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Le messager d'Estergat (Moi, Mor-eldal, Tome 2)
Le messager d'Estergat (Moi, Mor-eldal, Tome 2)
Le messager d'Estergat (Moi, Mor-eldal, Tome 2)
Livre électronique501 pages7 heures

Le messager d'Estergat (Moi, Mor-eldal, Tome 2)

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À propos de ce livre électronique

Deuxième tome de la trilogie de Moi, Mor-eldal.

Tandis que j'attendais que l'alchimiste trouve un remède pour la sokwata, je me retrouvai mêlé à une intrigue mettant en jeu ma confrérie, des magiciens des Souterrains et une mystérieuse pierre mauve.

Tomes de la trilogie: Le voleur nécromant (tome 1) ; Le messager d'Estergat (tome 2) ; Le trésor des gwaks (tome 3).

LangueFrançais
Date de sortie28 déc. 2021
ISBN9781005069056
Le messager d'Estergat (Moi, Mor-eldal, Tome 2)
Auteur

Marina Fernández de Retana

I am Kaoseto, a Basque Franco-Spanish writer. I write fantasy series in Spanish, French, and English. Most of my stories take place in the same fantasy world, Hareka.Je suis Kaoseto, une écrivain basque franco-espagnole. J’écris des séries de fantasy en espagnol, français et anglais. La plupart de mes histoires se déroulent dans un même monde de fantasy, Haréka.Soy Kaoseto, una escritora vasca franco-española. Escribo series de fantasía en español, francés e inglés. La mayoría de mis historias se desarrollan en un mismo mundo de fantasía, Háreka.

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    Aperçu du livre

    Le messager d'Estergat (Moi, Mor-eldal, Tome 2) - Marina Fernández de Retana

    Notes pour la lecture

    Temps Le temps se compte en heures, jours, lunes et années. Une année comporte douze lunes ; une lune, trente jours ; une semaine, six jours (Jour-Jeune, Jour-Tonnerre, Jour-Buisson, Jour-Brume, Jour-Bonté, Jour-Sacré).

    Noms des lunes Hiver : Mauves - Ténèbres - Boues | Printemps : Pailles - Blanches - Célestes | Été : Taons - Rouges - Puits | Automne : Joies - Loups - Bourrasques

    Saïjits Les saïjits (ensemble de vingt races humanoïdes) ont une espérance de vie de 80 à 120 ans selon les endroits.

    Monnaie Miclou (pièce trouée), clou, cinclous, dixclous (de forme rhomboïdale), pièce de vingt-cinq clous, pièce d’un demi-siato, siato (100 clous ou centimes), pièce de cinq siatos, couronne (20 siatos) ; assignat de 1 siato, de 2, 5 et 20 siatos.

    1 Sous le chêne

    Oh oh oh ! Calculons,

    Ajoutons et soustrayons,

    De ça, je mets un grain,

    D’acide, un autre brin,

    Et ça fait bang et bong,

    Flammèches et zin zan zon !

    Et voilà ma potion.

    Assis sur ma paillasse, dans un coin de la pièce, je fis une moue mi-souriante mi-inquiète tout en observant l’alchimiste. Celui-ci fredonnait agitant ses flacons, faisant des mixtures et griffonnant dans son carnet.

    Cela faisait trois semaines que j’étais dans le refuge de l’alchimiste, une maison d’Atuerzo, petite mais plutôt jolie, avec jardin et tout. Je ne pouvais pas me plaindre : tout allait bien. Abéryl nous apportait à manger, ma jambe cassée était presque guérie grâce à mes sortilèges mortiques et l’alchimiste ne me posait pas de questions embarrassantes sur mes habiletés nécromanciennes et, en plus, il travaillait pour chercher un remède à la sokwata. Ou du moins, c’est ce qu’il disait. Quand je l’entendais demander à Abéryl de lui acheter certains articles pour ses expériences, je tendais toujours l’oreille attendant sa nouvelle diablerie. Il ne ratait pas une occasion. Un jour, il demandait une cruche de radrasia, un autre une grosse grappe de raisins, des alevins d’anguilles frais ou un jus de je ne sais quelles baies exotiques. Il rendait hommage à toutes ces choses en les engloutissant à peine Abéryl s’en allait. Parfois, je devais lui rappeler que j’avais deux yeux, deux oreilles et un estomac pour qu’il pense à partager avec moi.

    Bref, nous vivions tous les deux comme deux princes et à l’œil du Saint Esprit Patron. Korther ne savait pas quel genre de personne il avait aidé à échapper de la mine. Se voyant libéré de coups, de chaînes et de menaces, le gnome faisait ce que bon lui semblait. Sans doute afin de se sentir moins bousculé dans son travail, il avait tenté d’expliquer les effets de la sokwata : c’était, à ce qu’il avait affirmé, une potion de mutation qui rendait le corps dépendant du produit, mais son manque ne provoquait qu’une « forte douleur » qui pouvait être réduite, très probablement, par un calmant. Il avait donné une liste de produits, et tous s’avérèrent inefficaces. Cependant, au bout de quelques jours, j’appris par Abéryl que le Chat Noir avait déjà trouvé un remède temporaire : la karuja. C’était une drogue. Certains l’appelaient la drogue des grippe-clous, et il faut dire que c’était une drogue très chère. C’est pourquoi, pour le moment, ceux qui avaient comme moi le privilège d’avoir l’alchimiste à portée de la main, n’avaient aucun intérêt à en prendre. Le plus étrange, c’était que, visiblement, la karuja ne provoquait pas chez les sokwatas les habituels effets euphoriques et hallucinogènes. Yal, toujours prudent, disait qu’il restait à voir si cela ne provoquait pas malgré tout une certaine addiction. En tout cas, quand, une nuit, Yerris vint me rendre visite pour m’annoncer que le Prêtre se rétablissait comme un champion, je lui demandai de ne pas donner de cochonneries à mes camaros, mais de la sokwata et de la bonne. Le Chat Noir avait haussé les épaules en répliquant : comme tu voudras, shour.

    Il s’avérait maintenant que, se voyant abandonnés de toutes parts, Manras et Dil étaient entrés dans la bande du Vif. Parfois, cela m’exaspérait un peu de voir le peu de cas que Yerris faisait d’eux. On aurait dit qu’il les avait pris en grippe, juste parce que ç’avaient été des loupiots des Ojisaires. Comme si lui-même n’avait pas été aussi élevé par ceux-ci ! Si j’avais pu bouger, je serais allé les chercher et je les aurais amenés chez l’alchimiste, bravant le conseil de Yal. C’est que, d’entre tous les gwaks, ils étaient les plus susceptibles d’être reconnus par les Ojisaires qui avaient survécu à l’effondrement de la mine. Vu que le Masqué, qui nous connaissait tous, était mort, nos autres compagnons se trouvaient relativement en sécurité : les seuls signes qui auraient pu les trahir étaient les cicatrices de leurs pieds et mains.

    — « Tralali, tralala, » fredonnait l’alchimiste. « Draen. Passe-moi cette éprouvette de là-bas, tu veux bien ? »

    Je me levai avec mon bâton et lui approchai le tube de verre qu’il me montrait. Ce jour-là, l’alchimiste était particulièrement actif. En tout cas, je ne sais pas s’il cherchait réellement le remède, mais il ne fainéantait pas, ça non.

    Je l’observai tandis qu’il versait un liquide marron dans un nouvel appareil que lui avait offert Korther —un instrument « essentiel », à ce qu’il avait affirmé. Le gnome lança un sortilège brulique, sortit le produit, fit quelque mélange supplémentaire, obtint une solution verdâtre et je vis des bulles s’en échapper. Cela sentait le cadavre. Je fronçai le nez.

    — « Monsieur Wayam, » fis-je.

    L’alchimiste regardait fixement sa mixture.

    — « Mm ? »

    J’hésitai, l’examinant moi aussi. Intérieurement, je me demandais si, ce fameux jour de l’explosion, il n’avait pas perdu quelque chose d’essentiel et s’il ne feignait pas maintenant, cherchant un remède à l’aveuglette. Je ne savais pas si c’étaient les flacons, le carnet, les neurones ou quoi… mais il avait vraiment l’air d’avoir perdu quelque chose.

    — « Combien de temps vous croyez qu’il va vous falloir pour trouver le remède ? »

    Cela faisait peut-être trois jours déjà que je ne lui posais pas la question. L’alchimiste me jeta le même regard impatient que la dernière fois.

    — « Ce n’est pas bien de bousculer les professionnels, mon garçon. Plus on se presse, moins on est efficace. Tu ne veux tout de même pas que ma potion te transforme en dragonneau poilu, non ? Bon, alors : chaque chose en son temps. »

    Je soupirai.

    — « Bon. C’est rond. Vous avez besoin de moi pour quelque chose ? »

    — « Moi ? Pas du tout, gamin. Va te promener. Va-t’en dehors chanter aux marguerites. »

    Je roulai les yeux. Deux semaines plus tôt, il m’avait surpris en train de chanter aux fleurs dans le jardin et, depuis, il aimait me renvoyer avec cette phrase. Je m’éloignai avec mon bâton, quoique je ne ressente presque plus de douleur à ma jambe. Je poussai la porte, sortis dans le hall, et du hall au jardin. Il faisait chaud dehors, bien que l’automne ait déjà débuté. Pendant des jours, le ciel avait été couvert de cendres, on ne savait pas si c’était à cause d’un volcan des Montagnes de Cendre ou à cause de forts vents qui avaient soulevé la cendre du Désert de Manceniz ; en tout cas, d’après Yal, les inquiétudes et interprétations au sujet de ce nuage noir avaient fait la une de tous les grands journaux et la nouvelle de « l’effondrement rocheux » dans le Labyrinthe avait passé, comme qui dirait, inaperçue.

    J’errai entre les arbustes couverts de fleurs. Les rayons du soleil de l’après-midi illuminaient les pétales colorés et les feuilles jaunissantes du chêne au coin du jardin. Je m’assis au pied de l’arbre, sortis de ma poche ma pierre affilée et des noisettes puis me mis à les casser et à les manger avec délice. Et c’était aussi un vrai plaisir d’entendre les bourdonnements paisibles des insectes et le doux murmure de la brise. Mes yeux souriants vagabondaient de fleur en abeille, d’abeille en mouche et de mouche en nuage. Et dire que c’était grâce au Masqué que je pouvais encore contempler tout cela !

    Je venais d’enterrer les coquilles quand je vis une silhouette apparaître par le portail de derrière de la maison et je tendis le cou avant de sourire. C’était Yal. Cela faisait quatre jours que je ne le voyais pas. Le jeune Daguenoire entra et, promenant un regard sur le jardin, il me vit le saluer, la main levée, et il sourit, en s’approchant.

    — « Je ne sais pas pourquoi, je viens de me rappeler en venant ici que, ce même jour, il y a juste un an, tu étais rentré complètement saoul à la Tanière et tu chantais : vive l’automne ! »

    Son sourire s’élargit, moqueur, et je calculai. Fichtre, c’était vrai : c’était le premier Jour-Bonté de Joies. De bonne humeur, Yal s’assit à côté de moi sous l’arbre et s’enquit :

    — « Comment va ta jambe ? »

    — « Parfaitement. Je pourrais même poursuivre un lièvre en courant, ch’suis guéri, » assurai-je. « Justement, je voulais te dire, élassar, je sais que je tiens compagnie à l’alchimiste et que je le surveille et tout ça, mais… sincèrement, je sais pas si c’est nécessaire. Moi, je m’en irais bien. C’est que j’ai mes camaros, tu sais bien. Ils sont avec mon doublet le Vif et… »

    — « Mouais, » m’interrompit Yalet en se raclant la gorge. « Écoute, personne ne t’oblige à rester. De toute manière, Abéryl passe déjà rendre visite à l’alchimiste. Et, à dire vrai, je ne crois pas que ce gnome s’en aille avec toutes les commodités que lui offre Korther. »

    Je soufflai.

    — « Sûr qu’il va pas se carapater, il a l’air de s’amuser comme un fou avec ses potions. Tout de suite, il était avec un truc vert, avec une odeur de cadavres. Moi, je suis pas fou, je bois pas ça ! Bon. Alors… si je peux m’en aller, je m’en vais aussi bien cette nuit. »

    Yal acquiesça, le visage légèrement assombri.

    — « Et où est-ce que tu vas aller ? Avec le Vif ? »

    — « Pas question, pas si Syrdio le Galopeur traîne encore là-bas, » dis-je. « J’emmènerai mes camaros et j’irai dans un autre coin. Hors du Labyrinthe. Cet endroit est très bien, mais pour le moment disons que j’ai pas envie de rester par là-bas. Même avec des amulettes, il faut pas tenter la chance, » observai-je, en donnant des petits coups sur mon pendentif d’argent dissimulé sous ma chemise. Yal me l’avait rendu et, la vérité, je me réjouissais qu’il ne l’ait pas perdu. C’était, en fin de compte, la seule chose qui me restait d’une époque dont je me souvenais à peine et, visiblement, cela avait permis à Yal d’aller à Kitra et d’en revenir sans grands incidents. Par contre, moi, dès que je m’en étais séparé, les diables m’étaient tombés dessus : le puits, la sokwata, les explosions…

    Yal secoua la tête.

    — « Les Ojisaires ne sont plus un réel danger, sari. Sans la mine, le Fauve Noir se retrouve sans négoce. Les rumeurs disent qu’il est parti loin d’Estergat avec une fortune et qu’il a laissé ses sbires se débrouiller comme ils peuvent. Donne la main au diable et il te donnera un coup de poignard, comme on dit. » Il jeta une herbe qu’il avait arrachée et ajouta tranquillement : « Alors, comme ça, tu préfères la rue à cette maison ? »

    — « Rageusement, » assurai-je. « Tu sais pas comme c’est difficile de dormir avec ce gnome qui ronfle et qui me parle de choses qui font boum et d’autres qui te rendent chauve et de breuvages qui te font sortir quatre yeux, si, si, ch’te jure, il me l’a dit, » affirmai-je tandis que Yal riait. « Disons qu’on a tout le temps peur que ses mixtures explosent et que la maison saute. Je préfère la rue ; la rue, elle saute pas. À moins que… » J’hésitai et Yal me jeta un regard interrogateur. Je terminai : « À moins que Manras et Dil puissent venir avec moi à la Tanière. »

    Yal grimaça et leva les yeux vers le ciel rougeoyant du soir, en inspirant une bouffée d’air.

    — « Eh bien… Écoute, sari. D’abord, la Tanière n’existe plus. Rolg est encore… euh… en voyage, et Korther a vendu la maison. »

    Ceci me choqua plus que je ne l’aurais imaginé.

    — « Il a vendu la maison ? » répétai-je.

    — « C’est cela. À la demande de Rolg. Je crois… que tu es déjà un peu au courant de son problème. »

    Il me dévisageait avec attention et je haussai les épaules.

    — « Ben, en fait, non. Je l’ai vu… et je sais ce qu’il est. Mais ça me paraît pas si grave. »

    Yal ferma les yeux un instant et s’esclaffa.

    — « Diables. Pas si grave, qu’il dit… Dis-moi exactement ce que tu as vu. Des yeux rouges ? Des marques noires ? »

    — « Tout ça, » confirmai-je.

    — « Et tu dis que tu sais ce qu’il est ? »

    — « Un drasit, » dis-je. Et, comme Yalet arquait un sourcil, l’air de se demander ce que cela signifiait, je précisai : « Un démon. Mon maître m’a dit que je devais faire attention à ces gens parce qu’ils détestent les morts-vivants et ils disent que, eux, ils sont les êtres les plus vivants et que les morts-vivants, par contre, ils tirent la vie du morjas, et ça ne plaît pas aux drasits. Mais tu sais quoi ? Moi, je pense que ça dépend beaucoup de la personne. Peut-être que Rolg ne dirait rien s’il voyait… ma main. Mais je préfère pas essayer, hein ? On sait jamais. Ah, ch’sais pas ce qu’il lui arrivait quand je l’ai surpris… transformé. Il avait vraiment l’air d’avoir un problème. Mais ch’sais pas si c’était parce qu’il était fâché de m’avoir vu ou… Ch’sais pas, » conclus-je.

    Yal me regardait avec cette même expression qu’il avait eue, un an et demi auparavant, quand il avait appris que j’avais un maître nakrus et que je connaissais les signes interdits du caeldrique, ou morélique comme ils l’appelaient. Je lui rendis une expression interrogatrice et il s’éclaircit la voix.

    — « Eh bien… Je n’étais pas au courant pour les morts-vivants, » avoua-t-il. « On en apprend tous les jours, hein ? Mmpf. Enfin. Je ne sais pas si je devrais t’en dire plus là-dessus ; après tout, ce sont les affaires de Rolg, pas les miennes, mais… » Il hésita. « En tout cas, ne dis à personne ce que tu as vu. Si cela se savait, Rolg aurait les même ennuis que toi si… si les gardes te surprenaient avec cette main, tu comprends ? »

    Je roulai les yeux.

    — « Naturel. »

    Yal secoua doucement la tête, l’air soulagé.

    — « Bon. Écoute, Rolg a des problèmes avec l’énergie qui lui permet de se transformer en… ce que tu sais. Il lui est arrivé la même chose il y a quatre ans. Il a presque perdu le contrôle et… il dit que cela pourrait être dangereux. Pas pour lui : pour nous. C’est pour ça qu’il est parti. »

    J’acquiesçai, troublé.

    — « Mais… il reviendra, n’est-ce pas ? »

    Yal me sourit.

    — « Oui. Quand il aura repris le contrôle. »

    Je me mordis la lèvre et demandai :

    — « Korther le sait ? »

    — « Mmpf. Naturellement, Korther et lui se connaissent depuis longtemps. »

    Je le scrutai.

    — « Lui aussi… ? »

    — « Aucune idée, » avoua Yal, en m’interrompant. « Je ne le lui ai jamais demandé. Ce n’est pas le genre de choses que l’on demande comme ça, comme si de rien n’était. Korther déteste les questions personnelles. Mais il faut reconnaître que, de son côté, il n’a pas l’habitude non plus de s’immiscer dans la vie de ses confrères. Sauf… » Il grimaça et se redressa, s’écartant du tronc. « Dis-moi, Mor-eldal. Je suppose que tu es au courant que Korther sait que tu parles… morélique. Ce n’est pas moi qui lui ai dit, » assura-t-il. « Il l’a découvert cette nuit de la Wada, quand tu t’es mis à fredonner cette berceuse que t’a apprise ton maître. Moi, j’ai seulement confirmé et je lui ai dit que tu avais connu une personne dans la vallée qui t’avait appris la langue mais que je ne t’avais pas posé de questions à ce sujet. Je ne lui en ai pas dit plus. Bon. Eh bien… il se trouve qu’aujourd’hui même Korther a voulu savoir jusqu’à quel point tu savais parler morélique. Je lui ai répondu que je n’en avais aucune idée. Alors, il a demandé que tu ailles le voir dès que tu seras guéri. Il doit avoir quelque travail en rapport avec le morélique, peut-être un vieux parchemin à traduire, qui sait. Si c’est cela, je ne lui demanderais pas moins de dix clous la ligne. »

    La nouvelle aiguillonna ma curiosité et je me levai.

    — « Il est au Foyer ? »

    Yal fronça les sourcils.

    — « Une seconde. Il a dit : dès que tu seras guéri. »

    Je fis un bref geste de la main.

    — « Bouah, bouah. Je suis guéri. Tu vois pas ? »

    — « Et ce bâton ? » se moqua-t-il.

    Je le laissai contre le chêne et affirmai :

    — « Complètement guéri. Il est au Foyer ? » répétai-je.

    Yal roula les yeux et sourit.

    — « Je crois que oui. » Il se leva à son tour, avec un soupir amusé. « Tu es incapable de rester quelques jours tranquille, Mor-eldal. Je vais aller saluer l’alchimiste. Tu ne vas pas lui dire au revoir ? »

    — « Naturel ! » affirmai-je.

    Je courus jusqu’à la maison presque sans boiter, j’ouvris la porte, pointai la tête dans le laboratoire et criai :

    — « Je pars, m’sieu, ch’suis guéri ! Que les esprits veillent sur vous, sur vos ustensiles et vos potions ! »

    L’alchimiste ne détourna pas les yeux de ses instruments. Alors que je m’éloignais déjà, je l’entendis dire que je n’oublie pas de bien chanter aux marguerites ou quelque chose comme ça, je m’esclaffai et m’en allai.

    2 La pierre mauve

    La maison de l’alchimiste n’était pas loin de la frontière avec le quartier des Chats et je ne mis pas longtemps à arriver au Foyer. Je tendis l’oreille, mais la porte était si épaisse qu’on ne pouvait rien entendre à travers. Je frappai et attendis.

    Quand la porte s’ouvrit, Abéryl apparut, son cache-nez bleu bien relevé, et ses yeux d’un châtain clair tirant sur le jaune sourirent.

    — « Ciel constellé, mais c’est notre héros estropié ! »

    Je souris.

    — « Ayô, Ab. Je peux entrer ? »

    — « Mais naturellement, entre, entre donc. Tu viens pour un petit travail, n’est-ce pas ? Korther m’en a parlé. Tout de suite, il est en pleine réunion d’affaires, mais je vais l’avertir de toute façon. J’adore le déranger. Fais comme chez toi. »

    Comme il s’éloignait, passant par la porte du fond et la refermant derrière lui, je m’avançai dans la pièce. Sur la table, il y avait une petite pile de clous et, cherchant une raison pour ne pas les glisser dans ma poche, je me dis : ils ne sont pas à toi, Mor-eldal. En plus, un Daguenoire ne volait pas un autre Daguenoire. Quelle idée !

    Détournant les yeux, la curiosité me poussa à m’approcher du fauteuil de Korther. Je touchai le tissu et je remarquai qu’il était rembourré et tout. Après avoir jeté un coup d’œil sur la porte, je m’assis et soupirai, souriant. Il n’était pas mal du tout. Il était même plus confortable que ceux de la maison de Miroki Fal. Je me levai, me rassis et examinai rapidement ma jambe. Mon bandage datait de plusieurs jours déjà. J’étais en train de penser qu’il était temps de l’enlever quand la porte s’ouvrit et je me levai d’un bond. Abéryl me lança un regard blagueur.

    — « On se prépare pour devenir kap plus tard, hein ? »

    Je rougis et soufflai.

    — « Ah, non, pas du tout. Je faisais qu’essayer, c’est tout. »

    — « Bien sûr. » Je perçus clairement le coup d’œil qu’il jeta à la pile de clous avant d’ajouter : « Korther veut que tu passes dans son bureau. La réunion est déjà terminée. Vas-y. »

    Je le suivis et nous traversâmes deux pièces avant de monter des escaliers et d’arriver dans le dit bureau. Si le reste des pièces était plutôt terne, le bureau était spacieux et bien éclairé, avec toutes sortes de meubles luxueux et un grand tapis qui semblait être brodé de fils d’or. Korther était assis dans son fauteuil, en train d’écrire une lettre avec une énorme plume noire. Il leva les yeux, posa la plume et sourit.

    — « Merci, Ab. Bienvenue, galopin. Approche, approche. Comment va ta jambe ? »

    — « Guérie, » répondis-je, en m’approchant.

    Le kap avait, devant lui, une pile de feuilles, des encriers, des plumes impressionnantes et, dans sa main gauche, une petite pierre mauve ovale.

    — « Je m’en réjouis. Comment ça s’est passé avec l’alchimiste ? »

    Je pris l’air de qui ne sait pas quoi répondre et ma mine lui arracha un autre sourire. Obéissant à ses gestes, je fis le tour du bureau et il poussa vers moi une petite feuille pleine de signes.

    — « Dis-moi, galopin. Tu reconnais ces signes ? »

    Je fronçai les sourcils et examinai l’écriture.

    — « Pas beaucoup, » dis-je enfin.

    Korther arqua un sourcil.

    — « Pas beaucoup ? » répéta-t-il.

    — « C’est qu’ils ressemblent à ceux que je connais, mais ils sont pas pareils, » expliquai-je.

    — « Je comprends, » murmura Korther. « Par curiosité, où est-ce que tu les as appris ? »

    Je haussai les épaules et dis :

    — « Avec un très vieil homme. »

    Korther observa un silence et, chose étrange, voyant que je ne disais rien d’autre, il n’insista pas. Il écarta la feuille avec les signes et s’adossa contre le fauteuil en disant :

    — « Écoute, la nuit où tu m’as aidé à voler la Wada, je t’ai entendu parler… une langue étrange. Une langue que j’essaie d’apprendre depuis quelques lunes déjà et qui est plus infernale que l’owram. Tu sais de quoi je parle ? »

    J’acquiesçai calmement.

    — « Du caeldrique. »

    — « Exact, » sourit Korther. « Le caeldrique, la langue de la terre, qui, suite à certaines tueries perpétrées par les Halinasg, a fini par être connu comme le morélique, la langue des morts. » Il fit un vague geste de la main, prenant un air de conteur. « L’hystérie fut telle qu’on brûla des bibliothèques entières pour en finir avec tous les livres écrits en morélique. Dans toute la Grande République, qui s’étendait alors des montagnes des Harpons jusqu’à la Mer Blanche du Levant, on jetait au bûcher les suspects de complicité avec les Halinasg. Aujourd’hui, seuls certains spiritistes qui veulent se donner des airs macabres apprennent le morélique. Et les signes sont encore interdits. Cependant… dans les Souterrains, il se parle toujours. Et, dans les terres de l’ouest, on le considère simplement comme une langue morte, savante et oubliée. Une langue qu’apprennent les érudits. »

    Il joua avec sa pierre mauve quelques instants, pensif, et, la portant alors devant mes yeux, il ajouta :

    — « Sais-tu ce que c’est ? »

    — « Une pierre mauve ? » suggérai-je. Et comme je voyais surgir dans ses yeux reptiliens un éclat moqueur, je rectifiai : « Un diamant ? »

    — « Rien à voir avec un diamant : c’est une relique, » répliqua Korther. Il la posa sur la table et joignit les mains, racontant avec un évident plaisir : « Abéryl me l’a apportée la lune dernière. Sais-tu où il l’a trouvée ? Sur une plage des Terres de l’Aveugle. Et incroyablement, cette relique flotte. Alors, ça ne peut pas être de la pierre ordinaire. » Il fit une pause. « J’ai mis un bon moment à découvrir comment activer la relique, mais, maintenant, quand je le fais, j’arrive parfois à entendre des murmures de voix. L’autre jour, j’ai reconnu un mot en caeldrique. Quelque chose comme ilshuay. Cela signifie eau, n’est-ce pas ? »

    — « Eau salée, » approuvai-je.

    — « Encore mieux, » murmura Korther, observant la pierre avec un intérêt manifeste. « Mon intuition me dit que cette relique a une valeur incalculable. »

    Il reprit la pierre et, après avoir pris un air concentré, il leva les yeux et me la tendit :

    — « Prends-la. »

    J’hésitai, principalement parce que je ne savais pas avec quelle main la prendre, si avec la gauche, dont la peau de sokwata avait une sorte de bouclier anti-énergie, ou avec ma main squelettique qui était indétectable face aux alarmes magiques. Je choisis finalement cette dernière et saisis la pierre. Je sentis une décharge et je tressaillis, mais je ne lâchai pas la relique. Le tracé de celle-ci était si compliqué que je renonçai à le comprendre au bout de quelques secondes.

    — « Elle est activée, » dit Korther en se levant. « Ne la lâche pas. Assieds-toi et attends d’entendre les voix. Alors… » Il plaça une feuille blanche et une plume sur l’écritoire et m’invita d’un geste à m’asseoir devant, dans un fauteuil non moins confortable que le sien, en concluant : « Traduis tout ce que tu pourras. »

    J’acquiesçai et, pensant de nouveau à ces dix clous par ligne que Yal m’avait recommandé de demander, je m’enquis :

    — « Et qu’est-ce que je gagne avec ça ? »

    Korther roula les yeux.

    — « Écoute-moi, mon garçon. La première des choses, pour un bon sari, c’est de bien s’entendre avec son kap. Réfléchis. Tu ne te rappelles pas avoir reçu plus d’une récompense ces dernières semaines ? »

    Je pâlis. Fichtre.

    — « Vous voulez parler des repas, du bandage, de la maison et… et du gnome ? Hum, » fis-je avec un raclement de gorge, tandis qu’il acquiesçait calmement. « Bon. C’est rond. Alors, je traduis. »

    — « Tu traduis, » approuva Korther, souriant. « Pense que plus tu me rendras de services, plus je t’en rendrai. Et le remède de monsieur Wayam en fait partie. »

    Il était un peu prompt à affirmer que le gnome trouverait un vrai remède, pensai-je. Mais j’acquiesçai néanmoins et tournai mon attention vers la pierre mauve. Durant un long moment, nous ne dîmes rien. Je balançais les pieds et examinais la relique ; Korther écrivait une lettre avec une grande plume noire. Quand il termina, il utilisa un sceau avec de la cire noire qui représentait une dague. Il se leva, ouvrit la porte et descendit les escaliers en appelant :

    — « Ab ! »

    J’entendis des murmures en bas, le bruit d’une porte et, finalement, Korther revint. Il avait l’air de bonne humeur.

    — « Toujours rien, hein ? Parfois, des heures peuvent passer. En attendant, peut-être que tu as envie d’un peu de lecture. Yal m’a dit qu’il t’a appris à lire le drionsanais. Voyons, voyons, » dit-il en fouillant sur une de ses étagères. Il en retira un livret vert avec un petit sourire. « Peut-être celui-ci. »

    Il me le tendit et je lus le titre à voix haute :

    — « Théo-ries sur les… créa-tures infernales. »

    J’arquai les sourcils, levai le regard vers Korther et, croisant ses yeux reptiliens violets et attentifs, je déglutis. Je pariai un cinclous qu’il avait choisi ce livre exprès. Je l’ouvris néanmoins et, me recroquevillant dans mon fauteuil confortable, je commençai à lire.

    « À toute époque, dans toutes les civilisations, on trouve des légendes et des mythes, des histoires inventées ou inspirées de la réalité, qu’il s’agisse de faits historiques lointains ou déformés par le temps. L’anormal est monstrueux ou divin et, selon les peuples et les races, au cours des siècles, des évènements, traditions et créatures qui étaient autrefois ordinaires sont devenus étranges et d’autres êtres et modes de vie, à l’inverse, ont perduré et se sont normalisés. »

    Je continuai à lire sans grande illusion et j’étais déjà en train de passer à la deuxième page quand, soudain, je sentis une vibration et je baissai les yeux sur la pierre. J’entendis un doux éclat de rire et un :

    — « Bonjour ! »

    Mais je l’entendis si bas que j’eus presque du mal à le comprendre. S’ensuivirent d’autres murmures et je parvins à capter des mots : tranquille, sûr, sentier, oui, oui, fonctionner, endormi, bien, localiser, maladroit, inimaginable et… Korther me saisit brusquement par le bras et me mit la plume dans la main gauche. Je soufflai.

    — « Je les entends à peine, » protestai-je.

    — « Bon, au moins, tu les entends, c’est déjà quelque chose, » dit le kap. « Écoute-les et écris, galopin. »

    J’obéis et, laissant de côté le livre sur les créatures infernales, je m’inclinai sur la table et commençai à retranscrire en drionsanais un mot sur vingt de ceux que je comprenais, ou moins ; c’est que non seulement j’avais des problèmes pour entendre, mais j’en avais aussi pour me rappeler les signes. Comme le disait bien Korther, Yal m’avait appris à lire… pas autant à écrire. En plus, la fréquence avec laquelle Korther se levait et faisait le tour du bureau pour lire par-dessus mon épaule ne m’aidait pas à me concentrer.

    Finalement, les murmures se changèrent en susurrements inaudibles et, alors, je jetai un coup d’œil embarrassé à Korther, hésitai et me raclai la gorge.

    — « Je… j’entends plus rien, Korther. C’est cassé. »

    Le kap leva les yeux au ciel et tendit une main au-dessus du bureau pour récupérer la pierre.

    — « Elle s’est désactivée, » expliqua-t-il. « Ça lui arrive au bout d’un moment. C’est normal. »

    Je soupirai de soulagement, parce qu’avoir abîmé la relique alors que Korther semblait si enthousiasmé, cela aurait vraiment été une gaffe. Craignant qu’il l’active de nouveau et me demande de continuer, je me levai.

    — « Alors, ça y est, n’est-ce pas ? Fichtre, ma main gauche me fait mal comme si un corassier me l’avait écrasée… »

    — « C’est bon, galopin, » m’interrompit Korther, l’air mi-exaspéré mi-amusé. « Je ne crois pas que ta feuille pleine de griffonnages me serve à grand-chose, mais… tu peux t’en aller. Reviens demain à huit heures du soir et je te donnerai cinquante clous si tu fais la même chose qu’aujourd’hui. »

    Je lui adressai une expression inquisitrice. Cinquante clous pour m’esquinter la main et la patience avec une plume ? Je me mordis la langue, dissimulant mal mon sourire.

    — « Ça court, je reviens demain. »

    Korther me jeta un regard enjoué et j’étais déjà en train d’ouvrir la porte quand il s’écria :

    — « Eh, galopin ! C’est bien que tu acceptes aussi allègrement mon argent mais… fais attention à ne pas accepter l’argent de n’importe qui, hein ? Il y a des profiteurs partout : regarde comme le Fauve Noir a utilisé ses sbires. Quoi qu’en disent les mercenaires, la qualité de l’argent dépend de qui te le donne. » Il sourit. « Décampe, galopin. »

    Je lui jetai un dernier coup d’œil curieux et je sortis, fermant la porte. Je descendis les escaliers, méditant ce qu’il m’avait dit. Je savais que les Daguenoires n’accomplissaient pas uniquement des travaux proposés par les kaps : ils se débrouillaient pour gagner leur vie, ils trafiquaient, faisaient de grands vols, de la contrebande, un peu de tout. Et, forcément, ils avaient des rapports avec des gens totalement étrangers à la confrérie. Les esprits savaient pourquoi, à cet instant, Korther avait souhaité me donner un conseil plus qu’évident. Je haussai les épaules et passai dans la pièce d’entrée, où je trouvai Abéryl, les bottes sur la table et la chaise en équilibre, tambourinant d’une main sur son bras, l’air absorbé. Il ne faisait absolument rien. À part penser, peut-être.

    — « Je m’en vais, Ab, » fis-je.

    — « Ah ! Tu en as mis du temps. Je suppose que cela signifie que tu sais parler la fameuse langue interdite et diabolique. » Ses yeux bleus sourirent et je lui rendis un sourire comique. « Bonne nuit, mon garçon. »

    — « Bonne nuit ! »

    Je sortis du Foyer avec l’impression de laisser derrière moi deux êtres qui, pour les saïjits normaux, entreraient dans la catégorie des créatures infernales. C’est que j’étais pratiquement certain que Korther était un démon. Et Abéryl… Eh bien, s’il avait été saïjit, comment serait-il entré et sorti de la mine de salbronix sans même ressentir les effets de l’écume vampirique ? Je ne lui avais jamais posé la question… et je ne savais pas si je voulais connaître la réponse.

    Comme c’était nuit de fête, le quartier était animé et on entendait des instruments et des gens chanter. J’agitai énergiquement mes deux mains tout en m’engageant dans une ruelle qui descendait. J’avais encore l’impression de sentir de légères décharges dans ma main droite, et l’autre était toute engourdie à cause de la plume. Je n’avais pas tiré grand-chose au clair de tout ce que j’avais entendu à travers cette pierre mauve, mais ce que j’avais compris m’avait laissé interdit. Visiblement, la relique avait une relique sœur quelque part et, à travers celle-ci, deux personnes tentaient des sortilèges pour localiser celle qu’avait Korther. Ils avaient parlé d’énergie bréjique, de monolithes, de canaux auditifs et d’un orbe mauve et, le plus incroyable pour moi, ce fut d’entendre plusieurs fois le nom « Marévor Helith ». Je connaissais ce nom : c’était un vieil ami de mon maître, un des rares nakrus qu’il connaissait en personne. Je me rappelais encore ce que mon maître avait dit de lui, quelque chose comme :

    Pour ce qui est de l’extravagance, il n’a pas son pareil ! C’est un nakrus audacieux : la dernière fois que je l’ai vu, il partait de nouveau vers le ponant avec l’intention de devenir professeur dans une académie de saïjits. C’est un grand magariste. Une fois, il m’a offert une fleur qui ne se fanait pas. Elle a duré presque deux-cents ans. Et sais-tu ce que, moi, je lui ai offert ? Une corne pleine d’eau, pour assouvir sa soif !

    Et il avait éclaté de rire. C’était de l’humour de nakrus. Je dois dire qu’ayant été élevé par l’un d’eux, je le comprenais plus que bien. Je secouai la tête tout en marchant distraitement dans les rues.

    — « Marévor Helith, » murmurai-je.

    Cela m’intriguait de savoir que, de l’autre côté de cette pierre mauve, il y avait deux mystérieuses personnes qui connaissaient Marévor Helith. Et cela m’emplissait aussi d’émotion, parce que… bon, cela me rappelait que mon maître était encore dans les montagnes, attendant peut-être… peut-être, un os de férilompard qui n’arrivait pas.

    Je déglutis et me dis : allons, Mor-eldal, tu crois encore à cette histoire de férilompard ? Il l’a dit pour te chasser, pour que tu ailles voir le monde, les férilompards n’existent pas ! Malgré tout, je n’arrivais pas à le croire. Peut-être qu’ils n’existaient plus maintenant mais… et s’ils avaient existé autrefois ? Alors, sûr qu’il devait encore rester quelque squelette de férilompard quelque part et…

    Je secouai la tête, me moquant de moi-même. Dépendant comme je l’étais de la sokwata et avec des amis que je n’abandonnerais pas même pour cent-mille siatos… voulais-je vraiment retourner maintenant dans les montagnes avec mon maître ? Non. Il me manquait tout simplement, c’est tout.

    Je croisai une bande bruyante d’ivrognes et, quand je les eus laissés en arrière, je décidai d’enlever mon bandage. Je constatai que la cicatrice se voyait à peine. Comme ça, si quelque connaissance me voyait, elle poserait moins de questions. J’utilisai le tissu en guise de ceinture et, satisfait de mon nouvel accoutrement, j’entrai enfin droit dans le Labyrinthe.

    Je me rendis directement au refuge du Vif et constatai que l’impasse était à présent fermée avec une palissade et une porte.

    — « Bouffres, » murmurai-je, surpris.

    Je m’avançai, je tâtonnai. Je cherchai une ouverture. Il n’y en avait pas. Alors, une voix surgit d’un coin sombre :

    — « Gwak ! Tu cherches le Vif ? »

    Je perçus un tas au fond du porche d’une maison. Le visage était à moitié dissimulé derrière un chapeau élimé.

    — « Tout rond, je le cherche, » admis-je. « Tu sais où il a déménagé ? »

    — « Y’a deux jours, y’a eu une dispute avec le voisinage, et les voisins ont décidé de murer l’impasse, » commenta l’homme. « Dommage parce que ce Vif n’est pas un mauvais type. Moi à ta place, j’irais sur la Place Laine, sûr que tu trouves quelqu’un qui sait. Comme on dit, personne ne sait où sont les gwaks, mais, entre tous, les gwaks savent où est tout le monde. »

    Je souris.

    — « Naturel. Merci. Bonne nuit. »

    — « De rien. Au fait, » ajouta-t-il à voix basse. « Je sais pas si tu sais, mais y’a quelqu’un qui te suit. »

    Je me raidis et, très légèrement, je tournai la tête de côté. Je ne vis rien, mais je dis tout de même :

    — « Bouffres, merci, grand-père. »

    — « Grand-père, ta mère, j’ai trente-deux printemps. Allez, passe de bonnes fêtes. »

    — « Bonnes fêtes à toi, compère ! » lui répliquai-je, moqueur, et je m’éloignai en beuglant :

    Les voisins veulent pas de nous.

    Ils n’aiment pas les sans-clous !

    Vous chassez les gwaks

    C’est-y pas des diables ?

    La-ri-lon, la-ri-lan.

    On n’est pas des diables :

    Vous si ! Scafougnés,

    Baise-clous, isturbiés !

    Voleurs de maisons,

    Un de ces quatre, ma parole,

    C’est la rue qu’on nous vole !

    J’en profitai pour frapper du poing une porte voisine et je partis en courant. Au bout d’un moment, je me sentis boiter quelque peu et je me mis à marcher, espérant que celui qui me suivait, qui qu’il soit, m’aurait perdu de vue.

    Avant de me rendre sur la Place Laine, je décidai de passer par Le Tiroir. Je n’avais pas un clou pour me payer à manger, mais j’avais des informations. Je pouvais toujours lancer quelque phrase prometteuse, convaincre Sham de m’offrir le dîner et leur dire quelque chose du style : les Ojisaires sont partis et ils ne reviendront pas. Avec un air mystérieux et une belle histoire à raconter, sûr que quelqu’un s’apitoyait et acceptait de me payer un repas. En chemin vers la taverne, je fabriquai une histoire dans laquelle les Ojisaires avaient été attaqués par les Esprits de la Vengeance en personne et ils étaient partis à toutes jambes. J’étais encore en train de peaufiner les derniers détails quand je poussai la porte et lançai :

    — « Ayô, ayô ! Un repas pour le barde qui meurt de faim et qui a une histoire passionnante à raconter sur les Ojisaires ! Comment ça va, Sham ? »

    Je m’étais avancé rapidement et assis sur un tabouret au comptoir, et le tavernier m’adressa un sourire forcé.

    — « Ayô, barde. Euh… Tu ne vas pas encore nous raconter des histoires farfelues sur euh… les Oysaliaires ? »

    Je fronçai les sourcils et ce n’est qu’alors que je perçus l’étrange silence qui régnait dans la taverne. Les habitués murmuraient entre eux et mangeaient, détournant le regard de… Je tournai la tête et me trouvai face à face avec un géant chauve et couvert de tatouages. Il était accompagné d’un homme barbu avec un bandeau violet qui retenait une impressionnante tignasse de tresses et d’une jeune femme aux cheveux bleus enveloppée dans une longue cape noire. Tous trois

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