans une ornière. Le carrosse fit une embardée. Mais le cocher réussit à le stabiliser et à l’arrêter. Il sauta du haut de son siège et se précipita prendre des nouvelles de ses trois occupants. Il découvrit Kirstie et Eithne dans les bras d’Uilleam qui les avait réceptionnées alors qu’elles étaient projetées vers l’avant. Ils avaient été secoués, mais personne n’était blessé. Le cocher, rassuré, les pria de descendre afin que l’on vérifie l’état du carrosse. Alors que tous s’affairaient, Eimhir, descendue de cheval, avait rebroussé chemin. Agenouillée, elle examinait l’ornière. Elle appela Kirstie :

    — Regardez maman, la concentration de feuilles mortes et de petits débris autour du trou. Cela n’a rien de naturel. Je ne peux pas croire que le vent soit parvenu à les balayer de manière à si bien masquer ce trou. Du reste, regardez la terre au fond au trou : elle est toute fraîche et granuleuse. C’est comme si quelqu’un avait creusé pour agrandir l’ornière !

    — C’est effectivement étrange. Mais votre soif d’aventures ne vous pousserait-elle pas à exagérer la chose ? Ce ne sont peut-être que les restes d’un ancien piège de brigands dont nous venons seulement de faire les frais… Réfléchissez : pourquoi voudriez-vous que l’on cherche à nous retarder et qui y aurait intérêt ? Eimhir, cessez de rêver tout haut. Allons plutôt voir si le carrosse n’a pas subi de dommages.

    Le constat fut rapidement fait. Le carrosse avait souffert. L’essieu arrière était affaibli par un début de fêlure nettement visible de l’axe. En sus, un des rayons de la roue arrière droite était cassé. On allait pouvoir repartir, mais il fallait prendre des précautions : réduire sa vitesse et optimiser la répartition de la charge. On déplaça la grosse malle du coffre arrière pour l’arrimer à l’avant du toit. On demanda à Kirstie et Uilleam de voyager dos à la route afin d’alléger le poids reposant sur l’essieu arrière. Seule Eithne, la plus légère, occuperait la banquette arrière en se calant bien à gauche. La petite troupe s’ébranla à nouveau. On jeta régulièrement un œil averti en direction de la roue endommagée. Après avoir parcouru deux miles, le cocher rassura tout le monde :

    — Si cela avait dû casser, nous serions déjà immobilisés ! En continuant de le ménager, notre carrosse tiendra jusqu’à Clyde Park !

    Rassurée, Eimhir avait repris la tête et galopait en éclaireur. Un grand pont de bois couvert afin de le prémunir, l’hiver, des chutes de neige, se présentait devant eux. Il permettait de franchir une rivière et épargnait aux voyageurs le grand détour par le fond de la vallée où la route était tortueuse et de mauvaise qualité. Les cavaliers s’engouffrèrent sur le pont, mais à peine avaient-ils débouché à l’autre bout qu’ils dépassèrent Whitehooves délesté de sa cavalière. Eimhir avait sauté de son cheval en cours de traversée. Elle courait, en arrière, vers le carrosse en faisant de grands signes au cocher. Ce dernier tira sur les rênes et actionna le frein. Eithne partit de l’avant, mais Uilleam eut le geste réflexe de la rattraper à temps en utilisant le tablier de son kilt pour amortir sa chute et la recueillir tout en douceur.

    *   *   *

    Uilleam n’avait pas hérité de la corpulence physique de son père. Il paraissait quelque peu longiligne dans ce monde d’hommes rompus au portage des barriques, à l’abattage des arbres et au tossing the caber. Il compensait néanmoins ce désavantage relatif par une extrême dextérité et une grande vivacité. Son sens du déplacement était tel qu’il franchissait les montagnes plus rapidement que les cavaliers. Pour être plus à l’aise, il portait le kilt et chaussait des ghillie brogues ; ces chaussures avec de grands lacets noués autour du mollet. Ce laçage lui permettait de ne pas perdre ses chaussures en s’enlisant dans les tourbières marécageuses si répandues en Écosse. On le voyait toujours courir et bondir dans la campagne au point de compter parmi ses plus grands amis tous les écureuils et les lapins de la contrée. Ces derniers semblaient l’avoir adopté depuis qu’ils avaient trouvé en lui quelqu’un de coriace avec qui rivaliser dans le jeu de la course d’orientation avec fréquents contre-pieds et changements de direction. Bon sonneur, c’était surtout un archer hors pair. Un don qu’il tenait de son père et qu’il cultiva dès son plus jeune âge. Uilleam ne se séparait jamais du Sgian Duh que son père lui avait fabriqué pour ses dix ans. Il le gardait toujours précieusement glissé dans sa chaussette droite. À toujours jouer et jongler avec, il était devenu expert en maniement du poignard. Ils étaient à ce point inséparables que si Uilleam avait eu une tendre amie, cette dernière aurait eu des raisons d’en être jalouse.

    *   *   *

    Eimhir avait entendu un écho inquiétant sous les pas de son cheval. Sa priorité avait été de stopper le carrosse. Tranquillisée, elle remonta le pont en tapant avec ses pieds sur chacune des traverses. Sur l’une d’elles, branlante, le son différa. Eimhir la marqua en y fichant son épée. Le cocher s’allongea sur le côté du pont et se pencha au-dessus du vide pour en examiner le dessous.

    — Parbleu ! La traverse est pratiquement désolidarisée du support. Avec le poids du carrosse, même à vide, il est certain qu’elle va lâcher ! Vous avez eu l’oreille fine. Pour un peu, le carrosse s’enlisait au milieu du pont. Ni l’essieu ni la roue n’auraient résisté à un pareil choc ! Autant dire que nous aurions été cloués sur place sans pouvoir réparer.

    Eimhir voulut constater par elle-même.

    — Toutes les traverses sont parfaites, sauf celle-ci ! On dirait qu’elle a été entamée à coups de hache. Ne trouvez-vous pas cela étrange ?

    — C’est effectivement curieux. Mais le plus important, en attendant de signaler l’avarie au service des ponts et pistes du comté, c’est de poser ici un tas de pierres afin de signaler le danger aux prochains voyageurs.

    Le cocher expliqua à Kirstie qu’il fallait renoncer à emprunter le pont, même à vide. Un détour s’imposait. La route serait plus difficile. Il faudrait ralentir pour ménager le carrosse dont l’essieu et la roue étaient toujours en sursis. Kirstie s’inquiéta. Le temps pressait. Pour elle chaque minute comptait, alors que son père les décomptait !

    — Rassurez-vous, j’ai passé mon enfance dans la région ! Je connais tous les raccourcis et nous devrions rattraper notre retard pour arriver juste à la tombée de la nuit… mais nous ne pourrons pas mieux faire !

    — C’est entendu, nous vous faisons confiance !

    Le cocher disait vrai. Au milieu de cette lande, il était comme chez lui et contrairement à la route principale, tous ces chemins peu fréquentés n’apportèrent aucune mauvaise surprise.

    *   *   *

    Ils parvinrent enfin au point culminant de Clyde Park. L’endroit était appelé « Pipetree » (arbre cornemuse) en raison de l’arbre de Rowan{5} qui s’y trouvait et dont les branches figuraient les bourdons d’une cornemuse.

    — Le panorama est toujours aussi grandiose et le château toujours aussi majestueux ainsi dressé dans le fond de la vallée ! s’écria Eithne, dont les yeux percevaient d’emblée le beau et le bien.

    Bordé de collines verdoyantes, le château était entouré d’un vaste parc, planté d’arbres et de fleurs rares. Baigné par les courants chauds du Gulfsteam, c’était une oasis de couleur et de fertilité où l’on pouvait même voir des palmiers. Les visiteurs exprimaient leur admiration pour ces arbustes apportés des pays lointains, pour ces parterres disposés avec art. Leurs compliments n’étaient pas de simples formules de politesse, car les gens d’alentours ou de passage demandaient fréquemment la permission de se promener dans les magnifiques allées. Le parc était traversé par une rivière dévalant les collines en cascades successives. Les pierres, ainsi polies par l’eau, scintillaient à tour de rôle au soleil. Elles donnaient l’impression de jouer une mélodie, dont les saisons se chargeaient d’assurer le tempo : jig et reel au printemps, ballades en été… Le château médiéval alliait la solidité de la pierre avec la noblesse du bois et l’art du fer forgé. À l’intérieur, l’éclairage des feux de cheminée et des torches mettait en valeur la richesse des draperies, du mobilier en chêne massif, des rideaux et des tableaux sur lesquels semblaient veiller les nombreuses armures postées ici et là, telles des sentinelles. Il était divisé en trois parties : l’aile gauche, le « central » et l’aile droite.

    Kirstie scrutait le ciel avec inquiétude. La nuit enveloppait progressivement la vallée. Arriveraient-ils à temps ? Ils n’eurent pas à se poser la question : ils entendirent le sonneur de Clyde Park jouer Lights out. La vie du château était rythmée par le son de la cornemuse ; la mélodie jouée annonçait le début du couvre-feu protégeant l’aile droite où le Lord avait sa chambre. Il avait interdit à quiconque, exception faite de Megold, d’y pénétrer une fois le soleil couché. Le couvre-feu ne serait levé qu’au petit matin au moment où le sonneur jouerait le « réveillé ». Kirstie, la mine déconfite, pestait. Elle envisagea de désobéir à la volonté de son père pour être certaine de recevoir les dernières qu’il aurait à formuler… Duff coupa court à tout espoir :

    — Le lord a toujours été formel. Je suis mandaté pour faire respecter le couvre-feu quoiqu’il puisse en coûter. Vous devrez attendre jusqu’à demain. Croisons les doigts pour que le Lord survive à la nuit… dit-il en joignant les mains comme s’il priait.

    Le carrosse prit un dernier virage et s’arrêta en face des marches dessinant l’entrée du château. L’aile droite était dans la pénombre tandis que le centre du château et l’aile gauche étaient çà et là illuminés, trahissant les endroits où l’on s’affairait encore. Mrs Campton, la gouvernante responsable du personnel de maison, attendait sur les marches l’arrivée de la famille. Elle accueillit Kirstie d’un sourire crispé. Sa joie de la revoir le disputait à la retenue que lui imposaient les circonstances de sa venue.

    — Après cette longue journée passée sur les chemins, vous devez être fourbus. Je vous ai préparé de quoi vous restaurer et vos chambres sont prêtes.

    Kirstie lui rendit son sourire et la remercia de son dévouement. En revanche, Mrs Campton n’hésita pas à prendre dans les bras chacun des enfants. Elle les affectionnait comme s’ils avaient été les siens et ils le lui rendaient bien. Eimhir n’entra pas tout de suite. Elle voulait auparavant s’occuper de son cheval. Kirstie l’invita à les rejoindre à table. Elle convia également le cocher et les cavaliers de l’escorte. Ils avaient bien gagné de partager leur repas à la même table qu’eux.

    Le testament de Lord MacClyde

    Les jeunes MacClyde entendirent soudain aboyer. C’était Megold, le chien de Lord MacClyde. Pure race, selon les uns, ou bâtard selon les autres, il était de la taille d’un colley, mais avait la toison d’une vache des Highlands dont les poils lui masquaient les yeux. La légende prétendait qu’il était né cinq années avant son maître et qu’il devait sa longévité à son unique nourriture à base de baies rouges. Cueillies dans le parc du château, elles étaient, selon un rituel incontournable, mélangées et broyées avec des biscuits sablés additionnés de lait de vache. Les trois adolescents lui sautèrent au collet. Megold se frotta à eux sans retenue. C’est Eithne qui comprit que cette insistance n’était pas le seul fruit de l’enthousiasme des retrouvailles.

    Un message était accroché au collier de Megold. Le Lord autorisait désormais sa fille, son mari et ses petits-enfants à pénétrer dans l’aile droite durant le couvre-feu.

    Duff était abasourdi. Il demanda à voir le message. Le Lord était trop faible pour écrire. Quelqu’un avait sûrement usurpé sa main. Or nul ne pouvait être en ce moment à ses côtés… D’ailleurs, ce n’était pas là l’écriture du Lord… mais Kirstie argua que le seau était bien le sien. Celui de la bague qu’il ne quittait jamais. Laissant sur place l’intendant, mère et fratrie emboîtèrent le pas à Megold.

    À la vue de sa famille entrant dans la chambre, le vieux Lord MacClyde rayonna. Bien qu’alité dans son somptueux lit à baldaquin, aux montants sculptés tels des bourdons et reliés entre eux par des cordons, il avait une mine impatiente et la voix encore claire. Mais ce brusque regain de vitalité n’était dû qu’à la mobilisation de son ultime réserve d’énergie. Il ne durerait pas davantage que l’accalmie offerte par l’œil du cyclone avant la tornade.

    Il était rassuré de les savoir enfin auprès de lui, mais s’étonna de leur arrivée si tardive. Il avait mandaté Duff depuis une éternité ! Kirstie ne prêta pas attention à cette inquiétude bien naturelle et donna des nouvelles fraîches des uns et des autres.

    La conversation continua bon train comme si chacun avait une soif inextinguible de parler et d’écouter. Soudain, Lord MacClyde pria Kirstie de bien vouloir le laisser seul avec ses petits-enfants. Il avait à leur parler de choses très importantes. Il demanda néanmoins à sa fille de rester à proximité de la chambre, car il tenait à lui adresser ses dernières paroles. Kirstie n’en prit point ombrage. Elle se retira rapidement comme si cela pouvait la faire revenir plus vite. Dès qu’ils furent seuls, Lord MacClyde pria ses petits-enfants de ne pas l’interrompre, car il voulait être sûr de pouvoir tout leur dire. Eithne, assise à côté de lui, avait passé son bras derrière sa nuque afin de le maintenir pour qu’il puisse s’exprimer avec plus d’aisance. Elle le regardait avec la tête légèrement inclinée et lui faisait de grands sourires, trop consciente de la valeur des dernières images offertes. Eimhir assise sur le rebord du lit, prête à aller quérir sa mère, était toute à l’écoute. Uilleam, plus nonchalant, mais pas moins réceptif, était assis en bout de lit et tenait dans ses bras Megold qui avait, lui aussi, bien mérité d’être là.

    — Mes petits-enfants, j’ai eu le plaisir de vous voir grandir et nos abondantes correspondances nous ont continuellement maintenus à la distance de l’épaisseur d’un trait de plume… Vous avez hérité des qualités de vos parents et je connais la valeur de votre cœur et la force de votre courage. À chaque fois que je vous ai vu ensemble, j’ai pu apprécier votre exceptionnelle complémentarité. Il y en a toujours un pour aider l’autre ! C’est pourquoi j’ai choisi de vous confier, à tous trois, une mission de la plus haute importance. Seul, comme je l’ai souvent été, il est impossible de réussir, mais à vous trois vous le pourrez.

    Harassé, Lord MacClyde dut reprendre son souffle. Ces quelques secondes de pause parurent une éternité aux trois jeunes gens qui avaient pourtant encore toute la vie devant eux.

    — Un mal sournois menace de semer la discorde dans le monde clanique et de rompre l’équilibre de notre société. J’ai découvert l’existence d’un clan secret le « Grey Watch » qui a pu investir le monde des fantômes et le détourner à son profit, contre nos intérêts à tous. J’ai été trop prétentieux de penser le vaincre seul et je quitte ce monde sans avoir pu mettre fin à ses agissements. J’ai toutefois considérablement retardé ses desseins. Pour mieux lui résister, j’ai brouillé les pistes en partageant confidentiellement mes informations de telle manière que chacun de mes plus fidèles compagnons ne détienne qu’une partie de l’énigme, ignorant où trouver les autres fragments. Ainsi, pris isolément, aucun d’eux ne représente une menace directe pour le Grey Watch ni ne peut lui fournir d’éléments directement exploitables. Unissez toujours vos efforts, ne comptez que sur vous trois et, à l’exception des personnes que je vous recommanderai, méfiez-vous de tous et surtout du clan des Finnegan. Nous sommes en froid depuis les derniers jeux de Stirburn et il ne m’inspire pas confiance. Je compte sur vous pour rassembler les pièces du puzzle et les utiliser afin de démasquer les instigateurs du Grey Watch et les mettre, définitivement, hors d’état de nuire.

    Lord MacClyde demanda à Eimhir de bien vouloir ouvrir le tiroir de sa table de nuit et d’en récupérer le contenu. Eimhir y découvrit une clé et un flacon dont elle se saisit avec précaution et qu’elle tendit à Lord MacClyde.

    — Gardez-les précieusement ! Ils sont à vous. Vous les utiliserez le moment venu.

    — Mais quand et comment ? interrogea Eimhir.

    — Je reconnais bien là votre fougue et votre ardeur… mais vous devrez vous armer de patience. Le moment venu, vous saurez comment les utiliser. Mais pour l’instant, vous devez parfaire votre instruction. C’est pourquoi je vous ai fait inscrire à l’école de Bannockranckie… où vous êtes attendus.

    Au moment où Eimhir s’apprêtait à questionner à nouveau son grand-père, celui-ci se tourna ostensiblement vers Uilleam et lui dit :

    — Megold vous apportera beaucoup. Il a été le plus fidèle de tous. Gardez-le toujours avec vous. Il vous sera du plus grand profit… Je vous le confie.

    Megold acquiesça d’un aboiement à demi étouffé par la couverture sur laquelle reposait son museau. Lord MacClyde, comme rassuré, sentit une douce fatigue l’envahir.

    Il esquissa un sourire à l’attention de la si douce et charmante Eithne. En les regardant et en les écoutant, il retrouvait bien là ses petits-enfants tels qu’il les connaissait, avec leurs points forts et leurs faiblesses. Le vieux Lord avait bien calculé son coup en leur confiant cette mission éminemment périlleuse. L’une avait une telle soif d’aventures qu’il était certain qu’elle irait jusqu’au bout, envers et contre tout… Sa sœur et son frère lui apporteraient ce qui lui faisait défaut : la patience, la modération, la diplomatie, le sens du compromis, la sagesse… autant de qualités qu’à eux deux ils possédaient, mais qui, sans l’étincelle de l’aînée, pourraient manquer à mettre le feu à la poudre lorsqu’il le faudrait…

    — À présent, demandez à votre mère de revenir, je vous prie.

    Kirstie revint à la vitesse de l’éclair.

    — Avez-vous pu dire tout ce que vous vouliez aux enfants ?

    — Oui, Kirstie. Je leur ai confié une mission difficile pour laquelle je les crois capables et destinés. Je vous demande de leur faire toujours confiance, sans chercher à en savoir davantage. Cela serait vain et dangereux… Faites simplement croire tout savoir et attirez les regards sur vous. Envoyez-les deux mois à Bannockranckie chez le Drum Major Birl qui les préparera aux épreuves qui les attendent… Elles finiront de les forger. Mon personnel et tous les membres de mon clan m’ont toujours servi avec le plus grand dévouement. Leur mérite est grand et je leur en sais gré. Gardez-les tous, et assurez la régence du château en attendant que mes petits-enfants puissent l’assumer. À Eimhir, je lègue la partie centrale, à Eithne l’aile gauche, et à Uilleam la droite.

    Ayant atteint l’extrême limite de ses forces, son esprit l’abandonna.

    Ses traits s’estompèrent progressivement et son corps devint subitement translucide. Puis il se désagrégea en un nuage de brume qui se dissipa en laissant sur place les vêtements du défunt aussi plats que s’ils venaient d’être repassés.

    La fenêtre s’ouvrit brusquement et laissa s’échapper, sous la forme d’un souffle, ce qu’il restait de Lord MacClyde.

    Son corps, devenu vent, alla se répandre dans toute la campagne environnante, libre comme l’air. Telle fut la spectaculaire fin du Lord. À cette époque, dans cette contrée bercée de contes et légendes où la frontière entre l’imaginaire et le vécu a toujours été imprécise, il était des choses qui ne devaient pas surprendre et être acceptées comme telles…

    Chapitre 2 – L’école de Bannockranckie

    Au petit matin, les membres de la famille furent tirés de leur lit par le sonneur de garde qui entonna le « réveillé » à la cornemuse. Ce morceau fut suivi d’un autre : brose and butter. Il annonçait que le brunch était servi. N’est-il pas des réveils plus désagréables ? Le petit-déjeuner était copieux. Il permettait de faire l’impasse sur le repas de midi et d’attendre l’heure du dîner. Mrs Campton proposait toujours plus de choix que les estomacs pouvaient demander. C’était un véritable crève-cœur quotidien que d’attendre le lendemain pour goûter aux impasses de la veille. La bouillie d’avoine sucrée au lait de miel tiédi, la corbeille de fruits de saison cueillis à l’aube dans le parc, le saumon fumé au feu de torche à la citronnelle, les biscuits sablés enrobés de caramel aromatisé à la fleur de chardon, les tourtes à la confiture de cynorhodon et à la crème écossaise, le gibier de pays farci au pudding d’orties et aux fines herbes de la lande faisait partie des plats proposés. Il ne fallait pas oublier l’incontournable thé parfumé à l’iode de l’océan. Une des recettes secrètes de Mrs Campton, probablement la plus appréciée, et certainement celle qui contribua le plus à sa réputation.

    — Le son de la cornemuse va nous manquer, affirma la fratrie.

    L’heure du départ avait sonné. Kirstie étreignit chacun de ses enfants en leur souhaitant bon et fructueux séjour. Ils allaient beaucoup lui manquer durant les deux mois à venir. Mais ils reviendraient mûris et mieux armés pour assumer la gestion de leur nouveau domaine. Kirstie regarda s’éloigner sa chère et tendre progéniture jusqu’à ce que la ligne d’horizon l’absorbe.

    L’intégration

    Les écoles comme Bannockranckie étaient rares en Écosse. Elles avaient pour vocation de compléter la formation, essentiellement familiale, des jeunes gens. À cette époque, vivre (ou survivre) consistait à savoir se vêtir, se nourrir, se soigner, se déplacer, se défendre et perpétuer les traditions claniques. Pour y répondre plusieurs enseignements étaient proposés : la connaissance des plantes et de leurs usages, le tissage, la forge, l’équitation, l’art culinaire, l’écriture, l’étude du gaélique, l’escrime et le tir à l’arc, la faune et la flore, la chasse, la cornemuse. Mais Bannockranckie avait la particularité d’être dirigée par le Drum Major Birl, abréviation de Buchanan Iomhar Ramsey Lachlan. Appellation qu’il avait été le premier à adopter par comparaison flatteuse avec l’ornementation du même nom jouée par l’auriculaire d’un rapide mouvement en forme de croix sur le chanter de la cornemuse. Ami intime de longue date de Lord MacClyde, sa réputation n’était plus à faire. Il était solidement charpenté, mais sa grande taille lui permettait de ne pas apparaître massif. Il se tenait toujours très droit et impeccablement vêtu. En sus, il arborait fièrement de grandes moustaches qu’il entretenait avec soin. Sa stature dégageait tant d’élégance et de prestance qu’il était toujours choisi pour parader en tête des défilés. Fumeur de pipe à l’occasion, il avait une voix grave, mais posée et chaude. Elle avait le don de capter l’attention de l’auditoire sans jamais avoir besoin de hausser le ton.

    Bannockranckie était composée d’une suite de bâtiments qui donnaient tous sur une vaste cour rectangulaire. Elle aurait eu l’aspect d’un fortin s’il n’y avait pas eu des brèches entre chaque bâtisse et un immense corral à l’extrémité. On y accédait en passant sous un large porche creusé tel un tunnel au rez-de-chaussée du bâtiment d’entrée où logeaient les professeurs. Tous les bâtiments avaient la même physionomie. Le premier étage était flanqué d’une coursive couverte par le second et dernier étage où avaient été aménagées, avec beaucoup de goût, les chambres des apprentis. Les appartements des filles dans les bâtisses de gauche et ceux des garçons dans celles de droite. La verdure l’emportait nettement. La vigne vierge, qui recouvrait toutes les façades et tombait en cascade par-dessus la balustrade des coursives, réchauffait les murs en hiver et leur conservait la fraîcheur l’été. Par ailleurs, les cultures nécessaires aux apprentissages et qui entouraient toute l’enceinte renforçaient la note verte qui frappait systématiquement tout nouvel arrivant.

    C’est d’une colline qu’Eimhir, Eithne et Uilleam découvrirent Bannockranckie. Aux fumées de cheminée, à l’effervescence de la cour intérieure et aux troupeaux paissant alentour, elle paraissait pleine de vie. Ils constateraient plus tard qu’elle avait également une âme.

    À leur arrivée, les élèves furent pris en charge par le quartier-maître qui les dirigea d’abord vers les écuries pour y choisir le box de leur cheval. La prochaine étape les conduisit à la blanchisserie. Le port de l’uniforme au tartan de l’école, à dominante mauve avec des rayures verticales blanches et jaunes pour les horizontales, était obligatoire. Le responsable, Aldruyn, avait vu défiler devant lui tant d’apprentis qu’il jaugeait et toisait d’un seul coup d’œil les mensurations sans que l’on n’y retrouve jamais rien à redire. La tenue tombait toujours impeccablement et l’essayer sur place aurait été un flagrant manque de tact. Encore fallait-il le savoir, car le responsable était un vieil homme dont le dos voûté était cause de la chute, quasi permanente, de son monocle, heureusement retenu à sa boutonnière par une chaînette. En réalité, c’était sur l’ombre portée au sol et le bruit des pas qu’il basait son verdict. Il marmonnait alors, à l’attention de ses assistants, quelques mots de patois si goulûment prononcés qu’ils n’étaient pas plus compréhensibles que ceux des enchères sur les criées. Les aides s’affairaient alors dans les magasins à rassembler le paquetage. Il n’y manquerait que l’épingle de kilt, propriété de chaque apprenti qui, en l’arborant, affichait son clan d’appartenance. L’ensemble, tenue et balluchon, attendrait leur propriétaire dans sa chambre. Offrir un logis fin prêt, tel était le sens de l’accueil qu’avait Birl.

    Uilleam se lia rapidement d’amitié avec plusieurs autres garçons. Parmi eux se trouvait Jockie MacBonnie. D’un tempérament plutôt jovial qui seyait à son léger embonpoint, il avait été l’un des rares à faire le malin en émettant un doute sur les mensurations estimées être les siennes. Il le paya le prix fort. « Black Bear ! » appela Aldruyn. Surgit aussitôt un géant toisant trois têtes au-delà de la normale. Il se saisit de Jockie comme d’un fétu de paille et l’embarqua, coincé entre sa hanche et son bras, vers les profondeurs de la blanchisserie. Ses camarades gardèrent l’image des semelles de Jockie brassant désespérément l’air, sans espoir de parvenir à desserrer l’étreinte. Les rescapés se regardèrent : « bon sang ! Vous avez vu le surveillant… quel colosse, je n’ai jamais vu çà ! » Il est vrai que dame nature l’avait doté d’une robuste stature le contraignant, pour ses déplacements, à monter un shire, le plus grand cheval du monde, qui sous Black Bear faisait figure de poney. Mais rassurons-nous quant au sort de Jockie. En cette période de coup de feu, l’effectif de la blanchisserie ne suffisait pas. On avait besoin d’une main-d’œuvre supplémentaire pour assurer la dépose des tenues dans toutes les chambres. La remarque de Jockie le désignait d’office. Au cours du séjour, une estime réciproque rapprocherait Jockie et Black Bear. Duo dont Uilleam serait l’un des plus proches. Mais, pour l’instant, Jockie et Black Bear s’affairaient à déposer les tenues. Black Bear portant à lui seul celles destinées à tout un bâtiment.

    Tous les apprentis furent ensuite conduits dans le réfectoire que sa dimension rendait propice aux rassemblements. Toutes les tables destinées aux apprentis étaient ovales et recevaient jusqu’à seize convives. Au fond de la salle, d’autres tables, légèrement surélevées sur une estrade, permettaient aux professeurs de manger tout en gardant un œil sur leurs élèves. Les apprentis furent invités à prendre place et à s’asseoir tandis que leur faisait face, debout, l’ensemble de leurs professeurs. Tour à tour chacun d’eux se présenta, déclinant ses qualités, mais également ses « faiblesses », car dans un monde où rien n’est idyllique, une personne qui ne serait pétrie que de qualités ferait désordre. Cette présentation était un moment très apprécié des apprentis et alimentait leurs conversations plusieurs jours durant. Lorsque tous les professeurs se furent présentés, le Drum Major surprit son auditoire, absorbé par le discours des différents maîtres, en s’adressant du fond de la salle d’où personne ne l’avait vu arriver. Les apprentis étaient subjugués par l’allure et la prestance du « chef », et les jeunes femmes voyaient en lui quelqu’un qui se bonifiait avec l’âge : élégant, fringant et distingué sans être pompeux, ni maniéré. Les apprentis tournèrent progressivement leur chaise vers Birl. Ce dernier en profita, toujours discourant, pour remonter tranquillement la salle. Il aimait prendre son monde à contre-pied et obliger chacun à une nouvelle volte-face, toujours effectuée avec discrétion afin qu’aucun bruit ne parasitât le discours. Ce moment amusait toujours Birl qui, imperturbable, n’en laissait rien paraître. Il traduisait aussi le cheminement de l’apprenti qui, entré à l’école, devait avec force application et travail, se rapprocher de ses maîtres ; suffisamment humbles, pour souhaiter être un jour rattrapés puis dépassés par l’élève. Sa présentation terminée, Birl invita les apprentis à rallier le professeur de leur choix. Il suffisait de se mettre en rang face à l’élu. Lorsque la distance séparant le maître des premières tables du réfectoire était comble, le groupe était complet et quittait la salle. S’ensuivait alors par petits groupes la visite guidée de l’école où les explications pratiques alternaient avec le récit des histoires ou légendes attachées à chacun des lieux.

    Eithne hésita. Lequel choisir ? Une femme ou un homme ? Un jeune ou un vétéran ? Celui qui enseignait une matière qui lui plaisait, quelqu’un d’agréable à regarder ou celui dont personne ne voudrait afin de ne pas l’abandonner ? Incapable de se décider, elle se retrouva dans le lot des indécis qui parsemaient la grande salle du réfectoire et qui, n’ayant pas su prendre le bon cheval, avaient raté la dernière diligence. Mais ils n’eurent pas le temps de se sentir abandonnés.

    — Voilà donc mon groupe !

    Les indécis se retournèrent et virent Birl. Décidément, il avait l’art et la manière d’apparaître à l’improviste sans crier gare ! À comparer, la fiente d’oiseau tombant du ciel était prévisible. On imagine aisément la joie du groupe pris en charge par le grand chef. Tous étaient déjà prêts à l’écouter. Mais c’était sans compter avec Birl. Se doutant qu’il avait là un groupe qui méritait, peut-être davantage que les autres, d’être mis en valeur, il exigea d’eux en juste contrepartie de ses commentaires avisés qu’ils réagissent et se montrent loquaces. Il entendait bien ne pas être le seul à parler. Avec l’intarissable Eithne, il n’allait pas être déçu…

    Ce qui marqua le plus Eithne fut le nombre impressionnant de tableaux qui ornaient chacune des salles. Birl y tenait beaucoup.

    — Ah ! Les tableaux de scènes de vie… Ce sont les meilleurs témoins du passé, du patrimoine historique. On ne se lasse jamais de les regarder et on y découvre toujours un détail auparavant passé inaperçu.

    C’est ainsi que l’on pouvait admirer un même paysage peint à chacune des saisons ; le portrait d’un enfant puis celui de l’homme, et du vieillard qu’il avait fini par devenir ; un manoir dont la construction progressait à chaque tableau. Eithne imaginait sur les pans de mur encore vierges les tableaux à venir et trouvait déjà des suites aux histoires racontées par Birl qui, pourtant, ne manquait jamais l’occasion de les magnifier davantage à chaque visite.

    C’est la salle d’armes qui impressionna le plus Uilleam. Son arsenal était d’une très grande richesse : épées de toutes lames, lances, flèches, haches, dagues, gourdins… tous d’excellente facture. En connaisseur, il apprécia la finition du travail, le bon équilibrage et la rutilance des lames.

    — Celui qui les a fabriquées ne peut être qu’un maître expert ! soupira-t-il.

    — Alors, vous serez peut-être de ceux-ci ! lui rétorqua le maître d’armes qu’il avait choisi de suivre lors de la visite guidée. Toutes les armes présentes ici ont été fabriquées par les élèves eux-mêmes. Un des meilleurs exemples, que nous puissions montrer d’apprentis sachant tirer profit des enseignements reçus.

    C’était précisément le maître-forgeron qu’Eimhir avait choisi de suivre. Par goût, elle aurait volontiers emboîté le pas du maître d’équitation, mais en constatant la rapidité avec laquelle sa file s’allongeait, elle s’était ravisée. Elle avait jugé préférable de faire connaissance avec celui dont les chevaux avaient tant besoin, et dont elle estimait avoir encore beaucoup à apprendre. Le point d’orgue de la visite fut d’ailleurs la forge. Elle n’en avait jamais vu d’aussi grande et fonctionnelle. Il faut dire que l’on ne se contentait pas d’y apprendre à ferrer les chevaux, mais aussi à cercler les tonneaux et les roues de charrettes, à fabriquer des armes, des bijoux, des lanternes, des chandeliers, des serrures… Tout était donc conçu pour permettre à un grand nombre d’apprentis de travailler simultanément. Elle restait fréquemment ouverte la nuit pour permettre à ceux qui le souhaitaient de faire quelques extras. Eimhir pouvait l’apercevoir depuis sa chambre. Elle voyait aussi le box de son cheval, raison pour laquelle elle avait choisi cette chambre contrairement à Eithne qui avait privilégié la vue sur la jachère fleurie.

    La visite, relativement longue, était conclue par celle des chambres où on libéra les apprentis. Chacun avait le droit à sa chambre individuelle. Birl considérait que ce « luxe » était propice aux apprentissages. Les maîtres étaient certes exigeants et certains ateliers aussi rudes que difficiles, mais on ne cherchait pas à endurcir l’apprenti. L’important était de développer ses savoir-faire, son goût pour la découverte, sa soif d’apprendre et son envie de progresser.

    Les élèves, en prenant possession de leur chambre, défaisaient leurs balluchons et préparaient leur chez-soi temporaire à leur goût. Les chambres étaient coquettes et fonctionnelles. Le mobilier était invariablement le même : un lit, un chevet, une table de travail avec un tabouret et son frère jumeau afin d’accueillir un condisciple et favoriser le travail commun, une armoire aux portes sculptées à l’effigie de la mascotte de l’école et enfin, le plus important, un grand miroir sur pied. L’apprenti était supposé y voir ce qu’il était à son arrivée et confronter ensuite son image avec celle qu’il aurait à son départ. Il semble toutefois, en particulier pour la gent féminine de l’école, que l’usage en fut tout autre et beaucoup plus fréquent. Birl jugeait la présence du miroir essentielle. Les activités réalisées par les apprentis n’étaient jamais notées ; c’était là un des principes de base de l’école. Aussi l’apprenti, le soir venu, s’il était satisfait de son application aux travaux du jour devait éprouver du plaisir à se faire face dans la glace. En réalité, on soupçonnait Birl d’avoir fait installer ces miroirs pour inciter les jeunes gens à soigner leur tenue et paraître élégants. L’apprenti devait ensuite vêtir son uniforme et y attacher son épingle de kilt.

    Rendu dans sa chambre, Uilleam dégaina son poignard et, d’un geste affirmé, trancha un seul pétale d’une des fleurs qui composaient son bouquet d’accueil. Ravi de la précision du coup, qui au demeurant ne défigurait en rien son bouquet, il prit une décision. Lui aussi apporterait sa contribution en façonnant un poignard digne de la salle d’armes.

    Eithne fut tout attendrie par le bouquet ornant sa table de nuit. Son prédécesseur l’avait savamment préparé à son attention comme la tradition de l’école l’exigeait avant de quitter définitivement sa chambre. Ces bouquets étaient toujours des modèles de recherche où les apprentis rivalisaient d’ingéniosité pour varier couleurs et parfums, et trouver l’espèce rare. Eithne apprécia tout particulièrement et parvint à identifier chacune des fleurs même si l’une d’entre elles lui échappa longtemps.

    C’est alors que le sonneur de l’école joua l’air du rassemblement. Nombreux furent ceux pris au dépourvu : jeunes gens ayant déjà fraternisé sans voir l’heure tourner, jeunes filles restées face au miroir pour s’assurer qu’elles étaient suffisamment élégantes et qu’aucun détail ne « clochait ». Eithne était du nombre. Ce fut donc en courant sur la coursive qu’elle paracheva sa tenue de ces ultimes et indispensables retouches qui changent tout. Tel un « essaim » d’oiseaux, brusquement effrayés par une détonation, tous les apprentis convergèrent en désordre vers la cour. Birl assistait à la scène depuis la coursive attenante à ses appartements. Il fit un signe au maître cuisinier pour qu’il se fige. C’était la minute de silence. Les apprentis, pétrifiés, constatèrent l’anarchie régnante. Même les troupeaux de moutons paissant au loin étaient mieux organisés. Honteux, ils réalisèrent avoir agi en enfants et mesurèrent le chemin qu’il restait à parcourir pour devenir des adultes capables de s’assumer et de subvenir aux besoins d’une famille. La discipline individuelle est source d’efficacité collective. Il avait suffi d’imposer cette pause pour que tous le comprennent. Birl réajusta ses moustaches, donnant ainsi le signal attendu par le maître cuisinier : « à la soupe ! »

    Les élèves gagnèrent le réfectoire pour profiter du seul repas qui leur serait réellement servi. Les suivants dépendraient des résultats quotidiens des groupes chasse, pêche et arts culinaires. La règle voulait qu’un apprenti ne soit jamais assis deux fois de suite à la même table ni avec les mêmes voisins. Accoutumance aux changements, brassage des personnes et des milieux, partage d’expériences étaient ainsi favorisés.

    Les épreuves du « Premier »

    Le lendemain tous les apprentis furent réunis pour organiser les groupes de travail et l’emploi du temps. Il existait, dans chaque matière, trois niveaux d’enseignement. Les débutants et assimilables postulaient à celui de « Novice ». Le niveau « Premier » était réservé à ceux dont le niveau de maîtrise approchait l’expertise. Quant au niveau « Intermediate », il regroupait tous ceux dans « l’entre-deux ».

    Les professeurs s’assirent chacun à une table. Ils y déposèrent un bol de mousse imprégnée d’encre de chardon. Ils étendirent ensuite deux rouleaux de tissu ; l’un blanc comme la neige, réservé aux « novices », l’autre jaune comme le soleil destiné aux « Premier ». Lorsque tout fut en place, Birl déclara :

    — Il incombe à chacun d’entre vous de choisir, dans chacune des matières enseignées, le niveau qui lui correspond. Votre réflexion doit être rapide, vous ne devriez pas hésiter. Aussi, lorsque le sonneur aura terminé de jouer son air vous signifierez votre choix à vos professeurs.

    Cela ne laissait guère plus d’une minute de réflexion ! La plupart des apprentis étant du niveau « Intermediate » peu nombreux seraient ceux à se lever pour apposer leur marque, sur le tissu approprié. Pour signer, l’apprenti décrochait son épingle de kilt, la trempait sur la mousse pour l’humecter d’encre de chardon puis l’apposait sur l’étoffe choisie. L’épingle de kilt, toujours placée dans la doublure latérale et sur un seul pan du tablier pour ne pas risquer de déchirer le kilt, était invariablement composée de deux parties : une base représentant l’emblème de la famille et un additif identifiant le porteur. L’emblème de la famille MacClyde était constitué d’une claymore dont le manche était figuré par un chardon. À mi-hauteur, sur une plaque figurant tant un bouclier qu’une poche de cornemuse, partaient trois bourdons reliés par une cordelette. La devise associée à cet emblème était : « Tu défendras et perpétueras les traditions des Highlands ». La plaque était gravée du motif choisi par le porteur : une tête de cheval pour Eimhir, un bouquet de fleurs pour Eithne, un poignard croisant le fer avec une flèche pour Uilleam.

    Et la cornemuse se tut... Seul un petit quart se leva pour aller dans tel ou tel enseignement à l’un des niveaux extrêmes. Les jeunes MacClyde, qui avaient reçu une éducation déjà fort complète, n’étaient pas concernés par le « Novice » et pouvaient prétendre au « Premier » pour plusieurs enseignements. Eimhir apposa son sceau sur l’équitation, Eithne sur la flore et ses usages, et Uilleam sur l’escrime et la cornemuse. Tous les postulants au « Premier » ne seraient néanmoins admis qu’après avoir passé un test prouvant qu’ils avaient le niveau requis.

    *   *   *

    Ce fut ainsi qu’Uilleam se retrouva, avec quelques-uns de ses compagnons, dans la salle d’armes. L’apprenti, après avoir choisi son épée, devait tirer contre le maître d’armes et montrer ce dont il était capable. Le plus assuré d’entre eux s’avança en premier et se dirigea vers les épées. Il les essaya pratiquement toutes, cherchant celle dont l’équilibre était le meilleur et qui, seule, pouvait convenir à son rang. Puis, satisfait de son choix, il fendit l’air de quelques coups de lame dont il savoura le sifflement, avant de se présenter face au maître. « Quand vous le sentirez ! » lui lança ce dernier qui, manchot, ne pouvait tirer que d’un bras. L’apprenti « s’escrima » à attaquer. Mais le maître resta impassible. Il se contenta de parer chacun des coups en y consacrant le moins d’énergie comme s’il cherchait à s’économiser. Du reste, il donnait

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