Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

La Cascade aux Murmures: Whisper Falls
La Cascade aux Murmures: Whisper Falls
La Cascade aux Murmures: Whisper Falls
Livre électronique481 pages6 heures

La Cascade aux Murmures: Whisper Falls

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Leur relation à distance s’étale sur deux cents ans ...

Un lycéen, Mark Lewis, s'entraîne pour une course de vélo de montagne lorsqu'il aperçoit une fille étrangement vêtue, debout derrière une cascade dans les bois, près de son domicile en Caroline du Nord. Quand elle le questionne sur l'étrange machine sur laquelle il est assis, il soupçonne que quelque chose ne va pas. Lorsque Susanna prétend être une servante sous contrat de louage vivant en 1796, il se demande si elle est folle. Pourtant, il est déterminé à en apprendre davantage.

Mark entre dans une relation de "longue distance" avec Susanna à travers la barrière mystérieuse et imprévisible de Whisper Falls, la Cascade aux Murmures. Curieux de connaître son monde, Mark explore l'histoire pour découvrir tout ce qu'il peut sur la vie difficile et violente dans laquelle elle est piégée. Mais le savoir peut être dangereux. Bientôt, il devra choisir entre le risque de changer l’histoire ou de condamner une fille à laquelle il ne peut s’empêcher de penser à une vie de misère.

LangueFrançais
Date de sortie22 nov. 2019
ISBN9781071515815
La Cascade aux Murmures: Whisper Falls

Lié à La Cascade aux Murmures

Livres électroniques liés

Romance pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur La Cascade aux Murmures

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    La Cascade aux Murmures - Elizabeth Langston

    Pour Norah et Charlie...

    Nous n'avons pas oublié.

    CHAPITRE UN

    Un repaire de vices

    J’étais juchée sur un tabouret dans un coin de la salle à manger, le panier de raccommodage à mes pieds, une culotte déchirée posée sur les genoux. Je devais m’asseoir dos à la famille, c’était mieux ainsi. Si mon maître ne pouvait pas voir mes mains, il ne pouvait pas dire qu'elles étaient inoccupées.

    Un point frappa la table afin d’attirer l'attention.

    — Viens, Jedidiah, dit mon maître, c’est l’heure de tes leçons. Deborah, Dorcas, vous pouvez vous joindre à nous. Apportez vos ouvrages. 

    Chaises, bancs et chaussures s'entrechoquèrent lorsque les Pratt se retirèrent vers le petit salon.

    Je jetai la culotte dans le panier et me dépêchai de débarrasser la table, soucieuse de terminer mes corvées du soir. Au milieu des bruits de plats s’entrechoquant, la voix de M. Pratt montait et baissait au rythme de sa lecture de la Bible. Alors que je passais devant la porte du petit salon sur la pointe des pieds, mon maître marqua une pause, son regard s’arrêta sur moi et passa à son fils aîné, un message silencieux passant entre eux.

    Ce soir, je serais suivie.

    Le soleil avait déjà commencé sa descente lorsque je traversai la cour pour rejoindre le bâtiment où se trouvait la cuisine. En un rien de temps, je nettoyai la vaisselle, balayai le sol et allumai le feu. Le repas du lendemain cuisait dans des casseroles nichées parmi les braises du foyer.

    Était-il possible que mon travail soit terminé avant celui du fils de mon maître ? Je jetai un coup d'œil vers le corps de ferme.

    — Susanna ? grinça une voix venant de la porte arrière de la cuisine.

    Je me retournais, le cœur lourd. Dans ma hâte de partir, j'avais oublié l'esclave. Quel manque de délicatesse. 

    — Hector, es-tu venu pour ton souper ? il acquiesça et m’adressa un timide sourire. Je suis désolée, ce n'est pas prêt. Je vais préparer ton repas tout de suite.

    Tout en coupant le pain de maïs, je me demandais ce que je pouvais lui servir d'autre. Les Pratt avaient mangé tout le ragoût.

    — Qu'est-ce qui cuit ? demanda-t-il. Ça sent fort bon.

    — Du poulet.

    Il y avait plusieurs jours qu'Hector n'avait pas mangé de viande. J'aurais bien aimé lui en donner ce soir, mais le poulet avait-il mijoté assez longtemps ? Je soulevai le lourd couvercle du pot, j'en arrachai un morceau et le goûtai. Oui, ce serait parfait. J'ajoutai une aile de poulet et une patate douce bouillie sur la planche à découpée en bois et la tendit à Hector.

    — Et voici.

    Il sourit de nouveau, descendit les marches et courut à la grange.

    Je pouvais enfin prendre ma pause du soir, mais je ne pouvais plus espérer y aller seule. Jedidiah avait certainement terminé sa leçon de latin à présent et guettait quelque part dans l'ombre.

    Alors qu'il ne restait plus qu'une heure de lumière du jour pour me guider, je couru le long du sentier à travers les bois et me dirigeai droit vers Whisper Falls, la Cascade aux Murmures. Derrière moi, des brindilles se cassaient et des feuilles bruissaient dans un rythme anormal.

    Au sommet de la falaise, je m'agenouillai, rampai derrière un rocher et me balançai sur le rebord, les mains et les pieds glissant le long du mur de pierre. Il ne me fallut qu'un instant pour atteindre le bas. Je me glissai dans la grotte derrière la cascade, le cœur battant si fort que mon corps en tremblait.

    Au-dessus de moi, Jedidiah se faufilait parmi les hautes herbes, le chuintement de ses chaussures était faible, son pas, furtif. Je me tassai dans les profondeurs moisies de la grotte, m'appuyant contre le mur humide et essayant de suivre ses progrès.

    Le chuintement s'arrêta.

    Il n'y avait aucun bruit en dehors du chuchotement des créatures de la forêt et du murmure de la cascade. Que faisait-il ?

    Peut-être m'avait-t-il vu disparaître au bord de la falaise. Ce serait ma première erreur au cours de ces nombreuses semaines pendant lesquelles nous avions joué à ce terrible jeu de chat et de souris. Était-il en train d'attendre à l'instant, mon prochain mouvement ?

    J'attendrais plus longtemps.

    Il se mit à pleuvoir des cailloux, claquant comme des coups de feu contre la falaise de granit avant de tomber dans la rivière près de mes orteils. Je posai une main sur ma bouche pour étouffer un cri de surprise.

    — Susanna !

    Son grognement frustré flotta devant moi dans la brise chaude de mai.

    Il ne savait pas où je me trouvais.

    Le soulagement menaçait de laisser se détendre mes membres, mais je réussi à combattre ce sentiment. Il était trop tôt pour se réjouir, mais l'attente serait bientôt terminée. Jedidiah craignait les bois après la tombée de la nuit.

    Je retenais mon souffle. Vraiment, pour son propre bien, il devait rentrer chez lui.

    Ses chaussures traînèrent sur le rebord rocheux.

    Nous tendions l'oreille pour nous entendre l'un l'autre, n'admettant jamais notre défaite.

    Un hibou hulula.

    Jedidiah poussa un cri de panique. Des pas tonnèrent le long du sentier menant au village. Je relâchais mon souffle dans un sifflement, me rapprochai de l'embouchure de la grotte et jetai un coup d'œil dehors. Sa tête blonde s'agitait au loin, se fondant dans les arbres.

    Mes jambes cédèrent et je me laissai tomber sur un rocher couvert de mousse. Ce n’était pas passé loin. Je pouvais enfin me détendre et profiter de ma pause, merveilleusement seule. Mon maître n'avait jamais compris pourquoi je voulais une heure de silence, une heure sans ordres ni corvées. Il croyait que je devais avoir un secret, et rien de ce que je pouvais dire ne pouvait le convaincre du contraire. M. Pratt serait encore plus furieux s’il découvrait avec quelle facilité je me soustrayais à mon chaperon. Ce n’était pas que son fils ou moi avions l'intention de le dire. Dans un accord tacite, Jedidiah n’avait jamais mentionné mon talent pour se cacher, ni moi son incompétence en tant qu’espion.

    C'en était assez. Comme mon heure de liberté durement gagnée était en train de filer, je ne voulais pas perdre une seule autre précieuse seconde. Je sortis de la protection de la grotte, m'agenouillai sur un rocher plat et levai la tête vers la brume fraîche de la cascade. Il ne restait plus qu'à laisser les soucis de la journée disparaitre. Ce soir, je me livrai à mon rêve le plus ardent : le moment où je quitterais pour toujours la maison de mon maître. À mon dix-huitième anniversaire, mon contrat de servitude serait terminé. Je me lèverai à l'aube, emballerai mes maigres possessions et ferai le trajet d’une demi-journée à Raleigh à pied.

    Mon maître connaissait ces projets qui le rendaient fou de rage. M. Pratt détestait Raleigh. Il pensait que notre capitale était un repaire de vices.

    C’était délicieusement alléchant. Cela me rendait encore plus désireuse d'y aller.

    Pa-poum.

    Un bruit inconnu envahit mes rêveries. Je me redressai et regardai au travers du voile transparent de la Cascade aux Murmures. Sur la rive en face de moi, le bois tremblait et bourdonnait. Les ombres vacillaient et basculaient. Un jeune homme surgit au milieu des arbres, vêtu de vêtements extravagants et chevauchant une étrange bête mécanique.

    Je sautai sur mes pieds, le pouls battant. Le bon sens me demandait de partir. La curiosité me priait de rester.

    Le jeune homme descendit la colline à une allure effrayante, à cheval sur un chariot à deux roues fait de fines barres de métal. Les jambes tendues, il fila au bas de la piste, percuta la falaise et s'effondra au sol.

    Il secoua la tête, hébété, s'assit, les bras appuyés sur ses genoux pliés, et avala de grandes bouffées d'air. Puis, dans un mouvement fluide, il se leva, ramassa la machine et passa sa jambe sur son étrange selle.

    La curiosité l'emporta. Je restai.

    CHAPITRE DEUX

    D'autres tarés

    Le jour du Memorial Day, rien ne se passa comme je l'avais prévu. Il aurait été plus simple de commencer mon job d'été en tant que jardinier.

    Mon objectif était de trouver suffisamment de clients pour couvrir mes dépenses de course de VTT. Comme j’étais déjà en vacances d’été et que les écoles publiques ne fermaient pas avant deux semaines, j’avais un avantage sur la concurrence. Mes six clients de l’année dernière m'avaient de nouveau engagé et plusieurs m'avaient recommandé. J'étais en phase d'avoir autant de travail que je le désirais cette année.

    Je sortis après le déjeuner pensant partir deux ou trois heures. Mais bien sûr. J’avais oublié à quel point les gens se souciaient de leur jardin. La pelouse devait être bien épaisse, bien verte. Tous ces discours sur les pelouses m'avaient épuisé.

    Mme Joffrey, une des clientes à laquelle on m'avait recommandé, était particulièrement préoccupée par son gazon. J'avais dû l'écouter parler rien que de la hauteur du gazon pendant huit minutes. L'herbe devait mesurer exactement trois pouces et demi, pas quatre et pas trois.

    — T'as compris, Mark ?

    — Oui, madame. Trois pouces et demi.

    — Très bien. Tu commences demain matin ? Huit heures précises ?

    Je lui répondis par un signe de tête confiant d'entrepreneur expérimenté.

    — Je serai là.

    Avec un regard impatient en direction de sa montre, elle se précipita à l'intérieur.

    Je consultai également la mienne. Eh mince! Mes plans initiaux pour les vacances incluaient un très long trajet d’entraînement l’après-midi. Au lieu de cela, j’avais perdu mon temps à parler de gazon.

    Je rentrai chez moi et je montai dans ma chambre. Une pile de shorts et de maillots de vélo propres étaient posés soigneusement sur mon lit. J’enfilai ma tenue et redescendis.  Une odeur délicieuse m'arrêta à la porte du garage. Je regardai dans la cuisine.

    Maman se tenait devant la cuisinière et jetait du fromage dans une casserole de brocoli cuits à la vapeur. Une mijoteuse bouillonnait à proximité.

    — Du rôti braisé ? demandai-je.

    Elle acquiesça.

    — Avec des pommes de terre rôties.

    Mon deuxième repas fait maison préféré. Que choisir : manger frais ou faire du vélo ?

    — Ce sera prêt quand ?

    — Maintenant, dit-elle avec un sourire désolé. Je pensais que tu aurais finit de t'entraîner.

    C'est ce que je pensais moi aussi. Comme je ne pouvais pas me permettre de rater une journée d’entraînement, le repas devait attendre.

    — Est-ce que tu peux laisser ma part dans la mijoteuse pour plus tard ?  Je vais prendre une barre de protéines pour tenir.

    Son visage s'assombrit. 

    — Très bien.

    Je la fixai un instant. Elle était plus contrariée que je ne l'imaginais.

    — Quelque chose ne va pas ?

    — Pas vraiment. Elle me tournait le dos. Tu pourrais peut-être t'asseoir avec moi en mangeant ta barre.

    Je n'avais pas vraiment envie mais je ne voyais pas comment lui dire non.

    — Bien sûr, maman.

    Au moment où elle me rejoignit à table, j’avais terminé ma barre et je fixais évidemment la pendule.

    — Mark ?

    — Hum ?

    — Est-ce que tu as des nouvelles de ta sœur ?

    Ah. Elle en venait finalement au fait. Ma mère voulait parler de Marissa.

    — On se parle presque tous les jours.

    — Elle ne répond pas au téléphone quand je l'appelle.

    La voix de maman vacilla.

    Même si ma sœur avait déménagé à Denver il y a trois semaines, elle était toujours le sujet principal de conversation ici, comme je l'avais prédit. Avant de partir, Marissa avait parié avec moi vingt dollars que maman commencerait à m'étouffer moi avant le Memorial Day. Je savais que je gagnerais. Être obsédée par ma sœur était devenu un mode de vie pour maman. Elle n'allait pas perdre une mauvaise habitude si vite.

    Maman pencha la tête sur son rôti, le poussant avec une fourchette.

    — Est-ce qu'elle s'est fait des amis ?

    — Quelques-uns.

    — Est-ce qu'elle s'est déjà inscrite aux cours d'été ?

    — Non.

    Maman leva les yeux de son assiette en fronçant les sourcils.

    — Et pourquoi ça ?

    Marissa avait menti à mes parents sur la raison de son déménagement au Colorado. C'était à elle de leur dire la vérité.

    — Tu devrais lui demander.

    — Pourquoi tu ne peux pas me le dire, toi ?

    — Maman, s'il te plait.

    Elle poignarda un morceau de bœuf.

    — Est-ce que je peux utiliser ton téléphone ?

    — Non, maman. Est-ce qu'elle venait vraiment de me demander ça? Ça pourrait marcher une fois, mais Marissa ne me parlerait plus jamais après ça.

    — Tu as raison. Désolée.

    Maman avait les yeux remplis de larmes.

    C'était horrible de la voir pleurer, surtout les jours où elle portait du mascara. J'avais besoin d'aide.

    — Papa rentre quand de San Francisco ?

    Elle s'essuya le nez sur une serviette.

    — Dans deux semaines.

    Eh mince ! Si papa, l’ingénieur, avait été là, il aurait écouté maman gémir au sujet de Marissa et lui aurait ensuite expliqué de manière logique comment surmonter le problème. Comme la solution de papa n’était pas disponible, j’étais bloqué jusqu’à son retour.

    Peut-être que je devais orienter la conversation vers un sujet plus sûr.

    — Comment ça va à ton nouveau travail ?

    — Est-ce que tu es en train d'essayer de me changer les idées ?

    — Oui.

    — C’est réussi. Elle ajouta une noix de beurre à son brocoli. Le travail est difficile. Il y a beaucoup à apprendre.

    Ma mère était passée d'infirmière en traumatologie aux soins palliatifs la même semaine que Marissa avait déménagé. Le timing n'avait pas été très bon.

    — Comme quoi ?

    — Nous n'essayons pas de sauver les gens. Notre objectif est de faire en sorte que leur situation reste confortable.  C'est un état d'esprit différent. Je ne m'attendais pas à ce que ce soit aussi difficile que ça...

    Elle parla pendant un moment. Quand elle s'arrêtait pour mâcher, je lui posais des questions. J'écoutais vraiment en partie, ce qu'elle disait, même si je regardais également l'horloge.

    Papa nous sauva tous les deux en appelant. Pendant qu'elle faisait les cent pas avec le téléphone, je me dirigeais vers le garage.

    Le retard que j'avais accumulé m'obligeait à changer de route. Je ne pouvais pas m'entrainer loin de la maison si proche de la tombée de la nuit. Heureusement pour moi, il y avait une voie verte qui bordait notre quartier et reliait Umstead State Park aux autres pistes cyclables et piétonnes menant à Raleigh. Je prendrais donc la voie verte en direction d'Umstead.

    Le casque sur la tête, je traversai la cour en vélo, passai le portail en bois et montai sur le large trottoir. Personne d'autre n'était sorti pendant l'heure du dîner. C'était comme ça que j'aimais les voies vertes. Calmes. Désertes. Pas de gens ou de chiens à éviter. C'était comme si je possédais un tunnel d'arbres sombre et froid.

    À un quart de mille de la maison, un chemin de terre bifurquait du pavé de la voie verte vers une dense forêt de pins. Je tournai sur la piste défoncée, sautai sur une paire de racines et descendis une pente en direction des berges de Rocky Creek. Droit devant, je pouvais entendre murmurer la Cascade aux Murmures alors qu’elle plongeait d’une basse falaise, dans le ruisseau peu profond en contrebas. La falaise avait une pente constante. Raide, mais pas trop.

    Je ne ralentis pas en plongeant au bas de la colline. J’avais étudié un autre cycliste, un gars qui avait remporté beaucoup de premières places et qui attaquait des pentes comme celle-ci, comme s’il s’apprêtait à les casser. J'allais essayer sa technique.

    Mais pendant l’approche, j'entrai en collision en tapant un pneu dans un rocher et perdis mon équilibre.

    Ok, ça n’avait pas fonctionné. Heureusement, il y avait beaucoup de humus pour briser la chute.

    J'essayai à nouveau et allai plus loin cette fois.

    — Comme c'est insensé.

    Les mots murmurés passèrent devant moi, si faibles que j’aurais pu les imaginer. Je regardai autour de moi. Est-ce que quelqu'un m'observait ? Est-ce qu'il supposait que j’avais été stupide ? Pas que je m'en souciais, non. Pour bien m'entraîner, je devais pratiquer des techniques comme celle-ci, ce qui signifiait que je devais tomber et me retrouver le cul par terre à l'occasion. Tout cela faisait partie du processus. C’était juste énervant que quelqu'un ait pu en être témoin. 

    Je descendis la colline en vélo et m'arrêtai en bas. Rocky Creek babillait à quelques mètres de là, parsemé de rochers à intervalles irréguliers. Quand j'étais petit, j'adorais essayer de traverser le ruisseau sans me mouiller. J’avais rarement réussi.

    Les chutes d'eaux étaient ce que la voie verte avait de meilleur, et ce n’était pas seulement le rideau d’eau de huit pieds qui était intéressant. Il y avait aussi la grotte. Pas très grande ni profonde, mais étrange. Pleine de roches couvertes de mousse. Un endroit idéal pour se cacher et se détendre en étant totalement seul au milieu de la ville.

    Quelque chose rôdait près de l'embouchure de la grotte, derrière les chutes. Un rectangle de tissu semblait briller dans la lumière tamisée.

    Une ombre vacillait et bougeait. C'était une fille d'environ mon âge. Elle portait des vêtements ridicules, une chemise marron à manches longues, une jupe mi-longue et un tablier blanc fantomatique. Silencieuse et immobile, elle me fixait à travers un drap de verre liquide.

    Je me dis qu'il était à mon tour de parler.

    — Est-ce que tu m'as parlé ?

    Elle attendit avant de répondre. Quand elle parla, sa voix était basse et enrouée.

    — Ce que vous avez fait était insensé. Si vous souhaitez atteindre le sommet, vous y arriverez peut-être plus rapidement en portant votre étrange machine.

    Et voilà, une interprétation complètement fausse d'une technique parfaitement raisonnable. Le besoin de me justifier était irrésistible.

    — Je ne veux pas arriver au sommet rapidement.  Je veux y arriver sur mon vélo.

    Elle n'eut aucune réaction et se contenta de me regarder avec de grands yeux sombres dans un visage pâle et ovale.

    C'était stupide. Pourquoi ne pas laisser tomber ? La lumière du jour disparaissait alors que je perdais du temps à échanger des regards avec une Amish.

    Après avoir posé le vélo contre un arbre, je sautai de rocher en rocher le long du bord du ruisseau, en m’arrêtant sur une pierre qui me permettait d'être au plus près possible des chutes sans être aspergé.

    — Ne faites pas un pas de plus ou je crie.

    Je m'arrêtai et la regardai de plus près. La fille se tenait sur un rocher plat derrière les chutes, à seulement quelques mètres, le visage sans expression et les poings serrés contre elle. Elle avait une tête de moins que moi, maigre mais pas au point d'avoir des troubles alimentaires, des cheveux noirs cachés sous un bonnet. Ses orteils nus étaient visibles sous l'ourlet de sa jupe marron.

    Je ne pouvais pas m'arrêter de sourire. Elle n'avait rien à craindre de moi.

    — Ne crie pas. Tu es en sécurité.

    — Vraiment ? Pourquoi devrais-je vous croire ?

    — Pour commencer, il y a un vélo incroyablement cher juste derrière moi. Je n'ai pas l'intention de l'abandonner.

    — Un vélo ?  C'est ainsi que vous appelé votre étrange machine ?

    Comme si elle ne savait pas ce qu'était un vélo.

    — Exact.

    La fille était si immobile, son visage, son corps. Rien en elle ne bougeait à l'exception de ses lèvres et de ses yeux. 

    — Puis-je vous poser une question impertinente ?

    — Bien sûr.

    — Vous porter des vêtements très inhabituels. D'où venez—vous ?

    Mince, elle était vraiment trop bizarre. Est-ce que ses chaperonnes savaient où elle était ? Elles n’auraient vraiment pas dû la laisser se promener toute seule.

    — J'allais te poser la même question.

    — C'est vous l'étranger dans mon village, pas moi.

    — D’accord. Village ? Avec un demi-million d'habitants ? Je suis né et j'ai grandi à Raleigh.

    Son menton se releva brusquement. C'était la première vraie réaction que je lui voyais.

    — Vous ne pouvez dire la vérité. Raleigh est à des miles d'ici, la ville n'existait même pas lorsque vous êtes né.

    — Mais de quoi tu parles ?

    Je tournai sur mes talons et scrutai la falaise au-dessus d'elle, à la recherche de signes d'autres tarés vêtus de costumes étranges. Mais je ne vis personne.

    Un vent froid soufflait autour de moi. C’était en train de devenir louche, comme si j’étais monté sur le plateau d’une mauvaise émission de téléréalité, sauf qu’il n’y avait aucune caméra en marche nulle part que je puisse apercevoir.

    — Nous sommes à Raleigh en ce moment même et la ville existe depuis les années 1700.

    — C'est le cas, en effet. Depuis 1794, pour être précise. Il y a de cela deux ans.

    CHAPITRE TROIS

    L’incertitude derrière elle

    Qui peut bien être ce bel étranger ? Et pourquoi aurait-il proféré un mensonge si scandaleux ?

    Il avait les mains douces et lisses d’un gentleman mais le corps svelte d’un ouvrier. Il parlait comme un membre de la classe supérieure, cependant ses manières étaient trop familière. Aucun vrai gentleman n’aurait jamais parlé de manière si directe avec un domestique.

    Ses vêtements étaient à ajouter au mystère. Il portait une chemise faite de tissu vert soyeux, ajustée à la poitrine. Son chapeau ressemblait à un bol fissuré. Un pantalon noir brillant s'arrêtait au-dessus de ses genoux et il ne portait pas de bas. Je n'avais jamais vu un homme avec les jambes nues. C'était trop intéressant pour m'embarrasser réellement.

    — Tout ceci est complètement fou. Ses yeux se rétrécirent en de simples fentes. Qui es-tu ?

    Je ne voyais aucune raison de lui cacher mon nom.

    — Susanna Marsh.

    — Tu penses qu’on est en quelle année ?

    Tu penses ? Est-ce qu'il s'attendait à ce que j’invente une réponse ?

    — Nous sommes en 1796.

    Il baissa les yeux vers l'eau, le visage tendu.

    — Qui est le président ?

    — Mr. Washington. Sa question était insultante. Peut-être que je vivais dans un village mais cela ne signifiait pas que j’étais ignorante du monde extérieur. Et vous, monsieur ? Quel est votre nom ?

    — Mark Lewis.

    — Pourquoi êtes-vous venu à Worthville ?

    — Worthville ? Son regard se posa de nouveau sur le mien. Est-ce que c’est un genre de plaisanterie ?

    — Une plaisanterie ?

    Ceci était vraiment une conversation extraordinaire.

    Était-ce un déséquilibré ? Un murmure de malaise me traversa. J’étais seule et loin de la maison de mon maitre.  Personne ne m’entendrait crier. Jetant un coup d'œil par-dessus mon épaule, je mesurai la distance jusqu'à la falaise derrière moi. Si le jeune homme était fou, s'il sautait dans la grotte avec moi, à quelle vitesse pourrais-je accéder à la falaise au-dessus?

    — J’ai répondu à vos questions en toute honnêteté. Quelle partie prenait vous pour une plaisanterie ?

    — Nous ne sommes pas en 1796, dit—il en serrant les dents, comme si c'était moi qui me moquais de lui.

    — Quelle année pensez—vous que nous sommes ?

    — Rien qui ne soit proche de 1796.

    Il observa le pont de rochers qui reliait les deux côtés de la rivière en passant derrière les chutes. Il sauta sur le premier rocher, puis sur le deuxième et le troisième. Il disparut. Je me préparais à fuir, m'attendant à ce qu’il émerge de mon côté du rideau d’eau, mais il ne vint pas.

    Il se recula à portée de vue, les yeux écarquillés.

    — Où es—tu allé si vite ?

    — Je n’ai pas bougé.

    — C’est très étrange. D'un pas sur le côté, il disparut à nouveau puis réapparut instantanément. Tu promets de ne pas bouger ?

    — Je le promets.

    — Ok, très bien. Il enleva son étrange bol lui servant de chapeau, le posa sur un rebord sec et se tourna pour me faire face. Je viens vers toi.

    Il s'accroupit, prêt à bondir.

    Je reculai en arrière, trébuchant sur mon jupon et tombai dans un bruit sourd. La peur m'envahissait, submergeant rapidement mes membres. Je roulai sur mes genoux, me remis sur mes pieds et griffai la falaise, mes orteils cherchant une prise.

    Les secondes passèrent, mais aucune main ne me tira sur sol de la grotte. Je fis une pause pour regarder par—dessus mon épaule et je m’arrêtai, stoppée par la scène derrière moi.

    Le jeune homme n'avait pas traversé les chutes. Au lieu de cela, l’eau s’était courbée, l’enveloppant dans une cape de cristal et le renvoyait doucement à son rocher. C'était impossible, mais agréable à contempler.

    — Eh merde !

    Je clignai des yeux devant cet écart de langage. Il m’avait oublié pour le moment, son regard parcourant les chutes de haut en bas. Avec un grognement d'effort, il se releva de nouveau, seulement pour récolter le même résultat miraculeux.

    Il se renfrogna devant l'eau, une pointe de colère jaillissant de son menton. Quand il frappa avec son poing, la chute s’inclina mais ne céda pas.

    — Qu’est—ce qu’il se passe ? Même s'il avait murmuré, les mots traversèrent de façon claire.

    La peur oubliée, je retournai sur mon rocher préféré et me tenais à une distance respectueuse de la force de l'eau. Les chutes étaient différentes, en quelque sorte. Éblouissantes.

    La fascination me conduisit un pas plus près, puis un autre. Quand enfin, mes orteils s’agrippèrent au bord du rocher, je jetai un coup d’œil et hésitai. Les chutes martelaient les pierres en dessous, la rivière n’était qu’un chaudron d’écume bouillante.

    Oserais—je prendre le risque?

    Le jeune homme me regardait, un air de défi dans l'arcade sourcilière. Trouvait—il ma prudence enfantine? Je n’aimais pas cette possibilité. Non, pas du tout. Je pris mon courage à deux mains et m’étirai en avant jusqu'à ce que ma main brise le flot. L'eau scintillait sur mes doigts, mais ils restaient secs. Lorsque je retirai ma main, le gant scintillant disparut.

    C'était tellement agréable que j'ignorais le jeune homme, les pierres et l'écume bouillante. Je jouais dans l’écoulement, émerveillée en le voyant s’enrouler autour de mes doigts écartés comme de fins rubans de soie.

    M. Lewis leva lentement sa main et la plaqua contre la mienne, paume contre paume, doigts contre doigts.

    Je frissonnais de plaisir. C'était tout à fait inapproprié pour nous de nous toucher de cette façon, mais je ne pus rompre le contact. Les gens ne me touchaient jamais par choix. Non, ce n’était pas vraiment exact. J'avais été attrapée, poussée ou bousculée. Mais une caresse ? Jamais. C'était envoûtant.

    Il offrit son autre main et je vins également à sa rencontre pressant d'abord timidement puis avec plus de curiosité, émerveillée par sa chaleur. Nous nous touchions au travers d’une barrière chatoyante, un écran d’eau soyeuse qui ne mouillait pas.

    — D'où venez—vous ? demandais—je.

    — Je viens du vingt—et—unième siècle.

    Les mots sonnaient creux dans mes oreilles. Le vingt—et—unième siècle ? Pourquoi ? Non impossible. Il s'était mal exprimé, ou j'avais mal entendu, ou...

    J'enlevai mes mains.

    — Que voulez—vous dire ?

    — Si tu vis réellement en 1796, je ne serais pas né avant deux cents ans.

    Deux cents ans ?

    Je reculai jusqu'à ce que le mur de pierre arrête ma progression. C’était une mauvaise blague, une sottise, à mes dépens, car ce qu’il affirmait était impossible, et je ne voulais pas que M. Lewis soit un menteur.

    — Vous me taquinez. 

    — Non, pas du tout. Il fit un geste derrière lui. Tu vois cette étrange machine ? Les vélos ont été inventés autour de 1820.

    — Ce ne peut être vrai. Je secouai la tête avec force.

    — Je suis d’accord. Ça n’a aucun sens.

    M. Worth avait tonné des paroles similaires du haut de sa chaire dimanche : « Ce qui n'a aucun sens doit sûrement venir de Satan ».

    Le serment de M. Worth pourrait—il expliquer ce jeune homme? Je ne voulais pas y croire. M. Mark Lewis était trop poli, trop gentil, trop perplexe pour être un démon. Mais quelle autre explication pourrait—il y avoir?

    J'avais peut—être mangé du poulet avarié. Oui, cela devait être la cause de ce rêve incroyable. J'étais malade et très fatiguée. J’avais besoin de repos.

    — Il est temps pour moi de partir.

    Je glissai le long de la falaise par les crevasses qui servirent de barreaux à mon échelle rocheuse. D'un geste puissant, je me soulevai au—dessus de la bordure de terre qui cachait l'entrée de mon refuge.

    — Attends.

    Je persistai, ignorant la voix de velours du démon de mes rêves. Je m'engouffrai rapidement à travers les hautes herbes, puis je plongeai dans les bois qui s'assombrissaient en direction de la maison de mon maître.

    Derrière moi, la cascade murmurait : « reviens ».

    Les Pratt se retiraient toujours au crépuscule. Les bougies étaient un luxe que mon maître ne se souciait pas de gâcher.

    La maison s'était installée dans le silence, à part quelques bruit de d'écureuils qui grattaient sur les pignons. Je montai les marches étroites menant au grenier, dépouillée de ma chemise de lin et rampai sur une paillasse dans mon petit coin sous les combles.

    Pourtant, le sommeil m'échappai. Le souvenir de l'étranger hantait mes pensées. Dieu du ciel, il était beau, ses cheveux du plus foncé des châtains et ses yeux du plus riche des ambre couleur de miel. Comment le diable pourrait—il avoir un visage si charmant ou un comportement aussi chaleureux?

    L’image de son sourire s’estompa dans l’obscurité du grenier et laissa l’incertitude derrière elle. Bien sûr, le mal pouvait être attrayant. Quel meilleur moyen de tromper?

    Je me mis sur le dos et me tortillai à la recherche de confort. Au—dessus de moi, le toit s'inclinait fortement. Je tendis la main et poussai une planche lâche. L'air frais coulait à l'intérieur, me taquinant de son parfum de chèvrefeuille. La lumière des étoiles perçaient de minuscules trous blancs dans le tissu sombre du ciel nocturne.

    Reviens.

    La cascade m’avait—t—elle appelé ?  Où était—ce lui ?

    Est—il réellement possible de se parler à travers les siècles?

    Si tel était le cas, pourquoi serais—je celle qui pouvait l’entendre ?

    Peut—être que notre rencontre était un canular. Solomon Worth aurait pu comploter un tel plan. Lorsque j’avais rejeté son offre de mariage l’année dernière, il avait été scandalisé d’indignation et avait proclamé que mon ingratitude à l’égard de sa proposition devait être un signe de folie. Avait—t—il cherché à me faire douter de mes sens? Solomon avait—il engagé l'étranger pour se venger?

    J'espérais que non. Mark Lewis m’intriguait. Il parlait de choses à venir.  Je voulais qu'il soit réel.

    Un bâillement interrompit mes rêveries. Le lever du soleil approchait de plus en plus. Je devais me réveiller avant la famille pour servir leur petit—déjeuner, mais il n’y aurait ni porridge ni pain grillé qui les attendraient si je ne dormais pas bientôt.

    La planche mal fixée se remit en place, bloquant le ciel nocturne et la brise sentant le chèvrefeuille. Je souris dans le vide résonnant de ma chambre sous les toits et je priai pour faire de beaux rêves.

    CHAPITRE QUATRE

    Les filles et le vélo

    Je n’avais pas fini l’entraînement que j’avais eu l’intention de suivre ce soir, mais cela n’avait plus d’importance. Cette promenade était finie. La scène avec la fille avait brisé ma concentration.

    Il ne restait que deux marcheurs sur la voie verte, leurs ombres glissant comme des silhouettes sans tête d'arbre en arbre. Je rentrai chez moi à un rythme lent et constant mais rien dans mes pensées ne l'était. Elles filaient hors de contrôle, rejouant ce qui venait de se passer.

    Quelque chose s’était passé. Je n’étais pas fou. Mais quoi ? Quand je m’étais cogné la tête après le premier accident, est—ce que je m'étais évanoui?

    Probablement pas. Je ne m’étais pas cogné assez fort.

    Comment expliquer l'eau? Elle avait pris le contrôle sur moi, me balançant comme un jouet. Ce n’était pas mon imagination.

    Ou peut—être que si?

    Et la fille? Si j’avais rêvé pour l'eau, je l’avais rêvé elle aussi. Mais d'où serait

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1