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Immanis creatura - Tome 2: Les ombres funèbres
Immanis creatura - Tome 2: Les ombres funèbres
Immanis creatura - Tome 2: Les ombres funèbres
Livre électronique200 pages2 heures

Immanis creatura - Tome 2: Les ombres funèbres

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À propos de ce livre électronique

En hiver 1956, le froid glacial, la neige épaisse et le vent du Nord impitoyable engourdissent tout sur leur passage. Neuf longues années se sont écoulées depuis les événements tragiques de 1947. Les effroyables créatures qui avaient semé la terreur et la mort semblent toujours rôder, leurs cris glaçants figeant le sang des vivants bien au-delà des montagnes. Pourtant, tous croyaient ces êtres cruels à jamais disparus…


À PROPOS DE L'AUTEUR


Pour Thierry Rouby, la littérature fertilise la pensée et féconde le savoir pour donner naissance à des émotions. C’est ainsi qu’en regardant et en écoutant les autres autour de lui, il s’inspire et enrichit sa créativité. Dans "Immanis creatura", il nous invite à voyager avec lui dans le passé, le présent et parfois le futur.
LangueFrançais
Date de sortie3 janv. 2024
ISBN9791042210908
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    Aperçu du livre

    Immanis creatura - Tome 2 - Thierry Rouby

    Chapitre 1

    Annonay (Ardèche), février 1956

    Quand Abel se réveille, il fait encore nuit. Un vent glacial souffle sur le quartier de la Cance et passe à travers les fissures des murs lézardés de son modeste deux-pièces. Le poêle à charbon s’est éteint depuis plusieurs heures et le froid s’installe. Des fleurs de glace ornent de bas en haut les vitres des fenêtres.

    Le quai de Merle se recouvre rapidement d’une épaisse brume. Une odeur pestilentielle remonte des égouts qui fument tels des orifices de chaudière. La rivière gelée sur les bords peine à charrier le jus sombre et visqueux rejeté par les bacs de décantation.

    Les tanneries et les mégisseries de la basse ville crachent leurs eaux usées par de larges canalisations à ciel ouvert. Les ateliers déversent les résidus du salage et du traitement des peaux au chrome.

    Couchée près de lui, Jeanne semble agitée et fiévreuse. Une toux grasse a perturbé toute sa nuit et troublé celle de son compagnon.

    Elle entrouvre les paupières en lui souriant.

    Le couple envisage tristement cette nouvelle journée. Espérant au fond que chaque heure de labeur passe rapidement.

    Pourtant, encore très jeunes, mais c’est déjà de la mélancolie qui les anime et la monotonie qui mine leur existence.

    Le sentiment que dans leur vie banale, il n’y a aucun avenir ou qu’il s’est enfui à jamais.

    Ils ont perdu tout espoir qu’un jour elle sera meilleure.

    Refoulant la tristesse, comme chaque matin, Abel se lève et s’habille.

    L’odeur tenace du trempage des peaux à la tannerie imprègne la laine de son chandail ainsi que sa chemise de flanelle. Cette puanteur entre partout, jusqu’à ses sous-vêtements. Son corps est aussi imprégné, le savon et le gant de crin n’en viennent pas à bout. Ce parfum saumâtre, l’honneur de sa présence tout le temps.

    Ses chaussettes maintes et maintes fois rapiécées arborent de nouveau un large trou juste sur l’orteil.

    Il se met à allumer le poêle, insérant dans le foyer du papier journal et de vieilles cagettes grossièrement cassées.

    Une fois l’ensemble en braises, il y verse un demi-seau de charbon.

    Au bout de plusieurs minutes, la température remonte, et le petit appartement situé au dernier étage devient presque agréable. Sortant sur le palier bouilloire en main, il manie le robinet d’arrivée d’eau, un bruit de vibrations se fait entendre dans la tuyauterie, rien ne sort, le gel a-t-il eu raison de la canalisation ?

    Le palier donne sur un balcon extérieur juché au-dessus de la rivière, une simple rambarde en bois sert de garde-fou. L’ensemble est dans un sale état de décrépitude.

    Au fond dans l’obscurité se trouve un infâme cabinet d’aisances, construit en planches irrégulières qui s’ébranlent à chaque ouverture de la porte.

    Le palier a pour unique éclairage une ampoule poussiéreuse qui se balance au plafond au gré des courants d’air.

    Abel demeure un long moment immobile les yeux clos prenant appui contre la cloison extérieure de son logement, attendant devant le robinet de cuivre partiellement recouvert de vert-de-gris.

    Soudain, l’eau jaillit, froide et limpide. Il remplit la bouilloire et rentre la mettre sur le poêle.

    Le quartier de la Tartarie se réveille, des jurons éclatent, des marmots pleurent, une nouvelle journée commence, il est cinq heures.

    Le mélange de café et de chicorée est maintenant prêt, Abel remplit deux bols. Ce breuvage très clair le réchauffe, cela ne vaut pas un vrai café, loin de là, mais malgré tout il le trouve bon.

    La toux rauque de Jeanne le fait se retourner.

    — Tu en tiens une carabiné, tu es blanche comme de la craie.

    — Je crois que j’ai un peu de fièvre, répond-elle timidement.

    Il considère son visage pâle et fatigué, sentant qu’il lui faut du repos.

    Puis, il prend une tranche de pain et y étend un bon aplat de miel, lèche la cuillère en poussant un soupir de satisfaction. Quelques minutes plus tard, il lace ses brodequins et s’étire.

    — Bon je vais y aller c’est bientôt l’heure. Bonne journée, à ce soir, Jeanne.

    La jeune femme acquiesce d’un hochement de la tête.

    L’homme croit un instant que sa compagne va se mettre à pleurer, il la regarde. Son menton tremble et les sanglots ne sont pas loin.

    — Eh bien, dit-il brusquement, qu’est qu’il y a ? Tu me sembles bizarre.

    Elle hésite et détourne le regard pour fixer le mur, déclenchant en même temps une quinte de toux.

    Abel est décontenancé de la voir dans un tel état de tristesse et de désarroi.

    — Bon sang ! Je vois bien que ça ne va pas.

    — Non, je t’assure, c’est rien, n’ai pas d’inquiétude, une simple migraine.

    Il se rapproche d’elle, l’étreint passionnément et essaye de l’apaiser.

    — Je t’aime, je suis heureux que l’on vive ensemble.

    Elle sanglote et respire fort, la toux soulève ses seins.

    — Je sais Abel, je sais, vas-y, tu vas être en retard.

    Il se pince les lèvres avec fermeté, ses sourcils se froncent. Une étrange impression lui serre le cœur et lui fait mal.

    — Faisons nos valises et partons, allons voir ailleurs si tu veux. Du travail, on en trouvera.

    Elle tourne enfin la tête et un sourire brille à travers ses larmes. Ses yeux échangent un rapide regard avec ceux de son compagnon.

    — On verra, va y maintenant.

    Abel met son béret, enfile sa veste de velours côtelé et sort. Il suit l’étroit trottoir du quai de Merle jusqu’à l’église Saint-Joseph de Cance, traverse avec précaution le pont partiellement gelé et rejoint la rue Eugène Meysonnier.

    Au café des tanneurs, il trouve Ignace Ballard et Vincent Frachon qui prennent un verre.

    Un pâle sourire erre sur leurs lèvres respectives.

    — Eh bien, vous faites une petite mine ce matin les gars, fait-il.

    — C’est la grève, dit Frachon en lâchant un soupir.

    — La grève ! Vraiment, mince alors, relève Abel, visiblement déçu.

    Le gars hoche la tête avant de poursuivre.

    — Les syndicats l’ont voté à quatre heures ce matin. Depuis des jours, ça nous pendait au nez, les camarades en ont ras la casquette. À présent, ils sont réunis au bureau de la concentration des mégissiers et des tanneurs avec les pontes de la direction.

    Un long silence suit. Abel se passe les mains sur les yeux d’un geste nerveux. Son front se couvre de sueur.

    — Tu es bien palot et molasse, un jeune et vigoureux garçon comme toi, remarque Frachon.

    — Non ça va, mais une grève, il faut reconnaître que ça va nous foutre dans la merde.

    — Celle-ci n’ira pas loin gamin, dit le patron du café en agitant sa grosse moustache.

    Puis il verse du vin dans les verres et passe un chiffon mouillé sur le zinc du bar.

    — Là, tu t’avances un peu Berthier. Les salaires sont trop bas, les fins de mois de plus en plus difficiles. La misère et la pauvreté grandissent de jour en jour, s’écrie Frachon.

    Berthier fulmine.

    — Et tu crois que la grève va arranger toutes ces choses ? Comment allez-vous remplir les ventres de vos enfants, sans argent ? Le gamin à raison, vous vous foutez dans la merde. Décidément, vous êtes trop naïfs, les gars.

    Ballard hausse les épaules.

    — Je ne vois pas d’autres moyens de pression, ils ne veulent rien entendre, pourtant leur chiffre d’affaires a sensiblement augmenté avec les peaux velours.

    Un gros poêle à mazout carbure près du comptoir, on aperçoit une flamme rougeoyante sur la face avant à travers un petit cercle de verre.

    Le cafetier regarde l’extérieur à travers les vitres embuées, une foule importante se masse dans la rue.

    — Eh bien, ça en fait du monde.

    Abel assis à l’extrémité du bar tourne son béret entre ses mains, il observe et écoute avec une indifférence totale. Sa seule pensée est pour Jeanne et son mal-être.

    Il y a des choses qui ne s’expliquent pas, des choses qui ne semblent pas tourner rond. Jeanne n’est plus la jeune femme qu’il a connue voilà plus de deux années. C’est une autre fille, pleine de souffrance et d’angoisse.

    Le décès de son père l’a beaucoup affecté, elle se trouve loin de sa famille qui vit dans la Drôme.

    Une forte odeur de javel agresse les narines d’Abel, Jacqueline l’épouse de Berthier passe la serpillière le long du comptoir. Un client vient de renverser son verre de vin.

    Le sol carrelé en damier noir et blanc se marque immédiatement de l’empreinte des semelles des gaillards qui piétinent en buvant.

    Le débit de boissons est maintenant bondé, la fumée du tabac se plaque au plafond, la buée recouvre les vitres et masque l’extérieur. Un brouhaha s’installe.

    — Le malheur des uns fait le bonheur des autres, là c’est une quasi-certitude, fait Frachon.

    — Tu vas rapidement t’enrichir Berthier, là, le matelas s’épaissit à vue d’œil, lance Ignace Ballard, affichant un sourire ironique.

    Le cafetier, le visage excité, réplique immédiatement.

    — Nom de Dieu grogne-t-il, c’en est trop.

    Il jette de colère son torchon sur le comptoir. Puis attrape le bras d’Ignace en élevant la voix et il le regarde droit dans les yeux.

    — Tu veux la voir l’ardoise avec le nom de tous ceux qui me font marquer pour la fin du mois, elle s’allonge de jour en jour. Je crois que même ton nom y apparaît, alors tes allusions, tu sais où tu peux te les mettre.

    — C’est bon, je blaguais, pourquoi t’énerver ainsi ?

    — Et bien, pas moi, la plaisanterie a ses limites et là, tu viens de les franchir, trop c’est trop.

    — Oh là, là, marmonne Ballard en constatant la colère du commerçant.

    Frachon ne s’associe pas à la plaisanterie de son collègue de travail et le montre en bougeant la tête de gauche à droite et en déclarant.

    — Ferme là, maintenant.

    Ignace ne sait pas comment formuler ses remords. Il fait la moue et marmonne entre ses dents.

    — Bon, ça va, je suis désolé.

    Parmi la foule, un gars monte sur une chaise, promène ses yeux sur la salle et lance.

    — Camarades ! Soudain, une salve d’applaudissements éclate à ce mot.

    Le syndicaliste fait un signe de la main afin de rétablir le silence.

    Puis, il reprend la parole rudement.

    — Camarades, les actionnaires et la direction refusent toutes négociations.

    Les ouvriers l’entourent, certains répliquent en scandant des noms d’oiseaux, d’autres s’agitent en poussant des hurlements de protestations.

    — Ils ne veulent rien entendre, rien lâcher.

    L’assemblée est furieuse et haineuse. Il continue plusieurs minutes sur le même ton, le discours est fameux et porte fort, les gars sont remontés.

    Vogel s’avance, essaye de se frayer un chemin dans la foule, en jouant des coudes.

    — Bordel fait attention, tu me marches sur les pieds, grogne un gros monsieur.

    — Mille excuses, mon gars, dit Vogel.

    — Mille, c’est beaucoup, une me suffira rétorque l’autre gars en rigolant.

    Quel contraste avec les autres visages qui expriment le mécontentement et la consternation !

    Le syndicaliste élève la voix, personne ne bronche, la figure de Vogel se contracte comme si tous les regards se braquent sur lui. Juste à cet instant, une main se pose sur son épaule.

    Il se retourne brusquement.

    Abel est là près de lui.

    — Ah ! tu tombes bien, c’est toi que je viens voir. Mais je ne m’attendais pas à trouver autant de monde au mètre carré, déclare Vogel en montrant la foule d’un mouvement du menton.

    — Purée, ne m’en parle pas, quelle merde, c’est la grève, soupir le jeune homme.

    — Tu vas avoir besoin de fric alors ? Ça tombe bien, je viens te proposer un coup, Servat et Ribes cherchent un gars pour faire le guet.

    — J’y gagne quoi ? Fait Abel, visiblement intéressé.

    — Un paquet de pognon. Sortons, je vais t’en dire plus, on ne s’entend pas là-dedans avec tout ce boucan.

    Au même moment, un type complètement paniqué et essoufflé entre en hurlant.

    — Venez vite, une femme vient de se jeter de la passerelle. Son corps a heurté les rochers de la berge. Le débit d’eau est important, ils ont ouvert tous les bassins des tanneries.

    Abel est subitement pris d’une crise d’angoisse, il pense à Jeanne. S’en réfléchir, il sort et se met à courir en direction de la rivière.

    ***

    José Cazoni, engoncé dans son pardessus, remonte la rue Mongolfier d’un pas prudent.

    Les trottoirs sont recouverts d’une fine pellicule de glace. Les canalisations d’eau en façade ont éclaté, délivrant des formes décoratives gelées.

    Au croisement de la rue de Tournon et de la place de la Liberté, des camions patinent et calent, ne réussissant pas à redémarrer, car le froid sibérien du matin fait pailleter le gazole.

    Un livreur de charbon peste en donnant des coups de pied dans les pneus de son véhicule. Un autre lui crie.

    — Mais Bon Dieu, tu la bouges ta carriole bougre d’âne.

    — Connard ! Tu ne vois pas que la chaussée glisse et qu’on se casse la gueule.

    Cazoni s’arrête un instant, un sourire amusé fleurit sur ses lèvres.

    Quel merdier, pense-t-il en lâchant un soupir.

    Il reste un moment devant cette animation matinale puis prend la direction de la rue Boissy.

    Arrivé place de la Libération, il descend les escaliers qui mènent

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