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Paires et Impairs
Paires et Impairs
Paires et Impairs
Livre électronique338 pages4 heures

Paires et Impairs

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À propos de ce livre électronique

Si tu veux tout savoir, ça a commencé à cause d’un gus bizarroïde qu’on a retrouvé transformé en méchoui dans un terrain vague. Je te raconte pas de charres, banane, c’est la vérité vraie : même qu’y fumait encore, le keum, plus cramé qu’une entrecôte sur ton barbecue du dimanche. Moi, tu me connais : j’ai scotché au passage un super beau mec qui ressemble comme deux gouttes d’eau à Solo dans Starwars ; ça m’a menée à la fois droit dans son pieu et dans une de ces embrouilles que tu m’en diras des nouvelles. Mais pourquoi je te raconte tout ça, moi ? Après tout, t’as qu’à ligoter le bouquin !
LangueFrançais
Date de sortie30 mai 2013
ISBN9782312010885
Paires et Impairs

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    Aperçu du livre

    Paires et Impairs - Vic Duvall

    cover.jpg

    Paires et Impairs

    Vic Duvall

    Paires et Impairs

    LES ÉDITIONS DU NET

    22 rue Édouard Nieuport 92150 Suresnes

    Du même auteur :

    L’œil au Beur Noir.

    La Recette de l’Abbé Harnez.

    Gauloise Blonde contre Gitane Mahousse.

    La Poule aux yeux d’or.

    Messes Noires.

    Stock en Coke.

    May Queen.

    © Les Éditions du Net, 2013

    ISBN : 978-2-312-01088-5

    La connerie, c’est le repos de l’intelligence.

    Serge Gainsbourg

    Repose donc la tienne en lisant ce book, et te scandalise surtout pas, bonhomme : je l’ai écrit juste pour te faire marrer.

    Quant à mon style, il est grand temps que tu t’y mettes, ça me boufferait l’intestin grêle que tu clabotes en n’ayant ligoté que Malherbe ou La Boétie.

    (Ceci dit, y a un petit dico à la fin de ce magnifique ouvrage, pour les ceusses qu’entraveraient pas l’argomuche ou le Petit Momo des banlieues).

    En hommage aux kilomètres de lecture désopilante et aux jéroboams d’humour que m’a apportés mon maître Frédéric. C’est souvent qu’il me manque.

    1

    LE FEU DE L’ENFER EST UN FEU FROID (OCTAVIO PAZ)

    Enfin, froid… pas pour tout le monde.

    J’ai à peine posé le cul dans ma chignole que mon bigophone se met à couiner « y a dl’a joie, bonjour, bonjour les hirondelles »…

    Sonnerie on ne peut plus ringarde, je te l’accorde. Mais si Trenet n’est pas ma tasse de thé, ben cet air-là, tu vois, moi je l’aime bien. Il est gai. Il sautille. Chaque fois que mon portable sonne, ça me chatouille agréablement les étagères à mégots. Ça me met de bon poil, quels que soient le temps, la température, le découvert de mon compte en banque, brèfle, quelles que soient toutes les merdouilleries qu’on peut subir dans notre vie de tous les jours.

    Le temps d’extirper l’engin, paumé dans le bordel infâme qui encombre mon sac, paf ! La messagerie vocale a pris le relais.

    Ce coup-ci, ma bonne humeur est de courte durée : j’ai eu juste le temps de voir s’afficher le numéro de mon boss. Pour qu’il m’appelle de si bonne heure, ce naze, c’est qu’il y a urgence, faut croire.

    En soupirant, j’enclenche la clé de contact, le bigo scotché à l’esgourde, en écoutant sur mon répondeur la voix grasse du Commissaire Boulat. Ton sec et désagréable comme d’habitude :

    – Duvall, rappliquez illico au n° 53 de la rue Béolle, à Montrouge. Je vous y attends. Et tâchez de vous magner le train !

    Voilà. C’est clair et net, hein ?

    Mais pourquoi tant de précipitation ?

    Quelle est l’affaire tellement pressante qui nécessite aussi urgemment ma présence ?

    Mystère et boule de gomme.

    Boulat a raccroché sans me filer la moindre explication. Il adore jouer dans le flou, le Commissaire. Ça l’amuse. Son plaisir, quand il balance un ordre, c’est de laisser ses subalternes ramer face à un immense point d’interrogation, avec une seule alternative possible : lui obéir aveuglément, séance tenante. En évitant de poser des questions, c’est encore mieux.

    Moi, tu me connais, mec : en règle générale, je suis une petite nana très disciplinée, qui respecte les ordres de sa hiérarchie (aussi conne soit cette dernière). Alors, en bonne fliquette bien obéissante, je démarre et j’y go.

    Et puisque ça urge, je colle le gyrophare sur le toit de ma Rino Clito, en appuyant sur le champignon.

    La circulation est dense, comme toujours dans Paname et ses environs, surtout à cette heure matinale où tout le monde se précipite au taf.

    Tout en zigzaguant entre les bagnoles et les motos, évitant un piéton par ci, une bécane par là, en empruntant quelques couloirs de bus, je cogite ferme. Qu’est-ce qu’il me veut, le Commissaire Boulat ? Qu’est-ce qu’il a encore inventé pour m’emmerder ? Et qu’est-ce que je vais trouver rue Béolle ?

    En arrivant sur place, ce que je constate tout d’abord, c’est que le n° 53 ne correspond à rien du tout.

    Pas d’immeuble, pas de bicoque. Le n° 53 donne sur un vaste terrain vague en friche, vaguement planqué derrière une vague palissade dont les planches vermoulues ont été arrachées par endroits. Je n’ai aucun mal à repérer le lieu, puissamment balisé par la Maison Pouleman. Laquelle a déployé le grand jeu : ça fourmille de superbes uniformes au dos desquels faudrait être miro pour pas voir marqué « POLICE », comme si on pouvait décemment confondre la tenue sublime de nos forces de l’ordre avec celle des membres de l’Armée du Salut.

    Je note également la présence du complément habituel de la cavalerie : un véhicule du SAMU, une bagnole des Sapeurs-Pompiers, et quatre guindes barrées tricolore, gyrophares en action. Deux d’entre elles bloquent carrément les extrémités de la rue : interdit d’emprunter la schtrasse.

    Je stoppe à quelques mètres d’un bouquet de keufs complètement inoccupés et j’actionne le lève-vitre (eh oui ! c’est comme ça que ça s’appelle) pour baisser ma vitre.

    Un poulet s’approche, démarche nonchalante, pouces glissés dans la ceinture, roulant les mécaniques comme s’il était Johnny Depp dans Donnie Brasco. Il se penche :

    – La rue est barrée, ma p’tite dame, vous voyez pas ? aboie-t-il, l’air aussi aimable qu’un Mâtin de Naples auquel on essaie de faucher son os.

    Sourire n° 68bis figé sur mes lèvres pulpeuses, qu’une couche de Dior Addict a rendues toutes roses et brillantes, je lui carre ma brême sous le pif et j’annonce la couleur :

    – Capitaine Duvall. Le Commissaire Boulat m’attend.

    Il se redresse, deux doigts à hauteur de la casquette et deux autres sur la couture du pantalon :

    – Je fais immédiatement dégager la voie, Capitaine ! Vous pourrez stationner un peu plus loin, voyez : il y a de la place derrière le bahut du SAMU.

    – Merci.

    Des banderoles striées ont été tendues tout autour du terrain vague. « Police Technique et Scientifique », c’est pas marqué dessus comme sur le Port-Salut, mais je devine que la P. T. S. est sur place. Et si elle est là, c’est que ça doit être grave. Neuf chances sur dix pour qu’il s’agisse d’un cadavre.

    Deux matuches aux allures de Rottweilers{1}, plantés devant ce qui semble être un antique portail de bois aux trois-quarts déglingué, interdisent l’accès au terrain vague.

    Chance : je connais l’un d’eux, un petit brun moustachu taillé comme une ablette. Il bosse au Commissariat de Montrouge, dont je dépends, et se farcit souvent la permanence à l’accueil, ce qui fait qu’on se croise presque quotidiennement. Lui aussi me reconnaît, sa face de rat se fend d’un large sourire.

    – Tiens, bonjour, Capitaine Duvall, quel bon vent vous amène ?

    Je me creuse le cigare à la vitesse grand V pour me rappeler son blaze, ouf, heureusement ça me revient :

    – Salut, euh… Brigadier Hochon, c’est ça ?

    – C’est ça. Hochon, Paul Hochon.

    – Dites-moi, Brigadier, qu’est-ce qui s’est passé ici ? On a scrafé un mec ?

    – Ouais. Cette nuit. Et par-dessus le marché, on a fait cramer le corps. Voyez, y a déjà des types de la PTS, là-bas. Interdit d’entrer, ordre du Commissaire Boulat. Désolé.

    – C’est lui qui m’a demandé de venir, Hochon. Alors, bougez-vous de là, que je puisse passer, voulez-vous ?

    Maté, il s’empresse d’obtempérer, et prend un air important pour me souffler discrètement, sur le ton de la confidence :

    – Faites gaffe où vous posez les pieds, Capitaine, paraît qu’y faut pas écrabouiller les indices.

    – Merci du conseil, Hochon, je n’y aurais sûrement pas pensé toute seule !

    Je fais prudemment quelques pas.

    Au beau milieu du terrain, six mecs sont agglutinés autour d’une masse noirâtre, allongée, aux formes rebondies.

    Boulat se trouve parmi eux, reconnaissable entre mille grâce à son bide volumineux et aux quelques crins rouquinos qui se battent en duel au sommet de son crâne en pain de sucre. Il me tourne le dos, occupé à jacter au téléphone, et ne m’a donc pas vue rappliquer.

    L’un des types m’aperçoit, me fait de grands signes en moulinant l’air avec ses bras. L’air furieux, il gueule :

    – Hé, vous, là bas ! Qu’est-ce que vous foutez ici ? Merde, faites attention où vous marchez ! Avancez plutôt par là ! Ouiiiiiiii, par là, làààà ! Un peu plus à gauche !

    Bon, bon, t’excite pas, gars, je marche à gauche !

    J’avance avec précautions, tout en matant autour de moi. L’endroit est sinistre, désolé, comme tous ces no-man’s lands où croissent les mauvaises herbes sur des monticules de débris, souvenirs d’immeubles détruits depuis des décennies. Les tas d’ordures en décomposition voisinent avec les boîtes de sodas et les piquouzes rouillées, en attendant le jour où les promoteurs se seront suffisamment rempli les fouilles pour envoyer les pelleteuses ramasser tout ce merdier avant de construire un HLM à la place.

    Je patauge dans la gadoue, en direction de la masse noire allongée au sol.

    Le macchab.

    Je m’en approche.

    Entre nous et une première consultation chez Doc Gyneco, ça va être vachement duraille de l’identifier : il est presqu’entièrement carbonisé, le gus.

    A première vue, on pourrait dire qu’il ressemble un chouïa à Ramsès II, en beaucoup, mais alors, beaucoup moins sexy.

    Le légiste peut retrousser ses manches, il va avoir un sacré taf, le pôvre. Quand il se coltinera l’autopsie, faudra qu’il découpe tout ça en ôtant d’abord tout le grillé du dessus pour atteindre ce qu’il reste du dessous, à savoir les chairs et les os qui n’auraient pas totalement brûlé.

    Je suppose, pomme, que tes connaissances en matière de crémation se limitent à ton petit barbecue du dimanche.

    Or, ce que j’ai devant les mirettes, crois-moi, ça n’a rien à voir. C’est au top de l’ignoble. C’est tellement dégueulasse à mater que je préfère te prévenir icigo : si tu penses pas être en mesure de supporter la description qui va suivre, rapport à ton palpitant qui déconne, passe direct au chapitre 2. Ça t’évitera de parcourir les prochaines lignes en poussant des « Ooooh » et des « Bêêêrrk ! », la bouche en cul de poule et l’air dégoûté.

    Bon, on continue ? T’es sûr (e) ?

    OK. C’est parti.

    Revenons donc dans le terrain vague de la rue Béolle et approchons-nous du macchabée, si tu veux bien{2}.

    Pas fastoche de te décrire ce que j’ai sous les yeux, vu ce qui reste de ce pauvre mec.

    Mec ou gonzesse, hein, parce que l’état du corps ne permet absolument pas d’en déterminer le sexe. Ça ne ressemble plus à rien.

    Ou peut-être, si : à un gros bloc caoutchouteux qu’on aurait passé au fer à souder, si tu vois ce que je veux dire{3}. En tous cas, crois-moi ou va te faire cuire deux œufs chez Bocuse, c’est carrément débectant. Ça fume même encore un peu par endroits.

    Et je te passe l’odeur. Pas facile non plus à décrire, l’odeur.

    Infecte, pour tout te dire.

    A la fois doucereuse, nauséabonde, putride, ça rappelle un peu celle qui flotte dans les tanneries, celle du cuir traité qu’on passe à la flamme.

    C’est aux limites de l’insupportable. Les remugles de chair et de graisse carbonisées te dégringolent jusqu’au fond de la gargane, envahissent tes soufflets, et le pire, mon vieux, c’est qu’ils y restent.

    Fait chier. Je suis sûre que cette puanteur odieuse va me coller aux frusques durant toute la journée. C’est bien ma veine. Moi qui m’étais sapée ce matin façon Paris Hilton (petite robe choucarde en laine gris perle super-moulante sous un trois-quarts Guess en ciré blanc, bottes cuissardes blanches et foulard de chez Lazzaro), je vais puer la bidoche rôtie et le super sans plomb jusqu’à ce que je passe sous la douche ce soir.

    Putain de boulot, y a des jours, je te jure, où faut vraiment s’accrocher.

    Moi qui avais prévu de passer une petite journée peinarde au burlingue, à finir ma paperasserie en retard, ben niboche. Me voilà plantée devant le macchab le plus lassedeg que j’ai jamais zieuté, mes chouettes bottes blanches de chez Ferragano toutes dégueulassées et dix centimètres de talons plantés dans la boue.

    Si j’avais écouté les conseils de mon daron, à l’heure que je te cause, je serais plutôt sapée façon pingouin, occupée à faire de grands moulinets avec mes larges manches tout en débitant un tissu de conneries devant un tribunal. Je serais en train de gesticuler pompeusement devant une brochette de vieux juges à moitié envapés, et j’essaierais de leur faire gober que mon client, meurtrier condamné à perpète et libéré pour bonne conduite bien avant la fin de sa peine, ne peut absolument pas être celui qui a récidivé en égorgeant (après l’avoir violée, bien entendu) la petite Elisa, douze ans. Non. Non, Monsieur le Juge, Mesdames et Messieurs les Jurés : regardez mon client ! Croyez-moi, il est aussi innocent que l’agneau qui vient de naître.

    Avocate. Voilà ce qu’il voulait que je devienne, mon vieux. Un job nettement moins salissant, faut en convenir.

    Mais moi, tu me connais : j’ai préféré m’orienter vers un turf où on flanque ce genre d’agneaux derrière les barreaux plutôt qu’un boulot où on fait le maximum pour qu’ils continuent librement à pourrir la société.

    Et tu vois, pomme : malgré l’heure matinale, malgré le spectacle de ce corps calciné et malgré mes chouettes grolles pleines de boue, ben je ne regrette pas ce choix.

    Un rire gras, dans mon dos, me tire soudain de mes pensées.

    – Je vous avais prévenue, Victoria, c’est pas un beau spectacle pour une nana, hein ! s’esclaffe Alban Boulat en guise de salut matinal.

    Boulat, je te l’ai dit, c’est mon chef, le patron du commissariat de Montrouge, un glandu number one dont je te toucherai deux mots tout à l’heure.

    « Je vous avais prévenue, Victoria… » qu’il a le culot de me balancer. Gonflé le mec, non ? C’est quand même lui qui m’a demandé de venir, et t’es témoin : il s’est bien gardé de m’avertir de quoi que ce soit, l’enflure !

    Je préfère éviter de lui répondre, on va finir par se voler dans les plumes, et pour des poulets, t’avoueras…

    Je suis sûre qu’il l’a fait exprès, y a qu’à voir sa face rougeaude toute réjouie. Il est comme ça, Boulat : un peu con sur les bords (et même au milieu). Je te parie un couscous royal à l’Etoile de Taroudant{4} qu’il s’attend à me voir gerber sur place. Il peut s’accrocher, cézigue.

    Sans charres, c’est vraiment la première fois que je mate un corps dans un état pareil, et j’avoue que mon croissant de ce matin est en train de jouer du yoyo entre mon estom’ et ma glotte. J’entends déjà les vannes de Boulat et de mes autres collègues masculins, pour peu que je me mette à vomir mon petit déj devant eux !

    « Tiens bon, Vic ! » me répété-je dans ma Ford intérieure «Retiens-toi, surtout, ne fais pas ce plaisir à Boulat ! ».

    C’est vrai qu’on préférerait (et de loin !) reluquer une photo de Véronica Mars ou de Brad Pitt à poil{5} plutôt que ce cadavre immonde et ratatiné qui embaume tout le quartier au n°19 de Charnel.

    Moi, je suis Capitaine à la Division des Stups, à Montrouge. Les macchabs, c’est donc pas mon rayon, sauf, évidemment, si on trouve de la dope dans leurs fouilles. Mais le cramé, ici présent, est tellement cramé qu’il faudrait déjà imaginer qu’il ait pu en avoir, des fouilles. Forcément, toutes ses fringues sont parties en fumaga. En conséquence, j’ai beau me creuser la cervelle, je vois de moins en moins ce que je fous ici, moi.

    Alban Boulat, mains dans les poches avachies de son costard à trois balles et bide en avant, continue de me scruter attentivement, de ses petites mirettes grisâtres rondes comme des boules de billard, un sourire méchamment ironique flottant au coin de sa grosse bouche lippue.

    Pauvre abruti, va !

    Pas d’erreur : il s’attend vraiment à ce que je craque d’une minute à l’autre, ce connard, mais fais-moi confiance : il va en être pour ses frais.

    Rien que pour l’emmerder, j’accomplis l’effort suprême de surmonter mon dégoût et je m’accroupis devant le pauvre corps noirâtre en me pinçant le tarin, because, comme je te l’ai dit, ça pue grave.

    Autour de moi, à l’instar de mon chef, toute la poulaille de Montrouge et des environs guette avec impatience le moindre signe de faiblesse de ma part. Déjà, quand j’ai débarqué tout à l’heure, le ciré blanc et les talons dans la gadoue, ça les avait bien fait marrer ; maintenant, ils attendent la suite, normal. Ben ils vont pas être déçus du voyage, eux aussi.

    Je me concentre sur les restes du calciné.

    La cafetière, momifiée par le feu, n’est plus qu’une forme arrondie dont la peau couleur marron-brunâtre est rigidifiée sur les os comme du carton huilé. Plus de châsses. Plus de blair (Tony). Plus de clapoir. A la place, il y a un trou béant, et dans le trou, on aperçoit quelques ratiches noircies. Des chailles apparemment humaines. De feuilles, y en a plus non plus, les lobes ont presque complètement « fondu ».

    Le tronc a vachement morflé : aussi cramé qu’une tranche de gigot dans l’assiette d’un Rosbif, c’est devenu une masse informe.

    Naturellement, ne parlons pas de chair ou de peau. Il n’en reste qu’un magma racorni, noirâtre, avec, par endroits, des boursouflures plus foncées, de grosses cloques dans lesquelles suppure un liquide gélatineux qui ressemble à de la graisse figée. Une côte saille à travers les chairs calcinées, histoire d’ajouter encore un peu plus d’horreur au tableau, si toutefois faire se peut.

    Quant aux guitares (enfin, ce qu’il en reste), on dirait qu’elles se sont, en brûlant, comme soudées l’une à l’autre. Des nougats, ne subsistent que quelques petits tarses noircis à l’extrémité des guibolles desséchées.

    Les bras repliés sur le thorax semblent s’être eux aussi fondus dans le magma noirâtre. On distingue vaguement les salsifis d’une paluche, qui me font penser à un bouquet de merguez trop cuites.

    Vu l’état du cadavre, il paraît difficile d’affirmer, au premier abord{6}, que cet amas ventru ait été jadis un être humain. Pas plus qu’un bestiau quelconque, note. Moi, je me fais peut-être du cinoche, mais je trouve que ce corps a une allure générale un peu étrange, sans pouvoir t’expliquer exactement pourquoi. Non, non, te marre pas, je suis pas en train de t’engourdir avec des conneries, ce que je te bonnis là, c’est la vérité vraie : ce truc-là ne pue pas que le super sans plomb, Mec, il pue l’embrouille à plein nez.

    Je suis pas médecin légiste, mézigue, pourtant, si les causes de la mort paraissent évidentes (le feu, ouais, on est d’accord), les circonstances du décès par contre sont largement plus nébuleuses. Car avant de brûler ? Hein ? Que lui est-il arrivé, à ce truc, avant de brûler ?

    Je me tourne vers Boulat :

    – Je suppose qu’il s’agit d’un crime ?

    Il me lance un regard étonné, où se mêlent à la fois curiosité et méfiance.

    – Qu’est-ce qui vous fait supposer ça ?

    Je jette un regard circulaire.

    – Je ne vois ni jerrican, ni bidon, ni rien dans les parages qui aurait pu contenir de l’essence. Ni briquet. Ni boîte d’alloufs. Vous imaginez la victime arriver jusqu’ici, déjà toute imbibée d’essence ? S’il s’agissait d’un suicide, on aurait dû trouver sur place l’objet qui contenait le carburant. A moins, naturellement, que ces Messieurs de la Division Scientifique n’aient déjà ramassé ces objets ?

    Boulat secoue la tête.

    – Non. On n’a rien trouvé de tout ça ici.

    – Il s’agit donc d’un crime.

    – Vous êtes catégorique. Il pourrait s’agir d’un désespéré qui, comme vous l’avez dit, se serait imbibé d’essence pour se faire brûler dans le terrain vague, insiste Boulat, juste pour me contredire.

    – Ouais. Et il se serait enflammé avec quoi ? Il n’y a pas de briquet, il aurait donc utilisé une allumette ? Avec le vent qui a soufflé cette nuit ? Non. Impossible. Je suis persuadée que ce gnace (ou cette greluche) ne s’est pas scrafé seulâbre, Commissaire. On l’a aidé à passer l’arme à gauche. La question se pose de savoir si on l’a buté avant de l’arroser d’essence ou, pire, s’il était encore vivant quand il s’est enflammé…

    Sur les lèvres de Boulat, le petit sourire imbécile flotte toujours.

    – A votre avis, Sherlock ?

    – A mon avis (je me retiens d’ajouter « mon cher Watson », ce serait lui faire trop d’honneur), à mon avis, quelqu’un a trimballé la victime dans ce terrain vague, y a mis le feu, et s’est ensuite barré en prenant soin, naturellement, d’embarquer toute sa petite panoplie de parfait pyromane. C’est pour ça qu’on n’a rien trouvé sur place. Et pour répondre à votre question, tout laisse à croire que la victime était déjà calanchée lorsqu’on l’a incendiée.

    – Ah oui ? C’est encore une de vos belles déductions, Victoria ? ricane Boulat, un soupçon de jalousie dans la voix because ça l’emmouscaille de constater que je gamberge assez rapidement.

    – Une déduction des plus simples, Commissaire : notez la position du corps.

    Il se retourne pour mater le cadavre, hoche sa grosse tête, finit par hausser les épaules.

    – Sa position ? Voyons, voyons… Le corps est allongé sur le dos… Jambes serrées… Non, je ne vois pas. Qu’est-ce que ça a d’extraordinaire comme position ?

    – Regardez bien. Sa position, c’est celle d’un gisant : allongé, paluches croisées sur le torse, dans une posture plutôt relax, pas dans celle de quelqu’un qui se serait tordu de douleur sous la morsure des flammes. Il ou elle était donc clamsé (e) lorsqu’on y a mis le feu.

    Ça lui en bouche un coin, à Boulat.

    Sans répondre, lèvres pincées, il me lance un regard mauvais et se détourne vers deux mecs de la Scientifique qui approchent à pas lents, pognes gantées de caoutchouc. Chemin faisant, ils glissent dans leurs sacoches les sachets de plastique soigneusement étiquetés dans lesquels ils ont fourré quelques trouvailles à envoyer au Labo.

    Avant que Boulat ait le temps d’en placer une, je leur lance un cordial :

    – Bonjour, Messieurs. Je suis le Capitaine Duvall. Avez-vous découvert quelque chose d’intéressant ?

    Le plus jeune est un petit blondinet tout mignon, pas mal baraqué, au visage un peu poupin, qui me reluque avec deux chibres au fond des yeux.

    Il sourit largement, découvrant des chailles étincelantes, me tend la pogne.

    – Pas pour le

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