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Le pavillon noir: Roman
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Livre électronique224 pages2 heures

Le pavillon noir: Roman

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À propos de ce livre électronique

Vu du premier étage de la tour Eiffel, la fourmilière que représente la zone de l’Expo du Pont de Grenelle au Pont Alexandre III s’étale sur une centaine d’hectares, dont l’île aux Cygnes, et comprend selon la documentation préparée par Edmonde, 44 nations, 300 palais et Pavillons dirigés par des dizaines d’architectes dont certains prestigieux. Pour l’heure, c’est Verdun, un enchevêtrement de planches, d’échafaudages, de camions, sans compter les milliers d’ouvriers de tous les pays qui gesticulent en s’apostrophant. Le grondement sourd qui en résulte ressemble à un champ de bataille avant l’assaut. Philippe, avant son départ, avait recueilli les consignes de Kaiser, rencontré le chef de chantier pour prendre le pouls du pavillon malmené par les grèves, et un millier de choses à faire qu’il avait soigneusement répertorié dans son carnet.
La première des urgences était de trouver un appartement, il se souvint de l’adresse notée à la terrasse de la Rotonde, et prit le métro pour se rendre rue Lyautey.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Jean-Yves Guillemin est architecte, métier qu’il a pratiqué avec passion en province jusqu’à sa récente retraite. Il a depuis toujours dessiné et écrit, par envie et bonheur, des dizaines de poèmes et nouvelles qui sont toujours restés dans ses tiroirs.
LangueFrançais
Date de sortie10 avr. 2020
ISBN9791037706324
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    Passionnant roman historique sur l’Expo de 1937 à Paris la petite histoire d’un couple d’amoureux mêlé à la grande histoire du front populaire

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Le pavillon noir - Jean-Yves Guillemin

Chapitre I

Dijon, mardi 4 Mai 1937

Appelez-moi Saint Saulieu ! tonna Kaiser en frappant violemment son sous-main cuir pleine peau. Ce qui eut pour effet de faire chanceler la lampe et tomber le petit cadre posé à l’angle du bureau, une photo jaunie, qui représentait sa femme en tenue de bains sur une plage de Cabourg, à l’époque de leur rencontre. L’incident transforma son courroux en une volée de jurons inintelligibles.

Le bâton de rouge occupé à tracer une courbe sur sa lèvre supérieure dérapa. Edmonde, la nouvelle secrétaire reposa son miroir de poche et se pencha sur l’interphone en lien avec l’atelier des archis.

— Monsieur Hagenbach souhaite vous voir immédiatement !

On entendit dans la seconde accourir De Saint-Saulieu haussant des sourcils inquiets.

— Entrez Saint-Saulieu, que pensez-vous de ceci, dit Kaiser radouci.

Il brandissait une lettre – retour à l’expéditeur –

— Regardez, c’est la troisième qui me revient, après trois télégrammes et deux mois sans nouvelles, il faut faire quelque chose mon vieux.

Gérard de Saint-Saulieu comprit immédiatement qu’il s’agissait de Philippe.

— Monsieur je pense que… euh, je vous propose d’aller voir sur place.

— C’est cela, prenez l’adresse vers la secrétaire et partez demain. Profitez-en également pour me faire un rapport détaillé sur le Pavillon.

— Bien Monsieur, dit-il en sortant du bureau.

Edmonde lui tendit l’adresse, après qu’elle eut remballé sa trousse de beauté et tenté d’effacer le surplus de « rouge baiser » qui lui donnait un air comique.

Edmonde était le contraire d’Hélène, en tout point. D’abord elle n’était pas la femme du patron, ce qui était plus aisé pour tout le monde, et puis au moins, son allure revêche ne chamboulerait pas les esprits.

Le lendemain à cinq heures, sous la verrière de la gare vibrante à l’entrée du monstre à vapeur, De Saint Saulieu prit le PLM, direction Paris Gare de Lyon.

Quelques heures plus tard, il empruntait le métro pour se rendre dans le seizième.

Une grille fermait le passage sous l’immeuble, il en franchit le portillon.

Un tableau des occupants indiquait : « Philippe Barkovsky rez de ch. fond de cour ».

Il frappa à la porte mais n’obtint aucune réponse, Il se présenta alors à la concierge, comme l’employeur de Philippe Barkovsky.

Celle-ci, dérangée apparemment dans une tâche essentielle, se lamenta sur le fait que ce jeune homme, qui paraissait bien sous tout rapport, ne lui avait pas versé comme convenu ses deux derniers loyers.

— J’ai cessé de glisser le courrier sous sa porte lorsque j’ai compris qu’il avait quitté les lieux, et j’ai fait retourner les lettres dont l’expéditeur était identifiable, ajouta-t-elle, en bonne élève qui attend un compliment. Elle exhiba quelques enveloppes bleues, d’un format allongé inhabituel, toutes adressées à : Philippe Barkovsky 12 rue Lyautey, Paris XVI°. Pas d’expéditeur, mais au dos, un petit signe en forme de trèfle à quatre feuilles dans le coin supérieur gauche.

De Saint Saulieu demanda à voir l’appartement, mais elle ne possédait pas le double des clés. « De toute manière, cela n’est pas dans les habitudes de la maison de violer l’intimité des gens », siffla-t-elle.

Il régla le montant du loyer, ce qui détendit l’atmosphère, récupéra le courrier, puis se rendit au commissariat le plus proche.

Après force palabres, un commissaire assisté d’un serrurier, se rendit finalement sur les lieux en fin de journée.

Quand la porte s’ouvrit enfin, outre l’odeur pestilentielle qui envahit la cour, la première chose qui frappa les témoins fut une paire de chaussures orange à hauteur des yeux.

Au-dessus des chaussures, le corps de Philippe Barkovsky dont le regard étonné fixait intensément le sol, pour l’éternité.

Sur le parquet, une paire de lunettes rondes à montures d’écailles, et un lustre de verre brisé à l’armature désarticulée baignaient dans un liquide noirâtre.

Chapitre II

Quelques années plus tôt

De son père Boris, Philippe Barkovsky n’avait que peu de souvenirs.

Il était, selon ce que sa mère lui raconta, le septième non désiré d’une famille juive émigrée d’un village de l’Oural, à cause des pogroms. Les travaux des champs, dans ce petit village de Haute Marne, c’était avant et après les heures d’école, souvent battu et élevé comme un animal domestique.

Bien que naturalisé et converti par prudence au catholicisme, il restait à l’école le Ruskoff juif qui va amener le malheur au village. Il rentrait souvent en sang le soir et se prenait une rouste pour n’avoir pas su se défendre correctement.

Le jour de ses quatorze ans, il rata son certificat d’études. Son père le gifla, mais pour la première fois, Boris, d’un magistral coup de poing, l’envoya s’étaler sur le tas de bois dans la grange ; il ne dut son salut qu’à sa mère qui détourna en hurlant le canon du fusil pointé sur lui.

Il partit le jour même à Saint Dizier, s’inscrivit à un C.A.P. de plombier, puis rompit définitivement avec la famille.

C’est au bal annuel de l’usine Ortiz que Boris connut Eugénie, elle dansait la valse comme personne.

Ils vécurent très vite ensemble, dans un bâtiment vétuste du Vert Bois.

Licencié de son premier emploi au bout de six mois pour compression de personnel, il trouva dans les petites annonces, un emploi de plombier dans une entreprise à Dijon.

Le déménagement, à deux cents kilomètres, fut l’aventure de leur vie, le côté cossu de cette ville les impressionnait comme s’ils montaient d’un étage dans l’ascenseur social.

Naquit de cette union, le vingt-neuf avril mille neuf cent dix à onze heures, le petit Philippe Barkovsky, trois kilos six, fils désiré de Boris et Eugénie, qui avaient pris soin de lui donner un prénom bien français, à cause des relents nauséabonds qui infusaient les esprits depuis l’affaire Dreyfus. Oui bien sûr, on l’avait baptisé, mais on ne sait jamais, disait sa mère.

Son père parlait peu, mais on sentait dans ses yeux une véritable tendresse, qu’il se refusait d’exprimer; les démonstrations c’était un truc de bonne femme. Il lui mit très tôt entre les mains, un carnet de croquis pour l’occuper ; « Dessine tout ce que tu rencontres, n’importe quoi, tout ce qui te plaît » ; et il dessinait la vie, sa vie, carnet après carnet qu’il entassait dans sa chambre.

Puis un jour, son père, comme ses infortunés camarades conscrits, reçut son avis d’incorporation qui vint enrayer leur bonheur.

Par un froid matin d’automne, entassé avec ses congénères dans le ventre d’une locomotive impatiente, il agita longuement la main en direction d’Eugénie et de Philippe, par la fenêtre du wagon qui s’éloignait, puis disparut dans la fumée qui rejoignait les nuages à l’horizon, les laissant en larmes sur le quai, dans l’anonymat d’une foule de femmes et d’enfants venus accompagner l’homme de leur vie.

Il était appelé à verser son sang pour la patrie, comme disaient les journaux, ce qu’il fit bien malgré lui, prenant dès le premier jour, un obus de 76 en pleine poitrine, qui le dispersa sur le front de Verdun, à moins de quatre-vingts kilomètres de son village natal.

Après le choc, Philippe et sa mère déménagèrent dans un deux-pièces désuet de la rue d’Auxonne. Philippe travaillait en dehors des cours au tri postal ou livrait des pains de glace aux particuliers avec l’artisan du rez-de-chaussée, tout en étudiant le piano et le solfège au conservatoire.

Eugénie tentait de garder la tête hors de l’eau.

Le dimanche, quand le jour commençait à décliner, on l’entendait fredonner les chansons du seul soixante-dix-huit tours de Jean Sablon qu’elle possédait, préalablement sorti délicatement de sa pochette, avant d’être centré sur le phonographe du salon. Puis, selon un rituel bien établi, les mains dans la farine, elle malaxait la pâte avec des gestes précis, l’étalait avec une bouteille sur la table de la cuisine, râpait trois pommes et le zeste de deux citrons dont elle pressait le jus, ajoutait deux œufs entiers avec un peu de sucre et de beurre, et mélangeait vigoureusement le tout avant de le déverser sur la pâte, délicatement installée dans le moule. Dès que le parfum magique embaumait l’appartement, elle sortait la tarte avec deux chiffons, et ils dégustaient l’un en face de l’autre, leur portion de bonheur aux pommes.

Pour son anniversaire, Philippe acheta deux places pour le tour de chant de Jean Sablon au Grand Théâtre, elle sauta de joie comme une enfant et le couvrit de baisers.

Certains dimanches d’été, ils allaient à la guinguette de Saint Jean de Losne, où elle ne serait bien entendu jamais allée seule. Ils y restaient la journée. Sa mélancolie, combattue quelquefois par un ou deux verres de Guignolet, faisait parfois place à un enjouement un peu forcé. Un jour, elle entonna même dans l’omnibus des pêcheurs, un tonitruant : « Dans la vie, faut pas s’en faire ». Philippe la suppliait « arrête tu me fais honte ! »

À midi, sous les parasols, ils dégustaient la friture du jour, en écoutant l’orchestre musette au bord du canal. Philippe buvait ses premiers verres de vin blanc qui lui tournaient un peu la tête, en la regardant danser.

Eugénie gardait ce charme austère des filles élevées à la dure, les traits marqués, le regard acéré des êtres qui ont vécu. Ses cheveux poivre et sel souvent ramassés en chignon qu’elle piquait d’une aiguille de bois, lui donnaient un air d’institutrice à la retraite, elle valsait tout l’après-midi, sous les guirlandes colorées, ignorant les avances de ses cavaliers courtisans. Elle aimait juste danser et s’étourdir d’accordéon.

Ils rentraient à la nuit, souvent sans un mot.

Les autres jours, elle faisait des ménages et le soir, elle écoutait religieusement la radio, l’oreille collée au poste, comme aux grilles d’un confessionnal.

Les années passèrent ainsi, de l’enfance à l’adolescence, légères, comme le vent doux des soirs d’été.

Le soir, lorsqu’il rentrait des cours, elle avait institué le rituel du thé, pour se parler de la vie. Philippe s’y prêtait avec plaisir. Ils échangeaient dans de longues conversations à bâtons rompus autour du guéridon du salon.

— As-tu entendu parler de ces manifestations en Allemagne ?

— Oui, maman, mais tu sais c’est loin d’ici, cela ne nous concerne pas, tant qu’ils s’entre-tuent…

— Bon mais ça sent quand même la poudre, et ces juifs, j’espère qu’ils ne vont pas nous attirer des ennuis. Tu en penses quoi ?

— Tu oublies que mon grand-père était juif ? qu’est-ce que tu leur reproches ?

— Rien, rien, mais quand même, ils se débrouillent bien avec l’argent. Pas comme nous. Les Allemands s’en méfient, c’est pas pour rien. Il n’y a pas de fumée sans feu.

— Maman ! pas de clichés, je t’en prie. Il marqua un temps. Je reconnais néanmoins que les Allemands m’impressionnent, ils semblent ne pas connaître le doute.

— Ils me font peur ces boches, Ils ont quand même tué ton pauvre père. Penses-tu à lui quelquefois ?

— Oui, dit-il, le regard dans le vague, souvent je me demande s’il a froid là où il est.

Philippe dessinait. Sa collection de carnets, qu’il rangeait par dates, envahissait sa chambre. Des villes imaginaires inspirées des cités jardins qu’il avait découvertes dans La Science et la Vie, le seul magazine que sa mère achetait régulièrement. Il avait appris à dessiner les volumes avec un point de fuite.

Eugénie lui avait acheté une boîte de « Caran d’Ache » et un porte-mine à pince, dont il ne se séparerait plus jamais. Il dessinait de longues heures pendant qu’Eugénie tricotait en chantonnant devant la fenêtre, « Vous, qui passez sans me voir… », le phonographe en sourdine était régulièrement relancé à la manivelle. Elle relevait la tête de temps en temps, agacée, parce que dessiner n’était pas un vrai travail.

— Ne perd pas ton temps, mon Philippe si tu ne veux pas en baver comme moi, c’est ton avenir que tu fabriques aujourd’hui, pas le mien.

Son regard se perdait dans le plafond.

— J’aimerais que tu sois un « Grand Architecte ».

Elle avait pour lui cette lubie qui tournait à l’obsession, appuyant sur le mot « Grand » qui la ramenait aux enluminures dorées du missel de son enfance.

Dieu était le Grand Architecte de l’Univers. Son fils n’était-il pas son Dieu ?

Philippe écoutait d’une oreille distraite, acceptant les remarques de bonne grâce.

Parfois, il était parcouru de frissons bizarres en dévorant des lectures sulfureuses, dans le calme rassurant du salon familial rythmé par le tic-tac du carillon Westminster, à l’insu de sa mère qu’il épiait à la dérobée.

— Ça va, Philippe ? tu révises ?

— Oui, m’man s’étranglait-il de sa voix rauque d’adolescent, refermant un roman de Raymond Radiguet, avant de filer aux toilettes, imaginant madame Escoffier, sa professeur de français, en bas de soie, dans des situations extravagantes. Jusqu’à ce que sa mère d’un ton faussement candide secoue la porte condamnée par un petit verrou.

— Tu en as pour longtemps Philippe ?

Ce qui le faisait débander immédiatement, le cœur battant.

*

Eugénie s’était liée d’amitié avec madame B. une jolie veuve fortunée, chez qui elle faisait le ménage deux fois par semaine. Son mari, directeur d’une usine de chocolat, s’était tué en voiture quelques années auparavant, et la belle dame se sentait si seule, qu’elle acceptait de temps en temps la proposition d’Eugénie de venir à la maison prendre le thé. Philippe se sentait rougir chaque fois qu’elle lui adressait la parole, il craignait qu’elle lût dans ses pensées les images troublantes qu’elle déclenchait dès son apparition. Sa mère avait remarqué son trouble et l’envoyait dans sa chambre, pour converser tranquillement entre femmes.

Un après-midi d’été, madame B. les invita à une séance de cinéma à l’Alhambra où l’on projetait « Colonel Blood », un film avec Errol Flynn, dont les deux femmes ne cessaient de vanter les charmes, au point que Philippe en était jaloux. Eugénie s’était maquillée et avait mis le tailleur de son mariage pour cet événement qui, pour elle, était une première. Elle avait également exigé de Philippe qu’il mit son costume du dimanche, pour cette séance en matinée. Philippe refusa la veste, il faisait trop chaud.

Les deux femmes s’installèrent côte à côte et Philippe se retrouva à côté de madame B.

Après quelques « réclames », et les actualités sur les manifestations impressionnantes du troisième Reich, la salle fut lentement plongée dans la pénombre, imposant progressivement le silence des spectateurs.

Dès le générique, madame B. occupa l’accoudoir mitoyen, ce qui le conduisit à croiser les bras, un peu mal à l’aise dans sa chemisette de coton. Il n’avait jamais regardé cette dame qu’avec le respect distant qui convenait à son statut de femme du monde, et amie de sa mère, et ne voulait pas pousser l’outrecuidance à revendiquer un territoire qui ne lui revenait pas.

Sa robe légère, blanche à gros motifs rouge, découvrait ses bras jusqu’aux épaules.

Du coin de l’œil, il vit avec un certain intérêt ses jambes se croiser, découvrant ainsi par l’échancrure d’une robe fendue, un genou gainé de soie.

Il avait beaucoup de mal à suivre Errol Flynn dans ses aventures avec Arabella, tant son esprit était tout à coup en ébullition.

Il décroisa lentement ses bras et posa ses mains sur le bord du siège de manière à tenter la connexion de leurs deux épidermes.

Toute son attention, le cœur battant, fut concentrée sur le seul

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