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Voyages au-delà de la Mémoire: Roman
Voyages au-delà de la Mémoire: Roman
Voyages au-delà de la Mémoire: Roman
Livre électronique388 pages11 heures

Voyages au-delà de la Mémoire: Roman

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À propos de ce livre électronique

Dans un monde où le temps s’est arrêté, un monde où l’imagination transcende la réalité et où la fiction prend vie et devient palpable, un monde où l’on peut voyager au-delà du raisonnable et de l’incertain pour mieux appréhender les mystères de la vie, Djoha, dont la verve et l’impertinence de l’esprit libre sont si présentes, ira de rencontre en rencontre. Autant de rencontres, autant d’occasions à des confidences préludes à des histoires passionnantes : Hindbad le riche marchand venu d’Orient et l’alchimiste Flamel, Quartermain parti à la recherche des Mines d’or du roi Salomon, le couple maudit Qaïs et Laylâ, Sîndbad le marin et Antinéa, la mythique chèvre de Mr Seguin, Isabelle Eberhart et le père Foucauld, un djinn acariâtre et grognon, Tartarin un chasseur de lions à ses heures perdues, une tribu d’anthropophages, les grands voyageurs Marco Polo et Ibn battûta, Da Vinci et Wells et bien d’autres personnages, aussi énigmatiques qu’attachants, qui illumineront notre imagination pour notre plus grand plaisir.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Bendjedou BOUSNINA est Architecte, diplômé de l’École Polytechnique d’Alger. Il exerce toujours son métier d’Architecte en Algérie et il a travaillé notamment sur le projet Park Mall de Sétif. Il a publié deux ouvrages : Le Livre de la Passion, poèmes, et Le Livre de Djoha l’Espiègle, contes.
LangueFrançais
Date de sortie15 mai 2020
ISBN9791037706201
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    Aperçu du livre

    Voyages au-delà de la Mémoire - Bendjedou Bousnina

    Premier voyage

    "Au royaume des moutons"

    « Car l’homme savoure la science pour son propre plaisir et pour la perfection qu’elle lui apporte, non pour les avantages matériels qu’elle procure. »

    Abd el-Kader

    Le Meddah

    « Écoutez… Écoutez et retenez bien ce que je vais vous raconter !

    Ceci est une histoire véridique, une histoire comme on en raconte une seule fois dans toute sa vie. Oui mes chers auditeurs, mon cher public enfin retrouvé, après des années de tristesses, des années à méditer sur ce monde sans gloire, sur ce monde impitoyable.

    Si je suis seul aujourd’hui, triste et désabusé, dans ce souk de la mémoire oubliée, c’est que mon fils aîné, mon héritier le goual Sa‘dou, m’a trahi odieusement, allant s’associer à des êtres sans morale, des êtres corrompus, avides de puissance, avides de gloires et de richesses mal acquises. Il s’en est allé au pays des mirages, au pays de l’artifice et du clinquant, délaissant nos traditions et nos valeurs…

    Mais laissons tout cela de côté et revenons si vous voulez bien à notre principal sujet, le reste n’a que peu d’importance pour vous. Si vous êtes là aujourd’hui, aussi nombreux que par le passé, c’est avant tout pour vous divertir, pour passer un bon moment et non pour entendre radoter un vieux meddah dépité et contrarié par le comportement indigne de son fils. Et moi si je suis là avec vous, dans ce souk plein de bons souvenirs, c’est par devoir envers vous, mais aussi envers notre héros l’espiègle Djoha qui, après une longue absence, toute une décennie pour être exact, est revenu au village de la colline du serpent pour notre plus grand plaisir.

    Laissez-moi donc vous rapporter, en commençant par le début, cette histoire incroyable, ces voyages extraordinaires qu’il entreprit, par l’intermédiaire de son alter ego Sîdi-Boudoûr, au-delà de la mémoire, au-delà du raisonnable et de l’inimaginable ! »

    I

    Revenu au village après moult pérégrinations à travers le monde Djoha, qui avait laissé femme et enfants, pour la bonne cause disait-il à qui voulait bien l’entendre, – il était en effet dans l’obligation morale de connaître et donc de mieux comprendre les causes de la régression et de la dérive de toute une société, car pour lui c’était un devoir et une nécessité, plus important que toutes autres choses – après donc cette longue absence il retrouva enfin son domicile, son foyer, certes fatigué mais néanmoins satisfait de ce long voyage au-delà de la mémoire, à la rencontre de son destin, là où il a pu comprendre beaucoup de choses et pénétrer pas mal de mystères tout en apportant une aide, désintéressée, pour assister ou soulager les maux de son prochain.

    Mais en réalité rien n’est aussi simple sur cette terre, rien n’est acquis d’avance, aussi décida-t-il, avant toute chose, de remettre ses idées en place, de les ordonner, de les analyser, de les évaluer et par la suite seulement de conclure si oui ou non ce voyage avait eu une utilité quelconque, une finalité claire comme l’eau de roche ou au contraire un but caché, hermétique, occulte, telle une doctrine ésotérique comprise des seuls initiés ; ou peut être n’était-ce là en fin de compte qu’un voyage d’agrément dans des contrées lointaines, dans des bleds non répertoriés, en quelque sorte du tourisme sans aucune utilité pour la communauté, sans importance pour quiconque ? Pour avoir le cœur net, la conscience tranquille et analyser sereinement tous les événements vécus dans ces pays lointains, notre héros décida d’aller rendre visite à tous les protagonistes de son rêve éveillé, de son voyage à travers l’espace et le temps et à commencer par ses propres concitoyens, les habitants de son village : le village de la colline du serpent.

    Mais dans son raisonnement, dans ses calculs, Djoha avait compté sans Satouta ; toujours égale à elle-même sa femme ne perd jamais le nord, encore moins l’occasion, quelle qu’elle soit, pour sermonner son fainéant de mari qui réapparaît après une longue absence certes un peu plus riche que lorsqu’il a disparu, mais certainement pas plus malin !

    — Dix ans sans donner de nouvelles ! Dix ans d’errance c’est long, et tout cela pour quelques misérables sous que tu vas dilapider en quelques mois ! Dix ans à vivre comme des mendiants en attendant ton hypothétique retour ! Et ce pauvre Alîlou abandonné par un père inconscient alors qu’il venait juste de se marier avec la fille de ma chère belle-sœur Lâlla Faroudja. Oui un an seulement après ses noces, alors qu’il venait d’avoir une fille pour égayer nos vieux jours, Zohra aussi belle qu’une rose, voilà que tu disparais, comme cela, sans crier gare, sans qu’on sache pourquoi ni pour quelle destination. Et comme à ton habitude alors qu’on te croyait mort, alors que d’étranges rumeurs couraient çà et là sur tes apparitions, un peu partout, comme un feu follet, là où on ne t’attendait pas, là où tu ne devais pas être, voilà que tu surgis de nulle part, les poches remplis de vent, le sourire en coin, l’air bête comme d’habitude. Il faut que je te dise, puisque te voilà enfin rentré, nous allons de ce pas et sans perdre une minute aller rendre visite à ma chère famille qui me manque tant et en premier lieu à mon grand frère Sîdi-H'mîda, mon cher et inégalable frère qui est resté égal à lui-même, fort et fier, malgré les années et les aléas de la vie. 

    C’est ainsi que Djoha, dès son retour au foyer et avant même de dire Ouf !, avant même de s’allonger sur son matelas préféré et de méditer sur les événements extraordinaires qu’il venait de vivre, ne serais-ce que quelques jours, après ces dix années passées à voguer à travers le monde, – tel ce roi Ighrîq de légende revenu dans son île Ithaque après avoir errer dans la mer de l’oubli, où aucun homme ne s’est jamais aventuré, après avoir traversé des défilés dangereux, échoué sur des rivages hostiles, combattu des monstres et des déités, rusé avec des créatures démoniaques, pour pouvoir s’échapper et retourner enfin dans son île et se venger de tous les prétendants à son trône ; oui cet Ulysse, dans son Odyssée, avait combattu le Cyclope mangeur d’hommes, un géant à l’œil unique qu’il vainquit par sa seule intelligence, il traversa le pays des Cicones, des Lotophages, des Lestrygons, des Cimmériens, il affronta Charybde et Scylla, Eole le maître des vents, les Sirènes dont les voix ensorcellent les marins pour les amener à échouer leurs bateaux sur les récifs, Circée une magicienne qui transforma ses compagnons en pourceaux et fit face à bien d’autres dangers plus redoutables les uns comme les autres – et à l’inverse d’Ulysse ne voilà-t-il pas qu’il est obligé lui et dès le lendemain matin, comme l’exige Satouta, de reprendre la route, cette fois bien balisée et bien connue, qui mène du village de la colline du serpent jusqu’à la dachra de Benihâli et de là jusqu’au repaire de ses beaux-parents, comme aime à le dire en plaisantant notre héros Djoha.

    Le voyage fut court et sans surprises et ils arrivèrent à leur destination vers la fin de l’après-midi. Djoha déchargea les bagages de la mule bien chargée des affaires de Satouta qui s’est parée pour la circonstance de ses plus beaux atours. Revêtue d’une robe en taffetas toute rose et d’un pantalon du même tissu et de la même couleur, autour de la taille une ceinture faite de pièces de dinars en argent, coiffée d’un diadème du même métal posé comme une couronne sur sa tête et retenant un foulard en soie multicolore, au pied des sandales d’un rouge vif brillant, autour du cou un long collier de fausses perles et accrochés un peu partout des colifichets et autres ornements et babioles sans valeurs. Une vraie poupée de chiffon et de métal visible à des lieux à la ronde, pour mieux se faire voir et se faire admirer, disait Djoha.

    H’mîda n’est plus ce qu’il était : fort comme un taureau, fier et arrogant ; oui H’mîda n’est plus que l’ombre de lui-même : amaigri, le visage bouffé par une barbe bien fournée, aux poils blanchis par le temps et les événements ; son regard est devenu plus doux, plus humain, ses gestes plus lents, ses paroles plus douces, tout son aspect dégageait de la tristesse. En vérité ces dernières années furent terribles, sinon dramatique pour notre pauvre maquignon.

    Le soir venu, après un bon méchoui, un petit agneau cuit à la broche, en l’honneur de ses invités, comme une marque de considération pour se racheter de son comportement passé, H’mîda se met à parler, à parler et à ne plus s’arrêter :

    « Après les années terribles qu’on a subis, l’une après l’autre, comme autant de fléaux venus du ciel pour nous punir de nos fautes, de nos arrogances : l’année noire des sauterelles et l’année de la neige, du froid et des pluies torrentielles, on pensait avoir tout vécu, mais ce n’était qu’un prélude à nos malheurs.

    J’avais décidé quant à moi de suivre les conseils de Sîdi-Boudoûr et de me réconcilier avec tout le monde et à commencer par mon demi-frère Kadoûr. Je l’ai pris dans ma ferme et il est devenu mon bras droit, mon conseiller et je dois dire que je ne le regrette pas.

    Mais malheureusement ces dix dernières années d’autres malheurs, d’autres épreuves, nous attendaient. Pour commencer, j’ai perdu mon fils Saïfi, ce grand gaillard qui s’occupait si bien de mon cheptel ; le métier de berger il l’avait dans le sang : mener les troupeaux dans les endroits les plus inaccessibles, les plus sauvages, accompagnés de ses trois sloughis et de son seul courage. Il n’avait peur de rien, ni des loups, ni des brigands, ni même de Ali-Baba et de ses Quarante-Voleurs qui se manifestent de temps à autre, tout en haut de l’Atlas. Ali-Baba qui se faisait pourtant de plus en plus rare en ces temps difficiles. Vu les mentalités qui changent, les mœurs qui se dénaturent, les distractions qui évoluent vers le factice, il ne peut plus faire son Cinéma comme dans l’ancien temps : rire de tout et de rien, se moquer de la société avec son éternel sourire, s’enrichir sans rien faire grâce à la grotte merveilleuse de Sam-Sam, danser et chanter avec Samia-Gamal. Tout cela c’est du passé, maintenant il s’attaque ouvertement, sans état d’âme, sans plaisanter ou rigoler, à tout ce qui bouge, à tout ce qui brille, pillant, rançonnant, ne faisant plus la différence entre le licite et l’illicite, le riche et le pauvre, c’est l’époque qui le veut ainsi, une époque de voleurs sans scrupules, de vauriens et d’abrutis de toutes sortes, de profiteurs de tous acabits, qui s’enrichissent au vu et au su de tout le monde, dans l’impunité la plus totale.

    Peu après la mort tragique de mon grand garçon Saïfi, survenue après une chute mortelle dans un ravin du mont de l’Atlas, qui prolonge le mont boisé, alors qu’il ramenait quelques brebis égarées sur un monticule, isolées du reste du troupeau, ce fut le tour de mon regretté maître Sîdi-Lâamri de disparaître à son tour emporté par une longue et insidieuse maladie, Allah yarh’amhoum !

    Sîdi-Lâamri, notre maître à tous, était respecté et aimé par tous les habitants de la dachra de Benihâli et de toute la région environnante. Érudit éclairé il s’intéressait à toutes les sciences, à toutes les connaissances, à toutes les doctrines religieuses ou profanes, à tel point que certains médisants, jaloux de son savoir, disaient à voix basse qu’il faisait partie d’une certaine secte de notre contrée qui professait le chiisme Ismaélite, certains allaient même jusqu’à dire qu’il était l’un des disciples de l’Imam ’Ubaydullah, l’imam chi’ite qui s’identifia au Mahdi attendu et qui prêchait dans nos montagnes avant de partir, en expédition, avec ses disciples et partisans vers le pays de Misr où il fonda une confrérie et par la suite un puissant royaume : le royaume Fatimide, avec comme capitale Al-Qâhira. Mais enfin Dieu seul connaît la vérité !

    Une année après ces douloureux événements, par un après-midi ensoleillé de fin de printemps, un terrible incendie qui s’est déclaré tout d’abord aux étables avant de se propager, comme une marée destructrice, pour embraser tous les bâtiments de la ferme : le hangar au foin, les poulaillers, l’écurie, atteignant même une aile de notre propre maison, réduisait en cendre les efforts de plusieurs années d’un dur labour. Il a fallu toute la soirée de ce funeste lundi et une partie de la nuit pour venir à bout du sinistre

    Tous les hommes valides de la dachra, toutes les énergies, s’étaient retrouvés au centre de la ferme, les uns avec des seaux, des fûts en bois, des bidons, des bassines et différents autres ustensiles, d’autres puisaient l’eau à tour de bras des deux puits de la ferme ; on se relayait, on se passait les récipients remplis d’eau et les plus téméraires s’approchaient des flammes, qui éclairaient tous les environs comme en plein jour, pour déverser le liquide salvateur sur les foyers de l’incendie, sur les poutres enflammées et sur les murs rougis par la chaleur, sur les tuiles qui craquaient et éclataient comme des coups de feu, sur les portes et les fenêtres attaquées par le feu qui dévorait tout sur son passage. C’était terrible et hallucinant à la fois, comme si on vivait un véritable enfer, entourés de partout par un brasier ardent, suants sous une chaleur insupportable, criants tous ensemble sans qu’on ne s’entende les uns les autres au milieu des craquements de la charpente des bâtiments, du rugissement des flammes, du brouhaha des hommes et des bêtes.

    Au matin, essoufflés, harassés, suffocants, toussant, après avoir ingurgités toute la fumée de l’incendie, toute la cendre de ce feu infernal, on se regardait d’un air absent, comme autant de fantômes sortis des ruines d’un manoir hanté par les djinns. Oui c’était terrible à voir tous ces bâtiments à moitié détruits, toutes ces pièces éventrées, fumantes, tous ces murs délabrés, ces toits effondrés et tous ces animaux éparpillés un peu partout, noircis par la suie, tous ces cadavres de brebis, d’agneaux, de poules et d’autres animaux domestiques pris au piège dans leurs propres gîtes. »

    — C’est terrible ! L’interrompit involontairement Djoha.

    — Oui terrible et ruineux à la fois ! Lui répondit H’mîda.

    — Et alors quelle a été ta réaction, ton état d’esprit, après tous ces malheurs ?

    — Tu me connais, je ne me laisse jamais abattre, ou du moins je me relève toujours après une chute, comme on dit dans ma corporation : « Un bélier fort et fier ne saurait mordre la poussière, il arrive toujours à se relever et regarder bien en face son adversaire ! »

    — Pour le bélier je suis d’accord avec toi, mais son maître comment a-t-il réagi, lui ?

    — Son maître a réagi aussi bien, si ce n’est mieux ! Et je vais te dire ce qu’il a fait pour se sortir de toutes ces épreuves.

    II

    « J’étais dans l’obligation, après tous ces malheurs arrivés en quelques années, de faire un long voyage, accompagné de mon jeune fils Dandan, au-delà du mont boisé de l’Atlas et de Oued-Deb, plus loin encore que la ville d’El-Djmâa et les hautes plaines céréalières, derrière la montagne du roc, au pied du massif montagneux qui nous sépare du grand Sahra, en empruntant les routes et les chemins balisés, suivis chaque année par les tribus des Nouaïl, pour arriver au pays des steppes et des moutons. Je devais renouveler mon cheptel, acheter une centaine de brebis et d’agneaux ; les prix pratiqués dans ce pays de sable et d’halfa, où le mouton vit en plein air, s’engraisse et se multiplie à l’infini, son généralement très raisonnable.

    Dans ce royaume des moutons, une chose extraordinaire m’est arrivée, une rencontre invraisemblable, inimaginable. J’ai vu, comme je te vois maintenant, Sîdi-Boudoûr lui-même, je l’ai côtoyé et je lui ai même parlé. Il était là dans cette région semi-désertique, ou son sosie peut-être, je ne sais pas. Mais laisse-moi te raconter, en commençant par le début, tous les événements liés à cette étrange rencontre. »

    H’mîda, après s’être interrompu un moment pour prendre une tasse de thé à la menthe, servi par sa femme Lâlla Faroudja, accompagnée de quelques sucreries pour lui et pour leur invité, gâté comme un roi pour une fois, reprend sa narration qui débute par leur arrivée, lui et son fils Dandan, près du campement de la tribu des Nouaïl.

    « Les premières personnes que j’ai rencontrées en arrivant aux portes de cette grande steppe furent les trois cousins Barhoum, leurs tentes plantées à l’embouchure du défilé qui débouche sur l’immense plaine. Ces grands gaillards que je connais bien pour les avoir reçus chaque année dans mon domaine, lors des périodes de migration, lorsqu’ils s’en vont avec tentes et bagages, avec leurs animaux domestiques : chameaux, ânes et chèvres, avec leurs femmes et leurs enfants, traversant les plaines et les montagnes, les monts et les vallées, empruntant toujours les mêmes chemins, les mêmes sentiers, se repérant au soleil, aux étoiles, vivant en plein air, en pleine nature, se contentant de peu, parlant avec énigmes, utilisant des symboles, des signes, pour communiquer, pour faire leur troc, pour leurs ventes ou pour leurs achats, s’exprimant par des paroles rimées et aimant la poésie populaire : le chî’r el-malhoûn. Le temps et l’espace n’existent pas pour eux, seul la liberté d’être où ils veulent quant ils veulent est important à leurs yeux.

    Ils m’indiquèrent un caravansérail tout près du souk aux moutons, un établissement où on pouvait trouver toutes les commodités souhaitées.

    Cette grande bâtisse construite entièrement en briques de terre est identique aux hôtelleries pour caravanes qui existent aux pays de l’Orient : généralement un lieu où les marchands et les voyageurs font halte et qui comporte des écuries ou un enclos pour les bêtes de somme et les montures ainsi que des magasins pour l’entrepôt des marchandises et des dortoirs ou des chambres pour les personnes de passage et les étrangers. C’est un lieu de rencontre et de convivialité, de repos et d’échanges, un relais routier en quelque sorte.

    C’est un bâtiment compact et fortifié de forme rectangulaire et dont l’emprise au sol est d’environ deux mille mètres carrés. Une vaste cour à ciel ouvert occupe le centre de l’édifice avec un abreuvoir circulaire remplis d’eau réservée aux bêtes et un puits, de la même forme, mais plus réduite, fermé par une trappe en planches de bois et servant à alimenter en eau potable l’établissement. Sur les quatre côtés intérieurs de la cour, des magasins, fermés par des portes rectangulaires également en bois, font face à l’abreuvoir central ; à l’est et à l’ouest de l’édifice, et ouvrant sur la cour, deux grandes écuries en face l’une de l’autre, fermée elles aussi par deux portails ; au nord une sorte de tunnel aux murs aveugles et au plafond ovale, terminé par un portail massif – qu’on ferme la nuit venue – servant à l’entrée et à la sortie des caravanes ; quatre ouvertures permettent aux clients de pénétrer dans d’immenses dortoirs aménagés avec des niches tout au long des cloisons où des nattes et des matelas sont étalés pour se reposer et passer la nuit en toute sécurité.

    De loin l’édifice ressemble à un fort fermé sur lui-même avec ses murailles hautes et imposantes sans fenêtres ni portes visibles de l’extérieur, ses terrasses courant tout au long de ses murs épais et aveugles, ses fortins de forme carré qui s’élèvent aux quatre coins de l’édifice et ses coupoles posées ça et à sur les terrasses, le tout dans une architecture où se reflète les influences arabe, mauresque et saharienne ; à l’intérieur des arches et des auvents, des voûtes et des niches, des poutres rondes en bois de palmier visibles un peu partout, le tout recouvert d’un enduit rustique aux couleurs du sable, donnent à l’ouvrage cet aspect de mélange de styles qui dégage un charme si particulier aux bâtisses de cette région de sable, d’halfa, de chameaux et de moutons.

    Nous avons passé une nuit bien tranquille mon fils et moi, nos mulets et nos bagages à l’abri dans les bâtiments annexes de l’établissement. Après un bon repas fait d’un plat de loubia en sauce rouge, bien épicée, agrémentée de deux morceaux de viande de mouton, de quelques dattes et d’une bonne cruche d’eau, on s’allongea sur de confortables matelas, étalés à même le sol, fatigués par le long voyage qu’on venait de faire.

    Le lendemain, dès le lever du jour, on se rendit au souk pour choisir et éventuellement acheter les moutons qui nous intéressent. Mais malheureusement cette opération s’avéra plus difficile que prévu. Les premiers jours de la semaine, les vendeurs étaient plus rares que les acheteurs. On a dû prolonger notre séjour, tout en demeurant au caravansérail, pour ne pas rentrer les mains vides. Durant cette période d’inactivité, j’ai connu un marchand très prospère qui séjournait avec ses compagnons de caravane au même établissement que nous. On cohabitait dans le même dortoir avec d’autres voyageurs et parmi eux Sîdi-Boudoûr. Le riche marchand venu des pays de l’Orient et qui se prénommait Hindbad avait pour compagnon un étrange personnage tout de noir vêtu, portant une calotte, un long manteau, un pantalon bouffant, une chemise et un gilet boutonné de bas en haut. Hindbad me fit savoir que c’était un éminent alchimiste venu des pays de Roum, adepte des sciences hermétistes et connaissant le secret de la fabrication de l’or en utilisant comme matériau de base du plomb ou d’autres métaux, grâce à des compositions et des formules que ces gens-là se transmettent entre eux.

    Comme on avait beaucoup de temps devant nous il me raconta l’histoire de ce drôle de bonhomme qui se faisait appeler Flamel et de quelle façon il a fait sa connaissance. Sîdi-Boudoûr, qui était à côté de nous, suivait attentivement notre conversation, très intéressé par l’histoire du riche marchand.» 

    — Tu sais que ces gens-là, l’interrompit Djoha, ont une philosophie de la vie qui va au-delà de la transformation des métaux ?

    — Tout ce que je sais c’est ce que Hindbad m’a appris sur eux et apparemment s’ils sont tous comme ce Flamel c’est de drôles de vauriens !

    — Ce que je voulais dire c’est que ces alchimistes tout en pratiquant la science des transformations chimiques des corps dans leurs laboratoires associent à leurs expériences et à leurs travaux une dimension philosophique et mystique.

    — C’est ce que m’a expliqué Hindbad, mais laisse-moi donc terminer mon récit, tu auras tout le temps après, si tu n’as pas sommeil, de donner ton point de vue sur ses charlatans.

    III

    « Ce Flamel, ou Nicolas comme on le surnommerait en Andalous dans son pays natal d’après ses dires, à mon avis un nom d’emprunt qu’autre chose, se disait un disciple de Jâbir Ibn Hayyân, connu chez eux sous le nom de Geber, et dont la visée philosophique, comme me l’a expliqué Flamel lui-même, est la suivante : « créer une zone intermédiaire où les lois de l’univers sensible et les rythmes de la vie psychique viendraient s’harmoniser et s’unir ». Rien que cela ! Il disait aussi avoir assimilé l’un des textes les plus importants du Grand Œuvre de ce célèbre alchimiste arabe à savoir : Le Livre des Soixante-dix.

    Je suis quant à moi originaire de Bagdad, nous dit le riche marchand, la ville florissante où a vécu et prospéré un de mes amis, le célèbre voyageur Sîndbad, après avoir fait ses sept voyages en Handûstan et aux Indes Orientales et devenue riche et respectée. La fortune, grâce à Dieu, ma largement favorisée moi aussi et j’ai toujours été d’une grande générosité envers les pauvres et les démunis.

    Un jour j’avais appris qu’un homme arrivé en ville depuis peu, un étranger venu des pays de Roum, passait son temps à soulager les malades dans l’hospice que j’avais construit tout près de ma demeure. Je donnais ordre à mes gens pour que cet homme généreux ne manque de rien. Un homme désintéressé qui donne de son temps pour apporter aide et assistance aux gens qui souffrent est à n’en pas douter quelqu’un de bien et mérite respect et considération.

    Mais voici qu’un matin, en me rendant à l’hospice, je me retrouvais face à face avec cet étranger. Lui ne me connaissait pas mais moi, par l’intermédiaire de mes serviteurs, je savais tout sur lui, aussi bien sur son physique et son habillement singulier que sur son dévouement pour les malades à l’hospice. On a lié connaissance et je me suis vite rendu compte que c’était assurément un homme d’une grande qualité morale et un savant éminent qui avait des connaissances dans beaucoup de domaines : en astrologie, en physique, en philosophie et dans d’autres sciences dites profanes. Sans hésiter je l’invitais à venir chez-moi et à partager mon modeste repas pour échanger nos points de vue et profiter de nos expériences respectives qui peuvent, en s’associant, apporter le bien être à nos compatriotes. Il refusa tout d’abord poliment mon offre, sous toutes sortes de prétextes, mais il finit après bien des réticences par accepter.

    On se retrouva à plusieurs reprises autour d’une table à manger et à bavarder comme de vieux amis. Mais à chaque fois il prenait congé tout de suite après empressé qu’il était de retourner à l’hospice pour aider, par sa science et son humanité, par sa patience et son abnégation apparente, à soulager la douleur de son prochain. Très vite nous prenons l’habitude de nous rencontrer, de bavarder et de manger quelque chose ensemble, mais comme toujours sans que nos relations aillent plus loin, comme s’il était gêné par mon hospitalité ou ne voulant pas paraître profiter de ma générosité.

    Un jour pourtant, à peine avions-nous fini de manger, assis autour d’une table bien garnie, il s’adressa à moi pour me dire :

    — Ô ! Hindbad ! Peux-tu me rendre un modeste service en me procurant l’équivalent d’un ritl de plomb ?

    — Du plomb ? Mais pourquoi faire ?

    — C’est pour une expérience, comme tu le sais je m’intéresse à beaucoup de sciences et parmi celles-ci l’alchimie.

    — Dans ces conditions je peux t’en procurer plus d’un kilo si tu veux, j’ai chez moi tout ce qu’il te faut pour tes expériences.

    — C’est parfait ! Cela me rendra un grand service et m’enlèvera un poids sur la conscience.

    D’un sac, qu’il portait toujours avec lui, il tira un creuset, un alambic, deux sachets bien fermés et une petite bouteille contenant un liquide verdâtre et sirupeux. Il versa la moitié du plomb dans le creuset, l’assaisonna d’une pincette de poudre grisâtre extraite d’un des deux sachets et plaça le tout sur le feu. Il remplit l’alambic aux trois quarts d’eau, rajouta l’équivalent d’une cuillère de poudre d’un bleu cristallin tirée du deuxième sachet, égoutta trois gouttes de l’étrange liquide contenu dans la petite bouteille et laissa le tout se distiller sur un feu doux. Quelque temps après il versa la substance en ébullition de l’alambic sur le mélange en fusion du creuset.

    Une heure ou un peu plus après cette opération il déversa tout le contenu du récipient et je voyais alors devant mes yeux incrédules une luisante plaquette d’argent.

    Il me remit le petit lingot en me disant que c’était un cadeau pour ma générosité pour l’avoir accueilli chez lui comme un ami alors que je ne le connaissais même pas. Tout d’abord j’avais refusé une telle offre, qui me paraissait de trop grande valeur, mais je finis par accepter pour lui faire plaisir mais aussi pour garder comme un souvenir ce qui me semblait être le produit d’un prodige.

    Quelques jours plus tard, il réitéra son

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