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Le monstre du faou: Enor Berigman Enquête N°6
Le monstre du faou: Enor Berigman Enquête N°6
Le monstre du faou: Enor Berigman Enquête N°6
Livre électronique332 pages4 heures

Le monstre du faou: Enor Berigman Enquête N°6

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À propos de ce livre électronique

Lors de l’habituelle sortie de son chien, un retraité découvre le corps d’un homme noyé dans un ruisseau à Brest. Le meurtre ne fait aucun doute, la victime a été assommée puis maintenue la tête sous l’eau.

L’hypothèse d’un crime de rôdeur est écartée, car un message agrafé sur le mort laisse penser que d’autres homicides suivront. La pression est considérable pour les enquêteurs de la police judiciaire de Brest qui luttent alors contre le temps.

Les policiers ne seront pas au bout de leurs surprises quand ils apprendront que le noyé, habitant du Faou, était en lien avec deux meurtres de jeunes filles commis vingt ans plus tôt.

Malgré plusieurs pistes prometteuses, l’enquête du commissaire Berigman, parsemée de nouveaux assassinats et d’étranges connexions, tournera en rond avant d’aboutir à l’arrestation du pire des tueurs, aux marges d’un final tragique.


À PROPOS DE L'AUTEUR

Professeur des écoles pendant plus de trente ans au Faou, maire honoraire de la ville, Pierre Engélibert a profité de son départ à la retraite pour se remettre à l’écriture. Il est membre du collectif d’auteurs “L’Assassin Habite Dans Le 29”.
LangueFrançais
Date de sortie19 mars 2024
ISBN9782355507267
Le monstre du faou: Enor Berigman Enquête N°6

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    Aperçu du livre

    Le monstre du faou - Pierre Engélibert

    I

    Samedi 15 septembre 2001, 23 heures – Rumengol, route de Hanvec

    Julie Dantec est heureuse de l’achat récent de sa Peugeot 103 SPX sur les conseils de son frère Mickaël. En parfait état, la mobylette de 1999 n’a pratiquement pas roulé. Une excellente occasion qui lui permet de se déplacer facilement pour aller voir ses amis proches. Bien qu’elle ait obtenu son permis il y a deux mois, ses économies, entamées par cette dépense antérieure, ne l’autorisent pas encore à envisager l’acquisition d’une petite voiture d’occasion. Malgré le relatif isolement de Rumengol, elle n’en a pas fait une priorité. Peut-être parce qu’il arrive que Mickaël lui prête parfois la sienne, un peu à reculons certes, mais elle n’en abuse pas. Mais surtout parce que plusieurs de ses copines en ont une, ce qui règle provisoirement les problèmes de sorties plus lointaines. De toute façon, grâce à ses jobs de vacances ce n’est plus que l’affaire d’un an ou deux tout au plus avant d’avoir les moyens de commencer à envisager sérieusement un tel achat avec un petit coup de pouce de ses parents. Pour le moment cette vie lui convient parfaitement même si elle dépend un peu des autres pour quelque temps encore.

    Tout en roulant prudemment, car elle n’aimerait pas heurter un animal sur la petite route sinueuse, elle reste sous le choc de cette soirée chez Noémie. Sa colère contre Sébastien n’est pas retombée. Qu’avait-il donc ce soir ? Très vite ses propos irresponsables sur les attentats contre les tours jumelles de New York avaient torpillé l’ambiance. Comment avait-il pu saluer la beauté cinématographique de leur effondrement sans penser aux gens qui mouraient en direct sous les regards du monde entier ? Était-il tant aveuglé par sa passion des jeux vidéo ? Se pouvait-il qu’il manque d’humanité à ce point-là ? Ou n’était-ce que pure provocation de sa part afin de jouir des réactions indignées qu’il ne manquerait pas de susciter ? On ne savait jamais avec lui ! Sa façon de mêler le cynisme et l’humour allumait toujours un doute sur sa sincérité et produisait autant de rejet chez certains de ses interlocuteurs que d’attirance chez d’autres. Car il était brillant, sans le moindre doute. Éblouissant même, parfois, jamais à court d’arguments, mais le fond réel de sa pensée restait toujours inaccessible. Ou alors peut-être fardait-il son absence de convictions réelles par ses saillies qui n’épargnaient personne. Avait-il besoin par exemple de s’en prendre aussi violemment à cette maman et à son fils de onze ans, disparus jeudi après-midi à Rosnoën alors qu’elle avait loué à 15 heures un canot pour deux heures ? C’est vrai qu’il avait fallu mobiliser des pompiers du Faou, de Châteaulin et même de Brest, sans compter la vedette de sauvetage de Camaret, le chasseur de mines Éridan et des gendarmes de toute la région pour finalement s’apercevoir à minuit qu’elle s’était échouée sur une vasière et qu’elle attendait tranquillement le retour de la marée haute ! N’aurait-il pas mieux valu se réjouir qu’ils soient vivants plutôt que de fustiger son imprudence en laissant entendre qu’elle ne méritait pas les moyens de secours mis en œuvre ? Elle était accompagnée d’un enfant quand même !

    Quant à son attitude de séduction envers Noémie, elle l’avait jugée odieuse. Comment son amie n’avait-elle pas compris qu’il se moquait d’elle ? Elle ne l’intéressait pas, tous les présents le savaient, même elle sans doute, mais apparemment, flattée, elle avait semblé y croire. Mais surtout, à part pour l’intéressée, il était évident pour tous que ce comportement était seulement destiné à la provoquer, Julie ! Il jouait de son intérêt de toujours pour lui afin de la rendre jalouse sous les regards amusés de toute la bande, sauf de ceux d’Alexandre qui n’avait jamais caché qu’il était amoureux d’elle. Son visage fermé et ses yeux enflammés ne cachaient rien de la colère qu’il éprouvait.

    Où en était-elle elle-même entre Sébastien et Alexandre ? Le côté brut de Sébastien, presque sauvage, l’attirait irrésistiblement et elle se souvenait encore avec un léger frisson de leurs rencontres nocturnes, tous jeunes encore, près du cimetière. Ils se voyaient derrière la « chapelle du couronnement » après le champ de la vierge qui servait d’esplanade lors des pardons, à l’ouest de l’église Notre-Dame. Sébastien, comme beaucoup d’enfants, était fasciné par les morts et les cimetières, surtout sur un ancien lieu de cérémonies druidiques où des sacrifices avaient forcément été accomplis à l’époque des Osismes, l’ancienne tribu gauloise, affirmait-il. Elle n’y connaissait rien et pensait que les cérémonies sacrées devaient plutôt avoir lieu dans la forêt toute proche, mais elle tremblait encore parfois de ses descriptions morbides. Alors qu’Alexandre était si… raisonnable.

    Elle se pose une fois de plus la question sans trouver de réponse lorsqu’elle aperçoit au sortir d’un virage les warnings d’un véhicule garé de son côté de la route.

    Elle ralentit prudemment. En approchant elle identifie une camionnette et une silhouette qui se tient au beau milieu de la route en agitant ses bras par de grands signes. Faut-il qu’elle s’arrête ? S’agit-il d’une panne ? Pas trop rassurée, elle estime qu’il serait difficile de passer étant donné l’étroitesse de la route, aussi réduit-elle encore sa vitesse, prête à accélérer brutalement.

    C’est alors qu’elle reconnaît le véhicule et la personne qui lui barre plus ou moins le passage. Rassurée, elle s’arrête alors tout près de lui et dit :

    — Qu’est-ce qui vous arrive ?

    II

    Lundi 6 février 2023, 8 h 55 – Brest

    Le commissaire Enor Berigman vient de quitter sa résidence de Toulbroc’h sous le soleil lorsque les premières notes de flûte traversière de Bourée du groupe Jethro Tull envahissent l’espace de sa Volvo. Ian Anderson était vraiment un musicien exceptionnel, se dit-il une fois de plus, même si le morceau s’inspirait d’une suite de Bach.

    L’origine du coup de fil s’inscrit sur son écran GPS. C’est Denis.

    Quoique en route pour son bureau, il décide de répondre :

    — Oui, Denis ?

    Le capitaine Denis Bauzin, qui aura quarante ans cette année, était de permanence ce week-end. Le commissaire a aussitôt un mauvais pressentiment, ce ne peut être qu’une urgence, même si la nuit est terminée.

    La voix du policier semble un peu lasse, sans doute le fruit d’une nuit agitée :

    — Patron, on vient de nous appeler, un homme qui sortait son chien a signalé un cadavre vers 8 h 25. D’après la patrouille arrivée la première sur place un quart d’heure plus tard, il se pourrait bien qu’il s’agisse d’une mort suspecte. J’ai aussitôt prévenu le légiste et je suis moi-même en route, je devrais être arrivé dans moins de cinq minutes.

    — Pourquoi suspecte ?

    — Si j’ai bien compris le corps baigne sur le ventre dans un ruisseau peu profond, c’est plutôt inhabituel et de meilleurs endroits existent à Brest pour se suicider. Quant à un accident, c’est toujours possible bien sûr, mais peu probable alors j’ai préféré appeler Yves Cardic et les services forensiques, ils doivent me suivre de peu. Dans tous les cas il s’agit d’une mort violente.

    C’est la procédure dans ce type de mort, mais Enor imagine déjà l’exaspération d’Yves, le légiste, s’il estime qu’on l’a dérangé pour rien un lundi matin. Quoique, comme le pense Denis, si le mort baigne bien dans un ruisseau, sa présence sur les lieux est indispensable.

    — Tu as bien fait, j’espère que personne n’a touché à rien en dehors de la constatation du décès. Tu me donnes l’adresse ?

    — C’est au bout de la rue Jean-Sébastien-Bach, juste à l’orée de la rue Marie-Jacqueline-Desouches, vous pouvez la prendre en passant derrière le magasin Carrefour.

    Encore Bach ! Est-ce un signe ?

    — Ah, alors je serai très vite sur les lieux, je suis boulevard de Plymouth, tout près. Je ne connais pas cette rue, mais je vais trouver, à tout de suite.

    Dix minutes plus tard, heureusement guidé par le GPS il arrive sans problème, car dans ce dédale de petites rues en forme de labyrinthe il se serait perdu. Il songe avec amusement que certains de ses collègues seraient heureux d’amener le divisionnaire dans ce quartier puis de le laisser se dépatouiller pour en sortir pour gagner quelques heures de tranquillité. Il passe devant plusieurs véhicules garés sur le bas-côté et trouve une place près de l’entrée d’un grand chemin en évitant d’emboutir le véhicule d’Yves et une Peugeot 3008 bleue autour de laquelle plusieurs techniciens s’affairent.

    « Sans doute le véhicule de la victime », songe-t-il.

    Denis vient aussitôt à sa rencontre.

    — Bonjour, Patron, comme vous le voyez, sans doute à cause du ruisseau qui rend la zone humide et inconstructible le secteur est totalement désert sur cinquante mètres au moins. D’ailleurs en face c’est un bassin de rétention comme l’indique le panneau, de notre côté je ne sais pas où va ce chemin, mais ajouté au virage plutôt serré qui étouffe les perspectives, le résultat est que le coin est très isolé malgré les premières maisons plus loin.

    Enor balaie du regard le paysage et approuve :

    — Drôle d’endroit, oui, Brest m’étonnera toujours par ses recoins de verdure sauvage cachés pratiquement en pleine ville.

    — Oh, mais ce n’est pas le pire, venez donc voir le site où le mort a été déniché ! répond Denis.

    Le commissaire esquisse une grimace et lâche :

    — Je te suis.

    — C’est par là, Cardic et Claude Guitton sont déjà au travail.

    Guitton est le chef de la police scientifique.

    Au lieu de prendre la direction du chemin devant, Denis fait demi-tour et longe la route sur quelques mètres jusqu’à l’entrée d’un sentier qu’Enor n’avait pas remarqué. Il est vrai que plusieurs voitures garées le long de la chaussée en bouchaient partiellement la vue. Pourtant la rubalise qui bloque l’entrée est bien apparente ainsi que les deux agents qui interdisent l’accès aux éventuels curieux. À quoi rêvait-il donc en passant ? Deux autres agents discutent un peu plus loin avec un homme d’une soixantaine d’années près d’un fourgon. Un petit chien blanc et noir couché à ses pieds, sans race bien définie, attend sagement que son maître se décide à repartir. L’homme qui a découvert le corps, comprend Enor.

    Les deux policiers ne font qu’une quinzaine de mètres avant de découvrir la scène au sortir d’un virage en légère pente : le ruisseau, peu profond, la végétation, essentiellement de l’herbe et des petits arbres, un pont étroit qui conduit à l’entrée d’un tunnel sombre à quelques mètres, un cadavre reposant sur le dos au bord de l’eau et les spécialistes qui s’affairent en silence, indifférents à l’ambiance un peu lugubre des lieux. Un endroit en creux, presque une nasse, sans aucune visibilité ni derrière ni devant. On ne voit même plus la rue toute proche que Denis et lui viennent de quitter. Sinistre. Et même un peu oppressant, pense le commissaire, un coin qui donnerait l’impression d’être loin de tout sans le bruit incessant que font des voitures passant sur une grande route non loin d’ici. Il est un peu perdu, quelle grande route ?

    — C’est le boulevard Tanguy-Prigent, le tour de ville, qui est par là, quelques dizaines de mètres après le tunnel, précise Denis qui semble avoir deviné ses pensées. En fait nous sommes en dessous de son niveau, m’a dit un collègue, un autre tunnel se trouve plus loin et passe en dessous si j’ai bien compris. C’est pour cela qu’on entend si bien les voitures.

    — Un vrai coupe-gorge, ce lieu, répond Enor, allons voir ce qu’il en est pour notre mort.

    Les deux policiers se dirigent vers le légiste en saluant d’un geste de la main les techniciens présents dispersés à la recherche du moindre indice. Le commissaire, ne voyant pas Claude Guitton, suppose qu’il est quelque part de l’autre côté du tunnel.

    Comme Yves Cardic, penché sur le corps, leur tourne le dos, Enor préfère signaler son approche.

    — Salut, Yves, je suppose que tu n’as pas encore progressé dans ton examen ?

    Un vague grognement se fait entendre :

    — Ah, Enor, j’aurais dû m’attendre à te voir ! Tu ne vas pas être déçu, je peux déjà t’affirmer qu’il s’agit d’un meurtre.

    — Si vite ?

    Cardic se redresse en soupirant un peu et en se tenant les reins des deux mains.

    — Hou là là ! Je me fais de plus en plus vieux. Pour répondre à ta question, je n’ai aucun doute même si je n’en sais encore pas beaucoup plus, quoique j’aie une idée du scénario. Tu vois des pierres au fond de l’eau ?

    Enor observe le cours d’eau.

    — Non, aucune, tout juste quelques cailloux, et alors ?

    — Pourtant notre homme s’est pris un violent coup sur le crâne. À mon avis pas de quoi le tuer, mais suffisamment vigoureux pour l’étourdir et le maintenir ensuite sous l’eau sans vraie résistance.

    — Tu veux dire qu’il a été noyé ?

    — J’en mettrais ma main au feu, sans jeu de mots, confirme le légiste. Cela dit, l’état de ses doigts et de ses ongles montre qu’il a dû se débattre un peu par réflexe en grattant le fond, mais seule l’autopsie pourra nous en dire plus.

    — Patron, j’appelle l’équipe en renfort, dit Denis qui a compris qu’une enquête de proximité à la recherche d’éventuels témoins sera la prochaine étape pour les policiers.

    Le commissaire fait un signe d’accord puis se tourne de nouveau vers Yves :

    — Ce que tu veux dire c’est qu’on lui a maintenu la tête sous l’eau après l’avoir étourdi, c’est ça ?

    — C’est mon hypothèse. On peut se demander pourquoi procéder ainsi alors qu’un deuxième coup sur la tête aurait suffi, mais ça, c’est ton problème.

    Enor reste songeur quelques secondes, puis il reprend :

    — On a déjà vu plus étrange parfois. As-tu une idée de l’heure de la mort, ou tout au moins depuis combien de temps il était là ?

    Le légiste fait une moue qui exprime toute sa perplexité :

    — Comme tu le sais il n’est pas facile d’évaluer si vite le temps passé dans l’eau, ses vêtements chauds ajoutés à la température de l’eau assez basse sont des éléments qui peuvent retarder le début de décomposition du corps. Seules des analyses anatomopathologiques et biochimiques pourront nous éclairer plus précisément et cela prendra un peu de temps. Le dos était légèrement hors de l’eau, c’est par ces parties émergées que la décomposition commence chez les noyés. Dans tous les cas il faut rechercher la quantité de diatomées, ces petites algues brunes microscopiques qu’on trouve dans toutes les eaux, bref, difficile de se prononcer, cependant…

    Devant l’hésitation de son interlocuteur, Enor, qui connaît son homme, l’encourage :

    — Cependant ?

    — Entre nous, cela n’a rien d’officiel, mais je pencherais pour au moins douze heures. Je m’appuie sur la décoloration des habits et sur leurs souillures terreuses pour estimer cette durée approximative. Alors cela nous amènerait autour de 20 heures hier, mais la fourchette est large, garde ça en tête tant que je n’ai pas affiné cet horaire sur une table de l’institut médico-légal. De toute façon la priorité est d’abord de déterminer s’il s’agit bien d’une noyade.

    — D’accord, c’est quand même un point de départ. Tu as un créneau pour l’autopsie ?

    Yves regarde sa montre.

    — Hum ! Je vais la faire sans trop traîner, disons à 14 h 30, ça te va ?

    — Entendu, je m’arrangerai pour ne rien manger avant.

    Cardic sourit et réplique :

    — Eh bien, pas moi ! J’ai besoin de bien me nourrir avant d’officier.

    Enor prend un air faussement dégoûté et s’apprête à partir à la recherche de Claude Guitton lorsque le légiste lui communique une dernière information importante :

    — Ah ! Claude a un document pour toi, il s’agit d’un message qui était agrafé sous emballage étanche au dos de l’homme.

    Enor soupire et commente :

    — Bon, tu pouvais commencer par-là, voilà qui ôte tous les doutes quant à une mort pas très naturelle.

    — Comme tu le dis, mais je préférais attaquer par les constatations médico-légales, c’est mon travail. Pour le reste je te souhaite bon courage, car j’ai l’impression que tu vas rechercher un tordu de plus.

    — Ce ne sont pas forcément les plus difficiles à attraper, l’expérience montre qu’ils sont toujours trop bavards. Allez, à tout à l’heure.

    Rejoint par Denis, Enor s’engage quelques mètres plus loin dans le tunnel puis les deux policiers débouchent sur un fouillis végétal dans lequel s’enfonce le sentier avant de s’élever vers ce qui doit être un nouveau passage souterrain passant sous le boulevard. Le bruit ininterrompu de la circulation, au-dessus de leur tête, est devenu bien plus intense.

    Ils aperçoivent Claude et un technicien à une dizaine de mètres, isolés comme eux dans ce trou d’où on ne voit que le ciel comme horizon alors qu’ils sont invisibles depuis le boulevard. Enor se demande un instant si un autre quartier se trouve de l’autre côté de la route, et alors qui peut bien emprunter ce sentier qui n’amène même pas sur une zone commerciale. Mais autant qu’il l’évalue, il lui semble plutôt que c’est un centre hippique qui borde plus ou moins le boulevard sur l’autre versant, non loin du fort du Questel en retrait et de l’hôpital de la Cavale-Blanche un peu plus loin. Rien à voir avec une zone résidentielle.

    Guitton, qui les a vus approcher, se redresse et vient à leur rencontre.

    — Bienvenue à la campagne, leur déclame-t-il avec un sourire malicieux qui dément son propos.

    — Salut, Claude, nous cherchons la mer, répond Enor sur le même ton. Trêve de plaisanterie, Yves nous a dit que tu avais un mot pour nous, on peut le voir ?

    Guitton hoche la tête et sort délicatement de son sac un emballage protégé dans lequel se trouve une feuille sur laquelle un texte est visible.

    — Voilà, je n’y comprends rien, mais tu vas voir que deux éléments sont préoccupants.

    Enor s’en saisit et lit les quelques lignes avant de passer la pièce à conviction à Denis.

    Le texte est court et a un titre : Les Dissimulateurs

    « 1

    Le coucou est tombé à l’eau

    Il ne savait pas nager

    Et s’y est noyé

    Mais tant mieux il avait tout faux. »

    — On va prendre ça comme une revendication, commente Enor, mais je crois comprendre ce qui te tracasse.

    — N’est-ce pas ? opine Claude, le pluriel du titre et la numérotation de la strophe suggèrent qu’il pourrait y avoir une suite et donc d’autres victimes.

    — Cette conclusion est logique, approuve le commissaire qui se demande si ce message en forme de comptine est inventé ou non, hormis le titre qui doit sortir de l’imagination de l’assassin.

    Des recherches à ce propos s’imposeront.

    Denis intervient en rendant le document :

    — Et pourquoi « coucou » ?

    Enor fait une grimace.

    — Nous y réfléchirons plus tard. Rien d’autre ? fait-il à l’attention de Guitton.

    Ce dernier sort deux autres sachets et dit :

    — Non, aucun indice matériel pour le moment, nous avons récupéré son téléphone, qui a pris l’eau, et les clés de sa voiture que tu as dû voir à l’entrée, elle n’était pas bien loin. Par contre voici qui devrait faciliter votre enquête, un portefeuille qui contient les papiers de la victime. Il s’agit d’un nommé Loïc Le Prigent, soixante-sept ans, domicilié route de Landerneau au Faou. On peut se demander ce qu’il pouvait bien venir faire par ici si loin de chez lui.

    — Ce n’est pas un lieu de promenade, c’est le moins qu’on puisse dire, souscrit Enor, il n’est sûrement pas venu par hasard. Bien, on a de quoi commencer, tu nous avertis si tu trouves quoi que ce soit d’autre.

    — Entendu, mais n’y compte pas trop, tout indique que l’assassin est probablement venu côté rue. Garer une voiture sur le boulevard au-dessus n’aurait pas été discret et risquait d’attirer l’attention d’une patrouille.

    — On vérifiera quand même. Allez, à bientôt, je vais voir si l’équipe est arrivée.

    Enor et Denis retournent sur leurs pas. Yves Cardic et le corps ont disparu, laissant apparents les piquets de numérotation des emplacements marquants pour l’enquête. Seuls trois techniciens, dont Bernard Jagu, technicien principal, sont encore actifs sur le terrain à l’affût du moindre détail. Leurs sacs montrent que quelques prélèvements ont été effectués.

    Quelques mètres plus loin le groupe du SRPJ attend le commissaire sur le trottoir.

    Enor regarde sa montre, il est déjà 10 h 50. La journée va être longue. Dans de telles affaires les premières heures sont importantes et se fixer des horaires de travail n’a aucun sens. Il doit maintenant distribuer d’abord les tâches puis prendre contact avec le divisionnaire et la procureure.

    Après une rapide mise au courant des faits qui n’appelle aucun commentaire particulier, la quête d’un éventuel témoin dans la soirée de la veille est prioritaire. Enor fixe un secteur de recherche par groupes de deux.

    — Denis et Thierry, vous remontez la rue Jean-Sébastien-Bach ainsi que les petites rues adjacentes, Françoise et Ronan vous faites l’autre versant, vers la rue Marguerite-Yourcenar. Prenez bien votre temps, l’endroit du crime est facile à situer, si une voiture était garée dans le virage ou si une personne était là, quelqu’un peut s’en souvenir malgré la tombée de la nuit, alors n’oubliez pas de relever les maisons vides parce qu’il faudra y retourner plus tard.

    — D’autant qu’à cette heure, nombre de riverains doivent être au boulot, précise Françoise, on notera leurs numéros de téléphone chaque fois que possible. En les appelant dans la journée nous gagnerons du temps.

    — OK, faites comme ça, de mon côté, aussitôt après l’interrogatoire de l’homme qui a découvert le corps, je me rends au Faou avec Aela à l’adresse de la victime.

    Aela, qui habite Le Faou, avait précisé au commissaire quelques instants plus tôt que le nom de la victime ne lui disait rien.

    Le brigadier-chef Thierry Pouliquen, homme de terrain, émet une hypothèse :

    — Je suggère que nous demandions aux gens du coin si cet endroit n’est pas un lieu de rencontres homosexuelles ou autres, il en a les potentialités.

    Enor trouve l’idée intéressante, mais il n’y croit guère même s’il ne faut rien négliger.

    — D’accord, mais le mot retrouvé sur le corps n’incite pas vraiment à envisager ce type de meurtre, il indique une préméditation, peut-être même un rendez-vous. Françoise, je te laisse organiser la suite des recherches au-delà du boulevard, vers le centre hippique. Thierry, peux-tu te renseigner pour savoir si des collègues ont repéré une voiture mal garée en passant sur le boulevard en début de soirée ?

    — Je m’en occupe, Patron.

    — Bien, je crois n’avoir rien oublié, on se disperse et on se retrouve à 17 heures à la boîte. Ah si ! Ronan, rappelle Claude Guitton et demande-lui de te dicter le texte de la strophe puis essaie de voir s’il s’agit d’un extrait de comptine connue.

    Sur un dernier signe de tête du lieutenant Ronan Canu, les policiers se séparent.

    Enor et Aela s’approchent alors de l’homme qui a trouvé le corps. Enor lui donne pas loin de quatre-vingts ans. Grand et maigre, le regard est vif et le visage ne laisse poindre aucune fatigue malgré l’attente. Peut-être un bon témoin, se dit le commissaire après avoir parcouru la fiche de renseignement d’état civil tendue par un brigadier. Il remercie d’abord l’homme d’avoir patienté puis lui demande, même s’il a déjà une idée de la réponse :

    — Monsieur Clabon, pouvez-vous nous dire exactement comment vous avez été amené à découvrir le corps ?

    L’homme hausse les épaules.

    — Comme je l’ai déjà expliqué à vos collègues, c’est à cause de Nestor, mon chien. Je le sors tous les matins entre sept et huit pour ses besoins. C’est juste une courte promenade d’une dizaine de minutes maximum, j’habite tout près, à trente mètres.

    La voix est tranchante, sans hésitation.

    Comme pour renforcer son dernier propos il tend un bras en se retournant dans la direction où l’on aperçoit encore Denis et Thierry qui s’approchent de la première maison.

    Il les regarde quelques secondes, curieux, puis il reprend :

    — Des fois je suis le chemin le long du bassin de rétention, d’autres fois je prends ce sentier. Ce matin, vers 8 h 05, c’était le sentier, mon chien en profite souvent pour boire dans le ruisseau. Le jour se levait à peine, mais j’ai tout de suite remarqué la masse qui flottait dans l’eau et j’ai instantanément compris de quoi il s’agissait. Je suis rentré en vitesse à la maison et j’ai appelé la police. Voilà, c’est tout.

    — Vous n’avez pas essayé de voir si la personne était encore vivante ?

    — Pour quoi faire ? Il était évident qu’elle était morte, je suis médecin à la

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