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La petite romano
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Livre électronique229 pages3 heures

La petite romano

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À propos de ce livre électronique

« C’est pas ta faute, Madame » Par ces quelques mots, une enfant va bouleverser à jamais la vie paisible des Bernich. En cherchant à réparer les liens invisibles arrachés au passé de son adolescence, Emmy va se jeter dans une folle poursuite à travers le pays de Dracul, le Prince sanguinaire des Carpates. Avec l’aide de Dennis son mari et de leurs amis les Pelblanc, elle va en rapporter de bien étranges bagages, qui feront que vous ne vivrez plus jamais votre existence de la même manière.
LangueFrançais
Date de sortie29 oct. 2014
ISBN9782312028354
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    La petite romano - Bernard Corneil

    cover.jpg

    La petite Romano

    Bernard Corneil

    LA PETITE ROMANO

    LES ÉDITIONS DU NET

    22, rue Édouard Nieuport 92150 Suresnes

    « N’espère rien de l’homme s’il travaille pour

    sa propre vie et non pour son éternité. »

    Antoine de Saint-Exupéry

    © Les Éditions du Net, 2014

    ISBN : 978-2-312-02835-4

    La rencontre

    « Une fois traversé la rivière,

    que m’importe le passeur. »

    Proverbe Gitan

    1

    – C’est pas ta faute Madame.

    2

    L’automne était annoncé doux et ensoleillé.

    Tout le monde l’attendait après un printemps « pourri » et un été en demi-teinte, choses si rares dans le sud-ouest de la France. Les vendanges tardaient à commencer dans le petit village de Vieux, à cause d’un léger manque de maturité du raisin. Mais il était bon à manger tout de même, aussi Emmy se régalait-elle, comme aujourd’hui, d’aller en broutiller une grappe, dans la vigne du bout de l’allée. Quel privilège que de pouvoir se servir directement sur la souche, le pommier, le cerisier ou le figuier au gré des saisons. Juste ce qu’il faut, à l’envie comme le font les oiseaux, les mulots et le petit écureuil malin plutôt spécialisé dans la collecte sous le noisetier, derrière la grange.

    Souvent, au cours de l’année, elle et son mari aiment à venir dans leur maison de Puech Galine, au calme, loin de la pollution et du brouhaha de la ville de Béziers. Monsieur le docteur Dennis Bernich y exerce sa fonction de Directeur d’un Centre d’accueil pour enfants handicapés moteurs et mentaux. Pourtant, la période qui les voit encore présents dans cette résidence d’été reste exceptionnelle. Le mois de septembre signifie la fin des vacances, la reprise de l’activité professionnelle et la rentrée des classes. Autant de raisons de ne pas s’absenter de l’Hérault. Surtout de l’environnement familial que représente leur fille Sylvie.

    Sauf que…

    Sauf que, cette année il n’y a pas eu de rentrée scolaire pour Baptiste. Aussi ont-ils préféré fuir pour venir cacher leur peine, leur angoisse et leurs espoirs dans ce petit coin du Tarn-nord, situé dans le triangle touristique Albi-Gaillac-Cordes. Il s’avère ni trop proche, ni trop éloigné du drame de la maladie qui affecte ce petit bonhomme âgé de 13 ans, pour le cas où ses parents appelleraient à l’aide. Ne jamais interférer dans la vie du jeune couple, tel est leur principe de toujours, même si parfois, comme en ce moment, ils préféreraient agir. Agir comment ? Ils l’ignorent, mais l’impuissance à aider leur petit-fils, par moments devient insupportable.

    À plus forte raison pour un papy médecin.

    Les réflexions d’Emmy Bernich furent interrompues par le bruit d’un moteur pétaradant. Un vieux fourgon Citroën sans âge remontait la route dans sa direction. Elle n’aurait su donner un nom à ce véhicule, mais le capot en nez de cochon et sa carrosserie façon tôle ondulée, lui rappelaient la camionnette de l’épicier. Quand elle était gamine, il venait sur la place de Sérignan, son village natal du bord du littoral méditerranéen. Il se garait presque sous la fenêtre de sa chambre d’où elle assistait au défilé des ménagères. Elles cancanaient, s’exclamaient et riaient, dans cette rare trêve que leur accordait la somme des tâches dévolues aux femmes de l’époque, dépourvues qu’elles étaient de ce confort apporté depuis par la modernité.

    Un goût de sucette à la menthe monta à ses lèvres…

    Parvenu à hauteur du portail, après deux ou trois soubresauts le moteur du fourgon cala. Un homme, au teint mat et aux cheveux noirs comme les corbeaux dérangés par le tapage, descendit de cet amas de rouille ambulant dans un grincement de portière récalcitrante. Un sourire dévoila des dents jaunies par le tabac qu’il était en train de chiquer. Il se détourna une seconde pour cracher puis, une main en avant et l’autre essuyant sa bouche, il s’approcha. Sans se départir d’un calme qui voulait signifier une absence de crainte, Emmy croisa ses bras, s’enveloppant dans les pans d’un chandail à capuche couleur lilas. Le message était on ne peut plus clair.

    Le visiteur ne s’en démonta pas pour autant, certainement habitué à une telle attitude à son égard.

    – B’jour madame. Si vous avez de la ferraille, je peux vous en débarrasser, là tout de suite.

    À la manière d’un dandy de salon, il fit mine d’épousseter un pantalon crasseux de cambouis, de terre et de bien d’autres tâches non identifiables, tout en se dirigeant vers le hayon arrière pour l’ouvrir.

    – Inutile, mon bon monsieur, il n’y a pas de ferraille ici.

    Suspendant son geste, comme il l’avait sûrement répété maintes fois, il affecta une mine surprise.

    – Pas de ferraille ? Des pots en céramique ou de terre cuite, alors ? Du fil de cuivre, des tuyaux de plomb ? Je suis preneur de chiffons, de ficelles, de vieux journaux.

    – Rien de tout cela, je le regrette pour vous.

    Il changea son masque d’acteur joyeux pour celui du clown triste puis, dans une théâtrale résignation, il salua et remonta dans son fourgon qui – ô miracle – redémarra, non sans tousser une infâme fumée noire. Emmy le regarda un instant se diriger vers Puech Ferlan puis se baissa pour actionner la fermeture électrique du portail. Pas sûr que le voisin l’accueille mieux qu’elle l’avait fait. Les autres habitants du voisinage non plus d’ailleurs. Il faut dire que la méfiance accompagne toujours les gens du voyage. Car elle était persuadée qu’il s’agissait bien d’un gitan, d’un rom ou de quelque nom qu’on leur donne. Leur réputation, justifiée ou non, les précède malgré eux : voleurs de poules, profiteurs de la bonne société, fainéants justes bons à faire des gosses… Bref, tout ce qui les rend suspects et infréquentables.

    Il est des étiquettes si fortement collées qu’elles sont capables de résister à la dégradation du temps, durant des siècles. Ce peuple en est l’illustration. Il suffisait d’écouter les informations quotidiennes pour en avoir la confirmation.

    Encore accroupie, Emmy sursauta. Du coin de l’œil elle venait de percevoir un mouvement, tandis que le portail se fermait.

    – Sais-tu que tu m’as fait peur ? Je ne t’avais pas vue. Bonjour fillette, que fais-tu là ?

    À l’évidence, il s’agissait de l’enfant du ferrailleur. Mieux habillée c’était certain, beaucoup moins sale assurément, mais de type ethnique similaire.

    – Ton papa t’a oubliée ?

    Ses grands yeux noirs fixaient intensément Emmy. Comprenait-elle le français ?

    – Comment t’appelles-tu ?

    Comme si elle avait saisi cette question, la petite fille fit une révérence.

    – Dusha. Avec un « s » et pas un « c » pour le sha.

    Amusée par la remarque, Emmy se releva et lui prit les mains dans les siennes.

    – Dusha. C’est joli.

    Caressant les doigts fins qu’elle avait emprisonnés, elle se laissa fasciner par ce regard si profond qu’il était aisé de s’y perdre tant il vous absorbait. Dans une robe fleurie, ample et lui arrivant juste au-dessus de ses pieds nus, l’enfant se tenait bien droite, empreinte d’une forme de fierté naturelle qui la rendait plus belle encore.

    Emmy voulut poser une main sur ses cheveux retenus par un foulard rouge noué en bandanas, mais l’enfant fit un mouvement de tête pour échapper à la caresse. Cette ruade révéla la nature sauvage qui caractérise la grinta tsigane – des zingaros du sud de l’Europe. Une marque de caractère bien « trempé » qui plut à la rebelle qu’elle avait été elle-même, à cet âge là.

    – C’est pas ta faute Madame.

    Un peu incrédule, Emmy sourit tout en cherchant à comprendre le sens de ce que la fillette venait de lui dire.

    – Qu’est-ce qui n’est pas de ma faute, dis-moi.

    – Elle ne pouvait pas rester.

    L’étonnement grandit plus encore chez Emmy, faisant disparaître toute trace de jovialité. À son tour, elle fixait ces yeux qui ne se détournaient pas. Elle chercha à lire, sur ce visage grave, une étincelle d’humour, une facétie prête à éclater en un grand rire. Car pour sûr, il s’agissait d’une blague. Ou bien d’une méprise : la petite Dusha la confondait avec une autre personne…

    – Son corps était mal fait et la faisait souffrir. Alors elle a préféré ne pas venir. Mais tu ne dois pas t’inquiéter, Madame, elle est heureuse et vous vous retrouverez quand tu t’en iras d’ici.

    – Mais de quoi parles-tu à la fin ?

    – C’est ce qu’elle m’a dit de te dire. Et aussi qu’elle t’aime très fort.

    L’exaspération se mêlait à un malaise envahissant qui rendait Emmy nerveuse. Elle n’aimait pas du tout ce qu’elle était en train de partager avec cette gamine.

    – C’est qui « elle » ?

    – Mapi.

    Soudainement, le visage d’Emmy parut s’être vidé de tout son sang, creusant sur le front et les joues des sillons de douleur. Ses lèvres frémirent, sa voix perdit de son assurance.

    – Qui t’a dit ce nom ? Qui ? Dis-moi qui ? Qui ?

    – Tu me fais mal Madame !

    Lâchant les petites mains décolorées par la pression exercée sur elles, Emmy leva les paumes de ses mains en signe d’excuses que sa bouche fut incapable d’exprimer. Par quel sortilège démoniaque l’enfant connaissait-elle ce prénom ?

    Prise de vertige, elle tenta de s’appuyer au pilier de l’entrée qui se déroba. Elle tomba à genoux et se mit à trembler.

    C’est dans cette position, recroquevillée, la tête contre terre et lovée entre ses bras que Dennis la trouva. Cela faisait plus d’une heure qu’elle était partie pour ramasser quelques fruits en guise de dessert. Inquiet, il avait regardé par la fenêtre et s’était étonné de voir le portail fermé, ce qui signifiait qu’Emmy était revenue de sa cueillette.

    Il était alors sorti et, s’avançant dans l’allée, l’aperçut à terre. Il s’était précipité, de sa démarche légèrement claudicante – souvenir d’un lointain accident de la circulation – et l’avait soulevée délicatement.

    – Que se passe-t-il ma chérie ? Es-tu tombée ? T’es-tu fait mal ?

    – Rentrons s’il te plaît. Aide-moi.

    – Attends, je vais te porter.

    – Non, non, ça va aller. Donne moi juste ton bras.

    Il ne pouvait pas savoir que si elle tremblait, la fraîcheur de la fin de journée n’y était pour rien.

    *

    Ancienne maison d’une exploitation agricole, la résidence secondaire des Bernich avait été rénovée avec pragmatisme. Pas de travaux anachroniques avec une ruralité authentique, ni de luxe tape-à-l’œil. Juste des aménagements de confort offraient les fonctionnalités que propose le modernisme.

    Installée sur le divan du salon, calée entre deux cousins de satin vert, Emmy buvait à petites gorgées un thé au jasmin fumant.

    Assis près d’elle, Dennis attendait.

    Il l’avait conduite dans la salle de bain. Là, il l’avait déshabillée précautionneusement, puis mise dans un bain à 38° C aux algues marines relaxantes, aux huiles essentielles apaisantes et au sel de Guérande bon pour la peau. Il avait lu qu’Hippocrate, père de la médecine Antique, prescrivait déjà des bains de plantes aromatiques pour se détendre.

    L’instant était propice.

    Il avait sorti des vêtements propres et mis les sales au panier de lavage puis, silencieux, il s’était assis sur le rebord de la baignoire pour lui masser doucement les épaules.

    Après dix minutes de relâchement complet, il l’avait rincée, enveloppée dans son peignoir ; séché ses cheveux avant de les coiffer. Détendue, telle une poupée télécommandée elle s’était laissée guider jusqu’à son lit dans lequel il l’avait allongée et bordée.

    Elle avait réussi à dormir.

    Le choc extrême qu’elle avait reçu et l’émotion que cela avait suscité en elle l’avait épuisée. À présent, elle tentait de remettre en ordre chaque mot, chaque geste, chaque ressenti de l’événement démentiel qu’elle venait de vivre. Elle savait que Dennis ne poserait pas de question. Après s’être assuré qu’elle ne présentait ni blessure, ni contusion pas plus que de trouble neurologique – sa spécialité médicale – il attendait toujours.

    L’explication allait venir.

    Ainsi fonctionnaient-ils depuis qu’ils se connaissaient, c’est à dire depuis l’enfance. C’était dans le quartier de La Dullague à Béziers, au temps où il n’existait que quatre blocs, comme étaient appelées ces bâtisses HLM rectangulaires : bloc A pour lui, et B pour elle.

    Peu à peu, au sein de la bande de copains, au gré des frémissements de l’adolescence ils s’étaient rapprochés plus encore. Point besoin de beaucoup se parler pour se comprendre ; jamais d’interrogatoire, de promesses ou de « juré-craché ». La confiance et rien d’autre les soudait dans leur sentiment réciproque. Les années viendraient, lentement, transformer cet attrait par un amour inépuisable.

    Le temps était venu, de déplier le linceul dans lequel gisait le démon qu’elle s’était appliquée à enterrer dans la fosse de ses remords, sous un monceau de regrets jetés par-dessus, et qu’une enfant parvenait à faire revivre.

    – Quand mes parents ont déménagé pour aller habiter la maison maternelle de Sérignan, nous nous sommes insensiblement perdus de vue. Tu te souviens, n’est-ce pas ? Je sais que tu en as été aussi malheureux que moi. À l’époque, il n’existait pas l’aisance d’aujourd’hui pour se déplacer, même pour parcourir à peine une dizaine de kilomètres. Les transports en commun se limitaient à la ville et aux grands axes routiers, et quand bien même où aurions-nous trouvé l’argent pour payer le trajet ? Nous avions bien un vélo mais pas la permission d’aller si loin de chez-nous. Et l’on se gardait bien de braver l’autorité parentale.

    Emmy reposa sa tasse et, jambes repliées sous elle, vint se blottir contre Dennis qui, de ses bras, lui offrit un refuge douillet. Malgré un cardigan en laine du Pérou, à grosses mailles de couleur eucalyptus, sur un pantalon de pyjamas en soie jaune blé mûr, elle frissonnait légèrement.

    – C’est pendant cette période, bien avant que l’on se retrouve, que j’ai vécu une épreuve terrible dont je garde encore des séquelles psychologiques. Si je ne t’en ai jamais parlé c’est parce que je ne voulais pas que cette tâche sombre s’incruste dans notre amour. J’avais réussi à l’enfouir au plus profond de moi.

    Jusqu’à aujourd’hui.

    – Tu n’es pas obligée…

    – Laisse-moi poursuivre, je t’en prie. Il est temps d’exorciser ce passé. S’il est remonté à la surface, ce doit être pour l’exterminer. Tout du moins, je l’espère.

    Un soleil orangé de fin de journée frappa l’un des carreaux de la fenêtre et, malin, parvint à se refléter sur deux perles humides qu’Emmy tamponnait régulièrement d’un mouchoir en papier déjà bien imbibé. Elle renifla, releva une mèche de cheveux qu’elle repoussa derrière une oreille et ferma les yeux. Elle prit une longue inspiration, avant d’entamer le récit du calvaire dont elle revoyait les premières images.

    Les années soixante-dix débutent par le décès de deux figures emblématiques des soixante-huitards. Jimi Hendricks et Janis Joplin, semblent vouloir tourner une page de transition, après le rigorisme de l’après-guerre suivi de la libération fleurie des mœurs.

    Au cours des deux années qui suivent, sous l’impulsion de Simone de Beauvoir, le MLF réclame le droit à l’avortement ; le premier courrier électronique, mis au point par l’américain Ray Tomlinson, est envoyé sur le réseau internet ; le Parti socialiste naît ; Brel chante « Ne me quitte pas » et la Renault 5 est commercialisée.

    – Bien sûr, ces événements ne constituent pas un condensé historique primordial pour la connaissance universelle. Ce ne sont que des bribes que j’ai rangées dans ma mémoire, car elles sont intimement liées à ma vie personnelle.

    J’avais 17 ans à peine quand, au cours d’un meeting politique étudiant, j’ai connu puis « fréquenté » – comme l’on disait – un garçon plus âgé que moi. Ce n’était pas la passion amoureuse mais on s’entendait bien et nous avions beaucoup d’intérêts en communs : la politique, bien sûr, les balbutiements de l’informatique, la littérature, la musique et sa nouvelle voiture Renault.

    Rien de plus banal, en somme, considéré avec le recul.

    Pourtant mes parents ne voyaient pas cette liaison d’un bon œil. Trop vieux, cheveux trop longs, graine de gauchiste, et d’où sortait-il l’argent pour se payer

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