Derrière le voile du silence

Elsa, jolie brune pétillante d’une trentaine d’années, referma le casier où elle venait de déposer son sac à main et son blouson en jean.

Elle enfila par-dessus le sien le tee-shirt qui portait le logo de la grande surface où elle venait d’être engagée et ses yeux noirs se posèrent sur le nom inscrit sur la porte du casier : Laurence Lesueur. Elle eut un pincement au cœur, même si elle n’avait jamais eu l’occasion de rencontrer la femme qu’elle allait remplacer. Elle n’ignorait pas que des circonstances dramatiques lui avaient permis de décrocher ce job après un an de chômage : Laurence Lesueur, jeune veuve d’une quarantaine d’années, s’était donné la mort en précipitant sa voiture du haut de la falaise du cap Blanc-Nez, à dix kilomètres de Calais où elle résidait. Elle laissait deux jeunes enfants.

« Une employée modèle, que tout le monde regrettait », avait affirmé Richard Henri, l’oncle d’Elsa, quand il l’avait reçue dans son bureau pour lui faire signer son contrat d’embauche.

Laurence était polyvalente, Elsa le serait aussi bientôt, après quelques mois de formation en caisse, dans les rayons et à l’accueil.

Aujourd’hui, elle serait à l’accueil avec Mme Morin, une employée proche de la retraite qui n’était pas particulièrement sympathique, aux dires de Richard, mais qui faisait une excellente formatrice. Richard Henri, 50 ans, était le directeur du centre commercial depuis une bonne trentaine d’années. Il était assisté de Maurice Legendre, 40 ans, un homme renfermé, qui parlait peu et à qui l’on n’avait sans doute jamais appris à sourire.

– Madame Morin, je vous présente ma nièce, Elsa. Expliquez-lui comment fonctionne notre grande famille, s’il vous plaît.

Se penchant vers sa nièce, il lui glissa à l’oreille :

– Elle n’est pas facile, ne te laisse pas impressionner, ma chérie. Elle s’appelle Ginette, mais cette femme déteste tout autant les familiarités que son prénom, elle tient à ce qu’on l’appelle « Mme Morin ». N’essaie pas de t’en faire