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Thanatocytes: Roman inspiré de faits réels
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Thanatocytes: Roman inspiré de faits réels
Livre électronique484 pages7 heures

Thanatocytes: Roman inspiré de faits réels

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À propos de ce livre électronique

Salim doit sauver Lounes, son grand frère atteint de leucémie.

Thanatocytes décrit les difficultés d'un jeune émigré, Lounes, atteint d'une grave forme de leucémie et en attente d'une greffe de moelle. C'est son jeune frère, Salim, habitant de l'autre côté de la méditerranée, que les analyses de compatibilité choisiront comme donneur. L'absence de visa d'entrée en France pour ce dernier l’entraînera vers des risques insensés pour tenter de sauver son aîné. Sonia, sa fille, Amélie son nouvel amour et Baya sa grande sœur l’accompagneront corps et âme dans ses tourments.
Méda Seddik pose ici un regard sans tabous sur les contradictions et les mœurs dévoyées de nos différentes sociétés.

Découvrez le combat de Lounes et de sa famille pour tenter de le sauver d'une leucémie au travers d'un roman poignant sur les difficultés à se soigner !

EXTRAIT

Le pull de Yemma ou plus précisément de Salim se mariait élégamment avec son pantalon d’alpaga et ses chaussures « petit bateau » qu’il ne lui connaissait pas. Myriam valait bien ça !
— Tu es heureux comme un pape, à ce que je vois, commença Lounes.
— Non comme un amoureux, exulta le nouveau venu.
— Alors, raconte, s’empressa son ami, en l’entraînant vers sa chambre.
— Nous avons flâné quelques heures au Jardin des Tuileries, en face du Louvre, tu connais ?
— Le Louvre, ça me dit quelque chose, emboîta-t-il. Mais parle-moi de Myriam, plutôt.
— Ben écoute, j’ai passé un moment magique. On a échangé sur pas mal de sujets. Elle est intelligente et mûre. D’ailleurs, elle te passe le bonjour et te souhaite de te rétablir très vite.
— Vous êtes restés seuls pour discuter ? Elle était accompagnée, non ?
— Sa sœur s’est éclipsé un moment prétextant l’achat d’une affiche de la Joconde à l’accueil du musée. Elle, elle l’appelle « Mouna Louisa ». Elle a de la culture, tu sais, vanta Brahm’s qui avait manifestement mal transcrit.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Méda Seddik, fils d'émigrés, a grandi dans le quartier Bléville au Havre où son père était ouvrier au port et sa mère, femme au foyer. Il est le quatrième enfant d'une fratrie de neuf frères et sœurs.
Après ses études de médecine, il se spécialise en hématologie et en cancérologie et fut l’élève de Jean Bernard, Georges Mathe et Léon Schwartzenberg.
Il exerce à ses débuts au centre national de transfusion sanguine de Paris où il fit la rencontre du docteur Jean Pierre Allain. C'est ce dernier qui lui propose de s'intéresser à l'hémophilie. Méda Seddik se consacre alors, durant plusieurs années, à soigner les enfants atteints de cette maladie. Le scandale du sang contaminé qui entraîna le décès de nombre d'entre eux le dissuade de poursuivre sa vocation. Il pratique, dès lors, de façon intermittente en public et en privé. "Thanatocytes" est son premier roman.
LangueFrançais
Date de sortie24 juil. 2018
ISBN9782378772529
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    Aperçu du livre

    Thanatocytes - Méda Seddik

    Méda Séddik

    Thanatocytes

    Roman inspiré de faits réels

    © Lys Bleu Éditions – Méda Seddik

    ISBN : 9 782 378 772 529

    Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

    À

    mes parents

    À

    Jude, Gaël et Sofiane

    À

    Montesquieu

    C’était récurrent. Comme chaque vendredi, Lounes rentrait aux aurores. Comme chaque vendredi, il pestait, bougonnait avant de regagner sa minuscule chambre. L’appartement qu’il avait déniché dans une banlieue réputée pour sa vie communautaire était bien triste. Il le sous-louait à un compatriote qui vivait dans son pays natal la majorité du temps maintenant qu’il était en retraite. Brahm’s, un gars du bled rencontré au cours d’une soirée arrosée, le partageait avec lui. Il l’avait croisé dans le bar d’un des leurs qui faisait encore de la résistance malgré la culture ambiante. Brahm’s n’était pas en situation régulière. De simples copies scannées de papiers traficotés lui permettaient une sécurité bancale. Lounes, lui, était en règle grâce à une jeune beurette rencontrée au pays pendant ses vacances. Malgré sa vie parisienne, elle n’avait jamais fréquenté et très vite s’était amourachée de lui. Les traditions familiales étaient coriaces. C’est lors d’un mariage que tout arriva. Pendant le cérémonial cortège, elle s’était assise près de lui dans une voiture empruntée pour l’événement. C’était un pur hasard. L’occasion de la séduire, lui qui sublimait et fantasmait l’Europe, était inespérée. Rien ne fut facile. Il a fallu d’abord amadouer puis convaincre la famille qui, après l’expérience malheureuse d’une voisine, s’était juré de ne jamais marier leur fille à un « blédard ». Ce n’est qu’après de nombreuses influences et promesses qu’ils lâchèrent prise. Dès son retour en France, la soupirante s’était démenée corps et âme pour obtenir le regroupement familial. Cela nécessita plusieurs mois de procédure et de volumineux dossiers avant que Lounes puisse enfin la rejoindre légalement. Mais deux ans à peine avec sa dulcinée suffirent pour que la désillusion fût totale. Il ne pouvait à sa guise ni imposer son arrogance de parvenu et encore moins sa façon de vivre. La naissance de Sonia dès la première année de leur union n’avait rien arrangé et très vite le couple se sépara.

    Ce vendredi-là donc, Lounes était particulièrement fatigué. Son travail dans les chemins de fer devenait de plus en plus harassant en raison de graves incidents de trains qui imposaient une vérification stricte de toutes les voies. C’était lui qui avait demandé le travail de nuit afin que ses journées soient plus courtes. Maintenant qu’il était seul, le temps lui paraissait bien long. Brahm’s, de son vrai prénom Brahim, était déjà debout. Il s’éclaboussait dans la salle d’eau en vue de la journée sacrée. Un rituel qu’il exposait afin de faire valoir sa récente pudibonderie. Il avait, lui aussi, tout fait pour se retrouver chez les « roumis », vocable que ses coreligionnaires attribuaient aux « vrais Français », les estampillés « d’origine ». Comme beaucoup d’autres, il était venu en France avec un visa touristique qui avait expiré depuis déjà de nombreux mois. Il bricolait, comme il le disait, chez un artisan, lointaine connaissance de la famille. Ce dernier, d’ailleurs, n’embauchait que des clandestins à l’exception de deux ou trois faire-valoir en cas de contrôle. En cette période de crise, le travail au noir se portait à merveille. Brahm’s avait beau chercher, batifoler, il n’avait pas encore rencontré son éternel amour qu’il lui permettrait d’obtenir la fameuse carte de séjour. C’est vrai que toutes les « sœurs » étaient très sollicitées. La détresse humaine transméditerranéenne en attente d’un monde meilleur leur permettait le choix.

    — Pas de boucan à ton retour de la mosquée, j’ai besoin de beaucoup de sommeil en ce moment, avait ordonné Lounes.

    — Ne t’en fais pas, frère, je serais le plus discret possible, répliqua le colocataire ironique.

    C’était l’échange habituel. Lounes s’était laissé choir sur son matelas défriché posé à même le sol. Il s’était endormi très vite. Il n’avait jamais été aussi exténué. À son réveil, il trouva le silence. Il jeta un coup d’œil comme par réflexe sur son portable. Il était presque quatorze heures. Il comprit vite l’absence de son acolyte. Il n’était pas encore rentré du dhor, prière du début d’après-midi quasi obligatoire le vendredi. « J’ai dormi plus que de raison », pensa-t-il. La cuisine était un véritable capharnaüm. Les deux compères remettaient toujours au lendemain son rangement. La vaisselle sale n’était lavée qu’une fois l’évier débordant. Cela se terminait habituellement par des prises de bec, chacun arguant de son côté. Ce jour-là, le travailleur de nuit décida de faire le ménage. Il n’avait pas trop d’appétit. Au fur et à mesure du rinçage, le plan de travail fut vite enseveli d’ustensiles et de couverts. Après la nécessaire remise en ordre, il alluma la cafetière et attendit son bouillonnement. Il prit une tasse encore mouillée pour se servir et se dirigea vers sa veste pour en sortir son paquet de cigarettes. Dès la première bouffée, il toussa fortement et d’un geste brusque, écrasa la clope. « Saloperie de poison », maugréa-t-il, accusant le tabac de son essoufflement récent. Assis sur un tabouret de fortune dans la cuisine et sirotant sa boisson, il décida de se reposer toute cette fin de semaine. Il ne fera pas le marché du dimanche matin et n’irait pas non plus en Normandie chez sa tante où il se rendait au moins deux fois par mois. C’est chez elle qu’il reprenait goût au plaisir des petites choses de la vie depuis son divorce. Elle le choyait, lui lavait son linge et lui préparait de bons plats de chez eux. Ça le changeait des kebabs, des pizzas, de rien… C’est le retour de Brahm’s qui le sortit de ses cogitations. Ils se saluèrent à peine.

    — Alors, toujours pas décidé à te reconvertir ? lui proféra-t-il pour le taquiner.

    — Faut demander là-haut. C’est lui qui décide, paraît-il, lui lança le cheminot en lui montrant le plafond.

    C’était redondant. Il fallait que sa dévotion religieuse subite soit un calvaire pour les autres. Il y a peu de temps encore, c’est Lounes qui le ramenait à la maison titubant. Même le petit salon qui lui faisait office de chambre s’était transformé brusquement. Il avait chamarré les murs de chapelets, d’images pieuses et d’une large tenture colorée représentant La Mecque. Lounes, d’emblée, lui fit comprendre qu’il avait besoin de calme et de tranquillité et n’aimerait voir personne ni demain ni après-demain. Il était en effet habituel pour Brahm’s de recevoir tous les week-ends des connaissances, eux aussi dans la même situation. Ces derniers, comme lui, sollicitaient des visas de tourisme par les consulats dans leurs pays et en profitaient pour s’installer indéfiniment. Le séjour de trente jours autorisé était superflu. Vingt-quatre heures de laissez-passer étaient suffisantes pour leur dessein ! Tous ces pseudo-vacanciers consacraient leur soirée du samedi et parfois du dimanche après-midi à n’en plus finir de refaire le monde. Ils n’étaient pas à une contradiction près. Vilipender la France mais tout envisager pour y demeurer, la dénigrer pour ses rejets mais l’encenser pour son organisation, son humanité, sa propreté… bref, de la schizophrénie à l’état brut. Le religieux, obtempérant malgré lui, se dirigea vers la cuisine et fut surpris de l’ordre qui y régnait.

    — Fallait pas, j’avais justement décidé de m’en occuper aujourd’hui lui dit-il.

    — Je n’avais pas faim. J’en ai profité pour faire du rangement, répondit Lounes en prenant place sur une des deux chaises de l’étroit salon.

    Brahm’s prit une casserole et fit bouillir l’eau. D’un élément de cuisine accroché de travers, il sortit le paquet de spaghetti entamé et le sachet de gros sel.

    — Tu les veux comment… avec sauce tomate ? lança-t-il, retrouvant son aménité devant l’effort consenti par son binôme.

    — Non ça ira, je suis fatigué et sans envie… c’est le travail… on n’arrête pas… ils ne veulent pas embaucher. C’est la crise qu’ils nous répètent, se justifia son interlocuteur.

    Il l’écouta à peine et déposa une assiette sur le large guéridon décrépi qui servait de table. Comme la plupart de leurs meubles, ils l’avaient récupéré un dimanche soir dans les encombrants d’une résidence cossue. Il se servit de pâtes avec lesquelles il mélangea un fond de boîte de thon à la tomate, prit un reste de quignon de la veille et se goinfra. Lounes, las, le regardait d’un coin de l’œil à travers la porte de la cuisine entrouverte et enviait sa fringale. Il pensait à Sonia, sa fille, qu’il n’avait pas vue depuis trois semaines. Le travail de nuit ne facilitait pas la chose. Il savait qu’en cette période de vacances scolaires elle serait plus disponible mais le cœur n’y était pas. Pourtant, il a fallu moult tractations et de nombreuses dépenses pour qu’il obtienne un droit de visite régulier dans un endroit neutre. La rencontre lui procurait toujours un immense bonheur malgré l’absence d’intimité du lieu.

    Le week-end se passa sans attrait. Brahm’s n’avait pas été là tout le samedi sans doute invité au match retour du grand dénigrement chez ses amis. Lounes, lui, était juste sorti en début de soirée tenter son habituel jeu de grattage au PMU du bas de la rue. Il y rencontra deux ou trois lointaines relations auxquelles il refusa un verre puis rentra chez lui, après l’achat d’un sandwich au poulet. La remontée de la rue fut pénible. À l’entrée de l’immeuble, quelques jeunes désœuvrés le saluèrent. Il remonta difficilement les deux étages, l’ascenseur étant, comme à l’accoutumée, en panne. L’arrivée chez lui fut un énorme soulagement. « Bof, je passerai le dimanche à lambiner. Cela va me requinquer », soupira-t-il. La nuit s’opacifiait tandis qu’il s’endormit assis une chaise, son casse-croûte à peine entamé. C’est vers une heure du matin, réveillé par une envie d’uriner, qu’il se dirigea vers son inconfortable lit. Somnoler dans ces conditions lui était déjà arrivé. C’était au début de son divorce lorsqu’il passait ses nuits à s’aviner pour noyer son chagrin. Depuis, il avait repris le dessus et ne buvait qu’aux rares occasions.

    Le dimanche matin, il se sentit un peu mieux mais eut quand même du mal à s’exfiltrer de sa couchette. Il consulta machinalement son téléphone. Il était très peu sollicité. Sa famille, au pays, n’avait pas de gros moyens et personne ne possédait de ligne fixe chez les siens. De surcroît, il n’avait pas grand-chose à raconter. Sa vie était routinière et peu captivante. Il voulut appeler son ex-femme pour demander des nouvelles de sa fille puis se ravisa. Il ne se sentait pas d’aplomb pour aller la chercher en cas de sollicitation. Il resta immobile, plongé dans un mélange de nostalgie, de dégoût, de gâchis… Devait-il encore sublimer la France ? Ne pas concrétiser ses espoirs et ses rêves n’était-il pas plus palpitant ? Il demeura encore un instant dans ses pensées puis décida de se lever. Brusquement son cœur se mit à battre, cette sensation de mieux-être n’était qu’illusion. Manifestement, ce n’était pas la grande forme. Ce n’est qu’en fin de journée, qu’il réussit tant bien que mal à se diriger d’un pas incertain vers le salon et s’avachir sur la chaise. Bizarrement, le bruit de la serrure le rassurait.

    — Alors bon week-end ? demanda-t-il content de rompre sa solitude.

    — Oui avec les frères, et toi, bien reposé sans ma présence ? s’amusa Brahm’s.

    Lounes n’aimait pas ce mot de « frères » qui rappelait souvent la communauté et la misère sociale et culturelle qu’il avait fuies. Les Allemands ou les Anglais ne s’appellent pas « frères » eux !

    — La fatigue, la fatigue, répéta-t-il.

    — Bah ! Ça ira mieux en juillet quand tu descendras en vacances au bled, le rassura le rentrant. La France, c’est le miroir aux alouettes. Un bon niveau de vie et la liberté ne suffisent pas. Les racines c’est tout ce qu’il y a de vrai, ajouta-t-il péremptoire.

    « Alors, pourquoi rester sans papiers au pays des chimères ? » se dit en lui-même Lounes. C’était encore l’absurdité révoltante des « frères » mais il fallait faire avec. Le souffrant n’avait ni la force ni l’envie de porter la contradiction comme il le faisait à la moindre réflexion incohérente de tout un chacun. Son compagnon le comprit et fit montre d’empathie. Ils papotèrent encore de tout et de rien quand Brahm’s se mit à bailler.

    — Je dois aller me coucher. Le patron est en surcharge de boulot en ce moment, s’excusa-t-il.

    — Moi aussi, je dois encore me reposer. Demain, je dois être frais et dispo, émit Lounes qui n’avait rien ingurgité depuis son réveil.

    La plupart du temps, le boulot du travailleur clandestin consistait en l’aménagement de locaux ou d’appartements. C’était discret et peu exposé aux vérifications par les inspecteurs du travail. Il arrivait, plus rarement, qu’un chantier soit à extérieur rendant des situations comiques. Par peur des contrôles, à la moindre vue d’une personne cravatée avec attaché-case, une débandade anarchique s’en suivait comme dans les dessins animés. Il s’est même trouvé que le patron obtienne une sous-traitance dans un organisme officiel dans lequel non seulement ses ouvriers illégaux y affairaient, mais en plus, avaient droit au badge d’entrée !

    Lounes se leva péniblement. Brahm’s le dévisagea attentivement. « Il paraît bien pâle ! » songea-t-il. Certes, le travail de nuit était exténuant mais ce teint n’était pas rassurant. Une angoisse s’empara de lui.

    — Bonne nuit. Tout ça n’est que passager, lança-t-il sans trop y croire.

    — J’espère ! J’ai l’impression d’avoir pris un coup de vieux.

    Le lendemain, Lounes n’avait pas quitté son lit alors qu’il était midi. Le silence qui régnait le stressa. Il devait reprendre le travail dès ce soir mais dans son état ne s’imaginait pas pouvoir s’y rendre par les transports en commun, il était bien trop exténué. C’est à ce moment-là d’ailleurs qu’il sentit une goutte perler de sa narine. Il l’essuya instinctivement avec le dos de sa main. Du sang !… « C’est certainement le fait de triturer mon nez. Quelle mauvaise habitude ! », se reprocha-t-il sûr de lui. Il tenta de se mettre sur pied mais l’emballement de son cœur l’en empêchait-il s’inquiéta pour sa besogne qui l’attendait mais c’était plus fort que lui. C’était bien la première fois qu’il allait manquer à son devoir. En son for intérieur, il se demandait même si on le croirait mais qu’importe, il ne pouvait faire autrement. En fin d’après-midi, alors qu’il sommeillait de nouveau, il sentit une main lui frictionner l’épaule.

    — Frère, frère, tu ne t’es pas levé, tu vas être en retard !

    Lounes dessillait et fixa Brahm’s qui rentrait de sa dure journée de travail. Celui-ci confirmait l’aspect livide de son visage et remarqua également une tache de sang séché sur sa joue. Cela vérifiait ses doutes. Il ne plaisantait pas !

    — Je ne pourrais même pas me porter. J’ai aussi du mal à respirer, exprima le malade.

    — Attends, j’arrive, ne bouge pas, suggéra son ami en quittant l’appartement.

    Lounes pensa à ses collègues. « Quelle poisse pour eux sans moi ! » s’inquiéta-t-il. Son pénible job était si harassant qu’il s’imaginait indispensable comme le pensent ordinairement les subalternes. « Je demanderai à Brahm’s d’appeler. Il a dû aller faire un tour du côté de la mosquée », se dit-il en soupirant. Une bonne demi-heure s’écoula, quand son colocataire réapparut, un sachet à sa main. Il s’était trompé, Brahm’s avait été faire des emplettes.

    — Je vais te guérir ! Crois-moi, lui lâcha-t-il d’un air jovial pour l’apaiser.

    — Je te fais confiance. Tu as certainement la baraka, rigola le mal en point.

    Brahm’s coupa un citron en tranches qu’il déposa sur le front du souffrant puis les fixa avec un torchon pas très propre qu’il noua autour du crâne. Il avait vu sa mère le faire à ses petits frères lors d’accès de fièvre. Elle ignorait que la température, le plus souvent d’origine virale chez les enfants, était passagère et ne nécessitait pas véritablement de traitement. Mais la maman, convaincue de l’efficacité du procédé répété de génération en génération, ignorait les subtilités de la médecine et pensait détenir la panacée. Malheureusement, il n’y avait aucun miracle dans sa besace !

    — C’est mieux que les antibiotiques ! Tu verras, dans une heure, plus rien. En plus je vais te griller une tranche de steak. C’est Moussa, le boucher, qui te l’envoie. Je lui ai dit que t’étais fatigué.

    Lounes savait que ce Moussa n’était pas de ce genre. Il était persuadé que la viande avait été payée, ce qui exacerbait son désarroi. « Je dois vraiment avoir mauvaise mine », susurra-t-il n’étant pas habitué à tant d’attention.

    — Il faut prévenir les chemins de fer de mon absence et bien insister sur ma réelle indisposition, exhorta-t-il, en indiquant un petit carnet où étaient consignés les numéros de ses chefs.

    — Mais… ils comprendront. Penses-tu qu’eux vont se soucier de ta santé ? Occupe-toi de guérir plutôt ! réagit Brahm’s relaxe.

    C’était la différence entre un sans-papiers et un travailleur régularisé. L’un ne pouvait comprendre les obligations de l’autre. L’absence de perspective est parfois un affranchissement ! La liberté n’est pas toujours du bon côté. L’odeur de grillade, qui en d’autres circonstances aurait émoussé les papilles du cheminot, l’incommodait. Malgré tout, il ne pouvait décevoir son ami qui s’empressait de lui faire plaisir.

    — Mange et donne-moi des nouvelles ! Ne t’ai-je pas dit que j’avais travaillé quelques jours dans un Kebab chez un turc au Kremlin-Bicêtre ? demanda le cuisinier amateur pour détendre l’atmosphère.

    — Non, mais t’en as le talent, ça se sent, s’efforça de plaisanter Lounes.

    Il tenta courageusement de couper son bifteck mais sa vigueur chancelante l’en empêcha. Brahm’s vit la difficulté et le fit à sa place tout en fredonnant du Faïrouz, ce qui ne lui ressemblait pas. Lounes mit beaucoup de bonne volonté pour avaler quelques petits bouts de viande afin de réconforter l’ami qui se donnait tant de mal mais très vite abandonna. Décidément, l’avidité des grands jours n’était pas là !

    — T’es sûr de ne plus en vouloir ? Regarde comme elle est tendre ! C’est de la guimauve, l’encouragea celui qui le cocoonait.

    — Non, vraiment merci infiniment. C’est plus fort que moi. Mais laisse-la au frigo. Ne sait-on jamais si le besoin se faisait sentir plus tard, préconisa le choyé.

    Une envie d’uriner s’empara de Lounes qui tentait de se lever. C’était un calvaire. Brahm’s l’aida tant bien que mal et confirma la gravité de son affection. Dès qu’il fut debout, il aperçut un énorme bleu qui s’étalait sur le mollet droit.

    — Tu t’es cogné ? l’interrogea-t-il anxieux.

    — Euh, non pourquoi ? répondit l’invalide intrigué.

    — Il y a une tâche, regarde dit-il en lui montrant l’endroit.

    — Ça doit être au boulot. Avec tous les rails que l’on porte… argumenta Lounes en se retournant difficilement pour jeter un coup d’œil sur l’immense hématome.

    Brahm’s n’était pas convaincu de l’explication. Il invita son ami à s’asseoir sur le canapé du salon mais celui-ci, considérant le sofa comme partie intime de son copain, refusa et regagna sa chambre. Il était obsédé par son absence au chantier. C’était bien la première fois. Il ramassa son téléphone et appela Ilies, un des chefs de la boîte, auquel il fit part de son état de santé. Ce dernier le rasséréna, discernant très vite dans sa voix la réalité de ses propos. Ilies était la fierté des cheminots d’origine maghrébine. Il était des leurs et avait fait de grandes études. Il s’acquittait de sa tâche avec autant de conscience que de compétence. Il était respecté de tous bords. « Ne t’inquiète pas, je ferais le nécessaire », lui confia-t-il et ajouta : « prends soin de toi, le reste, je m’en occupe ». Il avait la magnanimité des altruistes. Lounes fut enfin tranquille avec sa conscience. Il referma son portable et s’étira sur son lit. Son compagnon comprit, par le ronflement qui lui parvenait, qu’il s’était endormi. Il resta un instant tétanisé. « Que doit-il couver ? » se demanda-t-il. Il décida de patienter encore cette nuit. Sans amélioration, il irait voir le Dr Halas dès son retour du travail le lendemain.

    Lounes s’était réveillé plusieurs fois durant son sommeil. Ses lèvres étaient sèches et craquantes. Il sentit un goût salé en les humidifiant. La journée qui suivit fut entrecoupée de courtes périodes de léthargie et de réveil. L’attente de son ami fut très longue. Il haletait au moindre effort. Ça n’allait vraiment pas. Dans cet état, il avait besoin d’être entouré. Il pensa à sa famille restée là-bas et à Salim, le plus jeune de ses deux frères, qui le sollicitait constamment pour le faire venir au pays des merveilles. C’est à ce moment que le bruit de porte le stimula.

    — Alors le patient va mieux ? demanda l’entrant tonitruant.

    Lounes opina mais le signe laborieux de la tête le trahissait, ce qui atténua l’alacrité de Brahm’s qui perdait de sa superbe.

    — Je vais voir le Docteur Halas. Je reviens vite, dit-il en renfilant la manche de son blouson qu’il venait à peine de quitter.

    Il disparut précipitamment de la chambre pour ne pas entendre de réponse. Pour Lounes, les médecins c’était pour les autres !

    Le docteur Halas faisait corps avec la cité. Il y était installé depuis plusieurs dizaines d’années. Son cabinet était situé au rez-de-chaussée de l’immeuble d’en face. Toute sa clientèle était d’origine subsaharienne ou d’Afrique du Nord. Il avait même appris quelques mots d’arabe et de wolof. Plutôt enjoué et complaisant, il était totalement « intégré » dans cette société parallèle. Dans la salle d’attente était placardé, entre autres, un grand panneau où l’on pouvait lire : « je ne te demande pas d’où tu viens, je ne te demande pas qui tu es, je te demande où tu as mal ». C’était sa devise. Brahm’s expliqua à la secrétaire qui servait également d’hôtesse d’accueil le motif de sa présence. Elle consulta l’agenda devant elle, demanda nom et adresse et griffonna sur une des pages.

    — Il passera vers dix-neuf ou vingt heures. Au deuxième étage à droite m’avez-vous dit ? confirma-t-elle tout en écrivant.

    — Oui c’est ça. C’est urgent, je crois que c’est grave, insista-t-il.

    La secrétaire cligna des yeux. Brahm’s détala afin de ne pas laisser Lounes trop longtemps seul. Il le réveilla tendrement.

    — Il sera là dans une à deux heures, le rassura-t-il. C’est un bon médecin, tu verras.

    — Merci. Sais-tu que je n’ai jamais ressenti cette lassitude ? Tu crois que c’est inquiétant ? l’interrogea le malade.

    — Une bonne grippe, c’est la période. On en parle partout. Tu n’as pas vu les pubs pour les vaccins ? le consola-t-il se rappelant une des affiches qu’il venait de voir chez le toubib.

    Lounes, plongé dans ses doutes, le regarda et s’efforça de sourire. Brahm’s avait, bien entendu, une entière confiance dans la médecine française. Le monde entier vient s’y faire soigner. Mais là, il s’agissait d’un proche. Le pire est toujours imaginé. Évidemment qu’il ne croyait pas un mot de son histoire d’épidémie. Des grippés, il en avait vu. Ils n’ont pas le teint cireux ni des filets de sang dans la bouche ! Il persista pour déposer le malade sur le canapé. « Cela sera plus commode pour la consultation du médecin », avait-il insisté.

    C’était la première fois qu’un « roumi », entrait dans leur foyer. Tous leurs voisins et copains venaient d’ailleurs ; d’Afrique, du Maghreb ou même d’Asie, du sud bien entendu. L’intégration, ou mieux, l’assimilation étaient des mots galvaudés, employés à l’envi pour amuser la galerie. Il faut l’envisager dans un siècle ou plus, quand la civilisation sera une. Le docteur Halas était habitué à ce type de garçonnière, désordonnée, confinée et jonchée de sacs pleins de bric et de broc où on y trouvait, pèle mêle, vêtements, matériel électrique et bien d’autres choses encore. Comme pour nombre d’émigrés, tous ces articles étaient récupérés dans les vide-greniers qu’ils sillonnaient au printemps ou récoltés en bas des immeubles où les plus aisés se débarrassent de leurs « superflus ». Tout ce barda n’était que temporairement stocké ici. Leur destination finale était leurs pays, friands de ces objets hétéroclites et bon marché. Une partie était distribuée dans la famille et la part substantielle revendue. Le subside récolté permettait, là-bas, pour certains de finir les interminables constructions ou, pour les débutants, d’envisager l’achat d’un lot de terrain. D’autres, rétifs au retour définitif, reconvertissaient l’argent en devises qu’ils rapatriaient ensuite dans leurs pays d’accueil. De l’import-export artisanal !

    Le médecin était grand, la soixantaine, cheveux frisés, grisonnants et ébouriffés. On s’était souvent demandé, dans le quartier, d’où il venait. C’est comme ça dans les populations défavorisées. On essaie de trouver chez le notoire un point commun qui flatterait son amour-propre. Certains le disaient de tel ou tel pays du Maghreb, d’autres le cataloguaient comme slave et même parfois grec. Lui s’était bien gardé de se révéler afin d’appartenir à tout le monde. « Je suis terrien », aimait-il répondre aux plus curieux. Après le coup d’œil furtif alentour, il se dirigea vers le divan où était allongé Lounes. Brahm’s l’avait péniblement traîné jusque-là. En le saluant, le médecin vit rapidement le teint hâve du patient. Il ouvrit son cartable de cuir marron patiné et en sortit un thermomètre otoscope. Après une minute et un bip, il remarqua le chiffre élevé de sa température et l’interrogea d’un air détaché.

    — Alors, qu’est-ce qui ne va pas ?

    — La fatigue docteur, la fatigue. Et depuis hier, je n’arrive pas à avaler, c’est douloureux, se plaignit le malade.

    Le docteur Halas examina sa bouche, nota une angine carabinée ainsi qu’une gencive très enflammée. En soulevant son pull, il remarqua des ecchymoses. Il continua son examen approfondi et nota de petites taches sur les membres inférieurs.

    — Ces points rouges, vous les avez depuis longtemps ?

    — Des points rouges ?... 

    Le docteur saisit l’étonnement de l’alité et ne s’obstina pas plus. Dans le jargon médical, on parlait de « pétéchies ». Cela traduisait un trouble sérieux au niveau des cellules sanguines. Ce tableau était plutôt alarmant. Brahm’s restait muet. Il observait juste le regard et le chiffonnement du thérapeute. Il tentait d’y décrypter une quelconque inquiétude. Le toubib sortit de son cartable une plaquette de comprimés.

    — Vous lui donnerez un cachet toutes les six heures. Commencez dès maintenant, ça baissera la fièvre, ordonna-t-il.

    — Oui docteur, répondit l’assistant fortuit.

    Il alla immédiatement vers la cuisine chercher un verre d’eau tandis que le clinicien sortit un ordonnancier sur lequel il consigna plusieurs lignes.

    — Dès demain et le plus tôt possible, vous irez au laboratoire Jouannet dans le centre commercial. On viendra le prélever à domicile. Je me ferais transmettre les résultats. Vous passerez en fin d’après-midi au cabinet. N’oubliez pas d’apporter sa carte d’assuré, débita-t-il d’un ton autoritaire.

    — Qu’en pensez-vous docteur ? se renseigna Brahm’s quand ils furent tous deux sur le palier.

    Il n’eut comme seule réponse qu’une mimique d’incertitude. Toute la nuit il veilla sur Lounes qu’il laissa dormir sur le canapé. Il avait à peine somnolé sur la chaise et attendait impatiemment la levée du jour. Il était sur les lieux une bonne demi-heure avant l’ouverture. Ce n’est que vers sept heures que deux jeunes filles, bientôt suivies par d’autres, ouvrirent les rideaux. Le laboratoire d’analyses médicales était situé dans la galerie du centre commercial à deux pas de l’immeuble où habitaient les deux jeunes émigrés. Jamais Brahm’s n’aurait imaginé pénétrer dans ce type d’endroit. On lui demanda de patienter le temps de se changer et de s’installer. Il était le premier arrivé. L’attente fut très courte avant que la secrétaire prît connaissance de la prescription médicale. Elle confirma l’adresse du domicile et appela au téléphone.

    — C’est bon, lui dit-elle, quelqu’un passera dans la matinée.

    — Vous ne savez pas dans combien de temps ? osa-t-il.

    — Ça ne va pas être long, l’infirmière est juste à côté, le tranquillisa-t-elle en souriant.

    — Il ne va pas bien du tout, ajouta-t-il comme pour accélérer la démarche.

    Brahm’s s’était engagé dans un travail urgent et son employeur comptait sur lui ce matin-là. Mais il devait aussi être présent dans l’appartement pour ouvrir à la préleveuse. Son colocataire en serait incapable. En repartant, il confirma qu’un cabinet paramédical libéral juxtaposait le laboratoire. Il ne l’avait jamais remarqué malgré les nombreux allers-retours qu’il faisait quasi quotidiennement dans la galerie. Sur le chemin du retour, une odeur de viennoiserie l’aguicha. Ce n’était pas dans les habitudes mais tant pis ! Il pénétra dans la boulangerie et commanda deux croissants. À peine rentré dans l’habitation, il entendit sonner. Il comprit vite l’objet de la visite et fut soulagé par la promptitude de la soignante, une femme blonde de taille moyenne une mallette à la main.

              — Bonjour, c’est pour…

    — Oui, oui, je sais, venez, il est là.

    C’était le deuxième « roumi » qui découvrait leur intimité. On aurait dû porter sur les fonts baptismaux : liberté, fraternité, égalité, santé. Lounes était hagard et préoccupé. Tout ce remue-ménage ne le rassurait guère. Il se laissa piquer sans réaction. La jeune dame constata son corps fébrile. Elle ne se doutait pas de la gravité du mal. Elle remplit plusieurs de ses tubes aux différentes couleurs, vérifia l’identité de l’étiquetage et prit congé. L’ami apporta l’assiette sur laquelle étaient déposés les croissants.

              — Ils sont chauds et croustillants mais ne te précipite pas, dit-il en plaisantant, j’ai lancé la cafetière. On va prendre le petit déjeuner ensemble. J’ai appelé pour dire que je serais en retard.

    Le malade sourit malgré lui à cette dernière remarque. Le « clandestin-travailleur-au-noir », lui, devait informer son patron ! Brahm’s ingurgita son café et eut la délicatesse de ne manger que la moitié de sa viennoiserie. Non pas que l’envie n’y était pas, mais il espérait que Lounes qui n’avait rien mangé la veille aurait assez d’appétit pour terminer le reste. Il lui embrassa le front, le couvrit d’un drap propre qu’il sortit de son étagère et quitta le domicile pas tranquille. Sa journée fut longue. Il était impatient de rencontrer le docteur Halas malgré l’inquiétude qui l’obsédait. Il se sentait complètement investi. Il était son ami, son confident mais aussi le plus proche dans le quartier. Des atermoiements commençaient à l’envahir. Devait-il prévenir sa famille au pays ou au moins sa tante ? Ne fallait-il pas attendre encore ? Il était désemparé. Il n’avait jamais été confronté à ce genre de situation. Son entourage n’était composé que de jeunes et solides gaillards !

    — Bonjour, j’ai rendez-vous avec le médecin, dites-lui que c’est pour le patient qu’il a visité hier. Il doit me communiquer des résultats, prononça-t-il le cœur en chamade et la voix tremblante.

    — Oui, je me souviens de vous. Le docteur a reçu les fax. Vous pouvez patienter un moment ? Il est en consultation.

    Brahm’s avait la bougeotte. Il ne tenait plus en place. Une vingtaine de minutes plus tard, le toubib apparut et le fit entrer dans le bureau qui était un véritable fouillis. Un cadre posé en biais traînait sur le bureau. C’était deux enfants souriant sur la photo. Probablement les siens. Dans ce milieu, on fait très peu de gosses malgré les moyens et les commodités. Bien le contraire dans le tiers-monde. Paradoxe !

    — Bon, commença-t-il. Les examens en ma possession confirment qu’il s’agit d’une maladie du sang. Il nécessite une hospitalisation urgente dans un service spécialisé pour des examens plus poussés. Votre ami est donc attendu au service d’hématologie de l’hôpital Saint Louis dès demain. Il lui est conseillé de partir à jeun.

    Le docteur Halas récitait un texte qu’il ressassait régulièrement à quelques nuances près. Ce n’était pas la première fois qu’il était confronté à cette conjoncture. Son vis-à-vis l’écouta attentivement puis une fois l’exposé terminé, réagit.

    — Docteur, dites-moi la vérité, c’est méchant ? demanda-t-il d’un air soucieux.

    — C’est sérieux mais de nos jours la médecine fait des prouesses. Il a toutes ses chances. L’important, c’est de ne pas perdre de temps, lui déclara-t-il en ouvrant la porte.

    Les médecins mettent des formes pour communiquer mais savent que l’intérêt des patients est de connaître leur état pour mieux affronter la maladie, cela va de soi ! La salle d’attente était archicomble. Le docteur ne pouvait s’étaler comme il le désirait. Le temps imparti à chaque client était minutieusement calculé. Il s’agissait surtout de satisfaire le maximum de patients toujours plus nombreux. Ce métier, ce n’est pas une sinécure ! Il ordonna à sa secrétaire de remettre les documents et d’expliquer les démarches nécessaires pour la suite.

    — Voilà le courrier à remettre dès l’arrivée du malade à l’hôpital. Vous trouverez également dans cette chemise un double du résultat de ses analyses et un bon de transport. Cela vous permet d’utiliser une ambulance si vous le désirez. Avez-vous amené sa carte d’assuré ?

    — Oui, bien sûr. La voilà ! s’exécuta Brahm’s.

    En cours de route, sur le chemin du retour, il observa l’enveloppe et tenta de déchiffrer le nom du correspondant. « Doctour Gluqueman », lut-il en faisant un effort sur la prononciation. Il réfléchit quelques secondes et ajouta in petto : « Avec un nom comme ça, il guérira ! »

    Cela faisait une dizaine de jours que Lounes était hospitalisé. Il eut de très nombreux examens et après plusieurs transfusions de globules rouges et de plaquettes, son état de santé s’était considérablement amélioré. Il en apprenait tous les jours sur le sang. Son interne attitré était un certain Benhamou, un homme d’une taille moyenne, les cheveux noirs, yeux noirs, un teint mat et très peu loquace. La première fois qu’il l’avait vu, c’était pour subir une ponction au niveau de l’os.

    — C’est pour vérifier la moelle lui avait-il expliqué laconiquement.

    Lounes lui avait répondu par quelques mots en dialecte de chez lui. À son regard et sa moue, il s’aperçut qu’il ne comprenait pas. C’est plus tard, au décours d’une discussion avec l’aide-soignante, compatriote comme lui d’Afrique du Nord, qu’il avait appris que ce n’était pas un Benhamou de chez eux ! Le « Y. » floqué sur sa blouse devant son nom n’était pas l’initiale de « Youssef » comme il le présageait. La chef de service, le docteur Eliane Gluckman, petite bonne femme, la cinquantaine, les cheveux bouclés et sans teinture, avait, avec sa voix enrouée, tout expliqué au malade. Elle lui avait parlé de leucémie aiguë et de chimiothérapie. Ce dernier mot l’avait fait sursauter. Chez lui, ce terme signifiait mort inéluctable. Il resta perplexe puis se réconforta. La propreté de la chambre, les draps immaculés, la sollicitude du personnel et la rigueur du docteur Gluckman le rassuraient. Il était, ici, plus en sécurité que n’importe où ailleurs. Il prenait du plaisir à tant de compassion autour de lui. Seul le rituel de la grande visite des médecins deux fois par semaine le dérangeait. C’était un panel de spécialistes et d’étudiants qui, sans la blouse blanche, rappelait une troupe d’acteurs tenant chacun son rôle. Il appréhendait les questions qui lui étaient incompréhensibles. Il provoqua même une hilarité difficilement étouffée qui l’avait complexé. C’était peu de temps après son entrée à l’hôpital. À la question d’un interne qui lui demandait : « et les selles ? », il avait répondu naïvement : « non ça va. Je sale très peu comme vous me l’avez recommandé ». La prise de cortisone à forte dose imposant un régime hyposodé avait créé le quiproquo !

    Le premier dimanche soir, sitôt le départ de tous les visiteurs de l’après-midi, avait été déprimant. Sa tante, contactée par son ami, était venue pleine de victuailles. Elle ignorait les règles strictes

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