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Jeanne derrière la porte: Roman psychologique
Jeanne derrière la porte: Roman psychologique
Jeanne derrière la porte: Roman psychologique
Livre électronique104 pages1 heure

Jeanne derrière la porte: Roman psychologique

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À propos de ce livre électronique

Quand les femmes de la vie de Julien, plongé dans le coma, parlent… les révélations peuvent être terribles !

« Personne ne mérite de mourir. » Julien a entendu quelqu’un prononcer cette phrase. Le coma dans lequel il est plongé ne l’empêche pas de percevoir ce qui se dit autour de lui. Des voix familières, la petite sœur et l’épouse, des maîtresses, sa fille Jeanne, et, bien sûr, Maman. Grâce à ces fantômes, Julien rassemble les fragments d’une existence morcelée. Et pousse les ultimes portes de sa vérité intérieure…

Un roman qui revisite les rapports hommes-femmes

EXTRAIT

Les voix sont de l’acide qui lui coule au cerveau, la dernière surtout, de l’acide pur, les voix sont ailleurs.
— Pauvre Julien. Il ne mérite pas de mourir.
— Personne ne mérite de mourir.
Les voix prononcent des mots terribles.
Sa pensée se tord et se tend vers Maman. Elle ne lui a jamais fait faux bond sauf quand elle-même a dû lâcher la vie. Elle avait bien tenu, elle avait même enterré Blanche, sa femme, son ex-femme qu’il avait quittée, chassée plutôt, elle prenait trop de place, Blanche, elle oubliait où elle était, chez Maman qui avait fait tout son possible pour les accueillir dans sa maison. Blanche voulait qu’ils habitent ailleurs, elle avait parlé d’une petite maison qu’ils loueraient tous les deux. Maman, elle, avait proposé simplement qu’ils ne dépensent pas d’argent inutilement, il y avait deux chambres chez elle, c’était bien suffisant.

CE QU’EN PENSE LA CRITIQUE

- « Julien a grandi sans réel bonheur, dans un monde dépourvu d’hommes, avec l’impression de n’être jamais vraiment sa place. Line Alexandre confirme ici son talent pour dire l’indicible, pour mettre en mots ces émotions enfouies en chacun de nous, sans tomber ni dans l’anecdotique, ni dans la sensiblerie malgré le tragique de la situation et, finalement, de l’existence passée de son narrateur muet. » Culture, ULg

- « Dans des instants de confession, apparaissent tour à tour amour, dureté, espoir, rancœur et tendresse. La tension va crescendo, au rythme des révélations, qui font de la fin un moment bouleversant et profondément humain. » Séverine Radoux, Revue des Lettres belges francophones

- « Julien, un homme de septante ans, est allongé immobile, plongé dans le coma. Son corps ne répond pas, mais il entend. Des femmes viennent le voir. Sa fille Jeanne, sa sœur et sa maîtresse lui rendent visite. L’histoire de cet homme se raconte grâce à ces voix féminines. » Musiq’3, RTBF

A PROPOS DE L’AUTEUR

Romaniste, enseignante, Line Alexandre vit à Liège, où elle écrit et anime des rencontres littéraires. Elle a publié deux romans, Petites Pratiques de la mort (Le Grand Miroir/Luc Pire, 2008) et Mère de l’année ! (Luce Wilquin, 2012), et un recueil de nouvelles, Ça ressemble à de l’amour (Luce Wilquin, 2013).
LangueFrançais
ÉditeurWeyrich
Date de sortie7 janv. 2016
ISBN9782874893612
Jeanne derrière la porte: Roman psychologique

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    Aperçu du livre

    Jeanne derrière la porte - Line Alexandre

    1.

    Les voix sont de l’acide qui lui coule au cerveau, la dernière surtout, de l’acide pur, les voix sont ailleurs.

    — Pauvre Julien. Il ne mérite pas de mourir.

    — Personne ne mérite de mourir.

    Les voix prononcent des mots terribles.

    Sa pensée se tord et se tend vers Maman. Elle ne lui a jamais fait faux bond sauf quand elle-même a dû lâcher la vie. Elle avait bien tenu, elle avait même enterré Blanche, sa femme, son ex-femme qu’il avait quittée, chassée plutôt, elle prenait trop de place, Blanche, elle oubliait où elle était, chez Maman qui avait fait tout son possible pour les accueillir dans sa maison. Blanche voulait qu’ils habitent ailleurs, elle avait parlé d’une petite maison qu’ils loueraient tous les deux. Maman, elle, avait proposé simplement qu’ils ne dépensent pas d’argent inutilement, il y avait deux chambres chez elle, c’était bien suffisant. Elle leur laisserait la grande chambre, sa chambre. Elle et lui avaient fait l’échange du contenu des tiroirs et de la garde-robe. Ils riaient en se croisant sur le petit palier, des chemises, du linge plein les bras. Un bon moment. Pour finir, elle lui avait dit Laisse, Julien, c’est moi qui vais ranger, tu vas tout me chiffonner ! Va faire un tour !

    Elle avait raison, il était maladroit. Il avait enfourché son vélo.

    Va la voir ! avait dit Maman qui pensait toujours aux autres.

    Il avait pédalé de toutes ses forces sur la grand-route, faisant la course contre lui-même. Il était rentré en nage, elle l’avait obligé à se changer, il était fragile, refroidissait pour un rien, ce n’était pas le moment à quelques semaines du mariage d’attraper une pneumonie. Mais il n’était pas allé voir Blanche parce que Blanche, il la voyait tous les jours, ils travaillaient ensemble à la facturation à l’usine. Il passait la chercher en vélo et ils partaient dans le petit matin, engourdis de sommeil, silencieux, concentrés sur leur souffle dans l’effort. Il pédalait plus vite qu’elle et quand il avait pris un peu d’avance, il l’attendait en haut des côtes puis repartait de plus belle. S’essouffler, donner toutes ses forces avant d’aller se visser sur une chaise dont le skaï lui chaufferait les fesses durant toute la journée. Il n’avait pas rêvé de ce métier, de cette vie noyée dans des chiffres, mais les autres disaient qu’il avait eu de la chance. L’usine faisait dans l’emploi familial, embauchait le fils, le beau-fils, le fiancé, le frère ou le mari, de préférence à un inconnu.

    Aller au bout de son souffle chaque matin, parier que tout n’était pas fini, que sa vie n’était pas jouée, le rêve d’une autre vie à caresser comme le chat Grigri qui venait s’assoupir sur ses genoux le soir dans le fauteuil.

    Il n’avait pas eu son content de vie.

    Il y avait d’abord eu la guerre et la guerre quand on a treize ans, c’est trop injuste. Avoir faim, se réveiller la nuit au bruit des bombes, descendre dans la cave, oh la cave basse, humide qui sentait le charbon, les pommes de terre, c’était déjà un tombeau, et ce noir épais d’où perçait la voix de Maman, si lointaine. Elle ne le serrait plus contre elle parce qu’elle avait les bras occupés par Catherine, la petite sœur qui, elle, avait le droit de pleurer et d’être consolée, bercée. Il n’y avait plus qu’une voix dans le noir, celle de Maman, son père était mort quelques mois après le début de cette guerre, même pas au front, même pas en héros, non, au fond de la mine, écrasé par un wagonnet qui avait échappé à ceux qui le poussaient, avait dévalé la voie, pris de la vitesse jusqu’à sortir des rails et se projeter sur celui qui était en bas de la pente au mauvais endroit. On avait raconté les détails à sa mère en lui apprenant la nouvelle et lui était resté, on aurait dû lui dire de ne pas écouter. La nuit, il se bouchait les oreilles pour ne pas entendre le métal qui hurlait son arrachement, le cri de son père, puis les gémissements étouffés, le sifflement du souffle qui peinait à passer, le thorax avait été écrasé, On n’a pas pu l’extraire vivant. Cela ne servait à rien de fermer les yeux et de se boucher les oreilles, le film était à l’intérieur et repassait en boucles. Combien de fois s’était-il réveillé la nuit, hagard d’avoir revécu l’éternel cauchemar, happant l’air comme si c’était sa poitrine qui était défoncée ! La mort, c’était perdre le souffle et cela l’affolait, ce moment où l’air ne passerait plus, où il étoufferait seul, les yeux clos avec ces voix qui diraient des choses absurdes, c’est fini, il n’a pas souffert, ces voix qui mentaient.

    Il valait mieux que ce qu’il avait vécu, mieux que les baisers tièdes de Blanche, mieux que ce travail propre que lui enviaient ses copains de bistrot avec lesquels il tapait la carte les samedis et buvait franc jusqu’à rouler dans le fossé où on le retrouvait le dimanche matin, avec son vélo sur lui comme une mauvaise couverture qui ne protégeait pas du froid. Le fossé, ça, c’était ce que ne digérait pas son beau-père. Ce voyou ! (Il avait dit voyou, ou vaurien ? C’était tout comme), ce voyou n’était pas pour sa Blanche !

    Dans la famille, on racontait qu’elle avait failli mourir à quinze ans d’une sorte de microbe cardiaque, enfin c’est ce qu’il avait compris, qu’on l’avait sauvée en allant chercher du beurre et du lait frais dans les fermes pour lui rendre des forces même si cela condamnait le reste de la famille aux patates et aux soupes pour des semaines. C’était pendant cette sale guerre. On l’avait veillée, on l’avait sauvée. Alors il fallait la dorloter. Voilà ce qu’on attendait de lui. Quand il l’avait compris, il était trop tard, on parlait déjà mariage. C’était elle qui lui avait forcé la main parce qu’elle se dérobait toujours à ses caresses, Quand nous serons mariés, rougissait-elle en promesse. Elle était belle quand même avec ce quelque chose de presque souffreteux qui l’émouvait, mais il s’était trompé, ce n’était pas de l’amour, il avait signé pour quelque chose dont il ne voulait pas.

    C’était la sœur de Blanche, Nicole, qui avait annoncé la nouvelle à leur père : Blanche et Julien allaient se marier. Blanche n’avait pas osé affronter son père et lui non plus. Voir la tête du beau-père s’allonger comme si on lui annonçait un deuil, non merci. On ne lui avait rien épargné, il avait eu droit à la répétition des paroles historiques : Si elle veut du malheur, qu’elle l’épouse ! Sa fille, c’était de l’or. Pas pour les pourceaux. Et lui était le roi des pourceaux pour le beau-père, un pourceau volontiers abattu d’une bonne balle dans le front, juste entre les deux yeux, puis mis à fumer dans la cour avec l’odeur de graisse brûlée qui s’installait dans les maisons. Il en était malade quand on tuait le verrat dans la ferme d’à côté, l’odeur lui montait droit au cœur quand il regardait les rigoles dans la cour où traînaient, même longtemps après, de gros paquets brunâtres, agglomérats de sang et de terre poisseux. Le pourceau brûlé. Ses poils se hérissent sur ses bras, comme sur la couenne ceux du verrat carbonisé.

    — On dirait qu’il frissonne.

    Le froid lui monte des pieds aux jambes comme une marée décidée à tout gagner. La mer, il l’avait vue pour la première fois quand, en guise de voyage de noces, ils avaient pris le train pour y passer la journée. Pas les moyens de faire plus, et ils étaient en deuil. Le beau-père s’était tué en moto quelques semaines

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