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L'héritage de la mer du Nord
L'héritage de la mer du Nord
L'héritage de la mer du Nord
Livre électronique293 pages4 heures

L'héritage de la mer du Nord

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À propos de ce livre électronique

Hériter d'une belle demeure est une bénédiction, même lorsqu’elle se situe le long de la côte sauvage et indisciplinée de la mer du Nord. Avec son frère, Vivienne Harcourt se joint à leur ami Archibald pour prendre possession de sa propriété balayée par le vent, à ce qu’il leur semble être l’autre bout du monde. Le mystérieux et introverti Lord Routledge, dont la présence détachée rend Vivienne à la fois incertaine et curieuse, fait également partie des convives. Sous le regard attentif du portrait de l'ancienne propriétaire, la sévère Mlle Trubright, l'isolement de la maison met les nerfs à rude épreuve, teste les amitiés et laisse apparaitre la vraie nature de chacun.

LangueFrançais
Date de sortie15 sept. 2019
ISBN9781071510438
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    Aperçu du livre

    L'héritage de la mer du Nord - Camille Oster

    Chapitre 1

    Comté de Durham, Angleterre, 1840.

    « La pluie cessera-t-elle un jour ? se plaignit Sophie en ajustant ses jupons.  Rien ne me semble complètement sec. »

    La voiture fut ballottée et Vivienne porta sa main au mur pour se préparer à la secousse. Les routes étaient particulièrement rudes et la voiture en subissait parfois les violents cahots. De la condensation perlait à l’intérieur des fenêtres ne laissant entrevoir qu’une grisaille lugubre.

    « Nous sommes au printemps, Sophie, dit Lewis.  Il pleut et pleut, et pleut encore. 

    – Oui, je vous remercie, Lewis. J’avais bien besoin qu’on me le rappelle. »

    Tout en levant les yeux au ciel, Lewis mit la main dans la poche de son manteau et en sortit un sac en papier froissé contenant des bonbons durs. « Quelqu’un ? » proposa-t-il, sans trouver preneur. Il en enfourna un dans la bouche, remit le paquet dans sa poche et reprit sa surveillance par la fenêtre.

    Cela faisait des heures et ils avaient voyagé des jours durant ; dans une région que Vivienne n’avait jamais vue auparavant. Alors que Sophie et Lewis se plaignaient des rigueurs d’un tel trajet, Vivienne adorait visiter de nouveaux endroits. Sa famille n’avait que très peu eu l’occasion de voyager durant son enfance et elle appréciait les libertés qui lui étaient désormais accordées, pourvu que son frère, John, l’accompagne. Sans lui, rien de ceci n’aurait été possible pour elle.

    « Le moins que l’on puisse dire est que je sens le sel », dit John. Il était impatient d’arriver. Son pied tressautait, de haut en bas, depuis une heure. « On ne doit plus être très loin. 

    – Je n’arrive pas à croire qu’Archie ait réussi à nous persuader de venir jusqu’ici. Au milieu de nulle part, qui plus est. Il n’escompte pas sérieusement vivre ici. 

    – Il parait que la demeure est belle », répondit Lewis.

    L’excitation de Vivienne atteignit un nouveau palier. Bien qu’elle refuse de l’admettre, elle n’avait jamais été en bord de mer. Quelques séjours à Bath, ou même Cheltenham. La plupart du temps, ils restaient simplement dans leur maison du Somerset et cela même pendant l’hiver. Sa mère n’avait jamais apprécié Londres. Par conséquent, c’est uniquement depuis qu’elle avait fait ses débuts de femme qu’elle avait eu l’occasion d’explorer la ville – autant que la bienséance le lui permettait.

    Et à présent, elle allait voir la sauvage et rude côte du Nord de l’Angleterre, ainsi que la mer. Elle tenta de distinguer l’odeur de sel dont John avait fait allusion, sans succès.

    Les chamailleries constantes entre Sophie et Lewis étaient fatigantes même s’ils avaient toujours agi ainsi. Apparemment, ils étaient de la même famille quoique distante.

    John se pencha en avant et baissa la fenêtre. Un air froid rempli la voiture emportant le peu de chaleur qu’ils avaient pu créer. Un va-et-vient constant entre l’air frais et leur chaleur. « Je suis sûr que c’est la mer au loin. Nous devons y être. »

    La route était devenue si étroite qu’elle n’était plus visible depuis les fenêtres de la voiture.

    « Je crois qu’il s’agit de cette maison, dit Lewis, sa tête à la fenêtre.  Grands Dieux, que c’est sinistre. » Sophie pressa John de s’écarter pour voir à son tour.

    « Elle est plutôt imposante cela dit, dit-elle.

    – Si votre souhait est de vivre aux portes de la civilisation. » Lewis frissonna en rentrant la tête mais Vivienne ne sut dire si c’était à cause du froid ou l’idée d’être cloitré si loin des clubs, salons et divertissements qu’offrait Londres. Ce n’était pas quelque chose que Lewis envisagerait, acceptant uniquement de quitter la ville au plus chaud de l’été. Il semblait néanmoins toujours répondre présent aux fêtes de campagne organisées par un des leurs.

    Archie prenait aujourd’hui possession d’un surprenant héritage, laissé par une tante qu’il avait à peine connue, et les avait tous invités à en être témoin. C’est du moins ce qu’il avait dit. Archie avait la fâcheuse tendance d’exagérer sa bonne fortune et de dissimuler ses pertes – de ce que Vivienne apprit. Leur hôte voyageait dans une autre voiture avec Brynnell et Horace, que Vivienne ne connaissait que très peu. Des amis d’Archie, connus à Oxford. Des types épatants, à en croire Archie et que John connaissait, il semblerait.

    La troisième voiture, où qu’elle fût, transportait la dame de compagnie de Sophie, Mme Dartmoor, et semblait avoir pris du retard. Vivienne ne l’avait pas aperçue lorsqu’ils s’étaient arrêtés pour déjeuner.

    « Ce doit être elle, dit John, en inspectant la maison à présent que Sophie avait capitulé face au mauvais temps. Elle a l’air vieille, n’est-ce pas ? Peut-être même XVIème siècle ?

    ­­­– Allez savoir, dit Lewis en mettant ses gants. Je serais heureux dans une grange tant que cela me fait sortir de cette voiture. 

    – Vous n’accepteriez jamais de passer la nuit dans une grange, dit Sophie dans un petit rire pétillant. Je vous croyais allergique aux chevaux.

    – Eh bien, cela vous en dit long sur mon désespoir. Non pas que votre compagnie ne soit pas enchanteresse, comme pourrait-elle ne pas l’être ? » Sa voix était pleine de sarcasme et, à en juger par l’expression de Sophie, elle ne l’appréciait pas.

    Du gravier crissa sous les roues de la voiture tandis qu’ils remontaient vers la maison. Construite dans une pierre grise que le mauvais temps et le manque d’entretien avaient marquée de tâches sombres de moisissures le long de la ligne de toiture ainsi qu’à tout autre endroit susceptible d’être humide.

    « Elle aurait bien besoin d’entretien », dit Sophie en sortant de la voiture assistée par John. Lewis tendit la main à Vivienne qu’elle prit en sortant à son tour avec son parapluie. En l’ouvrant, Sophie vint s’y réfugier avec elle.

    « Au moins, vous avez été prévoyante. »

    Derrière eux, ils pouvaient distinguer la voiture d’Archie au loin et la route qui comme une cicatrice venait zébrer le paysage couvert d’herbe verte. Aucun signe d’un jardin ou d’un détail particulier pour agrémenter le paysage. Une région sauvage, en conclut Vivienne.

    Une rafale de vent vint les secouer et menaça sa prise sur le parapluie. 

    « Je crois que nous ferions mieux de rentrer, dit Lewis en protégeant ses mains sous ses bras. Pour ne pas mourir de froid. »

    Il semblait faire plus froid ici qu’en ville, sans doute à cause du vent, qui tirait sur la robe et les cheveux de Vivienne.

    Un homme apparut à la porte, désormais ouverte. Un homme mince avec des cheveux gris fins et parsemés, portant un costume qui avait vu de meilleurs jours il y a quelque temps déjà. « Bienvenue, » dit-il. Vivienne nota son accent. Il ne ressemblait à aucun déjà entendu. Lewis avait, peut-être, raison en affirmant que les gens d’ici quittaient rarement cette partie de l’Angleterre ou la côte nord-ouest. La mer du Nord s’étendait au-delà de ces falaises, connue pour son climat sauvage et ses changements imprévisibles.

    La voiture d’Archie était justement en train de remonter, sa tête à la fenêtre et passant la main pour ouvrir la porte avant même qu’elle ne s’arrête. « Cela fait une sacrée trotte, n’est-ce pas ? Mais regardez. » À l’évidence, excité par ce qu’il voyait.

    « C’est une maison magnifique, à couper le souffle, dit Lewis, contredisant sa précédente allégation. Vous êtes chanceux qu’une telle fortune vous ait été accordée. Une merveille à contempler. »

    Les mains sur le dos, Archie s’étira tandis que Brynnell sortait de la voiture dans ses habits sombres qui rendaient inévitablement son teint pâle. Archie portait des vêtements dans des tons plus colorés. Quant à Horace, il préférait le marron, pour ne pas être remarqué.

    L’homme en haut de l’escalier s’éclaircit la voix et Archie leva les yeux. « Oh, oui. Je suis Archibald Percival. Je suis sûr que vous avez été informé de ma venue. Mon notaire vous a fait parvenir une lettre, je crois.

    – Nous avons bien reçu la lettre, monseigneur, » dit l’homme. À nouveau, Vivienne prêta attention à son accent. « Nous n’avions pas réalisé que vous veniez avec des invités.

    – Eh bien, évidemment que je viens avec des invités, répondit Archie. Pardonnez-moi, quel est votre nom ? 

    – Jenkins, dit l’homme.

    – Bien, dit Archie. Nous ferions mieux de nous abriter de cette pluie. 

    – Bien sûr, monseigneur », répondit l’homme en s’écartant pour leur permettre d’entrer.

    Les portes étaient en bois et cloutées. Elles avaient l’air ancien et robuste. Elles pourraient sans doute empêcher des envahisseurs d’entrer si besoin.

    Vivienne sourit à l’homme qui tenait la porte ouverte mais il ne sourit pas en retour.

    « Quel gai-luron », dit Archie alors que l’homme en question sortait pour s’occuper des cochers ainsi que de leurs malles.

    « Je ne suis pas certain qu’il apprécie que vous preniez les choses en main », dit Lewis en allumant la pipe qu’il avait tant espéré fumer. Sophie avait refusé qu’il fume dans la voiture et l’attente lui avait été insupportable.

    « Regardez, on dirait qu’il y a un salon par ici », dit Sophie. Elle se tenait devant une porte avant de disparaitre à l’intérieur. Tous la suivirent, pénétrant dans une pièce avec des boiseries sombres et de la soie sur les murs, dont la couleur rose avait déteint. Les tapis étaient usés et quelques-uns des meubles avaient fait leur temps. « Charmant, » dit Sophie, pas tout à fait sincère.

    Un feu crépitait dans l’âtre et Vivienne s’en approcha pour en absorber la chaleur. L’atmosphère de la voiture avait été confortable dans son ensemble mais le manque de mouvement l’avait laissée raide et glacée.  Ses bras étaient toujours couverts de son manteau de voyage en soie verte et elle prit le temps de se réchauffer un peu grâce au feu avant de se tourner vers John pour qu’il aide à le retirer.

    Elle l’avait fait faire l’année dernière alors qu’elle se préparait pour ses débuts. Son entrée en société s’était faite en douceur et elle devait en remercier essentiellement John qui l’avait introduite dans son groupe d’amis. Il n’était pas le genre de frère qui rechigne à inclure sa sœur et elle lui en était reconnaissante. Ses amis étaient désormais les siens, bien qu’elle en ait déjà rencontré un certain nombre auparavant, notamment lorsqu’ils étaient invités dans la maison familiale du Somerset pendant les vacances universitaires.

    En examinant ses cheveux, elle sentit que la plupart de ses épingles étaient toujours en place. La journée était trop avancée mais, fort heureusement, ils auraient un moment pour se rafraichir dans leurs chambres avant le souper. À les entendre, le personnel n’attendait pas autant de convives ce qui laissait présager que les chambres ne devaient pas être prêtes. Heureusement, ce ne fut pas le cas.

    « À boire, dit Archie tandis que Jenkins apparut sur le seuil de la porte.

    – Nous avons du xérès, répondit Jenkins et Lewis cligna des yeux à plusieurs reprises comme s’il tentait de comprendre.

    – Est-ce là tout ? 

    – J’en ai peur. Miss Trubright ne voyait pas la boisson d’un bon œil. 

    – Eh bien, nous devons y remédier. Comme vous le voyez, nous recevons du monde. Où se trouve le fournisseur le plus proche ? 

    – Ce doit être à Crimdon. 

    – Bien. Nous ferions mieux d’envoyer un homme à Crimdon pour nous approvisionner à la première occasion. Est-ce possible tout de suite ? 

    – Je vais m’en assurer, monseigneur, dit l’homme en inclinant légèrement la tête.

    – Oui, je ne pense pas que quiconque puisse tolérer ce mauvais temps sans un réconfortant, poursuivit Archie. Un peu de tout. Contrairement à Miss Trubright, je vois la boisson d’un très bon œil, tout particulièrement lorsque nous avons des invités, mais pas seulement. J’espère que c’est clair. 

    – Ce sera fait selon vos désirs, monseigneur, dit l’homme.

    – Votre tante avait l’air d’être une femme charmante, dit Sophie. Nous sommes tous sincèrement désolés de son décès. 

    – De ce que je sais, le goût et le charme lui étaient étrangers. Jamais mariée. 

    – Eh bien, si vous restez dans cette région, vous ne le serez probablement jamais non plus, dit Lewis en ajustant le bas de son manteau sur un des canapés sur lequel il venait de s’asseoir. Cela dit la société d’ici pourrait être tout à fait charmante.

    – On ne sait jamais, dit Archie. Wynyard Hall n’est pas loin. 

    – Et le château de Lambton, ajouta Sophie. Le Comte de Durham vit quelque part non loin. Son fils Morton est tellement drôle. Je suis certaine que vous allez faire des rencontres très intéressantes par ici.

    – Eh bien, merci, Sophie. Nous ne devrions pas tous sombrer dans la négativité. 

    – Oui, ne soyez pas jaloux, Lewis. Il est regrettable que vous n’ayez pas une tante célibataire pour vous léguer un vaste domaine à sa mort mais il en est ainsi. »

    Chapitre 2

    Le feu dans la chambre de Vivienne réchauffait lentement la pièce. En y entrant, elle pouvait affirmer que l’on venait de l’allumer. Tout ce qu’elle touchait lui paraissait froid, toutefois, elle se doutait que personne n’avait, depuis longtemps, occupé cette chambre. Elle avait été nettoyée à la hâte, le sol et autres surfaces encore humides.

    La maison semblait être sans dessus-dessous. Archie avait été négligent en oubliant de les informer du nombre d’invités qu’il amenait avec lui. Parfois, ce genre de détails échappait aux jeunes hommes. Ils se souciaient peu de ce qui était fait pour assurer leur confort.

    Le lit était sculpté dans du bois noir avec des colonnes torsadées à chaque coin. La soie du baldaquin avait vieilli, à l’origine bleu sombre, devinait-elle. Toute la chambre était jolie, quoique peu entretenue. Les murs étaient couverts de tapisseries qui se décollaient à certains endroits.

    En se dirigeant vers la fenêtre, elle jeta un œil dehors. Elle y voyait la mer, sombre et menaçante. Le temps s’améliorait, enfin il lui semblait. Il lui était difficile de l’affirmer. Des vagues s’écrasaient contre les rochers en contrebas et la mer chantait. L’eau s’étendait sur des miles et elle n’aurait su distinguer la mer du ciel à l’horizon.

    Sa malle se trouvait près de la porte mais n’avait pas été déballée. Il semblerait qu’aucune femme de chambre n’ait été assignée à ce genre de tâches. Sophie n’apprécierait sûrement pas mais ce n’était pas la fin du monde. Elles devraient simplement le faire elles-mêmes.

    Devant la malle, elle l’ouvrit et en sortit ses robes pour les accrocher au bord de l’armoire. Elles étaient un peu chiffonnées après leur voyage dans la malle mais le poids finirait bien par les défroisser. 

    Sans pouvoir y résister, elle retourna à la fenêtre et à la mer. A l’extérieur le long des falaises, elle aperçut le mystérieux Brynnell qui se promenait. Le vent soufflait dans son manteau et le faisait voler. Vivienne l’observa un moment. De tous les convives, il était celui qu’elle connaissait le moins. Riche, avait-elle appris ; il avait hérité de son titre et avait, dorénavant en sa possession, un beau domaine dans le Kent.

    Elle ne serait pas surprise d’apprendre qu’il était là à la demande de Sophie. De ce qu’elle avait vu, il n’était pas de nature vive et cordiale comme Lewis ou son frère. De même que Horace, qui était, à la vérité, la plupart du temps perdu dans ses pensées. Un jeune homme charmant avait toujours dit sa mère. Et il l’était, bien que Vivienne ne fût jamais certaine s’il la regardait réellement quand ses yeux se posaient sur elle.

    On frappa à la porte derrière elle. « Viv ? appela John.

    – Oui », répondit-elle et attendit qu’il fasse son entrée. Sa tête passa dans l’entrebâillement. « Ma chambre est de l’autre côté, dit-il en se dirigeant vers la fenêtre. Quelle vue, n’est-ce pas ? On pourrait presque craindre que la mer vienne nous emporter pendant notre sommeil.

    – Pourquoi dis-tu une telle chose ? » dit Vivienne. Avoir ce genre d’images en tête était la dernière chose qu’elle espérait.

    « Ah, voilà Brynnell. Je vois qu’il n’a pas perdu une seconde pour s’éloigner de nous. 

    – Le voyage a été long. Je suis certaine qu’il avait besoin de se dégourdir les jambes. 

    – Tu persistes toujours à chercher l’explication la plus innocente. » John observa la scène au dehors encore. « Imagines-tu hériter d’un tel endroit ? Au crépuscule, comme en ce moment, c’est plutôt lugubre. Ne te méprends pas, c’est une maison majestueuse, mais n’est-ce pas le genre de demeure où les gens en disgrâce vont pour se couper du reste du monde ? 

    – C’est en effet éloigné. 

    – Pourquoi même choisir de construire une maison ici ? Ils devaient mépriser autrui. 

    – Ou aimer la mer. 

    – Un amiral de la marine à la retraite qui se languit du large ? » dit-il en désignant la mer du menton.

    Ils restèrent silencieux un moment et le feu crépitait derrière eux. Ce voyage n’avait rien d’habituel mais Vivienne était contente. John avait récemment eu le cœur brisé quand la jeune femme qu’il courtisait avait accepté la demande d’un autre soupirant.

    En dépit de ses perspectives, il n’avait encore aucun titre, contrairement à Brynnell. Un gentleman avec un titre et un domaine aura toujours le dessus sur un héritier.

    « Veux-tu que nous sortions ? demanda John.

    – Je doute que nous ayons le temps avant le souper.

    – Non, dit John visiblement déçu. Tu as sans doute raison. Cela attendra demain. As-tu vu cet affreux portrait de la tante d’Archie dans la salle à manger ?

    – Non, dit Vivienne.

    – Eh bien, elle nous observera d’un air désapprobateur tandis que nous boirons son xérès ce soir. Je ne sais pourquoi mais je doute que, qui qu’ils aient pu envoyer, reviendra à temps pour le souper avec autre chose à boire. J’ignore même quelle distance il lui faudra parcourir. Je ne me souviens pas avoir vu une ville, ou ce qui ressemblait à une ville, à des heures d’ici. »

    Il alla vers la porte puis se tourna. « Xérès pour tous. » Il ferma discrètement la porte derrière lui en partant et Vivienne reporta son attention sur la scène dehors, où Lord Routledge revenait, en fumant un cigare. La fumée s’élevant dans les airs, aidée par le vent. Le froid ne semblait pas l’incommoder car il s’arrêta pour lui faire face, regardant en contrebas les vagues violentes et bouillonnantes. Vivienne se demanda à quoi pouvait-il penser. Elle ne savait que très peu de choses sur lui mais il avait l’air d’un homme troublé.

    La nuit arriva bien vite. Le temps passé à l’observer, le ciel s’était considérablement assombri. En se tournant, elle vit une bougie sur un bougeoir, avec une couche de poussière sur le bord. En revanche, aucun signe d’allumette. Une erreur de taille dans la bonne gestion d’une maison.

    Elle s’en saisit et se servit du feu pour l’allumer puis retourna vers la table de chevet. Entre le feu et la bougie, les ombres projetées sur les murs et le plafond étaient plus rares. Retournant à la fenêtre, elle espéra que Brynnell ait regagné la maison, sain et sauf. Ce n’était guère le genre d’endroit où l’on veut se trouver après la nuit tombée. Il serait tellement facile de trébucher et de débouler dans cette eau qui battait sans cesse les rochers en contrebas. Un frisson la parcourut.

    Il était temps de se refaire une beauté et elle apporta la bougie vers la table de toilette. Le miroir était maculé de tâches d’usure mais elle y voyait suffisamment pour remettre en place les épingles dans ses cheveux et pour se nettoyer de la poussière du voyage.

    Le couloir était sombre quand elle quitta sa chambre pour rejoindre le rez-de-chaussée. Aucune lampe n’avait été allumée ce qui ne lui laissait qu’une faible lumière au loin pour la guider. Un oubli sérieux ou bien la maison manquait cruellement de personnel pour s’occuper d’autant de convives. Il était heureusement probable qu’il y ait assez de nourriture pour tout le monde. Une maison comme celle-ci en aura sûrement en réserve.

    L’escalier principal était ravissant : une courbe majestueuse taillée dans du bois sombre. Une armure se tenait près de la porte, comme si elle se tenait prête à la défendre.

    « Ah, la charmante Mlle Harcourt, » dit gaiement Archie alors qu’elle pénétrait dans le salon, qui était, du moins, suffisamment éclairé pour qu’on y distingue les personnes présentes. Un feu grondait dans l’âtre et elle vit Brynnell debout près de la cheminée avec un verre

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