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Le dernier échange
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Livre électronique385 pages5 heures

Le dernier échange

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À propos de ce livre électronique

Un royaume en guerre…

Elora, la jeune princesse des fées noires, planifie de renverser le règne de sa mère tyrannique, la Reine noire, afin d’instaurer l’égalité parmi les fées. Pour ce faire, il lui suffit de convaincre l’ennemie jurée de sa mère, la Reine blanche, de se joindre à sa cause. Mais la Reine blanche exige d’abord une offrande: un garçon humain qui soit le «meneur des hommes».

Une princesse noire déguisée…

Pour voler un mortel, Elora doit elle-même le devenir — du moins, en apparence. Et s’infiltrer dans un lycée est d’une facilité étonnante. Quand Elora fait la rencontre de Taylor, un garçon de 17 ans qui planifie de renverser un intimidateur sans pitié, elle croit avoir trouvé son offrande… jusqu’à ce qu’elle en tombe amoureuse.
LangueFrançais
Date de sortie29 juin 2018
ISBN9782897863319
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    Aperçu du livre

    Le dernier échange - Chelsea Pitcher

    suivi.

    1

    ELORA

    J’avais 17 ans quand la mort a croisé mon chemin. Avant ce moment, je n’avais fait que rêver de membres tordus et de sang d’un rouge aussi écarlate qu’un coquelicot. Cependant, tard une nuit, la mort m’offrit une occasion. Elle me murmura de vilains secrets à l’oreille et souleva mes paupières de ses mains recourbées.

    — , dit-elle et pointa dans une direction.

    Je ne reconnus pas sa voix alors. J’ignorais qui me guidait dans l’obscurité.

    Je la suivis.

    En bas, une fille voyageait seule sur l’autoroute. Elle portait un sac à dos plein : l’article de base du fugueur. Ses cheveux étaient roux comme les miens et nous aurions bien pu passer pour des sœurs, si ce n’était d’une différence flagrante.

    Elle était une mortelle.

    Tandis que je suivais la fugueuse le long de la route assombrie, je songeai à la mortalité. Peut-être qu’une partie de moi savait ce qui allait se produire. Quand un chariot de fer se rangea en bordure de route et que la fille monta à bord, je craignis le pire.

    Puis, le cerf s’avança dans un faisceau de lumière et je compris que la mort ne se satisferait pas d’une seule vie ce soir.

    Le cerf et la voiture entrèrent en collision. Je fermai les yeux dans l’espoir de bloquer le pire. Mais le crissement des pneus et l’odeur du sang ne m’échappèrent pas.

    Peu importe les efforts déployés, impossible de tout bloquer.

    Quand le bruit s’est dissipé, j’entendis un murmure dans le vent. Vas-y, m’incita la voix. Était-ce la mort ou le fruit de mon imagination ?

    J’approchai la scène avec prudence.

    Une fissure dans le pare-brise décrivait une spirale semblable à une toile. Avant ce moment, j’avais cru que seules les araignées pouvaient créer une telle forme. Mais le crâne de la fille avait percuté la vitre et le résultat était cette œuvre d’art étrange. Curieux comme la beauté existe aux côtés de l’horreur. Maintenant, son corps était effondré contre la portière. Il n’y avait qu’un trait de sang là, sur son front. Toutefois, même dans la lumière blafarde, je sus qu’elle était morte.

    Ce n’était pas le cas de l’homme dans le siège du conducteur. Il respirait en poussant de courts halètements. Je tendis la main par la fenêtre et lui touchai la tête, une petite secousse, pour embrouiller ses souvenirs. Quand il reviendrait à lui, la scène lui raconterait une histoire que son esprit n’arriverait pas à comprendre. Il verrait l’avant du véhicule embouté et la carcasse du cerf étalée devant.

    Il saurait alors ce qui est arrivé.

    En ce qui concernait la fille, celle qui était arrivée dans sa vie quelques kilomètres plus tôt, eh bien… Il ne se souviendrait pas d’elle.

    Je transportai le corps de la fille dans les bois. Même dans l’obscurité, elle était une merveille à contempler : auparavant un organisme vivant, rempli de possibilités, maintenant une enveloppe de peau renfermant des secrets pointus. Son sang tacha mes gants.

    Je lui ôtai ses vêtements. En dessous, sa peau était aussi pâle que la mienne. Sa chevelure était d’une teinte légèrement plus terne que la mienne, mais je n’étais pas surprise. Quel humain pourrait avoir des cheveux comme les miens ? Si je voulais passer pour l’un d’eux, il faudrait que j’estompe chaque partie de moi.

    Mes ailes bruissèrent à cette seule pensée.

    Je retirai ma robe sans me donner la peine de délacer le corset. Des rubans se déchirèrent dans ma hâte. Puis, nous fûmes libres, vêtues uniquement de la peau dans laquelle nous étions nées. Deux petites filles sur le point de changer de place.

    Qui l’aurait cru : un échange à mon âge ?

    Échange. Ce mot était porteur de pouvoir. Ce mot pouvait me transformer. Certainement, jamais une loyaliste de la Cour noire ne porterait le masque d’un humain, mais voilà pourquoi mon plan était si parfait. Je passerais dans le monde des humains avant que ma famille puisse me retrouver.

    Il le fallait.

    Malgré tout, mon cœur s’emballa quand je mis les vêtements de la mortelle. Dans la poche de son pantalon, je découvris un paquet de billets de papier et une petite carte affichant ses renseignements personnels : Laura Belfry. Seize ans.

    Un an de moins que moi.

    Aux yeux de ma mère, j’étais encore largement une enfant. Insouciante. Irresponsable. Incapable de provoquer un changement réel.

    J’allais lui prouver le contraire.

    J’enlaçai Laura Belfry dans ma robe. À la dernière minute, je pris la décision de garder mes gants. Ces gants et la pochette que je portais autour du cou serviraient à me remémorer qui je suis. Quand je soulevai le corps de Laura du sol, sa tête roula vers moi. Les yeux ouverts, elle me demanda silencieusement : pourquoi ?

    Mauvais endroit, mauvais moment, ma chère.

    Je la transportai plus profondément dans les bois. Déjà, je sentis la puissance de notre échange. Même le prestige, la forme de magie la plus simple, me donnait une poussée d’adrénaline. Je sentis un bourdonnement sur ma peau quand je la posai sur le sol. Ensemble, nos corps commencèrent à se transformer : mes traits s’adoucirent tandis que les siens devinrent rigides. En quelques secondes, j’eus vraiment l’air d’une mortelle, et un rondin en état de dégradation était étendu où j’avais posé Laura.

    Mon petit hommage aux histoires d’antan.

    Je faillis éclater de rire.

    Mais je n’en fis rien. Le sang de la fille moucheta ma peau. Il suinta dans les crevasses, m’entacha. Quand je me traînai péniblement vers la route, les jambes lourdes dans ses bottes, j’invoquai à la pluie de me purifier. Un mouvement rapide de la main suffit à déguiser la fissure dans la vitre du chariot. Quand ma magie cesserait de faire effet et que le rondin redeviendrait une fille, je serais loin de ce lieu.

    Je marchai dans la direction de la prochaine ville.

    2

    TAYLOR

    Dès l’instant où je posai le pied sur le terrain de foot, je sus que nous allions tricher. Tous les signes se dressaient droit devant moi. Les gars de l’équipe adverse donnaient l’impression d’avoir fait les quatre cents coups pendant le congé du printemps et notre entraîneur était trop occupé à lorgner les meneuses de claque pour nous donner toute directive utile. Mais pire que tout, c’était l’expression dans les yeux de Brad Dickson, celle qui disait : Gagne ou rentre à la maison dans un sac mortuaire.

    Comment épelait-on ça déjà ? Ah oui.

    F-O-U-T-U.

    Voyez-vous, Brad était dans notre équipe. Il était censé être notre défenseur central. Mais il était plus doué pour esquiver les règles, et les autres gars de l’équipe avaient tendance à suivre son exemple, si l’arbitre ne signalait aucune faute. Donc, il ne me restait qu’à décider si je voulais me taire (comme d’habitude) et laisser Brad tricher, ou prendre la parole et recevoir un coup à la gueule. Chaque jour. Pour le reste de l’année scolaire.

    Le secondaire : n’est-ce pas génial ?

    Je suis capable.

    Dans ce coin, pesant 77 kg de peau et d’os… Le sauvage, le nerveux, le maigre Taylor !

    Je suis probablement capable.

    Dans l’autre coin, pesant 100 kg de démence musculaire… Brad « La Bête » Dickson !

    Peut-être qu’il vaudrait mieux pour moi de baisser la tête et de me couvrir.

    La première moitié de la partie se déroula à une vitesse fulgurante. Nos gars n’arrivaient tout simplement pas à tenter un tir. Entre-temps, les joueurs de l’école Carson marquaient but après but. À la mi-temps, le pointage était de quatre-nada.

    Je suis complètement foutu.

    Quand le sifflet marquant la mi-temps retentit, Brad nous fit signe de joindre l’un de ses caucus notoires. J’essayai de penser aux palmiers et à la brise. Si je pouvais me glisser dans un état de zénitude, peut-être que la perte de quelques dents serait moins douloureuse.

    — Écoutez, les gars, commença Brad en enroulant le bras autour de mes épaules comme si nous étions des copains.

    Avec ses yeux exorbités et ses cheveux bruns hérissés en pointe, il donnait l’impression d’un mec avec la mauvaise habitude d’enfoncer des fourchettes dans des prises électriques.

    — Keller est notre plus gros problème.

    — Notre problème, c’est notre coordination qui est nulle, marmonnai-je.

    Brad agit comme s’il ne m’avait pas entendu. Il était trop occupé à darder d’un regard noir le dieu du ballon à la peau sombre de Carson à l’autre bout du terrain. Du haut de ses 2,05 m, Jackson Keller représentait tout ce que le trapu de Brad ne serait jamais.

    — Nous enlevons Keller et nous maîtrisons la partie, proposa-t-il.

    — Enlever Keller ? demandai-je.

    Allons-nous le soulever par lévitation au-dessus du champ ? Sommes-nous devenus des sorciers ou quoi ?

    — T’inquiète.

    Brad me serra l’épaule. Je pense qu’il essayait de me faire perdre connaissance.

    Bel essai.

    — Je ne m’inquiète pas à ce sujet, rétorquai-je en me soustrayant à sa poigne rude. Ce dont je me soucie, c’est de gagner en faisant preuve d’intégrité.

    — Ce dont je me soucie, c’est de gagner en faisant preuve d’intégrité, répéta Brad en m’imitant. Il n’est pas croyable, ce type !

    Les gars rirent. Bien entendu. Trouducs.

    — Je crois seulement que nous ne devrions pas abandonner tout de suite, insistai-je.

    Brad me regarda comme si j’étais l’idiot du village.

    — Nous n’abandonnons pas. Nous sommes là pour gagner !

    Il aboyait pratiquement à présent. À son affirmation, les gars réagirent : ils se mirent à l’acclamer, poings brandis.

    J’eus la sensation d’être en vedette dans l’un de ces téléfilms donneurs de leçon.

    Tout le monde le fait, Taylor.

    Essaie et vois si tu aimes ça, Taylor.

    TU N’AS FAIT QUE SUIVRE LES ORDRES, TAYLOR.

    J’avançai d’un pas.

    — Attendez, intervins-je, pleinement disposé à me prendre un pied au derrière.

    Mais peut-être réussirais-je à placer quelques mots avant que Brad me pousse sur le sol.

    — Nous n’allons pas faire ça. C’est pitoyable. Quiconque croit que c’est une bonne idée est tout aussi pitoyable.

    Mon Dieu, si jamais vous m’écoutez, je vous en prie, laissez-moi survivre à ce moment.

    J’attendis le coup.

    Je continuai d’attendre. Quand je constatai que mes yeux étaient fermés, je les ouvris.

    À présent, Brad riait.

    — Joli discours, remarqua-t-il en applaudissant lentement pour illustrer mon impuissance. Vous entendez cette merde ? Qui aurait cru que nous aurions droit à une partie de foot et à un spectacle ?

    Maintenant, toute l’équipe riait.

    Jamais je ne m’étais senti plus humilié. Brad choisit ce moment pour me frapper dans le dos.

    — Merci de la rigolade, lança-t-il. Les mecs, retournez à vos positions. Si quelqu’un voit qu’un tir franc est possible, faites-moi une passe.

    Voilà qui mit fin à la discussion. Mon moment héroïque était venu et reparti. Brad trouverait un moyen de gagner et la victoire lui appartiendrait.

    J’allais perdre.

    Nous allions tous perdre.

    Je retournai sur le terrain. Brad était déjà en position et complotait avec Guillermo Martinez pour éliminer Keller. Je connaissais la manœuvre. Brad allait fondre sur Keller tandis que Guillermo s’avancerait derrière lui. Quand Keller bondirait à gauche (sa feinte de marque), il trébucherait sur Guillermo. Se ferait une fichue d’entorse à la cheville. Peut-être même qu’il se casserait le cou.

    Il fallait que je les arrête.

    Mais comment ?

    Alors une idée me vint. Mon Dieu, c’était si évident ! Il me suffisait de très bien jouer. Si je marquais assez de buts de façon étique, Brad et les autres gars ne seraient pas obligés de tricher. Ils obtiendraient la victoire (et la gloire) sans que personne en souffre. D’accord, j’avais donné le meilleur de moi depuis le début de la partie et nous filions droit vers une défaite malgré tout. Mais à mesure que le désespoir montait en moi, je me dévouai cœur et âme à mon plan.

    Course, feinte, coup de pied. Course, feinte, coup de pied. Bon Dieu, ma stratégie fonctionnait réellement. Je marquai 2 buts au cours des 10 minutes qui suivirent et Keller parvint à dépasser Brad. Tout semblait rouler à mon avantage pour la toute première fois jusqu’à ce que Brad détourne son attention de Keller pour la porter sur moi.

    Merde.

    Il était le portrait même du Fidèle Vagabond une fois qu’il a été atteint de rage. Il se peut même que l’écume se formât à sa bouche. Alors, il accourut vers moi en hurlant : « Fais-moi une passe, fais-moi une passe » parce que gagner ne lui suffisait pas.

    Il fallait que la victoire lui appartienne.

    Dommage. Je l’ignorai. Le type était manifestement un psychopathe.

    Sans compter qu’il était aussi purement un joueur de défensive et pour l’heure, il ne faisait pas son boulot parce qu’il courait à mes trousses. Sous le regard du reste de l’équipe qui n’attendait rien d’autre qu’une bataille se déclare. Quand Keller m’enleva le ballon à la dernière minute, il n’y avait personne pour l’empêcher de marquer un but.

    Ce qu’il fit. Tandis que le ballon passa en flèche à côté de notre gardien, un sourire malicieux fendit mon visage. Je me sentis réellement heureux. Pour la première fois, depuis si longtemps que je n’en gardais aucun souvenir, je ressentis la joie.

    Parce que nous ne méritions pas de gagner.

    Ensuite, Brad tomba à genoux et mon sourire se transforma en rire. L’entraîneur nous criait de nous réunir en peloton, mais je n’allais certainement pas l’écouter. Où s’était-il caché pendant le reste de la partie ? Je saluai Jackson Keller par une tape dans la main avant de filer vers le gymnase.

    Plus je m’éloignais de mes équipiers et mieux je me sentis. J’entrai et ressortis du vestiaire avant que le premier d’entre eux me rejoigne. Puis, il ne restait qu’une foulée rapide pour atteindre ma voiture. Que j’avais prénommé Sue. Une berline de seconde main. Elle était dotée d’un long historique de bris, normalement aux moments les plus inopportuns, si bien que lorsque la portière ne s’ouvrit pas tout de suite, je n’y prêtai pas vraiment attention. Je me contentai d’essuyer mes mains sur mon jean pour ressayer.

    Encore une fois, la poignée se rabattit sans ouvrir la portière.

    C’est quoi, le fichu problème ?

    Je m’accroupis pour l’inspecter de plus près, tendis la main vers la poignée une troisième fois, puis m’arrêtai. De l’autre côté du parc, quelqu’un avait poussé un bruit semblable à un rire ; le type de rire qui semble bondir de votre bouche quand vous essayez de le retenir. Non pas pour la première fois cette semaine-là, j’eus l’impression qu’on m’observait. Mais je n’étais pas d’humeur à m’écraser (la partie de foot avait étouffé cette réaction en moi), alors je rangeai mes clés dans ma poche et marchai en direction du bruit.

    J’avais une idée de sa provenance.

    À la lisière du terrain se trouvaient des balançoires, que certains aimaient désigner sous le nom de portail vers une autre dimension. En réalité, il s’agissait du triste vestige d’une structure de jeux en bois bancale, une structure morte pour permettre à notre deuxième terrain de stationnement de vivre. Cependant, les balançoires s’en étaient réchappées (nous, les enfants, avions besoin d’un endroit où jouer) et j’aimais m’y réfugier quand les choses devenaient trop typiques à l’école.

    J’approchai lentement des balançoires. La fille assise là n’avait rien de typique. Sa chevelure était d’un roux flamboyant, ce qui rendait sa peau d’une blancheur extrême en comparaison. Dans la lumière bleutée du crépuscule, je discernai un t-shirt noir et un jean, qui ne semblaient pas à leur place sur elle, et de longs gants noirs qui, eux, semblaient appropriés.

    Elle leva les yeux vers moi.

    — Ai-je volé ta cachette secrète ?

    Elle avait une trace d’accent, italien ou peut-être français, trop subtil pour que je puisse le reconnaître. Je n’avais rien d’un grand voyageur.

    — Non, la rassurai-je en m’avançant vers une balançoire libre. Ce que je veux dire, c’est que c’est correct.

    Je distinguais cette folle énergie irradier d’elle, un peu comme la sensation d’être au beau milieu d’une tempête. Un bourdonnement se propagea dans mes mains et j’aurais voulu effleurer le bout de ses doigts, ses épaules, n’importe quoi.

    Je devais reprendre mes esprits.

    — N’as-tu pas froid ? demandai-je en m’assoyant près d’elle.

    — Oui, reconnut-elle avec un lent sourire, un sourire séducteur. Mais j’aime ça.

    — Tu en es sûre ?

    Je lui aurais donné mon manteau. Voire ma chemise.

    Calme-toi, mon vieux.

    — J’en suis sûre, confirma-t-elle en soutenant mon regard.

    Incroyable comme ces yeux étaient éclatants dans la pénombre ; comme les parties les plus chaudes d’un feu, comme la danse de flammes bleues et vertes.

    — Mais tu as changé le sujet.

    — Vraiment ?

    — Certainement. Je n’en avais pas encore terminé.

    — Désolé.

    — Oh, comment pourrais-je t’en vouloir ? D’abord, j’ai perturbé ta cachette secrète, puis je m’immisce dans ta vie privée.

    — Ça ne me dérange pas, l’assurai-je.

    Plus loin dans le terrain de stationnement, des portières de voiture claquaient et des moteurs tournaient, mais ici, dans le parc, je me sentais isolé. Il me suffit de jeter un coup d’œil à la fille, et les phares des voitures disparurent.

    — Vraiment ? s’enquit-elle, et le bruit des voitures se transforma en souvenir.

    — Certain.

    — Ça ne t’ennuie pas ?

    — Ça ne m’ennuie pas.

    — Oh, tant mieux. Dans ce cas, ça ne t’ennuiera pas de me dire de quoi tu te caches ?

    — Je ne me cache de rien. J’ai entendu un bruit, alors je suis venu mener l’enquête.

    Comme Sherlock Holmes. Ouais, ça c’est séduisant.

    — Mais ce n’est pas la première fois que tu viens ici, souligna-t-elle.

    Je me figeai. On aurait dit qu’elle admettait m’avoir espionné, et j’aurais probablement dû m’enfuir alors. Mais je n’en fis rien.

    Je lui dis la vérité.

    — Parfois, je viens ici pour m’évader.

    — De quoi ?

    — De ma famille. De l’école. De la vie, tu sais. De tout.

    — C’est un lourd fardeau pour toi, affirma-t-elle, les yeux écarquillés par l’étonnement.

    Je me détournai. C’était incroyable que je puisse passer des heures, des jours ou même des semaines à ignorer des parties de ma mémoire tout simplement en me tenant occupé avec des détails insignifiants. Pourtant, dès l’instant où un souvenir se faufilait, il provoquait un déluge.

    Je me passai une main dans les cheveux. J’avais commencé récemment à les laisser pousser et j’aimais pouvoir me cacher derrière eux quand j’avais besoin d’espace. Ma mère voyait les choses d’un autre œil : chaque fois que nous entrions en contact, elle me dardait de regards désapprobateurs voilés, comme si les poignards dans ses yeux allaient se transformer, en plein vol, en ciseaux qui me donneraient une coupe bien nécessaire.

    — Le même fardeau qui pèse sur tous, répondis-je enfin, à la recherche d’un moyen de détourner l’attention de moi.

    Que faisait-elle ici, de toute façon, à se balancer seule dans le parc ?

    — Qu’en est-il de toi ? Es-tu venue ici pour te cacher ?

    — Je suis venue ici pour m’échapper, indiqua-t-elle, et ses lèvres frémirent.

    Son visage était si pâle et ses lèvres, si rouges qu’ils évoquèrent en moi l’histoire de Blanche-Neige. Du sang sur la neige.

    — T’échapper de quoi ?

    — La répétition de l’histoire.

    Je poussai un petit gloussement.

    — Donc, nous n’avons ce point en commun.

    — Je suppose que oui.

    Son ton était désinvolte, mais je lisais la circonspection dans ses yeux. Je compris soudain qu’elle masquait sa vulnérabilité par l’humour.

    J’aurais dû le deviner. Il s’agissait de ma tactique préférée.

    Elle tendit la main.

    — Quel est ton nom ?

    — Taylor, me présentai-je en glissant mes doigts sur sa main gantée.

    Elle était chaleureuse et souple comme une eau dans laquelle j’aurais pu plonger.

    — Appelle-moi Laura, dit-elle, et à la dernière seconde, elle ajouta : Épelé avec un O.

    — Lora, répétai-je. Qu’est-ce qui t’amène à l’école Unity ? Viens-tu juste d’être transférée ?

    — Transférée ?

    — De changer d’école, tu sais ?

    Elle s’humecta les lèvres.

    — Je suppose qu’on pourrait dire que j’étudie mes possibilités.

    Mon visage rougit. L’espace d’une seconde, j’aurais juré qu’elle faisait des allusions grivoises. Mais les filles étaient différentes des garçons. Elle ne faisait pas allusion au sexe de façon badine dans une conversation.

    N’est-ce pas ?

    — Qu’en penses-tu ? la questionnai-je, à la fois effrayé par sa décision et impatient de l’entendre.

    — Je n’ai pas encore décidé.

    Le haut de son bras effleura la chaîne de la balançoire et elle aspira son souffle, comme si elle avait mal.

    — Ça va ?

    J’aurais voulu toucher son bras, la soulager là où la chaîne l’avait fait tressaillir. Je n’arrivais pas à comprendre l’intensité de mes sentiments. D’accord, elle était belle, mais ce n’était pas tout. Il y avait quelque chose dans sa peur, dans son refus d’y céder, qui me donnait l’impression de me sentir à ma place.

    Pour une fois.

    Elle se pencha vers moi.

    — Je songerai peut-être à faire un… transfert, convint-elle lentement, comme si elle venait d’apprendre le mot. Je crois qu’il me serait utile de rencontrer d’autres personnes. Mais je ne sais pas quoi faire exactement. Je n’ai jamais fréquenté une école traditionnelle.

    Ah, voilà. Elle avait été scolarisée à la maison. Eh bien, elle n’avait aucune raison d’en être embarrassée.

    — Tu peux encore t’inscrire, expliquai-je. Il te manquera seulement ton relevé de notes de tes anciennes écoles. Tes parents ne peuvent-ils pas…

    Je m’interrompis quand la lune passa la cime des arbres et illumina son visage. Le regard dans ses yeux vint m’achever.

    — Je ne vis pas avec mes parents, me corrigea-t-elle.

    — Moi non plus, lâchai-je avant que la réalité de ses paroles fasse mouche.

    Je patientai un moment avant de poser la question :

    — As-tu fui la maison ?

    — On pourrait dire que je m’en suis envolée.

    Je souris de façon involontaire. C’était tout comme si mon corps se rebellait contre le sérieux de la situation.

    — As-tu un endroit sécuritaire où passer la nuit ?

    — Pas vraiment.

    — As-tu besoin d’un endroit où rester ? Je vis au-dessus du garage de mes parents…

    — Que me demanderais-tu en retour ?

    — Rien, affirmai-je, et j’eus l’impression qu’une bouffée de chaleur envahit mon corps.

    Elle paraissait si méfiante à ce moment-là que j’aurais voulu faire du mal à quiconque l’ayant convaincu qu’un prix était toujours rattaché à la bonté.

    — Je veux seulement que tu sois en sécurité.

    — Pourquoi ?

    Parce que je suis une bonne personne.

    Non ! Essaie autre chose.

    Parce que si je l’aide, je vais devenir une bonne personne.

    Pas tout à fait, mais ça s’en approche.

    Parce que je suis une personne terrible et je dois me racheter.

    Parfait.

    — Parce que le parc est dangereux la nuit. Quelqu’un pourrait te harceler ou pire encore…

    Je tentai de lui jeter un regard subtil. Elle était presque aussi grande que moi et n’était certainement pas maigre. J’étais pratiquement certain qu’elle pourrait se défendre dans une bataille. Cependant, si quelqu’un la prenait au dépourvu ou était armé, est-ce que sa force suffirait ?

    — Fais-en l’essai pour une nuit, insistai-je avant de me lever et de lui tendre une main. Je t’en prie ?

    — Je suppose que je pourrais y jeter un coup d’œil, céda-t-elle enfin en prenant ma main.

    Je pouvais sentir son pouls à travers son gant. Je me concentrai sur cette sensation.

    — Vraiment ?

    — Oui. Si tu promets de m’aider dans mon transfert.

    — Je te le promets. Je vais t’aider.

    Je l’aidai à se lever. De près, elle dégageait une odeur de forêt, de terre, de pluie et de baies. Je résistai à l’envie de goûter sa joue.

    — Viens.

    J’éteignis les phares quand je m’engageai dans la cour. À la droite de la cour, la maison était plongée dans le noir. À cette heure de la nuit, il faudrait une invasion totale d’extraterrestres pour faire sortir mes parents du lit. Je n’avais aucune raison de m’inquiéter quand nous nous ruâmes dans le garage.

    Mais je me tracassai quand même. J’avais les nerfs en boule. Mon cœur se débattait comme s’il avait quelque chose à prouver : il galopait constamment, allait même jusqu’à sauter parfois des haies.

    Lora avait cet effet sur moi.

    Maintenant que nous approchions de ma chambre à coucher, ces nerfs me rendaient spastique. On aurait dit que le garage était un champ de mines jonché de boîtes. Des manches débordaient du haut des boîtes comme des membres abandonnés, mais elles me donnèrent une idée. Je fouillai dans une boîte, de mes mains et de mes yeux. Mes doigts glissèrent sur le tissu d’une chemise de nuit. Une minute plus tard, je grimpai l’escalier vers ma chambre en tenant la boîte en équilibre devant moi. Je mis une minute à localiser mes clés. Même une fois que je les tins, je parvins à manquer la serrure deux fois. Enfin, la clé s’inséra dans la serrure.

    J’actionnai l’interrupteur de la lampe.

    Oh non.

    Qu’était-il arrivé à ma chambre ? Quelques heures plus tôt, elle avait semblé être un endroit parfaitement acceptable où dormir. À présent, on aurait dit une porcherie ; le dernier endroit où amener une fille. Je tentai de ramasser des vêtements du sol avec grande désinvolture pour les lancer dans mon placard plein à craquer. Je dus appuyer mon poids contre les portes pour parvenir à les fermer.

    Y a pas à dire, j’ai l’air cool.

    Au moins, la salle de bain était plongée dans le noir.

    — Ce sont des livres d’école ? demanda Lora tandis que je réunissais des piles de trucs sur le plancher.

    — En partie, confirmai-je. Aimes-tu lire ?

    C’était une question stupide, le genre que j’aurais peut-être formulée à la maternelle, mais je voulais connaître ses réponses à tout.

    J’en avais besoin.

    — J’aime lire.

    Elle me fit un grand sourire, assise au bord de mon lit. Force m’était d’admettre que la faire sourire ainsi me faisait du bien.

    — Mais je n’ai pas eu la chance de lire… des écrits modernes. Les livres que nous avons à la maison sont beaucoup plus anciens.

    Je hochai la tête et imaginai des bibliothèques remplies de Bibles de toutes les couleurs. Je posai certains de mes livres préférés près d’elle. Puis, je me tins debout avec l’impression d’être un étranger dans ma propre chambre à coucher.

    — Tu peux te changer si tu veux, proposai-je en donnant un petit coup de pied à la boîte de vêtements. Sens-toi libre de dormir dans mon lit.

    — Très bien, accepta-t-elle d’un ton presque indifférent.

    Ses cheveux

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