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mon été avec Lucifer
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Livre électronique288 pages4 heures

mon été avec Lucifer

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À propos de ce livre électronique

Il y a trois types de journées : celles où il ne se passe rien, au point où on se demande pourquoi on s’est donné la peine de sortir du lit ; celles qui sont encombrées de complications, dont le seul but est de vous empoisonner l’existence, et puis, il y a celles où un seul événement peut faire basculer votre vie.
Aujourd’hui est une journée du troisième type : spectaculaire, inattendue, aux répercussions déterminantes pour moi, pour mes amis, pour mes ennemis.
Surtout pour mes ennemis.

Lucifer, le saviez-vous ? est une flamboyante rouquine, belle comme une madone botticellienne et gaulée comme une danseuse du Crazy Horse.

Aujourd’hui, juchée sur des stilettos vertigineux et moulée dans les cuirs noirs d’un ensemble pantalon-bustier, cette madone sulfureuse me promet la jeunesse éternelle. Que feriez-vous à ma place ? Ce récit, drôle, enlevé et pétillant, est l’histoire de Mathilde, une Québécoise baby-boomer de 60 ans à qui la science et la médecine ont promis, comme à tous les baby-boomers, une santé indéfectible et la jeunesse éternelle, voire : l’immortalité.

De toute évidence, la promesse n’a été que partiellement tenue. Mathilde décide de s’adresser à quelqu’un qui a la réputation de tenir ses promesses : Lucifer. Alias Lucy Fériale. Lulu pour les intimes. Lucy est d’accord pour un pacte. Bien naturellement. Mais, en tant que femme d’affaires avisée, patronne d’une Business Unit, elle pose une condition : récupérer des âmes. Normal, c’est dans son job description.

Au début, Mathilde a des sursauts de conscience. Ça la chiffonne cette histoire de morts. Elle rechigne. Mais lorsqu’elle voit le résultat : passer de 60 à 45 ans en moins d’une semaine, avec son énergie toute requinquée, sa vitalité qui casse la baraque et une peau de pêche, elle en redemande, établit une liste, donne des noms à Lucifer

LangueFrançais
Date de sortie29 avr. 2016
ISBN9782955690505
mon été avec Lucifer
Auteur

Édith Couture Saint-André

Réfugiée climatique en France, Édith Couture Saint-André est une jeune auteure québécoise, née à Montréal. Après quelques années passées à San Francisco, elle vit à Paris où elle poursuit avec entrain sa carrière de consultante.

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    Aperçu du livre

    mon été avec Lucifer - Édith Couture Saint-André

    1

    Il y a trois types de journées : celles où il ne se passe rien, au point où on se demande pourquoi on s’est donné la peine de sortir du lit ; celles qui sont encombrées de complications, dont le seul but est de vous empoisonner l’existence, et puis, il y a celles où un seul événement peut faire basculer votre vie.

    Aujourd’hui est une journée du troisième type : spectaculaire, inattendue, aux répercussions déterminantes pour moi, pour mes amis, pour mes ennemis.

    Surtout pour mes ennemis.

    Mais, pendant que je baigne encore dans la bienheureuse ignorance de ce qui m’attend, je n’ai qu’une idée en tête, me débarrasser de la migraine qui me démonte le globe oculaire gauche. À cet effet, j’ai disposé sur la table – aux côtés de ma tasse de thé matinale – le remède miracle : deux cachets d’aspirines et un verre de jus de tomates dans lequel j’ai battu un jaune d’œuf et versé trois gouttes de Tabasco.

    Antidote éprouvé, à condition de l’avaler à jeun sinon on va vers un échec de l’opération.

    Je repose le verre vide et marque une pause prudente avant de tourner mon thé avec application. Le moindre choc sonore prendrait des proportions apocalyptiques.

    Je souhaite éviter.

    Pour la même raison, avant de me traîner, en pantoufles et pyjama, jusque dans ma cuisine, je me suis rappelé juste à temps que la fenêtre est orientée à l’Est. In extremis, j’ai cueilli au passage mes lunettes noires pour les poser sur mon nez et vissé une casquette de baseball sur ma tête. Il s’agit de filtrer les assauts du soleil qui pousse en ce moment même sa lumière insidieuse à travers les lattes du store vénitien.

    Je m’en veux d’avoir autant forcé sur le vin hier soir mais j’ai une excuse parfaitement valable. Je m’ennuyais comme un rat mort. Un dîner blind date. En milieu de semaine. À l’Auberge du Vieux Saint-Gabriel. Tout ce que je déteste.

    « Je veux te présenter le copain d’un copain » m’avait dit Sandy « le mieux, c’est de faire ça en double-date. Paraît qu’il est super. Tu vas a-do-rer Mathilde, tu verras ».

    Et j’ai vu en effet.

    Un bellâtre vieillissant et parfaitement imbu de lui-même, serré dans sa peau, son costume-cravate et ses certitudes. Chacune de ses phrases, encombrées de poncifs et d’idées reçues, commençait par « moi, je ». Sans blague, il devrait exister une loi interdisant ce genre de mec.

    Déterminée à mettre de la distance entre mon agacement et son exposé, que j’imaginais intitulé ‘ma vie, mon œuvre’, j’ai vidé plusieurs verres, très vite, et focalisé mon attention sur le pianiste. Relégué au rang de bruit de fond, le copain-du-copain en était devenu presque supportable. Sauf qu’il a eu la malencontreuse idée de me tripoter le genou sans invitation préalable de ma part. Initiative périlleuse, à effet potentiellement néfaste sur sa longévité, heureusement que le garçon avait enlevé les couteaux à viande.

    Mais que fait l’OTAN me suis-je demandé tout en vidant mon verre d’eau sur la partie sensible de son anatomie et, pendant qu’il oscillait entre fureur et incompréhension, je me suis levée. Lorsque j’ai entendu son juron, j’étais déjà loin.

    J’ai passé la porte du restaurant pour me diriger d’un pas soutenu vers la sortie de l’Auberge où j’ai demandé un taxi.

    « Vite ! Une urgence à la maison ».

    Le portier s’est précipité et, au moment de partir, j’ai entendu la voix de Sandy qui m’appelait. J’ai glissé d’une place et elle s’est jetée, hilare, sur la banquette.

    Énervée, je l’ai fusillée du regard « Sandy… »

    « Te fatigues pas, je sais. Plus jamais ça ».

    « Jure-le ! »

    Elle soupire par le nez « Bon, bon. Je le jure ».

    Je ne suis qu’à moitié tranquillisée. Je connais Sandy depuis trop longtemps, je sais qu’elle trouvera le moyen de remettre ça. Silencieuse pendant quelques minutes, je regarde les rues pleines de monde, les terrasses prises d’assaut, puis je dévie la conversation d’un cran.

    « Et le type qui t’accompagnait ? »

    « M’en fous. Devenu collant, un vrai pot de glu. J’avais l’intention de le larguer de toute façon ».

    On a quand même bien rigolé aux dépens du pot de colle et de l’air ahuri du bellâtre arrosé, jusqu’à ce que le taxi dépose Sandy devant son immeuble. Arrivée chez moi dix minutes plus tard, j’ai décidé d’aller me coucher, même s’il était encore assez tôt. Pas vraiment sommeil, pas vraiment fatiguée, non. Plutôt en overdose. J’en ai par-dessus les antennes de ce genre de soirée où tout le monde fait semblant de s’amuser, où l’on attend de moi que je sois souriante et aimable quand j’ai surtout envie de gronder et de mordre.

    Encore trois heures de foutues, trois heures de ma vie que je ne pourrai jamais récupérer me suis-je dit en m’enfouissant sous la couette.

    Pire que tout, je sais d’expérience que ce matin, Sandy est en pleine forme. Elle possède la capacité vexante d’écluser des quantités effarantes de boissons alcoolisées sans jamais souffrir du moindre effet physiologiquement nocif. Ce qui a le don de m’énerver. Pour ma part, je n’arrive plus à me remettre de ce genre d’excès aussi facilement, ni aussi rapidement que je ne le voudrais.

    Dans une grande économie de mouvement, je me ressers d’une tasse de thé, j’abaisse un peu plus la visière de ma casquette – regrettant presque de ne pas être aveugle – et, dans un sursaut de lucidité, je me rends compte que ce matin, pour cause de gueule de bois, je n’ai pas fait attention au choix de la couleur de ma tasse.

    Depuis deux ans que je suis célibataire, j’ai compensé l’absence de compagnon par de la maniaquerie et de la superstition, de l’exigence et du fétichisme. Comme le dit Sandy, on se révolte comme on peut. Toujours est-il que j’accorde à la couleur de ma ‘Tasse du Jour’ un talent d’auspice romain, censé prédire la météo émotionnelle de ma journée.

    Je soulève mes lunettes de soleil d’un micron, constate que ma tasse est blanche, signe d’une journée où tout est possible, ça me va tout à fait, je prends. De toute façon, le code est d’une grande simplicité, pas besoin d’un diplôme d’ingénieur : les tasses vertes, couleur de l’argent, sont pour l’espoir des bonnes affaires à la galerie, les bleues sont pour le beau temps ; aux jaunes j’ai attribué le bonheur simple d’une journée souriante et celles qui ont des pois blancs, peu importe la couleur de fond, c’est quand je suis de très bonne humeur sans raison précise.

    Les tasses rouges représentent la passion, sachant que, depuis que j’ai jeté mon amant de poche, elles ne servent plus à grand-chose, sinon accumuler la poussière.

    Naturellement, j’ai eu droit aux reproches de Sandy, praticienne émérite, friande d’amants jeunes, ardents et soumis.

    « Enfin Mathilde ! Il n’était pas si mal que ça ce garçon. Il pouvait encore servir. Et même si à quarante-cinq ans il approchait de sa date limite de consommation, en termes de chair fraîche s’entend, la consommation en elle-même restait thérapeutique. C’est bon pour le corps, salutaire pour le moral et ne nécessite que très peu de travaux de maintenance : au moindre signe d’usure, tu changes de Toy ».

    « Tu es d’un cynisme. Vraiment ».

    « Au contraire. Je suis réaliste. Et je ne serais pas tout le temps en train de te proposer de rencontrer des mecs si tu avais ce qu’il te faut à portée de main ».

    Sur un de ces tons je vous jure !

    Je me suis retenue de justesse.

    J’étais au bord de lui dire que je ne lui demandais rien, que c’est elle qui avait besoin de sortir tout le temps, de se sentir entourée d’hommes, que ceux-ci étaient son grand paradoxe, sa grandeur et sa ruine. Elle dit volontiers que l’idée du bonheur conjugal a le don de l’anesthésier, qualifie ses amants d’intermittents du spectacle et en change dès qu’ils donnent le moindre signe de vouloir s’incruster.

    Sa devise pourrait être : ‘consommer sans s’encombrer’.

    Malgré tout ce qu’elle a pu me dire, je ne regrette pas ma décision. Ni le mètre quatre-vingt-six-au-garrot de l’amant en question, ni sa tête d’expert-comptable qui lui donnait l’air de constamment avoir oublié quelque chose. Je l’avais élevé au rang de Boy Toy à cause de sa peau, douce comme celle d’une jeune fille et de ses longs cils noirs de prostituée. Le glas a sonné pour lui le jour où j’ai cru bon de le voir hors du lit, loin de nos chambres à coucher respectives.

    Grossière erreur de ma part que d’avoir interrompu la récré. Je reconnais.

    Je l’ai emmené prendre un verre avec quelques copains. Ordre du jour : terrasse, soleil, vin blanc et, fatalement, conversation.

    « Mes amis, nous sommes bien peu de chose » nous a-t-il appris. « Nous ne devons notre existence qu’à un coup de hasard et un coup de chance. Le hasard : des mycobactéries parasites qui se sont reproduites de façon sauvage. Le coup de chance : du calcium. Sans squelette, point d’Hommes sur terre ».

    Dans un vaste sourire auto-satisfait, il a rajouté « la mort est notre point final, suite à quoi on redevient des microbes et, terminus, tout le monde descend ».

    Il s’est tartiné le visage d’écran total, a manœuvré sa chaise pour éviter le bombardement nocif des rayons ultraviolets et commandé du thé vert.

    On s’est regardés à travers nos lunettes de soleil. Philippe lui a demandé s’il ne valait pas mieux se parfumer au fongicide pour éviter une bonne fois pour toutes une reproduction inconsidérée et sans espoir, Sandy s’était contentée de froncer du nez vers la théière avant de commander une deuxième bouteille de Saint-Véran.

    Moi, je lui ai signifié son congé le soir même, exit le Toy.

    Je ferme les yeux dans l’espoir d’accélérer la guérison du mal de tête mais au même moment mon téléphone sonne, provoquant une déflagration immédiate et meurtrière dans ma tête. La puissance de l’explosion met à rebondir tous mes neurones, façon billard électrique, contre les parois de mon crâne.

    Je saisis l’appareil, ne serait-ce que pour faire cesser le carnage.

    « Mathilde ? Sandy. Tu n’oublies pas que cet après-midi… »

    «…je t’accompagne chez le toubib. Je n’oublie pas».

    Dernière lubie de ma copine : se faire lifter. Impossible de l’en dissuader, elle ne veut rien entendre, attend de moi encouragements et soutient moral, rien d’autre. Cette grande brune aux lèvres pulpeuses, chasseresse des lignes qui partent en rayures et des bajoues en devenir, Sandy l’Américaine est devenue Sandy l’Amazone.

    Bottée, féroce et assassine, elle ne pardonne rien, anéantit les dommages collatéraux de l’âge à coup de seringues et de sérums anti-âge, s’acharne à stopper la stridulation du temps qui passe et qui refuse de l’oublier.

    Moi, ça me fout les jetons de penser qu’un type, rien que parce qu’il a trois diplômes accrochés au mur, pourrait s’approcher de moi bistouri à la main, étincelle perverse dans l’œil et sourire sadique derrière le masque.

    Aujourd’hui, je ne suis pas d’humeur à tenter quoi que ce soit pour la faire changer d’avis compte tenu que, ce matin, je serais assez d’accord pour changer de tête moi-même, histoire de me remonter le moral. Mais parce que je lui en veux encore du blind date infligé la veille, je lui dis qu’elle exagère avec cette histoire de face lift, que ça ne réglera rien, qu’elle restera sexagénaire peu importe le talent du chirurgien.

    « Et, de toute façon, ta date de naissance restera la même ma vieille ».

    « Eh, dis donc ! J’ai l’impression que tu escamotes un fait important là ».

    « Lequel ? »

    Je lui demande cela avec une absence totale de curiosité parce que je sais ce qui va suivre. Il ne se passe pas une semaine sans qu’elle nous sorte son paragraphe.

    Ça n’a pas loupé.

    « Nous sommes des baby-boomers Mathilde. Merde ! On nous a promis l’absence de maladies incurables, l’immortalité et la jeunesse éternelle. Mais qu’est-ce qu’ils foutent bordel ? » Elle ajoute avec fougue : « My God, I would kill to be twenty again ! »

    « Euh, en ce qui concerne l’immortalité, je pense que tu exagères là, non ? Et puis j’ai lu dans un magazine scientifique que les cinquantenaires d’aujourd’hui sont les trentenaires de la génération de nos parents ».

    « Quel magazine scientifique ? ELLE ou marie claire ? »

    Elle éclate de rire et moi aussi. Manifestement, je commence à aller mieux.

    Je lui dis « Dans ce cas, allons jusqu’au bout du délire. En lieu et place de la chirurgie esthétique, je te propose des boutiques spécialisées où nous pourrions nous procurer un corps tout neuf en échange du vieux. On laisse l’ancien combattant, usé par les années de tranchées, pour ressortir avec un modèle original. On demande celui qui nous va le mieux : ‘‘Grande blonde s’il vous plaît mademoiselle’’, ou ‘‘le modèle petite brune pétillante. Vous avez ça en magasin ? Génial ! Je passe en cabine d’essayage’’ ».

    Sandy se marre et me dit « Pourquoi pas ? Dans les hôpitaux on peut se procurer toutes sortes de pièces de rechange, non ? Reins, poumons, foie, cœur. On peut même obtenir un visage tout neuf si jamais on a eu un démêlé fâcheux avec notre animal de compagnie ».

    Elle rigole encore puis réfléchit quelques secondes. « Remarque, ça reste de la pièce d’occasion avec impossibilité de choisir le modèle. Ça dépanne, mais c’est moins intéressant ».

    Dix minutes plus tard, je suis sous la douche, où il m’arrive assez régulièrement de pousser la chansonnette, voire même un air d’opéra. C’est selon. Mais pas aujourd’hui. Ma conversation avec Sandy tourne en boucle dans ma tête, soulève des images peu flatteuses sur l’imminence d’une date décisive, le tournant que j’aurais voulu éviter : mon soixantième anniversaire.

    Dans exactement un mois, je ne serai pas encore vieille, mais je ne serai plus jeune et c’est moins facile à traiter qu’une migraine.

    Avant de passer sous la douche, j’ai longuement regardé mon visage dans la glace grossissante, celle qui dévoile tout et ne cache rien : relâchements, glissements de terrain, crevasses en code-barres autour des lèvres, infiltrations d’eau fixées en poches sous les yeux et je me suis interrogée : à partir de quel moment a-t-on commencé à m’appeler madame plutôt que mademoiselle ? À partir de quel âge suis-je passée du statut de jeune femme à celui de femme jeune ?

    Il y a longtemps bien sûr. Mais c’est hier soir que j’en ai accusé le coup.

    L’espace d’une minute, j’ai détesté Sandy.

    Puis, dans le but de rester positive en tant que sexagénaire en devenir, je me suis dit que si mon père avait été moins timide et réservé, il se serait marié plus tôt et je pourrais avoir cinq ans de plus, peut-être dix. La circonspection affective de mon géniteur était certainement l’une de ses plus belles qualités.

    De façon inattendue, les vapeurs d’eau de la douche ramènent dans mon conscient un rêve que j’ai fait cette nuit, dans lequel ma vie était un livre que je voulais réécrire à tout prix. Frénétique, je tentais de l’ouvrir avec les doigts, avec les ongles, avec les dents. J’ai même essayé avec un coupe-papier et un tournevis. Peine perdue.

    Le livre est resté obstinément fermé et je me suis réveillée comme on s’enfuit du lieu d’un accident : affolée, le cœur battant et les tempes en sueur.

    2

    « Par ici madame, docteur Lhomme va vous voir maintenant ».

    Sandy se lève avec l’énergie propre aux malades de la catégorie imaginaires-mais-optimistes. Transfigurée par la foi, elle est pénétrée d’une certitude : elle sortira d’ici rajeunie, grâce aux injections de Botox et d’acide hyaluronique avec, en bonus, une date fixée pour l’Opération Magique.

    Je reste à l’attendre, enchâssée dans les profondeurs d’un fauteuil, environnée de boiseries peintes, de tables en marqueterie et de tableaux que j’inspecte de l’œil critique des professionnels du métier. Pas mal. Il y a également profusion de glaces, piquées par les années, savamment distribuées, l’une au-dessus d’une cheminée au linteau de marbre, les autres entre toutes les portes-fenêtres.

    Je me demande si c’est pour pousser à la consommation ou pour admirer sans réserve le résultat post-opératoire du magicien.

    Il y a des livres aussi, quelques-uns écrits par le docteur Lhomme qui, en ce moment même, est en train d’injecter du poison dans les rides frontales de ma copine. Docteur Lhomme. Je trouve cela assez cocasse comme nom et tout à l’heure j’ai demandé à Sandy si, selon elle, il existait quelque part un Docteur Femme.

    Magazine Votre Beauté à la main elle a rigolé « tu as de ces questions parfois Mathilde ».

    « N’empêche, je ferai une recherche Google juste pour voir ».

    « Tiens-moi au courant. En attendant, tu ne veux vraiment pas profiter de l’occasion ? Je suis sûre que Lhomme te prendrait entre mon rendez-vous et le suivant ».

    « Non, merci Sandy. Je t’ai déjà dit que c’est pas pour moi ce genre de truc ».

    Railleuse, elle me jette un regard coulé « Qu’est-ce qui est ton genre de truc dis-moi ? Te laisser vieillir sans réagir ? M’étonnerait, tu sais ».

    Ce en quoi elle a presque raison. Mais, dans mon raisonnement, je ne veux pas nécessairement rajeunir. Je veux juste avoir l’air reposé, être capable de faire mes courses sans l’aide d’une liste – qu’inévitablement je perds – et chausser, quand je veux, des talons très hauts sans courir le risque de me casser la figure dans les rues pavées du Vieux Montréal, ni de déclencher une crise de sciatique. Ou de lombalgie.

    C’est pourquoi, par nostalgie et malgré ce qu’elles révèlent d’obstination suicidaire de ma part, j’ai gardé deux paires de talons aiguilles. Ma réserve pour les sorties au restaurant où j’anticipe de rester assise toute la soirée, sachant que, malgré tout, je serai réveillée vers les trois-quatre heures du matin par des crampes dans les mollets et que je devrai clopiner, orteils tordus en nœuds, jusqu’à l’armoire à pharmacie pour avaler du paracétamol.

    Bref, je voudrais que vieillir ne soit plus une fatalité, que les rides ne soient plus une malédiction. Je voudrais qu’il existe une alternative aux maisons de retraite et à la cryogénisation, que les mamies-gâteaux soient déclarées ‘espèce fonctionnellement éteinte’ par l’UNESCO.

    Bon, là, j’exagère peut-être. Mais pas tant que ça.

    Lancée, Sandy continue « paraît qu’à cinquante ans on a le visage qu’on mérite. Eh, ben moi, à soixante ans, j’estime que je mérite de choisir mon visage ».

    Elle pose son magazine sur une table et enchaîne avec son speech sur la nécessité d’un recours à la chirurgie.

    « Pour moi, c’est une question de survie ma belle. Parce que soixante ans, c’est le point de non-retour. D’ici, quand tu regardes derrière toi, tu vois ta jeunesse qui est là, toute proche. Tes belles années sont toujours visibles, encore à portée de main. Le problème c’est qu’entre toi et ces années, il y a une vitre pare-balles. Tu peux voir, mais tu ne peux plus toucher ».

    Nostalgique, elle s’arrête un moment pour faire du lèche-vitrines du côté de ses belles années, revient vers moi les yeux pleins de rancune.

    « Lorsque tu regardes devant toi, qu’est-ce que tu vois ? Le déclin dans toute sa fatalité. T’es au milieu et tu vois déjà la fin. Ze End. Pour le moment, on roule à soixante, encore pénardes. Mais dans dix ans, on prendra de la vitesse, on roulera à soixante-dix vers la ligne d’arrivée. Plus le moindre recours, même pas en cassation. Nous sommes en passe de devenir des non-personnes toi et moi. Transparentes. Invisibles à l’œil nu. On va s’en prendre plein la gueule, tu verras. Pour ma part, je refuse de rester sans rien faire devant le cataclysme qui me guette ».

    Je déteste cette façon qu’elle a d’étaler au grand jour ce qui devrait rester enfoui dans les caves sombres et humides de notre inconscient.

    Elle enfonce le clou : « Nous souffrons d’un mal incurable ma grande : la vieillesse ».

    Sandy baisse la tête et moi aussi. Recueillies, nous observons une minute de silence devant les dépouilles mortelles de nos jeunesses respectives.

    « Tu sais Sandy, Botox, acide hyalu et face lift, n’auront qu’un effet limité dans le temps ».

    « Je sais. Mais ce temps-là, je veux le mettre de mon côté ».

    Quart de tour gauche dans son fauteuil, elle se penche vers moi. « Quand je me vois dans la glace le matin, pas maquillée et la tête comme un plumeau, je voudrais avoir le droit d’aller chez le vétérinaire pour échapper au pire ».

    « Sandy ! Arrête de dire n’importe quoi, tu veux ? »

    «T’inquiète pas, va. Je n’en suis pas là ». Sourire cynique « Pas encore. Mais, sans blague, quand je constate tous les travaux de maintenance à effectuer pour éviter la casse… » Elle secoue la tête « tu te rends compte qu’on n’en fait pas autant pour entretenir nos voitures ? Je te jure que si mon corps était une bagnole je ne voudrais pas l’acheter ».

    Sandy est avec Lhomme depuis quelques minutes, mais ses paroles continuent d’occuper l’espace et m’oppressent. Sa désespérance, je ne la croyais pas si profonde. Et j’ai l’impression qu’elle cherche auprès de moi une forme d’absolution vis-à-vis de son manque de nonchalance face à l’irréversible chute de son capital cellulaire.

    Je suis d’accord pour absoudre et pardonner tout ce qu’elle veut mais, dans l’instant, j’ai surtout besoin de bouger, de penser à autre chose. Je me lève pour examiner les

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