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Maquettes et Pastels: La Vie d'artiste
Maquettes et Pastels: La Vie d'artiste
Maquettes et Pastels: La Vie d'artiste
Livre électronique204 pages2 heures

Maquettes et Pastels: La Vie d'artiste

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À propos de ce livre électronique

Extrait : "La nuit approchait. Ils avaient fini de dîner ; les coudes sur la nappe, ils bavardaient, tandis qu'auprès d'eux une lampe brûlait toute rose sans les éclairer, et le jour, entré par la fenêtre, mourait en taches bleues sur la nappe. Mariés depuis quelques jours, ils se connaissaient à peine. Jean le premier, dans un besoin d'union absolue, s'abandonnait aux confidences qui livrent l'âme tout entière."

À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN :

Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants :

• Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
• Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.
LangueFrançais
ÉditeurLigaran
Date de sortie30 août 2016
ISBN9782335168648
Maquettes et Pastels: La Vie d'artiste

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    Aperçu du livre

    Maquettes et Pastels - Ligaran

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    À MON FRÈRE

    Je ne veux pas seulement, mon cher Paul, te donner ici un gage de mon affection, je veux éclairer le seuil de ce triste récit en présentant au lecteur le fils d’un homme de talent qui promet de briller à son tour dans la carrière paternelle.

    Dégénéré

    La nuit approchait. Ils avaient fini de dîner ; les coudes sur la nappe, ils bavardaient, tandis qu’auprès d’eux une lampe brûlait toute rose sans les éclairer, et que le jour, entré par la fenêtre, mourait en taches bleues sur la nappe.

    Mariés depuis quelques jours, ils se connaissaient à peine. Jean le premier, dans un besoin d’union absolue, s’abandonnait aux confidences qui livrent l’âme tout entière. Boiteux, timide et taciturne, privé des tendresses d’une mère, il éprouvait une volupté très douce à déposer son âme aux pieds d’Émilie. Il parlait avec effusion ; conscient de son innocence, il s’en voulait même des souvenirs effacés et regrettait de ne pouvoir immoler à sa chère femme toutes les minutes dont elle n’avait pas été l’unique pensée. Cette confession respirait non point l’amour calme et éclairé d’un homme, mais la tendresse gauche et passionnée d’une vierge.

    Émilie, grave, très belle, écoutait.

    Il était né boiteux. Sa mère était morte quelques mois après sa naissance ; son père, le célèbre sculpteur Pierre Gemmant, l’avait fait élever à la campagne, puis l’avait mis au collège d’où il ne le laissait sortir que rarement pour l’envoyer chez des cousins oublier dans le plein air des champs les odeurs d’encre et de mèches charbonneuses des salles d’études… Il disait son respect et son admiration pour ce père à peine entrevu et dont le nom l’enveloppait d’un reflet de gloire ; il disait le timide désir éclos dans son cœur d’enfant, le rêve inavoué de ses flâneries dans les cours pavées du bahut : être sculpteur ! Et il évoquait ce jour de vacances où le grand artiste l’avait surpris derrière une selle, absorbé dans un naïf gribouillage représentant un coin du groupe d’Ugolin et ses enfants, que Gemmant modelait alors. Il riait à ce souvenir ; il croyait se voir dans sa livrée scolaire aux boutons de cuivre, le crâne court tondu, les oreilles en forme de coquille, tout effaré.

    – Ah ça ! gamin, lui avait demandé son père, est ce que tu voudrais aussi faire des bonshommes, toi ?

    Il avait soufflé : oui ! en rougissant comme un Chérubin qui laisse échapper le nom de sa maîtresse ; et, resté seul dans l’atelier, le cœur sautant d’enthousiasme, il avait dû s’asseoir un instant sur l’escabeau paternel. Là, au pied du groupe d’Ugolin, il s’était répété tout bas, à lui-même, cette grande nouvelle :

    – Je serai sculpteur ! je serai sculpteur comme papa.

    … À l’École des Beaux-Arts, son nom illustre, sa pitoyable claudication l’avaient mis à l’abri des brimades traditionnelles. Mais tandis qu’il tenait le rôle effacé de dernier nouveau, il avait été profondément frappé par la vue des relations hostiles qui régnaient entre ses camarades. Déjà, dans le coude à coude de l’atelier commun, se trahissaient les jalousies de concurrence qui plus tard devaient se masquer sous des formules de politesse et des rapports de camaraderie. Elles s’affichaient en surnoms ridicules, en critiques blessantes ou se couvraient à peine d’un ton de badinage. La jeunesse de Jean, son inexpérience, son caractère déjà circonspect par suite de son infirmité, tout rendait cet aperçu du genre humain très grave pour lui. Il s’effaroucha, s’isola. L’isolement de Gemmant fut pris pour du mépris. On trouva le timide boiteux poseur, lui si tendre sous son apparence sauvage, et si avide de sympathie ; et on lui fit payer sa naissance, son beau nom et ses premières semaines de tranquillité. Il eut à subir de continuelles moqueries couronnées, un beau jour, par le surnom de « Navet », injure qui, dans les ateliers, flétrit les œuvres mauvaises, et qui, appliquée au fils d’un sculpteur de génie, parut d’une ironie triomphante. Sans colère, sans rancune, mais très triste, le malheureux Navet baissait la tête sous la pluie des quolibets. Incapable de démêler parmi ces aboiements de jeunes chiens les dents qui ne devaient pas mordre plus tard, il avait jugé ses camarades, des rapins vulgaires et méchants, sans éducation et sans instruction, aigris par la misère, leurrés par des dons chimériques et qui, malgré les années, devaient demeurer de pauvres diables souillés jusques au cœur par l’indélébile éclaboussure de la boue que maniaient leurs doigts…

    D’ailleurs, que lui importèrent les misères de sa vie d’artiste, dès qu’il connut et adora Émilie… Là, ses souvenirs se transformaient. C’étaient des bribes d’existence, des évènements minimes, une suite de minutes bonnes ou mauvaises selon qu’Elle était là ou bien qu’Elle n’était pas là… Il rappelait à sa femme leur première entrevue dans l’atelier de son père dont il modelait le buste, et il avouait naïvement qu’elle lui était apparue : « Grande, forte, l’air fier et pas commode… » À la seconde entrevue, il avait été ébloui par son éclat et par sa beauté. Elle avait un ton grave et assuré dont il se félicitait dans la conscience de sa propre faiblesse. Sa chevelure abondante et d’un blond cendré était réveillée de mèches dorées ; parfois, ses yeux gris bleuté se croisaient très légèrement, ce qui donnait à son regard une expression indécise qui lui plut aussitôt. Son visage et ses mains étaient d’un blanc d’ivoire teinté par les roses légers dont Boucher dotait ses amours.

    Navet ne fut plus le même : il devint coquet… Il riait en se remémorant les soins et les parfums qu’il dépensait pour sa barbe ; ses efforts, sa marche à petits pas pour dissimuler sa claudication ; ses réveils embaumés d’un sentiment de bonheur qu’un doute secouait : « ce n’est pas possible ! » qu’une grosse peur agitait : « un malheur va tout rompre ! ça n’arrivera pas ! » Et son attachement pour le buste de son père, témoin de leurs amours, – ce buste qu’elle admirait et qu’il couvrait d’un globe de verre, comme une couronne de mariée, dans la crainte de le défraîchir par le frôlement des linges mouillés ; – et le baiser de fiançailles, qu’il lui donna en tremblant, les joues en feu, tout ébloui !

    Après cela, pris par les sens comme par le cœur, éperdu et grisé d’amour, il ne se rappelait plus rien que l’image d’Émilie passante et repassante devant ses yeux durant de longues rêveries, – évocations des moindres gestes, des moindres paroles de sa fiancée, que la voix éclatante de Pierre Gemmant faisait évanouir.

    – À quoi penses-tu, grosse bête ?… Tu perds la tête, lui criait son père.

    Jean, ainsi rappelé à la réalité, se retrouvait lessivant d’un mouvement machinal des linges-à-terre au fond d’un seau d’eau, ou bien s’acharnant à arroser son buste, une seringue vide entre les mains…

    … Tout attendri, il terminait ses confidences par ces paroles :

    – Entre mon père et toi, ma chérie, je me sens le plus heureux et le plus fier des hommes !… Aimer une femme comme toi, porter le nom d’un homme comme lui…

    – Porter un grand nom, interrompit lentement Émilie, porter un grand nom ne suffit pas, mon ami ; il faut encore le soutenir.

    Avec un sourire distrait, son mari déclara :

    – Évidemment ; et se levant il prit la lampe.

    Au moment de quitter la petite salle à manger de l’appartement qu’ils occupaient à l’hôtel de la Plage, il demanda :

    – Allons-nous faire un tour au bord de la mer ?

    Émilie se renversa sur sa chaise et regarda Jean. Sous les reflets de l’abat-jour, le visage du jeune homme s’éclairait violemment. Une barbe jaunâtre, rude et mal plantée, hérissait son visage maigre et laid ; mais ses yeux étaient très doux et son sourire respirait la tendresse et la bonté. Elle allait répondre, quand un domestique entra, une dépêche à la main.

    Jean, qui avait replacé la lampe sur la table, prit la feuille de papier et l’ouvrit. Aussitôt, il bredouilla, tout bouleversé :

    – Fluxion de poitrine ! très malade !… Mon père ! Comment ! Quoi ! Je ne comprends pas !

    Et tendant la dépêche à sa femme :

    – Tiens, lis… Hein ? Qu’est-ce que cela veut dire ?

    Après un coup d’œil, Émilie prononça :

    – Il faut partir ce soir, mon ami… Nous prendrons le train dans une heure.

    *

    **

    … Debout au milieu de l’atelier, en habit noir, la face pâle, les paupières rouges, Jean restait immobile, gauche et morne. Émilie était assise, en grand deuil, le visage très blanc sous son voile noir.

    Ils revenaient du cimetière où le grand artiste avait été conduit avec un appareil plein de pompe… L’âme meurtrie et le corps rompu, Jean aspirait depuis plusieurs heures à la fin des bruits noirs de l’église, des éloges officiels du cimetière, de cette longue torture qu’il lui fallait subir des prêtres et des civils. Et pourtant il se sentait plus accablé depuis qu’il était soulagé de ce cauchemar.

    Gemmant était tombé malade au moment où il quittait son vieil atelier pour se rapprocher du jeune ménage. Les statues et les meubles étaient déjà enlevés. Il semblait qu’après que la foudre eut frappé l’aigle, le tourbillon d’orage eût balayé son aire. Il ne restait plus entre les quatre murs gris que la chaise occupée par Émilie et un petit coucou abandonné dans le coin où il s’enfumait depuis des années. Soudain, ce coucou eut un décrochement intérieur, et, après un court silence, il lança un cri d’oiseau qui retentit cinq fois, très sec, dans la salle vide. Jean tressaillit. En un pareil instant, cette voix pleine de souvenirs lui parut un adieu suprême des choses après celui des hommes, un adieu qui, à la suite de tant de discours, résumait cette funèbre journée par un cri de départ et d’effacement ironique et brutal… En effet, il ne le verrait plus… Un sanglot le secoua ; et, comme sa femme se levait, il lui saisit le bras, et souffla, devant cet évanouissement de tout ce qui avait été son père :

    – Il ne me reste plus que toi, Émilie, plus que toi !…

    … Les jours suivants furent lugubres.

    Il voulut revoir quelques amis de son père dont les poignées de main sincèrement émues l’avaient touché, au milieu des hommages indifférents ; mais leur accueil fut morne, plus attristé que sympathique. Il sentit vaguement que le malheur éloigne comme une maladie contagieuse ; il rappelait un compagnon qu’il faudrait suivre. Il ne revint plus, par pitié.

    Sa sensibilité était exaspérée ; sa plaie se ravivait à tous les menus accidents de son existence journalière. Il s’irritait de voir respirer et vivre tant d’êtres veules, inutiles, quand son père n’était plus. Il s’agaçait même des mines compatissantes de son beau-père et des doléantes paroles que sa belle-mère ânonnait avec une voix qui avait l’harmonie chevrotante d’une boîte à musique. Sa femme seule trouvait grâce à ses yeux.

    Son beau-père, M. Blas-Noël, était un homme grand, lourd, à la tournure à la fois militaire et pacifique d’un gardien de square ou d’un pandore retraité, très fier de la forte moustache recourbée en fanons de baleine qui échantillonnait sur ses lèvres les reliefs de ses repas. Fils et petit-fils de marchands de comestibles plusieurs fois millionnaires, M. Blas-Noël avait lui-même consacré quelques années au commerce paternel : mais après avoir victorieusement prouvé son incapacité et avoir mis en danger sa fortune, le digne homme s’était sagement résolu à vivre des rentes qui lui restaient. Les millions avaient fait oublier les concombres. Mme Blas-Noël, femme très douce, très timide, ratatinée comme un fruit d’hiver mûri sur une planche, avait ouvert un salon ; M. Blas-Noël avait formé une assez belle galerie de peinture ; et Mlle Émilie, leur fille, avait eu l’ambition de porter un grand nom, d’être la femme d’un artiste célèbre.

    Ses noces, les funérailles de Pierre Gemmant lui avaient donné un rôle dont l’éblouissement durait encore ; mais son deuil la forçait maintenant à vivre retirée et la privait pour de longs mois de toutes les petites jouissances de vanité qu’elle s’était promises. À la faveur des observations qu’elle tirait de cette existence monotone, elle éprouvait déjà la désillusion accoutumée de tant d’innocentes épouses d’artistes. Le caractère simple et faible de son mari la surprenait et l’inquiétait pour l’avenir. La malheureuse avait cru s’attacher à un homme exceptionnel, partager l’existence féerique d’un jeune premier, transportée du gaz des coulisses au soleil. Or, depuis que Pierre Gemmant n’était plus là, le lustre et la rampe pâlissaient, le jeune premier tournait au vague figurant, et le public avait déserté : De jour en jour, elle découvrait son erreur plus profonde. Ayant épousé le fils à cause du père, elle tremblait que, le père disparu, le fils ne laissât ternir l’auréole de ce grand nom : Gemmant.

    Comme l’accablement de Jean se prolongeait, elle résolut, après quelques hésitations, de le rappeler aux devoirs de son art :

    – Jean, lui dit-elle un soir, n’as-tu pas l’intention d’exposer au prochain Salon… ? Tu

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