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Brumes à Mer, l'Intégrale
Brumes à Mer, l'Intégrale
Brumes à Mer, l'Intégrale
Livre électronique1 343 pages16 heures

Brumes à Mer, l'Intégrale

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À propos de ce livre électronique

Que se passe-t-il quand une héritière décide de retrouver sa liberté ? De briser les chaînes qui la maintiennent captive depuis son enfance ? Face à une vie qu'elle n'a pas choisie, Isilda entame une quête pleine d'obstacles et de rebondissements qui la mèneront bien plus loin qu'elle ne l'aurait pensé.

 

Cette intégrale contient les trois tomes de Brumes à Mer :

 

L'Envol du Faucon

La Mort du Tigre

L'Éveil de l'Ours

 

Résumée du premier tome : 

 

Une héroïne prisonnière de sa condition d'héritière, un complot familial innommable, une histoire d'amour aussi étrange que soudaine… Et si la destinée d'Isilda n'était pas là où elle a toujours cru ?

Tant qu'elle rentrait dans le rang, tout était parfait. Cependant, que se passe-t-il lorsqu'elle décide de tenir tête à ses dirigeants ? Jusqu'où sont-ils capables d'aller pour lui briser les ailes ?

Embarquez dans un tourbillon de magie, aux notes celtiques et gothiques, empli de danger, de trahison, de rencontres, d'amour impossible et de mystère.

LangueFrançais
Date de sortie24 mai 2024
ISBN9798224600984
Brumes à Mer, l'Intégrale

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    Aperçu du livre

    Brumes à Mer, l'Intégrale - La Rose Noire

    Brumes à Mer

    Trilogie Fantastique

    La Rose Noire

    La Rose Noire

    Brissac-Quincé (49) – FRANCE

    Tous droits réservés © La Rose Noire, 2024

    Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit, est illicite et constitue une contrefaçon, aux termes des articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

    « Le Code de la propriété intellectuelle et artistique n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite » (alinéa 1er de l’article L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal. »

    L’Envol du Faucon

    Premier tome de la saga Brumes à Mer

    La Rose Noire

    Une femme d’une quarantaine d’années, aux cheveux blonds attachés en chignon, est assise à son bureau.

    Des larmes coulent le long de ses joues.

    De sa main tremblante, elle noircit de mots la page qui se trouve devant elle, à côté d’un épais tapuscrit. Son hésitation est palpable lorsque sa plume glisse au fil de son émotion.

    Si j’avais su où tout ça nous mènerait, je ne suis pas sûre que j’aurais fait les mêmes choix.

    Cette réflexion me hante parfois, même si ces événements sont à présent loin derrière moi. Bien sûr, je n’avais pas forcément d’autres options et les conséquences de mes actes ont été bien au-delà de l’imaginable.

    Du vraisemblable.

    Comment aurais-je pu deviner ce qui nous attendait ? Comment aurais-je pu, ne serait-ce qu’une seconde, émettre l’hypothèse que nous n’étions que des pions ?

    Le libre arbitre n’est qu’illusion.

    Il l’a toujours été et le restera.

    Trahie, manipulée, ensorcelée... mais sauvée.

    Une bonne amie m’a dit un jour que les sacrifices sont inévitables pour parvenir à nos fins. Ce que je ne savais pas, c’est que tôt ou tard, nous devons en payer le prix.

    Et celui-ci est lourd. Très lourd.

    C’est sûr, tu pourrais te dire que tout ça ne te touche pas, que ta vie est parfaite comme elle est.

    Mais la vérité, c’est que nous sommes tous concernés par le poids de nos dilemmes.

    D’autant plus, quand, comme moi, on est une femme dans un monde où les hommes ont tous les pouvoirs.

    Comment exister quand ton avenir ne t’appartient pas ? Quand tu découvres que ta chère liberté n’a jamais été réelle ? Que tout ce en quoi tu as cru n’était que mensonge éhonté ?

    Enchaînée à une destinée artificielle, les ailes brisées, ma guérison fut longue et douloureuse. Cependant, l’authentique vérité, celle qui vient du plus profond de notre cœur, refait toujours surface, quels que soient les moyens utilisés pour la faire taire.

    Je m’appelle Isilda et voici comment j’ai mené ma ville à une mort certaine. 

    Prologue

    Un visage de femme se dévoila dans l’eau, au milieu de l’évier. L’elfe, s’apprêtant à y plonger les racines de son orchidée malade, manqua de lâcher le pot sur le carrelage de la cuisine, au moment où une voix pleine d’écho résonna avec autorité :  

    — Il est temps de mettre notre plan à exécution Sonia.

    — Vous m’avez fait une de ces frayeurs !

    Les mains tremblantes et le cœur battant à tout rompre, elle se tourna pour poser la plante sur la table, avant de revenir près de l’étrange apparition.

    Celle-ci ne releva aucunement sa remarque.

    — Sa famille est sur le point de la trahir. Elle va bientôt être vulnérable et seule. C’est le moment idéal pour mettre un coup de pied dans la fourmilière. As-tu toujours le vieux grimoire que je t’ai donné lors de notre dernière rencontre ?

    La jeune femme blonde disparut quelques secondes de la pièce. Lorsqu’elle fut de retour, elle tenait un gros livre entre ses mains. Sa couverture abîmée, faite de cuir ancien et épais, indiquait qu’il avait traversé les âges.

    — Oui, le voici.

    — Fort bien ! ouvre-le à présent.

    L’elfe s’exécuta.

    Un bout de papier blanc, moderne et déchiré, tomba sur le sol. Elle le ramassa, puis le lut.

    Il s’agissait d’une série de chiffres.

    — Qu’est-ce que c’est ?

    Sans réponse, elle jeta un coup d’œil aux pages du grimoire. Des schémas, ainsi que des listes d’ingrédients, plus mystérieux les uns que les autres, ornaient des écrits ressemblant à des recettes et à des incantations.

    — Transmets ce livre aux Hiféins et aux Tersors, accompagné de ces coordonnées, et explique-leur que ce sont celles du point de rencontre des Alcores et des Fuméens. C’est tout ce dont ils ont besoin pour pouvoir contourner les sortilèges de protection et d’illusion de leurs ennemis.

    Sonia replaça le bout de papier, puis referma l’ouvrage.

    Le visage disparut alors de l’eau. 

    Chapitre 1

    J’avançai lentement au bord du précipice, face à la mer agitée. Tournée vers l’horizon, je fermai les yeux et inspirai profondément.

    Une délicieuse odeur iodée chatouilla mes narines.

    Je rouvris les paupières et observai le dégradé de couleurs pastel du soleil levant transpercer le ciel lourd et orageux, là où les flots se terminaient.

    J’aimais cet endroit.

    Il m’apaisait.

    Les vagues déchaînées heurtaient avec force l’immense paroi rocheuse. Le vent, encore frais pour la saison, soufflait en rafales sur la côte.

    Pourtant, je n’étais aucunement déstabilisée.

    Bien au contraire, j’adorais me retrouver sur les falaises dans ces moments-là.

    Le chant des goélands retentissait au-dessus de moi. Mes mèches blondes, presque blanches, virevoltaient autour de mon visage, alors que le reste de mes cheveux était noué en couettes basses, de chaque côté de mon crâne.

    L’odeur en provenance du large m’avait toujours fait cet effet. Enfant, ma grand-mère m’emmenait sur les hauteurs. Chaque fois que je m’y rendais, mon cœur s’emplissait de nostalgie, avant de retrouver son calme habituel.

    C’est à cet instant précis que la totalité de mes muscles se relâchait. J’avais l’impression de la retrouver, qu’elle ne m’avait jamais quittée.

    Je continuais d’avancer au bord de la falaise.

    Bientôt, j’effleurai le vide.

    Baissant les yeux, j’aperçus la brume en contrebas, au pied du piton rocheux. Par endroits, l’écume et les vagues s’écrasaient sur la roche aiguisée telle des lames acérées. Malgré mon incapacité à distinguer les rouleaux, je pouvais entendre leur lourd fracas.

    Face au ciel menaçant, je pris une longue inspiration et étendis mes bras sans peur. Les paupières à présent closes, je sautai dans le vide.

    Le souffle du vent sifflait dans mes oreilles et fouettait mes joues à mesure que je me rapprochais d’une mort inévitable.

    Toutefois, j’étais parfaitement détendue.

    Je ne craignais rien, tout se passerait sans douleur.

    Ma chute me procurait un sentiment d’ivresse.

    Tomber ainsi, sans rien pour me retenir, faisait naître en moi une puissante dose d’adrénaline.

    L’air ne parvenait plus à mes poumons, à cause de la vitesse. Il ressemblait à un mur invisible que je brisais avec force, les bras à présent rétractés le long de mon corps menu.

    Alors que m’écraser sur les rochers semblait inéluctable, je me transformai.

    Je sentis mes membres prendre de l’importance, ce qui déclencha une sensation de tiraillement un peu partout à l’intérieur de moi et de mes muscles.

    Mes os rétrécirent et s’amincirent, comme si on les compressait. Mon nez aquilin s’allongea, tout comme ma lèvre inférieure, pour former un bec sombre et crochu.

    Des plumes poussèrent sur ma peau, provoquant de nombreux picotements à la surface de mon épiderme.

    Elles composèrent bientôt mon plumage beige et cendré.

    Mes jambes s’affinèrent et mes pieds se divisèrent pour se muer en de puissantes serres jaunes. Mes yeux grossirent. Mes iris bleus firent place à deux billes noires opaques. Mon regard devint plus profond et ma vue se modifia, me rendant ainsi capable de transpercer l’épaisse couche de nuages qui se rapprochait dangereusement de moi.

    Je mis subitement fin à ma chute au niveau des vagues.

    Mes pattes se rétractèrent alors que j’étendais mes ailes. Ma respiration se bloqua à l’ouverture de mon envergure. Un choc puissant me tira tout à coup vers le haut, et je m’envolai.

    Le faucon s’était emparé de moi. Le souffle du vent frôlait mes plumes, parfois même s’engouffrait jusqu’à ma peau, me faisant frissonner.

    J’étais seule, libre, et en communion avec moi-même.

    Voler était le rêve d’Icare.

    Mes compères et moi, nous le réalisions.

    J’avais toujours aimé cette sensation unique de liberté, de voler où bon me semble, portée par les courants, dans le plus grand des anonymats.

    Ce n’était pas comme si je risquais ma vie de cette façon. J’étais bien plus en danger sur un champ de bataille. Sauter du haut des falaises, tôt le matin, me permettait de m’évader de mon quotidien, sans être vue par les humains.

    Mon animal de transformation me correspondait bien. Le faucon est vif quand il le veut, d’un grand calme le reste du temps, un peu à part chez les siens, et c’est un excellent chasseur. On retrouvait beaucoup de ces traits en moi.

    Fille du chef des Alcores, nom donné au clan des humains élémentaires de l’Air, j’étais une personne plutôt effacée et intégrée en société.

    Ainsi qu’une redoutable guerrière.

    L’élément que je maîtrisais allait lui aussi parfaitement avec mon caractère, plutôt solitaire et volontaire.

    Force tranquille, l’Air est a priori inoffensif... jusqu’à ce qu’il se déchaîne en tempête.

    Là, il fait des dégâts. Beaucoup de dégâts.

    Portée par le vent, vers le large par-delà la côte, je profitai de ce superbe spectacle que la nature m’offrait, frôlant de mes plumes l’eau mouvementée.

    Depuis plusieurs dizaines de minutes, je volais au-dessus de la mer. Je commençais à sentir des douleurs dans mes ailes. Il était temps que je me rapproche de la terre.

    Ma mission de surveillance devait se terminer, avant d’être localisée par un ennemi dans le secteur ou que mes capacités ne me lâchent brusquement.

    Je baissai la tête pour observer les flots défiler sous mes serres. L’eau agitée reflétait légèrement l’ombre du rapace que j’étais devenue. Puis je me dirigeai vers la forêt, non loin des immenses falaises rocheuses et abruptes.

    Au-dessus de la côte escarpée, une scène inhabituelle m’interpella.

    Cinq silhouettes se dessinèrent sur la plage.

    J’effectuai un virage pour me rapprocher d’elles, tout en faisant attention de ne pas être détectée.

    Elles sortaient de la mer, l’eau ruisselant sur les galets.

    Je les observai et les reconnus immédiatement.

    Il s’agissait des Fossé. Des personnes qui, comme moi et ma famille, avaient écrit l’histoire de cette ville, à travers la guerre ancestrale que nous nous vouions.

    Leur clan était ennemi du mien depuis mille ans.

    Ils se nommaient : les Hiféins.

    Ses membres maîtrisaient aussi la magie élémentaire.

    Cependant, eux, manipulaient l’Eau.

    Ils se transformaient en sirènes et hommes poissons, ou tritons suivant comment on les appelle, lorsqu’ils nageaient dans les profondeurs.

    J’arrivai dans la forêt de conifères à bout de souffle.

    Mes ailes me tiraillaient, un peu comme des crampes, et mes paupières se fermaient toutes seules.

    Restée trop longtemps au-dessus des vagues, j’en payais à présent le prix.

    Après avoir scanné les lieux de ma vision perçante, je me perchai sur une branche assez haute. Elle était suffisamment grosse pour supporter le poids d’un faucon, me permettant ainsi de me reposer. Il n’y avait aucun animal, ni même aucun bruit autour de moi.

    Pourtant, mon répit fut de courte durée.

    Mon regard se tourna vers le sol.

    Happé par un des rares rayons de soleil de la matinée, quelque chose de brillant retint mon attention.

    Je descendis de mon perchoir, sans méfiance, poussée par la curiosité, et atterris par terre.

    Vu de plus près, l’objet ressemblait à un bijou.

    Une boucle d’oreille peut-être... Mais je n’eus pas le temps de le vérifier. 

    Chapitre 2

    Une énorme masse sombre bondit sur moi pour me clouer au sol.

    La violence du choc m’empêcha de fuir. Mes plumes se dressèrent sur mon corps alors qu’un sursaut se faisait sentir dans ma poitrine.

    Je déglutis et battis des paupières.

    Sur le dos, les ailes écartées, je ressentais le poids considérable de ce qui m’empêchait de bouger.

    Deux grands yeux jaunes m’observaient intensément, comme s’ils voulaient me transpercer. Il me fallut un bon moment avant de comprendre ce qui se passait.

    Je m’apaisai soudain.

    Mon regard stupéfait s’éclaira.

    Un mélange d’amusement et d’agacement s’y reflétait à présent.

    Je repris forme humaine.

    Mes os grandirent et grossirent, comme si on m’écartelait. Les deux parties de mon bec se séparèrent pour redevenir des lèvres roses, laissant de nouveau passer l’air entre elles. Mon champ de vision diminuait à mesure que la sclère, puis le bleu de mes iris, s’emparaient de mes yeux.

    Mes membres s’étirèrent pour retrouver leur taille habituelle. Mon plumage se rétracta à l’intérieur de mon épiderme, me chatouillant le corps au passage.

    Mes vêtements, disparus momentanément grâce à la potion ajoutée à notre lessive, afin de nous permettre de ne pas avoir à nous déshabiller lors de notre métamorphose, réapparurent.

    Enfin, je sentis de nouveau ma chevelure aux reflets de blé, dans le creux de mon cou.

    La bête rugit, dévoilant ses longues canines d’un blanc étincelant. Ses griffes, presque aussi grosses que mes doigts, bloquaient avec force mes poignets, collés sur l’herbe encore humide.

    Je tentai de me relever.

    En vain.

    Elle n’était pas décidée à me libérer.

    Très peu connu, l’animal qui me retenait prisonnière errait dans les alentours de Newytown. Néanmoins, la ville ne correspondait pas à son habitat naturel.

    C’était un jaguar noir. Un félin quasi légendaire.

    Je plongeai mon regard résigné dans ses yeux perçants et ronchonnai.

    — Bien joué ! je me rends, tu as gagné.

    Le carnivore se transforma à son tour.

    Sa fourrure sombre, épaisse et parsemée de rosettes, disparut progressivement, laissant apparaître sa peau claire, sous sa chemise et son pantalon foncés.

    Ses moustaches de chat se rétractèrent au niveau de ses babines. Son corps bedonnant et sa tête massive, faits de muscles principalement, retrouvèrent la finesse des courbes humaines.

    En quelques secondes, ce n’était plus d’énormes pattes velues aux griffes acérées qui me maintenaient au sol, mais bel et bien les bras parsemés de poils et les grandes mains d’un homme que je connaissais particulièrement bien.

    — Ne t’habitue pas trop à gagner contre moi... La prochaine fois, je te battrai ! m’exclamai-je.

    — Tu dis toujours ça et c’est moi qui l’emporte à chaque fois. Tu devrais le savoir depuis le temps Isilda, j’ai toujours ce que je veux !  

    Ses derniers mots me déclenchèrent un frisson.

    Simon arborait un regard amusé. Il savait pertinemment que je n’avais aucune chance face à lui, et moi aussi. C’était de la pure provocation, liée à un élan d’orgueil.

    Je n’étais pas une bonne perdante et ne l’avais jamais été, tout comme cet énergumène.

    Il était d’ailleurs pire que moi de ce côté-là.

    Plus jeune que lui de deux ans, j’avais grandi et passé mon enfance avec sa sœur. À vingt-cinq ans, il était grand par la taille, plutôt mince, bien que musclé, possédait de longs cheveux châtains, lisses, qui tiraient vers le noir, descendant jusqu’aux épaules.

    Simon maîtrisait le Feu et avait été élevé par ses parents dans l’optique de devenir un jour le dirigeant des Fuméens.

    Comme tous les fils de chef de clan, c’était un guerrier. Une véritable machine à tuer, programmée depuis sa plus tendre enfance dans la violence et la haine de ses ennemis.

    Nos deux familles étaient alliées et amies depuis le début des affrontements.

    Bloquée depuis un petit moment par terre, les poignets endoloris, je n’avais qu’une envie, me remettre sur mes jambes.

    Je soupirai de lassitude.

    — Aide-moi, s’il te plaît.

    Je formulai ces quelques mots sur un ton ferme.

    Simon s’exécuta sans quitter son sourire carnassier.

    Après tout, il avait gagné. Aucune raison de continuer à m’humilier plus longtemps.

    Il me tendit sa main et je la saisis pour me relever.

    Gardant une certaine amertume de son piège grotesque, je le remerciai rapidement, avec dédain.

    Malgré sa silhouette qui me dominait d’une vingtaine de centimètres, il ne m’impressionnait guère.

    À présent debout, j’époussetai mon jean, avant de brusquement tourner la tête.

    Un bruit de branche cassée attira mon attention.

    Je scrutai avec anxiété un arbuste touffu.

    Le buisson bougeait de manière inhabituelle.

    Quelque chose devait s’y dissimuler...

    Soudain, deux grands yeux orangés émanèrent du sombre feuillage. Ils se rapprochèrent lentement de nous, avant qu’une panthère noire ne sorte de sa cachette, avec élégance.

    Soulagée, un large sourire fendit mes lèvres.

    Nous rejoignîmes l’animal avec empressement.

    — Tu arrives trop tard Roxy ! Ton frère a encore réussi à m’avoir. Cette fois-ci, il a changé d’appât. Il a choisi une boucle d’oreille, enfin, je crois. Il devient de plus en plus original ! 

    Je me retournai brièvement vers Simon, le regard plein d’ironie. Sa réaction ne se fit pas attendre.

    Il me frappa assez fort pour manquer de me faire tomber.

    Je grimaçai en frottant mon épaule.

    Le léopard reprit son apparence humaine. Son pelage, aussi foncé que les ténèbres, disparut progressivement sous sa peau.

    Ses grosses pattes charnues s’allongèrent et s’affinèrent, tout comme son ventre rond. Ses petites oreilles félines rentrèrent à l’intérieur de son crâne et celles humaines ressortirent de chaque côté de son visage qui s’éclaircissait.

    Enfin, sa tête imposante de carnivore laissa place aux traits délicats d’une jeune femme aux cheveux longs, châtain clair, et à un regard aussi sombre que ses yeux, reflétant à merveille son caractère de tigresse.

    — Tu connais mon frère ! j’ai bien peur que ce ne soit pas la dernière fois qu’il te fasse le coup. Mais tu as raison, il devient ingénieux.

    Le Fuméen prit les paroles de sa sœur à la légère, comme beaucoup de choses. Ce n’était pas la première fois que l’une ou l’autre, on le charriait. Il avait l’habitude et sa réponse ne tarda pas :  

    — Vous êtes tellement faciles à piéger les filles ! Ça en devient sans intérêt.

    Roxanne rit à gorge déployée et jeta un œil amusé à son grand frère, avant de me faire une accolade pour me saluer.

    Je la serrai à mon tour dans mes bras.

    J’étais heureuse de la voir.

    Nous avions eu une semaine chargée toutes les deux, ce qui nous avait empêchées de passer du temps ensemble, comme nous en avions l’habitude.

    Roxy et moi avions le même âge, même si nous n’étions pas nées la même année. À l’époque, nous pouvions encore nous qualifier de « meilleures amies du monde », bien que les choses aient déjà commencé à se dégrader entre nous.

    Notre complicité se ternissait de jour en jour, sans aucune réelle explication. Cependant, nous restions proches.

    — Alors, comment ça s’est passé là-haut ? me demanda mon amie pour changer de conversation.

    — Je n’ai pas vu grand-chose, si ce n’est la famille Fossé. Ils sortaient tous de la mer. Et vous ?

    Roxanne fronça les sourcils en silence.

    — Étrange ça... ce n’est pas leur genre de faire un tour dans l’eau aussi tôt le dimanche matin, ajouta Simon une main portée à son menton. R.A.S. de notre côté.

    Je haussai les épaules.

    Était-ce une information importante ? J’en doutais.

    Cependant, la famille au grand complet, sans parler du fait qu’ils revenaient d’une promenade au large avec des plantes aquatiques, ça n’avait rien d’habituel.

    En effet, les enfants Fossé étaient presque tous adultes et majeurs. Il devenait rare pour eux de se retrouver pour nager ensemble.

    L’héritier des Fuméens interrompit ma réflexion :  

    — Mesdemoiselles, je ne voudrais pas vous affoler, mais le soleil commence à être haut dans le ciel. On devrait quitter les lieux avant que quelqu’un ne nous voie ici.

    J’acquiesçai silencieusement.

    Nous n’étions pas en territoire conquis.

    Les clans ennemis ne tarderaient pas à se réveiller et la forêt serait bientôt investie par leurs alliés.

    Nous devions nous en aller.

    — Tu as raison. Et puis, je pense que mon père, comme le vôtre, attend avec impatience les résultats de notre tour de surveillance.

    Roxanne hocha également la tête en signe d’approbation. Nous partîmes donc tous les trois, avant de prendre chacun une direction différente, pour ne pas attirer l’attention.

    Sur le trajet retour, alors que la brume disparaissait, tout comme les nuages d’orage, j’eus la désagréable impression que l’on m’observait.

    Anxieuse, je me retournai plusieurs fois.

    Personne.

    La forêt était silencieuse.

    Seul le vent brisait la tranquillité des lieux. Pourtant, je sentais la présence de quelqu’un ou de quelque chose près de moi... j’en étais persuadée.

    Je rejoignis l’endroit où j’avais laissé ma voiture, à une dizaine de mètres du bord de la falaise.

    Toujours seule en apparence, j’entrai dans mon véhicule et mis le contact. Avant de prendre la route en direction de la ville, je jetai un coup d’œil inquiet dans les rétroviseurs.

    Je secouai la tête.

    Quelle idiote !

    J’étais bel et bien seule. 

    Chapitre 3

    La merveilleuse odeur du thé, celle du café moulu et celle des crêpes, embaumaient toute la maison.

    Ma famille, c’est-à-dire mon père Philippe, ma mère Nathalia, mon grand frère Arnault et mon frère cadet Mickaël, était attablée dans la cuisine et prenait le petit-déjeuner.

    Je m’assis avec eux.

    Tout était déjà servi ; plusieurs pots de confiture, coings, fraises et marmelade d’oranges amères, étaient ouverts avec une petite cuillère pour se servir dans chacun d’eux, la motte de beurre demi-sel ainsi que son couteau, et le thé noir que j’allais être la seule à consommer.

    Je remplis, à l’aide de la théière, une tasse au décor londonien et entamai une crêpe déposée dans l’assiette devant moi. Elle était délicieuse, avec une pointe de rhum pour rehausser son goût, comme le faisait ma grand-mère paternelle de son vivant.

    Ma mère, une femme d’une quarantaine d’années, assez petite, menue et élégante, portait des lunettes rectangulaires et avait les cheveux mi-longs de la même couleur que les miens, bien que plus foncée.

    Je me souviens encore aujourd’hui de son parfum : un mélange de roses et de diverses odeurs florales, toutes plus envoûtantes les unes que les autres.

    Il lui correspondait bien, même si son caractère aurait mérité quelques nuances un peu plus épicées.

    Debout près des fourneaux, maman fut la première à me questionner sur mon tour de surveillance. Elle s’essuya les mains sur son tablier pour ne pas salir sa robe à pois, avant de se tourner vers moi :  

    — Rien à signaler ma chouette ?

    Je répondis après avoir fini ma bouchée.

    — Rien de particulier. Ah si ! j’ai vu la famille Fossé sortir au grand complet de la mer. Quelqu’un me passe la marmelade ?

    Mon père, qui jusque-là semblait absorbé par son smartphone, sûrement pour vérifier les mails dans le cadre de son entreprise, leva sa tête sévère vers moi.

    Il n’avait pas encore touché à son repas.

    — Tu veux dire les parents et tous les enfants ? Tu as vu autre chose ?

    Je bus une gorgée de ma boisson chaude, manquai de me brûler le palais et de tout recracher, avant de répondre de manière naturelle.

    Tout ça ne m’inquiétait guère. C’était inhabituel, mais nous avions l’habitude des choses inhabituelles dans cette ville.

    — Oui, c’est bien ça. Ils sortaient tous de l’eau. Visiblement, ils ont récupéré des plantes.

    Le chef des Alcores plongea ses iris bleutés dans les miens. Il m’observa longuement, comme s’il voulait lire à travers moi. Un frisson remonta le long de ma colonne vertébrale. Je détournai les yeux après quelques instants.

    Je détestais quand il faisait ça.

    — Ils doivent préparer une ou plusieurs potions. Nous allons rester sur nos gardes.

    Sans plus insister, il retourna sur son téléphone. Ma mère le fusilla du regard en se raclant la gorge. Elle avait toujours instauré le petit-déjeuner à la française, héritage de nos lointaines origines, tous les dimanches matin, en famille, et gare à celui qui ne respectait pas cette tradition !

    Papa, irrité par l’attitude de sa femme, posa brusquement son portable sur la toile cirée. C’était compliqué pour lui de ne pas penser à son entreprise ou à ses responsabilités vis-à-vis de notre clan. Quel que soit le jour de la semaine, ça n’avait aucune espèce d’importance. Il travaillait et dirigeait son peuple d’une main de fer, en toutes circonstances.

    Nous avions un grand respect pour cet homme.

    Il nous faisait même un peu peur.

    Tout dans son attitude et son physique inspirait l’autorité.

    Sa carrure imposante en impressionnait plus d’un. Ses cheveux courts, parsemés de blanc et de gris, lui donnaient un air sage et ses épais sourcils marquaient une certaine sévérité sur son visage. Sa manière de s’habiller, en polo ou en chemisette suivant la saison, contribuait à accentuer son côté chic et inatteignable.

    L’ambiance dans la cuisine s’alourdit en un instant, lorsque mon père interpella mon petit frère, de sa voix rauque et puissante. Maman, Arnault et moi échangeâmes un regard inquiet.

    Une boule se forma dans ma gorge.

    Je reposai délicatement ma fourchette, en silence.

    — J’ai reçu un message de madame Lordwood. Alors comme ça, tu t’es battu en cours d’anglais ?

    Le chef de famille se grandit et releva le menton pour asseoir sa supériorité. Mickaël, devenu livide, baissa les yeux vers le carrelage.

    Bien qu’il ait l’habitude de se rebeller, il savait qu’on ne plaisantait pas avec les études. D’autant plus qu’il n’était en aucun cas un garçon studieux.

    — Ce n’est pas ma faute papa, c’est Jérémy qui...

    — Je ne veux pas le savoir ! trancha le dirigeant des Alcores.

    Il tapa du poing, impassible.

    Nous sursautâmes. La table trembla sous la violence du coup et les couverts s’élevèrent brièvement pour retomber aussitôt. Rien ne justifiait une telle animosité dans un établissement scolaire aux yeux de notre géniteur ! Il nous le rabâchait depuis que nous étions entrés à l’école.

    Mon petit frère se leva d’un bond pour quitter la pièce.

    Maman, Arnault et moi assistions à la scène sans intervenir, les yeux rivés sur nos assiettes respectives.

    Il ne valait mieux pas envenimer les choses.

    — Assieds-toi ! Cette discussion n’est pas terminée !

    Il y eut un bruit sec, avant que Mickaël ne parvienne à ses fins. Le mur de la cuisine chancela. Je sursautai sans prononcer le moindre mot, tout comme mon grand frère et ma mère. Furieux, papa avait claqué la porte d’un geste de la main, en un courant d’air qu’il avait créé à l’aide de ses pouvoirs.

    J’aurais aimé quitter les lieux sans me faire remarquer, car l’atmosphère était devenue irrespirable. Bien que la colère de notre père ne fût en aucun cas dirigée vers moi, je n’osais faire le moindre mouvement par peur de l’irriter d’autant plus.

    Je restai donc stoïque, le regard fixé sur ma tasse de thé, jouant nerveusement avec ma bague, les doigts cachés sous la table.

    Mon frère se rassit lentement, tête baissée.

    Je posai une main sur son bras, en signe de compassion. Moi aussi, j’avais essayé de me rebeller contre l’autorité du chef des Alcores, mais j’avais à présent compris que toute tentative était vaine.

    Mickaël se dégagea et mon père continua de l’accabler :  

    — Maintenant, explique-toi !

    Il ne répondit rien. 

    Arnault reposa son mug rouge sang, sa couleur préférée, après avoir bu une gorgée de café.

    Son air amusé et malicieux me fit comprendre qu’il n’avait aucune intention d’alléger l’atmosphère familiale.

    — C’est sûrement parce qu’il n’a toujours pas ses pouvoirs !

    Ses cheveux courts et noirs en bataille, semblables à ceux de notre père lors de sa jeunesse, sa carrure ainsi que ses muscles, contrastaient beaucoup avec son côté joueur et espiègle. À côté de lui, notre petit frère avait l’air d’un vrai gringalet.

    Même si Arnault avait raison, son intervention rendit maman folle de rage. Pour éviter de ne s’en prendre à son aîné, elle se précipita sur son plus jeune fils et l’enlaça fort.

    Elle posa son menton sur ses cheveux courts et foncés.

    Rouge de colère, le pauvre ne pouvait quasiment plus respirer et sa chevelure, parfaitement coiffée, ne le resterait plus pour très longtemps, à son grand désarroi.

    Mickaël essaya de se dégager de cette étreinte forcée, sans succès. Je ne l’enviais pas une seule seconde. Arnault, lui, se mit à rire, après que l’on se fut tapé dans les mains en signe de victoire.

    — Arrêtez de vous moquer de lui !

    Notre mère continuait d’enlacer son fils comme un bébé.

    Elle faisait toujours ça quand nous plaisantions sur le fait qu’il n’avait pas encore ses pouvoirs.

    C’est vrai, ce n’était pas très intelligent, mais cette petite taquinerie nous permettait de décompresser et l’attitude de maman nous amusait beaucoup.

    D’ailleurs, nous n’étions pas les seuls, puisque notre père prenait souvent part à nos fous rires.

    — Ne l’écoute pas mon ours en peluche ! Tu sais bien qu’ils ne vont plus tarder à apparaître.

    Arnault et moi, nous nous regardions en imitant notre mère de manière caricaturée.

    Papa nous fit alors un sourire en signe d’approbation.

    Il trouvait que sa femme surprotégeait son cadet et se posait même parfois la question, si ses pouvoirs ne mettaient pas du temps à se manifester, à cause de son attitude trop étouffante.

    Dans notre clan, nous avions l’habitude de découvrir nos capacités d’élémentaire avant l’âge de douze ans. Jusqu’ici, il n’y avait jamais eu d’exception connue à cette règle.

    Mickaël avait quatorze ans, allait même en avoir quinze d’ici deux mois, et aucun don lié à l’Air ne se dévoilait, en dehors de sa métamorphose.

    Ce retard nous préoccupait beaucoup.

    C’était d’ailleurs pour cette raison qu’au collège, tout le monde se moquait de lui. En particulier, ses camarades de classe appartenant aux deux clans ennemis du nôtre : les Hiféins et les Tersors, ceux maîtrisant respectivement l’Eau et la Terre.

    La situation se compliquait de jour en jour, car il était une cible facile. 

    Chapitre 4

    Le midi, après avoir terminé de déjeuner, je grimpai l’escalier menant à l’unique étage de la maison et entrai dans ma chambre.

    Sa décoration, choisie par ma mère à mes treize ans, était un peu kitch britannique, avec des fleurs multicolores, des couleurs pastel, de la moquette rose poudré au sol et des coussins blancs en fausse fourrure.

    Je la détestais. Elle ne me correspondait absolument pas.

    Côté mobilier, rien de bien transcendant non plus : un petit bureau ivoire, un lit deux personnes surmonté d’un matelas épais, une armoire avec penderie, une commode pour ranger mes vêtements, ainsi que deux tables de nuit.

    Il y avait pourtant une touche personnelle au milieu de ce décor digne des magazines populaires de mode ; une dizaine de photographies, représentant ma famille et mes amis, était accrochée derrière la porte.

    On pouvait notamment reconnaître Roxanne et sa petite sœur Victoire sur plusieurs d’entre-elles.

    Ma chambre n’avait pas beaucoup changé au fil des années. Il n’y avait jamais eu de posters de chanteur, ni même d’objets ramenés de voyage.

    En effet, comme n’importe quelle autre personne dotée de pouvoirs magiques, j’étais condamnée à vivre à jamais dans la région de Newytown.

    Cette réalité ne me déplaisait guère.

    Élevée dans cette optique, on ne m’avait jamais caché cette facette de mon futur.

    Bien sûr, lors de mon adolescence, j’avais voulu échapper à cette prison dorée, au même titre qu’une grande partie des membres de nos clans.

    Cependant, en vieillissant, confrontés à la mort et aux combats au quotidien, nous nous attachions bien plus aux côtés positifs de cette situation qu’aux aspects négatifs.

    L’un des avantages, et non des moindres, c’était qu’ici, nous nous protégions les uns les autres. Grâce à ça, je ne risquais rien quant à la découverte de mon identité par les humains, ou comme nous les appelions, les Neutres.

    Ils avaient été nommés ainsi par nos ancêtres parce qu’ils vivaient dans l’ignorance de l’existence de notre monde impitoyable.

    Même si beaucoup d’habitants de notre région étaient humains, chaque clan possédait des membres à des postes stratégiques, tels que l’Hôtel de Ville, les journaux ou encore les hôpitaux.

    Il n’était pas rare que des faits curieux soient rapportés par les Neutres. Toutefois, les personnes présentes dans ces instances faisaient disparaître avec finesse, tout témoignage ou preuve pouvant attester de notre véritable nature.

    Et il y avait de quoi faire ! On ne comptait plus le nombre d’humains ayant croisé une panthère, un ours ou même un lion en ville ou en forêt.

    Fort heureusement, l’esprit des Neutres est facilement manipulable. Nous pouvions donc aisément leur faire croire ce que nous voulions pour expliquer la présence de tout phénomène étrange.

    Un animal égaré en provenance d’un cirque ou de chez un particulier était notre excuse préférée.

    Je m’assis en tailleur sur mon lit et saisis mon ordinateur portable.

    L’après-midi ne faisait que commencer.

    J’avais révisé toute la matinée pour les partiels et je pensais à présent passer la seconde partie de mon dimanche sur Internet, à jouer à mon jeu favori : Become Fantastic.

    Un MMORPG[1] de type médiéval-fantasy, à l’intérieur duquel j’incarnais depuis plusieurs années, une magicienne nommée Onyrié, dans une guilde[2] plutôt bien placée dans le classement.

    Après avoir joué plus de deux heures, je fis une pause et descendis dans la cuisine pour boire un verre d’eau. Le soleil la réchauffait de ses rayons à travers la porte vitrée, donnant sur le jardin arboré.

    Les voix des personnes installées dans la salle à manger traversaient la fine paroi entre les deux pièces. Un peu plus tôt, j’avais entendu l’arrivée de Jacques et Simon Brasier.

    Je ne fis pas trop attention au sujet de la conversation, jusqu’au moment où mon nom fut prononcé.

    Interpellée et poussée par la curiosité, je me précipitai à l’extérieur de la cuisine et me dirigeai vers la double porte qui séparait l’entrée du salon-salle à manger, pour les écouter discrètement :  

    — Comment lui faire accepter ça ? On la connaît tous, c’est un électron libre.

    Je pouvais sentir une certaine préoccupation dans le ton du père de Roxanne.

    — Simon, je compte sur toi pour t’en occuper. Tu as carte blanche ! Je te permets d’utiliser tous les stratagèmes pour y parvenir, intervint le chef des Alcores avec autorité.

    — Tous les stratagèmes ? demanda ma mère, inquiète.

    — Absolument tous les stratagèmes.

    Mon cœur s’emballa.

    Je ne savais pas de quoi ils parlaient. Néanmoins, j’étais concernée et ça ne me disait rien qui vaille.

    Je collai mon oreille à la porte pour mieux entendre :  

    — Vous croyez que ça réglera le problème ?

    Visiblement, Arnault était là aussi.

    — Nous en sommes persuadés, répondit Jacques d’une voix pleine d’assurance, il n’y a aucune raison pour que ce ne soit pas le cas.

    Je déglutis.

    — Par la grande Estria ! Qu’en savez-vous ?

    — Remettrais-tu en question nos décisions Nathalia ? aboya mon père.

    Il n’y eut aucune réponse.

    — Bien ! nous sommes donc d’accord. Nous reparlerons de tout ça un peu plus tard.

    Les chaises raclèrent sur le carrelage.

    Je m’éloignai soudain.

    C’était le moment de m’éclipser avant que l’on me voie.

    Pour être sûre que ce ne serait pas le cas, j’utilisai mon élément pour former à la surface de ma peau, de légers mouvements d’air qui me permirent de prendre ma forme invisible.

    Je montai alors les marches de l’escalier quatre à quatre.

    De retour dans ma chambre, je redevins tangible.

    La conversation que je venais d’entendre résonnait dans mon esprit.

    Je m’assis fébrilement pour reprendre mon jeu.

    L’angoisse alourdissait mon estomac.

    De quoi parlaient-ils ?

    Que voulaient-ils me faire accepter ?

    Pourquoi demander à Simon de s’en occuper ?

    Ces questions commençaient déjà à me turlupiner. Il y avait quelque chose d’étrange là-dedans, je le sentais au plus profond de mon être...

    Cependant, je ne pouvais pas me torturer l’esprit pour rien. Quel que soit leur plan, je n’avais aucun moyen de le deviner. Je devais faire comme si je n’avais rien entendu, pour le moment en tout cas, et me changer les idées.

    Je tendis la main vers l’une des tables de nuit, où trônait un objet que je chérissais particulièrement : un magnifique réveil en bois sculpté et verni, héritage de ma grand-mère maternelle. Il ne ressemblait à aucun autre. C’était un réveil magique, créé il y avait plusieurs siècles.

    Je l’aimais beaucoup, car il était la dernière chose qu’il me restait de mes grands-parents. Lorsqu’on l’allumait, les animaux évoquant mon clan et celui de nos alliés, c’est-à-dire des oiseaux et des félins, s’animaient autour d’un décor naturel.

    La scène représentait une lisière de forêt de chênes et de bouleaux, où une magnifique chute d’eau, ainsi que son ruisseau, s’écoulaient nonchalamment.

    Les différents animaux et la végétation prenaient vie lorsque l’on passait la main devant le faucon pèlerin, perché sur une vieille branche, en haut de la cascade.

    Ce rapace était mon animal de transformation, tout comme celui de ma grand-mère maternelle. On m’avait expliqué plus jeune que beaucoup de femmes de notre famille se métamorphosaient ainsi.

    Je perpétuais donc la tradition.

    J’allumai mon réveil d’un geste de la main. Tout ce petit monde féerique s’anima. Un léger sifflement de vent se fit entendre, avant le rugissement du lion, le flot de la cascade et le chant des oiseaux.

    Une jeune panthère se cachait derrière un buisson, alors qu’un chat noir marchait de son allure féline dans les hautes herbes. Un peu plus loin, sur le bord du ruisseau, un lion buvait paisiblement.

    Les branches des quelques chênes bougeaient. L’eau ruisselait et je pouvais même percevoir les bruits résultant de ces mouvements.

    Les oiseaux, une mésange et une hirondelle, chantaient pendant qu’un aigle volait au-dessus de la création, la transperçant parfois de son cri aigu.

    J’adorais ce décor, il m’apaisait presque autant qu’une escapade sur les falaises. Chaque soir, je le mettais à sonner pour le lendemain, et chaque matin, je me réveillais avec les sons de cette nature miniature.

    Rapidement, les battements de mon cœur ralentirent leur course effrénée et je commençai à me calmer. J’attrapai alors mon ordinateur, le posai sur mes genoux et l’ouvris pour reprendre le jeu.

    Après une petite demi-heure, alors que j’étais en pleine quête avec Onyrié, je sursautai en entendant le vibreur de mon portable.

    Je saisis ce dernier, afin de jeter un œil au message.

    Il venait de Roxanne et était assez court.

    Elle me proposait de se rejoindre chez elle, le lendemain après la fac, avant de nous rendre à l’entraînement.

    Je le lui confirmai.

    Quelques secondes plus tard, je reçus une réponse de mon amie.

    Mercredi soir tu es libre ? Il y a une nouvelle boîte de nuit sur la route de Drawick. Arnault m’a invitée et Simon n’accepte de venir que si toi aussi tu es là.

    Un nouveau night-club ? Il y avait eu quelques discussions au sein de ma promotion à ce propos. Cependant, je n’y avais pas vraiment prêté attention.

    Ce genre de lieu n’était pas ce que j’affectionnais le plus.

    Mais pourquoi pas après tout ? Un peu de modernité dans notre ville ne nous ferait pas de mal.

    Je répondis donc positivement à son message et repris le cours de ma quête fantastique.

    Chapitre 5

    Ma nuit fut agitée .

    Je repensais en permanence à la conversation à mon propos. Elle tournait en boucle dans mon esprit, comme une mauvaise ritournelle...

    Lorsque je me levai le lendemain matin, j’avais tellement mal dormi que je n’entendis pas mon réveil.

    Les paupières à peine ouvertes, je pris soudain conscience de l’heure avancée.

    Je bondis hors du lit et m’habillai à la vitesse de l’éclair.

    Une fois apprêtée, j’attrapai à la volée mon sac, y insérai mon ordinateur, ainsi que ma pochette, dévalai les marches de l’escalier et m’emparai de mes clés, avant de quitter la demeure encore silencieuse.

    Ma voiture bleu foncé, une citadine de la marque du lion, m’attendait sagement devant la propriété.

    Elle avait déjà une bonne dizaine d’années.

    Néanmoins, elle me permettait d’être libre et de me déplacer sans dépendre de qui que ce soit. Malgré son aspect plutôt miteux, j’en étais fière, car je l’avais payée à la sueur de mon front, grâce aux extra effectués dans le restaurant de mon oncle.

    À présent à l’intérieur, je nouai rapidement mes cheveux, avant de tenter de démarrer. Poussant la clé un peu plus fort, comme si ça allait changer quelque chose, je râlai et implorai mon véhicule.

    Ma voiture toussota une dernière fois. Soulagée, je soufflai un grand coup, lorsque le moteur se mit à vrombir et que je quittai le lotissement.

    Il faisait beau ce matin-là.

    Le trafic routier était assez dense sur le périphérique, mais rien d’inhabituel pour un lundi de début de mois.

    Après vingt minutes de trajet, je me garai sur le parking de l’université. J’avais rattrapé une partie de mon retard sur la route. Il me restait finalement dix minutes pour prendre un café avant d’entrer en cours.

    Malheureusement, cette course contre la montre m’avait un peu déstabilisée, et lorsque je sortis, je ne fis pas attention au véhicule à côté de moi.

    J’heurtai assez violemment sa portière.

    Une grimace furtive traversa mon visage.

    Je me sentais mal.

    Ce genre de maladresse ne me caractérisait guère, d’autant plus que j’étais la première à râler dans une telle situation.  

    Je venais d’abîmer une voiture haut de gamme, à la peinture grise aussi nette et propre qu’un miroir. 

    Ma culpabilité se mua en panique, à l’instant où je compris que cette sportive appartenait à Johan Fossé.

    Sa présence m’étonna.

    J’avais entendu dire qu’il avait arrêté ses études de médecine, afin de suivre les pas de son père en mécanique...

    Il n’avait donc rien à faire sur le campus.  

    J’abandonnai ma réflexion et m’approchai pour observer la marque à peine visible, inquiète.

    Après seulement quelques secondes, je n’entendis pas Johan arriver derrière moi et sursautai quand il me parla de sa voix tonitruante :  

    — Non, mais tu es sérieuse ? Tu ne pouvais pas faire attention sale Piaf !

    Même s’il m’avait surprise, et bien que je fusse en tort, je ne perdis aucunement mon répondant.

    Je me retournai soudain vers celui qui me dominait d’une trentaine de centimètres, et lui lançai sur un ton tout aussi sec que le sien :  

    — Ta voiture est mal garée la Morue ! La prochaine fois enlève tes moufles pour faire ta manœuvre, ça t’évitera d’autres mésaventures.

    Je fronçai les sourcils.

    Nos deux silhouettes se faisaient face avec animosité et détermination. Nous soutenions chacun le regard de l’autre.

    Ma tête bourdonnait.

    Je serrai les poings jusqu’à l’engourdissement, sentant la chaleur de la colère monter en moi, et avec elle, le vent se leva.

    De lourds nuages couvrirent le ciel d’un bleu éclatant.

    Quelques gouttes mouillèrent mon visage.

    La pluie tomba bientôt, doucement, puis de manière beaucoup plus soutenue. La fureur de Johan s’emparait de son être et déclenchait une averse sur le parking.

    Le vent s’intensifiait avec de grosses rafales par moments.

    Un grondement résonna autour de nous, prémices de la tempête qui se préparait.

    Les arbres aux alentours se balancèrent de plus en plus dangereusement.

    Je ne contrôlais plus rien.

    Et mon ennemi non plus.

    Les étudiants grognaient et tentaient de se protéger des éléments prêts à se déchaîner.

    Tout à coup, une bouche d’égout fut projetée à plusieurs mètres de hauteur, par un geyser énorme qui semblait sortir des entrailles de la Terre.

    Les cris et le bruit de la puissance de l’eau nous firent rompre brutalement notre contact visuel.

    Nous devions vite retrouver la maîtrise de nos émotions.

    Interloquée, je levai les yeux vers le lourd morceau de fer.

    Il s’apprêtait à tomber sur un groupe d’étudiants, sans que ces derniers n’en fussent conscients. Ils étaient, en effet, trop occupés à lutter contre les éléments qui se déchainaient à présent.

    Mon sang ne fit qu’un tour.

    Je criai dans leur direction :  

    — Dégagez !

    Ils ne bougèrent pas d’un centimètre.

    Je devais réagir ou l’un d’eux risquait de mourir.

    Sans plus réfléchir, je déviai la chute de l’objet, en le contrôlant à distance. Celui-ci s’écrasa sur le goudron dans un fracas métallique assourdissant.  

    Soulagée, je portai une main à mon front, hébétée par ce qui venait de se passer. Je me souvins alors que je n’étais pas seule, et me tournai de nouveau vers Johan.

    Il avait disparu.

    Cet idiot me laissait me débrouiller pour expliquer la situation aux Neutres présents sur le parking.

    Quelle surprise ! le contraire m’aurait étonnée.

    Sans attendre, je pris la direction de ma faculté, d’un pas décidé. Il ne valait mieux pas traîner dans les parages.

    Une brise légère balayait l’herbe sur le bord de l’allée.

    Le temps était redevenu aussi beau qu’avant l’incident.

    Scrutant mes pieds tout en avançant avec furtivité, je passai bientôt à proximité de deux étudiantes, dont je captai une partie de la conversation :

    — C’est bizarre quand même ce ciel qui se couvre et se découvre en quelques minutes, tu ne trouves pas ? demanda la première à son amie, le regard vide.

    — Non, pas vraiment, ce changement de météo est normal à cette période de l’année, lui répondit la seconde, sûre d’elle.

    — Et pour la bouche d’égout ? Tu trouves ça logique aussi ? 

    Je n’eus pas le temps d’entendre la dernière réponse.

    Toutefois, j’avais déjà quelques idées pour justifier ce qui venait de se produire devant leurs yeux, si on m’interrogeait à tout hasard. 

    Il me suffisait d’évoquer les nombreuses averses de grêles de la nuit et de dire qu’elles avaient fait monter le niveau des égouts, puis d’ajouter que cet étrange phénomène était rare, mais qu’il résultait simplement d’une accumulation d’eau dans l’une les cavités.

    La capacité des Neutres à se raccrocher coûte que coûte à une explication rationnelle, même saugrenue, pour éviter d’accepter l’inexplicable, ou l’existence de la magie, m’avait toujours impressionnée.

    Par chance, je n’eus aucunement besoin d’user d’un tel stratagème. Personne ne me questionna.

    Heureusement, car j’avais toujours été, et je suis encore, une piètre menteuse.

    Une fois dans le couloir principal, je m’arrêtai et regardai ma montre. Huit heures moins cinq.

    Tant pis ! je devais aller en cours.

    Plus le temps pour un café.

    Je m’apprêtais à reprendre mon chemin quand j’entendis applaudir derrière moi. Surprise, je me retournai.

    C’était Roxanne.

    Elle s’approcha, un large sourire sur les lèvres :  

    — Alors là, bravo Isy ! J’ai adoré comment tu as remis Johan à sa place. Allez... sois honnête ! tu l’as fait exprès ?

    J’observai mon amie. Elle avait le regard d’une enfant découvrant l’un des parcs d’attractions avec des souris géantes et des princesses plus vraies que nature.

    Lui souriant à mon tour, je lui répondis avec sérieux :  

    — Tu parles de l’accrochage ? Même pas ! Je pense que ma portière a voulu se défouler un peu sur celle de notre cher ennemi.

    — Ouais, disons ça, marmonna-t-elle sans y croire une seule seconde. On se voit ce soir pour l’entraînement ? Je dois me rendre à mon cours de programmation. Mon professeur ne tolère aucun justificatif pour les retards. C’est du grand délire, je te jure !  

    — Oui, moi aussi je dois y aller. À ce soir chez toi ! répondis-je, enjouée.

    Nous nous fîmes une accolade, avant de nous quitter.

    Je me remis à marcher, presque courir, tout en sortant de mon sac la pochette contenant les numéros des salles de ma journée. En effet, nous étions en période d’examens et les emplacements des cours avaient changé.

    Alors que j’essayais de lire mon plan, ce qui n’était déjà pas aisé, une personne me bouscula.

    Mes papiers s’éparpillèrent par terre.

    Baissée pour les ramasser, je ronchonnai et ne regardai même pas celui qui m’avait percutée :  

    — Quelle galère ! je vais finir par louper le début du cours, murmurai-je à moi-même. Vous pourriez m’aider ?

    La personne en face de moi ne bougea pas.

    Je levai la tête, agacée.

    Ce n’était décidément pas mon jour. J’avais devant moi un jeune homme brun de vingt ans tout juste, mais dont le visage avait encore quelque chose d’enfantin.

    Un autre ennemi.

    Cependant, si Johan était un Hiféin, lui était un Tersor.

    Je comprenais mieux pourquoi il refusait de m’aider.

    — Tu rêves éveillée ma pauvre Isilda !

    Je fronçai les sourcils. Kieran Lechêne s’éloigna après ces paroles de mépris. Je rangeai mes papiers dans ma pochette en soupirant.

    La situation m’agaçait réellement.

    Une fois debout, je contrôlai à distance un bloc de casiers. D’un geste, je le fis s’écraser dans un vacarme assourdissant, juste devant mon ennemi, à l’autre bout du couloir.

    Le Tersor, accompagné de ses amis, se retourna dans ma direction, tout comme d’autres personnes, stupéfaites.

    Je haussai les épaules et lui souris sournoisement.

    Il n’eut pas le temps de se venger. Un groupe d’étudiants sortit des toilettes. Ils se placèrent entre nous, empêchant Kieran de m’atteindre.

    La journée commençait drôlement bien.

    Après m’être donnée en spectacle avec le fils du chef des Hiféins, sur le parking devant une assemblée de Neutres, je venais d’agacer l’un des fils du chef des Tersors.

    Je ne voyais pas ce qui pouvait m’arriver de pire...

    Et pourtant, je n’étais pas au bout de mes surprises, en ce lundi de début avril.

    Heureusement, tous les jours ne se ressemblaient pas.

    Celui-ci était particulièrement exceptionnel.

    Je n’avais qu’une hâte, qu’il se termine enfin. 

    Chapitre 6

    Je fus obligée de m’installer au dernier rang dans l’amphithéâtre, l’endroit le moins calme.

    Je sentais déjà que ce cours d’économie ne serait pas comme les autres...

    Après m’être assise sur le siège rabattable, je sortis mon ordinateur portable, ainsi qu’un carnet de notes et un stylo que je déposai sur la petite tablette en bois.

    Le cours commença.

    Rapidement, j’eus du mal à suivre à cause du bruit. Des étudiants jouaient sur leur téléphone, d’autres se faisaient un morpion.

    J’étais au bord de l’endormissement, lorsque ma voisine de gauche m’interpella. Je sursautai.

    — Dis-moi, ai-je bien entendu ou le professeur vient de prononcer le mot « Hiféins » ?

    Je me retournai subitement vers elle, déconcertée.

    Comment une Neutre connaissait-elle l’existence de ce terme ? Cette personne m’était totalement inconnue, je ne pensais pas non plus l’avoir déjà croisée à l’université.

    Ne sachant pas qui elle était, je me méfiai et décidai de jouer les ingénues.

    Elle laisserait sûrement vite tomber cette histoire.

    — Je suis désolée, mais je ne vois pas de quoi tu parles.

    La jeune femme se mit à rire.

    Je la dévisageai, étonnée par sa réaction.

    Elle possédait une voix chantante, des cheveux blond miel coupés au carré, des yeux d’un vert que je n’avais encore jamais vu, proche de la couleur turquoise, une peau très claire, et surtout une attitude un peu espiègle.

    Sa manière de s’habiller était également assez originale.

    Elle portait un pantalon rouge, un haut noir et blanc rayé, ainsi qu’un chapeau melon laissé sur la place libre à côté d’elle.

    Elle se pencha vers moi pour discuter plus discrètement :  

    — Isilda, je sais qui tu es ! Tu n’as pas besoin de faire celle qui ne comprend pas de quoi je parle.

    Elle ajouta en me tendant la main :

    — Sonia Richter.

    Perplexe, je scrutai mon interlocutrice pendant de longues secondes, avant de finalement lui rendre la politesse.

    Je ne savais pas trop comment réagir. La surprise devait se lire sur mon visage. Comment était-elle au courant de l’existence des élémentaires ?

    — Je dirais bien enchantée, mais je ne crois pas avoir l’honneur de vous connaître.

    L’importune me répondit avec un large sourire malicieux.

    Visiblement, la situation lui paraissait cocasse.

    Ce n’était pas mon cas.

    Bien au contraire, son attitude commençait à m’énerver.

    — C’est normal... nous ne défendons pas les mêmes intérêts. Je suis une elfe, habitante de la forêt Occulte.

    Je me levai d’un bond.

    Un bruit sec résonna dans l’amphithéâtre quand mon siège se rétracta.

    D’un mouvement ferme, je fermai mon ordinateur.

    Rangeant mes affaires pour sortir, car je n’étais pas en sécurité, je ne me rendis même pas compte que le professeur me fixait.

    Sonia saisit mon sac pour m’empêcher de partir.

    — Allons ! tu ne vas quand même pas quitter le cours comme ça. On nous regarde, il vaut mieux que tu te rasseyes. Ne t’inquiète pas, je ne suis pas là en ennemie. Je voudrais t’informer, toi et ton peuple, d’une chose vraiment importante. Fais-moi confiance.

    Le professeur s’agaça. Nous faisions tellement de bruit que nous empêchions son cours.

    — Mesdemoiselles, tout au fond de l’amphi’ ! Si le cours ne vous intéresse pas, je vous en prie, la porte est grande ouverte !

    Un sentiment de honte s’empara de moi à cet instant.

    Nous arrêtâmes notre conversation pendant plusieurs minutes. Néanmoins, notre silence ne dura pas.

    L’elfe semblait déterminée à me convaincre de sa bonne foi. Elle m’adressa de nouveau la parole en chuchotant :  

    — Ce que j’ai à te dire est de la plus haute importance. Je risque très gros en te parlant, mais vous devez être mis au courant.

    Sonia jeta un coup d’œil inquiet autour de nous, pour être sûre de ne pas être entendue, puis en direction de notre professeur d’économie.

    Elle saisit ensuite mon carnet de notes et mon stylo, afin de griffonner quelques chose. Puis elle me les rendit.

    Je lus l’inscription.

    Il était écrit :

    The Knott

    34 Bankfield Street

    — Rejoins-moi à cette adresse, une demi-heure après le dernier cours de la matinée.

    Mon interlocutrice se leva lentement, afin de quitter la salle le plus discrètement possible.

    Le professeur la regarda partir, avant de m’observer avec interrogation. Je lui fis un petit sourire gêné et il retourna pleinement à ses explications.

    Je soupirai.

    Nous en avions pour quatre heures, entrecoupées d’une pause d’un quart d’heure. Ce serait long, d’autant plus que les paroles de Sonia tournaient en boucle dans ma tête.

    Qu’avait-elle d’aussi important à me révéler ?

    Et si c’était un piège ?

    Ce ne pouvait être que cette possibilité. Un stratagème pour m’envoyer dans la gueule du loup. Pourquoi sinon une ennemie me demanderait-elle de la rejoindre quelque part ?

    Cette réflexion m’obnubila pendant les deux premières heures. L’estomac noué, je ne pus me concentrer sur rien d’autre.

    Y aller ? Ne pas y aller ? Je ne savais pas quoi faire.

    Pendant la pause, je regardai sur Internet où se situait l’adresse qu’elle m’avait donnée. Je me connectai à G. Map et entrai les quelques caractères.

    La carte du centre-ville de Newytown s’afficha. Le Knott était un bar localisé en zone neutre, pas en territoire ennemi. Je lus un peu plus en détail la description du lieu. Le nom du propriétaire, Samahel Nordwick, ne me disait rien.

    Je me laissai retomber sur le dossier de mon siège. Peut-être que Sonia ne me tendait pas de piège finalement ? En même temps, pourquoi me demander de la rejoindre dans un endroit fréquenté, si elle avait de mauvaises intentions ?

    Et si je n’y allais pas et que l’information qu’elle voulait me donner s’avérait capitale pour mon clan ?

    Il fallait que j’aille à ce rendez-vous. Je n’avais pas le choix. Quelque chose me poussait à l’écouter, comme une petite voix intérieure...

    Pourtant, je me méfiais. Je n’avais aucune confiance en cette Sonia truc, sortant de nulle part. Je réfléchis pendant le reste du cours à la meilleure décision à prendre. De toute façon, je n’étais absolument pas concentrée depuis le début.

    Les elfes étaient des ennemis de mon clan et des alliés des Hiféins et des Tersors.

    Une de leurs particularités me permettait de croire en l’honnêteté de Sonia : ils n’avaient jamais signé d’alliance avec les élémentaires de l’Eau et de la Terre, contrairement aux loups-garous qu’ils avaient suivis.

    Ce pacte consistait en l’acceptation de ne pas se nourrir des humains, ni de les chasser. Le même avait été ratifié par les vampires, avec mon peuple et celui de nos alliés.

    Ces accords étaient primordiaux pour continuer à cacher notre existence, ainsi que celle des créatures. En effet, s’ils avaient chassé les Neutres, l’éventualité de se faire découvrir aurait été décuplée. Et ça, élémentaires et créatures en étaient parfaitement conscients.

    Après ma longue et profonde réflexion, je décidai d’écouter la petite voix à l’intérieur de moi et de me présenter au rendez-vous. Je devais savoir ce qui se passait, quels qu’en soient les risques. 

    Chapitre 7

    Je m’enfonçais dans les couloirs sombres et humides du métro. Les artères se remplissaient rapidement. La plupart des gens étaient âgés de moins de trente ans et avaient les yeux rivés sur leur téléphone.

    Personne ne prêtait attention à ce qui se passait autour de lui, si bien que j’aurais pu me transformer en faucon, nul ne l’aurait remarqué.

    J’arrivai bientôt sur le quai.

    Le bruit des freins résonnait au loin dans le tunnel.

    J’avais de la chance, je ne patienterais pas longtemps.

    Le métro présentait des avantages non négligeables : il était rapide, discret pour se déplacer et permettait de faire des économies en prix de carburant, ainsi que de parking.

    Il m’arrivait régulièrement de garer ma voiture tout près d’une station, pour me rendre en ville. En tant qu’étudiante, je ne roulais pas sur l’or et la moindre livre sterling comptait.

    Même si Arnault et moi, nous vivions chez nos parents, par obligation liée à notre condition d’héritiers et non par choix, nous mettions un point d’honneur à garder une certaine autonomie financière.

    Le train s’arrêta dans un grincement métallique strident.

    La foule, compacte, s’engouffra à l’intérieur des wagons. Je fus dans les derniers passagers à entrer, n’ayant jamais aimé la cohue que font les personnes pressées.

    Une voix douce et féminine annonça la fermeture de la rame. Le bruyant verrouillage des portes résonna alors.

    Après quelques secondes, le métro redémarra, avant de prendre de la vitesse.

    J’observai le plan, tout en me tenant à une barre.

    Bonne nouvelle, le trajet ne serait pas trop long.

    Nous passâmes les trois premières stations serrés comme des sardines. La plupart des passagers descendirent lors du quatrième arrêt.

    Je pus enfin respirer et en profitai pour m’asseoir.

    Le train accéléra de nouveau.

    L’un des voyageurs m’observait avec insistance.

    Je sentais son lourd regard sur moi...

    Mal à l’aise, je me mis à bouger sur mon siège et fixai mon attention vers l’extérieur. Cependant, je ne pouvais rien distinguer. Le tunnel était plongé dans l’obscurité.

    La cinquième station fut annoncée.

    Je ne me tournai aucunement, de peur de croiser celui qui m’angoissait.

    Après un long moment, je me ressaisis et scrutai l’homme à mon tour. Assis dans le même wagon que le mien, il avait une carrure imposante, une bonne quarantaine d’années, des cheveux courts, noirs, quasiment sans cheveux blancs et portait des vêtements aussi sombres que son allure.

    Un frisson me traversa de part en part quand je compris qu’il n’était pas humain.

    Ses pupilles étaient en fente verticale, comme celles d’un reptile, et sa peau présentait d’étranges marques, rappelant des écailles.

    Je fronçai les sourcils.

    Je n’avais pas l’impression de l’avoir déjà croisé.

    Lorsqu’il s’aperçut que je l’observais, il se retourna.

    Je sursautai.

    — Revolutions.

    La même voix de femme retentit dans les haut-parleurs quand ma station fut en approche.

    Essayant d’oublier l’individu insistant, je me plaçai devant la sortie. Le train freina et le grincement habituel se fit entendre pendant qu’il ralentissait.

    Une dizaine de personnes se positionna derrière moi.

    Dans la cohue, je perdis de vue l’étranger.

    Bientôt, j’aperçus la lumière du quai de métro, à travers la vitre de la porte. La rame s’arrêta,

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