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La Recette de l'Abbé Harnez
La Recette de l'Abbé Harnez
La Recette de l'Abbé Harnez
Livre électronique360 pages4 heures

La Recette de l'Abbé Harnez

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À propos de ce livre électronique

La recette de l’Abbé Harnez Si y a une chose qui me fout en rogne, moi, c’est qu’on dessoude un mec quasiment sous mon blair. Et un gnace que j’aimais bien, qui plus est. Du coup, le mariage religieux de ma copine Suzette a été complètement foiré. C’est pas que je sois cul d’église, note, mais pas question de lâcher l’affaire. Me voilà donc lancée sur les traces d’un mystérieux assassin qui tient mordicus à me faire prendre l’Helvétie pour une lanterne. Le côté positif de la chose, c’est que j’ai appris à cuisiner de façon tout à fait convenable, moi qui étais plus douée pour manipuler la queue d’un mec que celle d’une casserole.
LangueFrançais
Date de sortie21 juin 2013
ISBN9782312011516
La Recette de l'Abbé Harnez

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    Aperçu du livre

    La Recette de l'Abbé Harnez - Vic Duvall

    cover.jpg

    La Recette

    de l’Abbé Harnez

    Vic Duvall

    La Recette

    de l’Abbé Harnez

    LES ÉDITIONS DU NET

    22, rue Edouard Nieuport 92150 Suresnes

    Du même auteur

    Paires et Impairs

    L’œil au beur Noir

    Gauloise Blonde contre Gitane Mahousse

    La Poule aux yeux d’or

    Stock en Coke

    Messes Noires

    May Queen

    Au nom du Pèze

    Retrouvez toute l’actualité de Vic Duvall sur :

    www.vic-duvall.com

    © Les Éditions du Net, 2013

    ISBN : 978-2-312-01151-6

    La connerie, c’est le repos de l’intelligence.

    Serge Gainsbourg

    Repose donc la tienne en lisant ce book, et te scandalise surtout pas, bonhomme : je l’ai écrit juste pour te faire marrer.

    Quant à mon style, il est grand temps que tu t’y mettes, ça me boufferait l’intestin grêle que tu clabotes en n’ayant ligoté que Malherbe ou La Boétie.

    (Ceci dit, y a un petit dico à la fin de ce magnifique ouvrage, pour les ceusses qu’entraveraient pas l’argomuche ou le Petit Momo des banlieues).

    « Un homme, ma petite fille, si tu veux le garder, faut lui faire autant plaisir par en haut que par en bas ».

    Paroles de grand-mère.

    C’est pour ça que j’ai aussi appris à cuisiner.

    5 Juin 1944

    Sur le chemin de terre, un peu en contrebas, j’ai soudain entendu un bruit de pas qui approchaient. Je percevais des chuchotements, le crissement des cailloux sous les semelles des chaussures. Ils sont passés à quelques mètres seulement de ma cachette, heureusement sans me voir. Ils avançaient en essayant de faire le moins de bruit possible, comme s’ils ne voulaient pas qu’on les voie ici à cette heure avancée de la nuit.

    Je les ai reconnus, malgré l’obscurité.

    C’étaient les gens que le Maître cachait chez lui. Ceux qu’il « protégeait », comme il se plaisait à le clamer fièrement à travers tout le village.

    J’en ai compté quatorze, il n’en manquait pas un : tous étaient là, les parents, les enfants, les grands-parents, qui avançaient sur l’étroit chemin caillouteux, en file indienne. Chacun portait une valise qui paraissait très lourde. Même les plus jeunes étaient chargés d’un sac ou d’un balluchon.

    On aurait dit qu’ils partaient en voyage.

    Lui, je n’ai eu aucun mal à reconnaître immédiatement sa haute silhouette massive, un peu voûtée ; il marchait devant, une vieille femme vêtue de noir accrochée à son bras. Il portait son fusil de chasse en bandoulière.

    Son fils fermait la marche. Son fils, mon meilleur ami. Lui aussi portait un fusil de chasse.

    Alors, je ne sais pas ce qui m’est passé par la tête, mais au lieu de rentrer à la maison, j’ai décidé de les suivre. C’était par simple curiosité.

    Je ne me demandais pas où ils allaient, bien sûr, ça je le savais : le sentier qu’ils empruntaient mène au Trou du Diable.

    Le Trou du Diable, c’est un précipice tellement profond qu’on n’en voit pas la fin. L’endroit est toujours désert, les gens du village croient qu’il est hanté par le diable. Personne n’y va jamais, personne jamais n’ose emprunter ce chemin abrupt et caillouteux.

    On ne peut pas aller plus loin : au bout, c’est un cul-de-sac.

    Alors moi, ce que je me demandais, c’est simplement ce qu’ils allaient y faire, tous ces gens ?

    Lorsque je l’ai compris, c’était trop tard : ils allaient y mourir.

    1

    Superbe, qu’elle est, ma copine Suzette. Sublime.

    Tu la verrais ! Belle comme un cœur, resplendissante, rayonnante de bonheur.

    Elle porte une longue robe d’organdi blanc toute brodée, très chouette, qui a dû lui coûter la peau des fesses.

    La paluche experte du merlan a savamment relevé ses longues boucles blondes en un de ces chignons tarabiscotés qui lui donne des airs de Pompadour.

    Un voile de dentelle surmonte cette pyramide artistique, un voile tellement arachnéen qu’il ferait pâlir de jalousie la petite épeire diadème qui crèche derrière ton buffet de cuisine.

    Dans ses doigts fins, elle serre un simple petit bouquet de marguerites. Elle me sourit, se rapproche de moi :

    – Alors, tu me trouves comment, Vic ? me demande-t-elle, anxieuse, virevoltant sur elle-même tout en essayant pour la millième fois, à force de contorsions, de capter sa silhouette massive dans le reflet inamical et rétréci d’un rétro de bagnole.

    Eh oui, mon pote, figure-toi qu’on est tous plantés devant la Mairie de Bourg-Toilcoing, face au parking lilliputien de la Place Jean Picol-Troyvair, et on attend que s’ouvrent enfin les portes de la Salle des Mariages. Bourg-Toilcoing, tu sais pas où ça crèche ? T’inquiète, je vais t’expliquer, un peu plus loin.

    Je regarde ma Suzon et lui souris en retour, rassurante :

    – T’es sublime, ma poule. Adriana Karambar, à côté de toi, c’est carrément Tatie Danielle en plus moche.

    Suzon, ravie, porte la main à sa bouche, m’envoyant dans un souffle un baiser par-dessus les tronches de ses (futurs) beaux-parents, qui croisent dans les parages comme deux corvettes escortant le Queen Mary 2 au sortir du port de Southampton. Elle rit, Suzon :

    – Tu déconnes, Vic, mais merci quand même, t’es sympa.

    Je déconne à peine.

    C’est vrai qu’elle est superbe, ma copine. Souriante, et tout. Moi, je l’admire, tu sais ! Rester calme et sereine un jour comme celui-ci, je lui tire mon galure.

    Parce qu’aujourd’hui, pour elle, c’est le jour J, le plus beau jour de sa vie : dans quelques minutes, elle va enfin marida son Jésus.

    Non, c’est pas ce que tu crois, banane : Suzette n’entre pas dans les Ordres.

    Je t’explique : elle se marie avec Jésus Montossiel, son compagnon depuis bientôt deux ans. Un ancien collègue à moi.

    Ouais, OK, OK, je suis d’accord avec tézigue : Jésus, c’est pas un blaze fastoche à porter, surtout pour un poulet. Mais que veux-tu ! Sa vioque est Espagnole, à Jésus…

    Espagnole, Catholique croyante et pratiquante, depuis la théière jusqu’au bout des arpions. Tu piges ? Pas la peine de te faire un dessin.

    Y pouvait pas s’appeler autrement, son fiston, avec une daronne qui passe son temps à polir du fessier les bancs de toutes les églises, pire qu’une grenouille de bénitier.

    Enfin, grenouille ou pas, faut reconnaître à sa décharge qu’elle a bien fait les choses, la mère de Jésus.

    Elle a orchestré les épousailles de son fiston mieux que Von Karajan la Grand Messe du Couronnement au Philarmonia de Berlin.

    Elle a tout décidé, la mère de Jésus. Tout organisé, tout géré, tout dirigé, tout planifié, tout commandé : la date du mariage, le lieu, l’heure, les invités, les bristols d’invitation, le traiteur, la bouffe, la salle de réception, la déco, l’orchestre, l’église, le discours du curé, la mairie, le timing, l’autocar au départ de Paname pour les invités, la robe de la mariée, le smoking du marié, son tailleur à elle (abominable), la cravetouze bariolée de son mari (à chier), et jusqu’à la destination du voyage de noces des tourtereaux. Tout. Elle a tout prévu{1}.

    J’en suis même à me demander dans quelle mesure elle n’a pas planifié la minute exacte où le couple de jeunes mariés devra se faufiler hors de la Salle des Fêtes pour aller mettre la viande dans le torchon.

    Cerise sur le gâteau, surtout pour les finances de nos jeunes amis : elle a aussi tout banqué.

    Je ne sais pas si, dans la foulée, elle a conclu en parallèle un marché quelconque avec le Bon Dieu, la mère Montossiel, mais voilà qui ne m’étonnerait qu’à moitié : figure-toi qu’aujourd’hui, il fait un temps absolument radieux, alors qu’il n’a pas cessé de vaser sur notre beau pays de France depuis près d’un mois, c’est-à-dire depuis début juin.

    Coïncidence ? Ou a-t-Il vraiment exaucé ses prières, Là-Haut, juste pour qu’elle lui foute la paix ?

    Toujours est-il que le mahomet brille généreusement sur la campagne nivernaise, la température avoisine les vingt-quatre degrés, et les moineaux s’égosillent joyeusement dans les ramures des grands platanes de la Place Jean Picol-Troyvair, qui se situe, comme je te l’ai dit plus haut, juste devant la Mairie de Bourg-Toilcoing.

    C’est en effet là, dans ce charmant village nivernais, que nos deux amis ont choisi de se dire « oui » pour la vie (enfin, pour la vie… moi, c’est ce que j’espère pour eux).

    Jean{2}, Maman et moi avons quitté Paname de très bonne heure ce matin, pour assister aux noces de Suzette et de Jésus.

    On s’est farci deux cent cinquante bornes dans la Rino pourrie de ma daronne, laquelle, au grand dam de mon Jeannot, a absolument tenu à prendre à la fois sa bagnole et le volant. Nous sommes arrivés à Bourg-Toilcoing pile-poil à peine dix broquilles avant l’heure prévue pour le mariage civil (et encore en vie, merci Seigneur). Car Maman au volant, c’est un véritable danger public, Mec, tu peux me croire. Jean et mézigue, on a serré les fesses plus d’une fois dans la chignole, tout au long de la route, en s’accrochant dans les virages.

    Finalement, nous voici à présent rendus à destination. Et quelle destination ! Bourg-Toilcoing.

    Comme promis, je t’explique où ça se trouve, because même avec un GPS, t’aurais du mal à localiser l’endroit. Normal. Faut être sacrément fortiche en géographie pour en connaître l’existence.

    Situé à environ 20 bornes de Nevers, c’est le genre de patelin paumé en pleine cambrousse, coupé en deux par une départementale où ne circulent que les quelques tracteurs des bouseux du coin. Le bled que tu traverses en une minute et vingt-sept secondes chrono sans avoir envie de t’y arrêter, pas même pour pisser ou pour boire un caoua.

    D’ailleurs, y a pas de café.

    Y a strictement rien à Bourg-Toilcoing.

    Maman tient de sa famille une petite propriété, à la sortie du village, où j’ai passé tous les étés (ou presque) de mon enfance. Et c’est là aussi que s’est nouée mon amitié avec Suzette, une amitié sans faille qui dure depuis maintenant plus de vingt berges.

    Nous nous aimons comme deux frangines, elle et moi.

    Pour tout te dire, Suzette Allannis est la petite-fille de la grand-tante du cousin germain du gardien de la propriété de maman. Ça crée des liens.

    Suzette était pensionnaire à Nevers durant toute l’année scolaire, et ne rentrait chez elle que pour les vacances.

    De notre côté, Maman et moi créchions toute l’année à Paris ; les vacances, nous les passions à Bourg-Toilcoing. Seulâbres, because mon daron a hélas passé l’arme à gauche alors que je n’avais que dix ans. Ironie du sort, il a été écrabouillé par un gus gay complètement bourré qu’avait confondu ses pédales (les autres : le frein et l’accélérateur).

    Je te cache pas qu’à Bourg-Toilcoing, on se faisait sacrément tartir, Maman et moi, le coin étant particulièrement monotone, même si la campagne alentour –faut reconnaître- est réellement superbe.

    Mais la campagne, quand on est moujingue, on s’en fout royalement. Ce qu’on veut, c’est s’amuser.

    Heureusement, moi j’avais Suzette, et Suzette m’avait, moi. On se tenait mutuellement compagnie, on faisait tous les jours des tas de conneries et du coup, nos vacances cambroussardes devenaient presque marrantes.

    Faut te dire qu’à Bourg-Toilcoing, la moyenne d’âge se situant entre cinquante et cent dix ans, la jeunesse du village se résumait, à l’époque, à quatre gamins d’une dizaine d’années : le fils du Maire, le fils de l’épicier, Suzon et mézigue.

    Chaque été, début juillet, Maman et moi quittions Pantruche pour quelques semaines, histoire de « respirer le bon air de la campagne » et de nous ressourcer dans ce que ma mère appelle pompeusement « le château ».

    Comme on roule pas sur l’or, M’man et moi, le château, tu t’en doutes, banane, c’est pas vraiment un château. C’est une grande bicoque de caractère, qui s’appelle bizarrement « Les Oliviers », alors qu’on n’en voit pas un seul dans le parc tout entier. Mais pour les villageois, cette maison s’est toujours appelée « le Château ».

    A cause de son apparence, sans doute. C’est vrai qu’elle ressemble un peu à un petit manoir, avec sa tourelle coiffée d’ardoises adossée à la bâtisse principale. La crèche se dresse au milieu d’un grand jardin arboré, lui-même cerné par une haute muraille de pierres moussues.

    Voilà, tout ça pour en revenir à ce que je te bonnissais plus haut, à savoir que, mise à part l’Epicerie-dépôt de pain-librairie de la mère Dallort, située dans la rue principale du village, y a strictement ballepeau à Bourg-Toilcoing.

    Rien. Nibe. Que dalle.

    Aucun commerce, aucune animation, juste le petit marché du samedi matin, où se ravitaillent les habitants du bled. Et la camionnette du boulanger, qui passe tous les deux jours en klaxonnant pour approvisionner l’Epicerie-dépôt de pain-librairie.

    Ah oui ! J’oubliais le plus important.

    Le bureau de poste : à peine plus grand que ton placard à balais, tenu occasionnellement par Armelle Toydessat, une sacrée toupie, la pire commère du patelin.

    La Mairie. Une des plus petites de France. Devant laquelle nous poireautons.

    Et enfin, l’Église Notre-Dame de la Pérodussoire, une merveille architecturale datant du 11ème siècle, à moitié en ruines, qu’on ne cite plus (et pour cause, vu son état) depuis longtemps dans les guides touristiques de la région.

    Jean, qui avait déposé ses miches sur l’extrême bord d’un banc de bois constellé de chiures de pigeons, se lève, s’essuie le cul et s’étire comme un grand chat. Il jette un regard circulaire sur la Place Jean Picol-Troyvair et sur la rue principale du village.

    – Dis-donc, qu’est ce que tu as dû te faire chier, quand t’étais gamine ! C’est vraiment dans ce bled que tu passais tes vacances ?

    – Eh ouais. Mais détrompe-toi, mon cœur. Avec Suzette, crois-moi, on faisait les quatre cents coups. Finalement, on s’amusait bien…

    Les souvenirs m’assaillent.

    Pour les deux mouflettes que nous étions, nos principaux loisirs consistaient à battre la campagne environnante, emmerder les greffiers de la Mère Doyer ou aller tremper nos godasses dans la Pouir, ruisseau boueux qui traverse la ferme du Père Nissieux, à la sortie du village.

    Occupations passionnantes auxquelles nous nous adonnions avec délices, Suzon et moi.

    Qu’est-ce qu’on a pu faire comme déconnades, à Bourg-Toilcoing, tu peux pas t’imaginer !

    Après, les années passant, on est devenues « grandes ».

    J’ai opté pour la Maison Poulaga. Et ma copine, qui avait embrassé (outre tous les gars du village) une carrière d’employée à La Poste, est finalement « montée » à Pantruche, pour devenir –échelon suprême dans la hiérarchie postale- Receveur Principal dans le 18ème arrondissement.

    Et depuis, créchant dans la capitale toutes les deux, nous avons l’occasion de nous voir très souvent, ce dont nous ne nous privons pas, naturellement. On s’invite l’une chez l’autre, on se fait des petites bouffes et des soirées « entre filles », on va au cinoche ou au restau avec nos mecs (ou sans). Et c’est comme ça que, grâce à moi, Suzette a fini par rencontrer l’homme de sa vie.

    Je t’explique, pour que t’entraves le pourquoi du comment du chose.

    Jésus Montossiel est Lieutenant aux Stups, service auquel j’ai moi-même appartenu pendant quelques années avant qu’une affaire complètement ahurissante{3} m’ait permis d’être promue Commandant de la Brigade OSIRIS.{4}.

    Jésus et mézigue avions sympathisé lors d’un séminaire de formation (sur le thème « Apprendre à se maîtriser pour éviter de transformer la frime d’un dealer notoire en assiette charcutière »).

    Ce séminaire particulièrement intéressant, organisé par le S.F.P. –Syndicat des Flics Sympas-, se tenait sur deux jours, dans la salle polyvalente de l’Hôtel du Cutournay, à mi-chemin entre Choisy-le-Roi et Bourg-la-Reine.

    Mon collègue –qui ne l’était pas encore à l’époque- m’avait repérée dès le début. Et il était pas le seul, sans me vanter, crois-moi ou va te faire coloscopier par un autochtone sur l’île de Spetsopoula{5}.

    Because faut quand même te préciser un truc, pomme : entre Quasimodo et la môme Duvall, y a autant de différence qu’entre un crapaud buffle australien et une orchidée Phalaenopsis tigrée –sachant que l’orchidée, c’est moi.

    J’ai la chance d’avoir hérité de mon paternel deux superbes quinquets plus bleus qu’un lagon à Bora-Bora et des crins si blonds qu’on pourrait sans hésitation me croire originaire de la Mer Baltique. Mais si, mais si.

    De ma daronne, j’ai pris le reste, c’est-à-dire (je t’énumère, de haut en bas) : un visage fin, petit nez un peu retroussé et bouche pulpeuse, une paire de roberts à damner un sein, une taille à faire chuter en vrille une guêpe poliste, un dargif conçu spécialement pour les paluches masculines, le tout surmontant deux cannes fines mais bien galbées, longues comme un jour sans pain.

    Voilà, maintenant tu comprends pourquoi il me collait aux miches, Jésus, me draguant à donf pendant ces deux journées, jusqu’à ce que je finisse par le choper discrètement dans un coin pour lui expliquer très gentiment (mais fermement) que je l’aimais beaucoup, certes, qu’il était très joli garçon, très gentil et tout et tout, mais qu’on ne tringlerait jamais ensemble.

    Il a tout de suite compris, Jésus, car il est loin d’être con.

    Pour preuve, nous sommes depuis restés les meilleurs amis du monde.

    D’un autre côté, Jésus, c’est pas l’affaire du siècle –je veux dire : physiquement parlant.

    C’est un grand garçon brun, filiforme et dégingandé (un peu comme s’il avait grandi trop vite), la frime sympa du mec qui aime la vie et qui n’a pas l’habitude de se faire des nœuds au cerveau. D’ailleurs, il ne s’en fait pas.

    L’air un peu gauche, il a cette manie idiote de toujours agiter ses longs bras comme s’il ne savait pas où les ranger, et il ne tient jamais en place. Même quand il ne marche pas, il se balance d’un pied sur l’autre à la façon d’un pingouin, que des fois, c’est carrément exaspérant.

    Jésus tient de sa mère espagnole de grandes gobilles noires d’hidalgo et de son père auvergnat une calvitie naissante alliée à un très large sens des affaires. Pour te dire, c’est lui qui tient la caisse des Œuvres de la Police.

    Bref, le jour où Suzette et Jésus se sont rencontrés pour la première fois, c’était à l’occasion de mes vingt-cinq balais.

    Pour fêter ça, j’avais organisé une petite soirée chez moi, à Asnières, soirée à laquelle j’avais évidemment convié, entre autres potes, Suzette et Jésus –qui ne se connaissaient donc pas encore.

    Pour ces deux-là, bing ! ça a été le coup de foudre immédiat. Ils ne se sont pas quittés de la soirée.

    Ni de la nuit, d’ailleurs, because Suzette, qui n’a pas la cuisse trop lourde, ne s’est pas fait prier pour accompagner Jésus chez lui.

    Moins de deux semaines plus tard, la demoiselle déménageait de son studio de la rue Gino Gurlebal pour s’installer dans le deux-pièces de Jésus, à Pantin.

    Aujourd’hui, évolution tout à fait normale de la situation, ils convolent en justes noces.

    Précisons que Jésus, lui, n’était pas très chaud pour le mariage. Certes, il est super-morgane de Suzette, rien à dire là-dessus. Mais c’est plutôt le principe qu’il aime pas.

    Pour lui, la formule mariage c’est : mariage = fil à la patte + emmerdements img1.png divorce img1.png argent dépensé pour des conneries = perte de temps.

    Ce en quoi on peut pas lui donner complètement tort…

    Pour dire la vérité, sa petite vie pépère avec ma copine lui suffisait amplement, à Jésus.

    Mais voilà.

    Suzette s’est retrouvée en cloque. Et là, plus question de rigoler : c’est Marielle Montossiel, la maman de Jésus, une maîtresse-femme comme t’as sans doute pigé, qui a aussitôt pris l’affaire en mains.

    Marielle, je te l’ai dit, c’est une espagnole pure et dure. Et chez les Ibères, faut surtout pas déconner avec l’honneur d’une meuf, crois-moi. Pas plus qu’avec la religion. Encore moins quand il y a un polichinelle dans le tiroir.

    Déjà, elle avait pas vu d’un très bon œil l’union libre de son fiston et de Suzette, ne se privant pas de clamer haut et fort aux deux tourtereaux sa très profonde désapprobation (cé touné véritablé scandalé dé vivré en déhors des liens sacrés dou mariagé !).

    Alors, tu penses !

    Dès qu’elle a été informée de sa condition de future mamie, Marielle n’a cessé de harceler son rejeton pour qu’il épouse Suzon.

    Un harcèlement en règle, destiné à lui faire péter les plombs. S’il se passait une seule journée sans qu’elle voie Jésus, Marielle n’hésitait pas à lui bigophoner presque toutes les heures.

    – Tou comprends, mon fils, lui répétait-elle à tout bout de champ, tou dois vité té marier avec Souzon, ellé va êtré la maman dé ton enfant ! Lé Bon Diou doit bénir votré ounione, sinon qué c’est ouné sacrilègé ! Qué lé pétit il doit avoiré ouné papa y ouna mamma qui portent lé mêmé apellido !

    Le convaincre n’a malgré tout pas été trop difficile, Jésus étant déjà complètement gaga devant le bide arrondi de sa future épouse. Un ventre qui contient, paraît-il, le plus beau rejeton du monde.

    Un garçon, bien entendu{6}.

    Voilà, maintenant, tu sais tout.

    Revenons donc à Bourg-Toilcoing, si tu veux bien.

    2

    Devant la Mairie, la noce –une soixantaine de locdus- piétine impatiemment au bas des quelques marches qui mènent à la Salle des Mariages, en attendant que s’ouvrent les portes.

    La Mairie est constituée de deux bureaux miteux (un pour le Maire, Armand Talleau, l’autre pour sa secrétaire et maîtresse, Maria Jamblanc) accolés à une petite salle étouffante, pompeusement nommée « Salle des Mariages », où s’alignent quelques rangées de chaises métalliques dépareillées, à moitié bouffées par la rouille.

    La dernière fois qu’on a marié quelqu’un, à Bourg-Toilcoing, c’était après la Libération, quand le cousin de l’épicier a épousé la filleule du marchand de glaces. Depuis, ils sont morts tous les deux.

    – Ah ! Enfin ! s’exclame Maman (qui en a marre de rester debout) en voyant les portes de la Salle des Mariages s’ouvrir comme prévu à dix heures précises.

    La noce s’engouffre dans la pièce confinée qui sent la poussière et le moisi. Tous s’installent bruyamment sur les sièges inconfortables.

    Tout le monde jacasse, on entend des rires, des chuchotements, des mômes qui gueulent, d’autres qui chialent.

    – Chuuuuuuut ! Tais-toi, Caro, ou tu vas prendre une baffe !

    – Mais Môman, j’ai soiffff !

    – Silence, là derrière !

    – Eh, là-devant, vous pouvez pas vous asseoir, on voit rien !

    – C’est quand que ça commence ?

    – Il est où, le Maire ?

    – Môman, j’ai soifffff !!

    – Je te dis de te taire, Caroline, tu vas la prendre, ta baffe !

    – Allons, Martine, laisse-la donc tranquille, cette petite, si elle a soif !

    – Toi, mêle-toi de tes oignons ! T’as qu’à t’en occuper, de ta gosse, après tout ! Je l’ai pas fabriquée toute seule !

    – Silence, derrière !!

    – Asseyez-vous, merde, on voit rien !

    J’ai déposé mes fesses à côté de celles de Jean, sur une de ces chaises métalliques qui –je l’avais deviné- s’avère plus raide que ton compte bancaire à la fin du mois. Nous sommes assis juste derrière le couple des futurs mariés.

    Je les observe en loucedé, la larme à l’œil.

    Qu’est ce que je suis fleur bleue, moi. C’est fou ce que ça m’émeut, un mariage. Autant qu’un enterrement, mais dans le sens inverse.

    Ça me fait tout drôle de savoir que, dans quelques minutes, ma copine va s’appeler « Madame » et dans quelques semaines, « Maman ». D’un seul coup, tu vois, ça fait bizarre, j’ai l’impression qu’elle est vachement plus vieille que moi, Suzon.

    J’aperçois son profil, elle est toujours aussi souriante, Suzette, mais je la sens tendue. On devine qu’elle a hâte de voir cette journée se terminer, ses nerfs sont en train d’en prendre un sacré coup.

    A mon avis, ce soir, ils vont s’écrouler dans leur plume, les nouveaux mariés, tellement crevés qu’ils auront même pas la force de faire coulisser l’andouillette.

    Les immenses yeux bleus de Suzette brillent de joie et d’amour, surtout quand ils se posent sur sa grande perche de bonhomme.

    Ma copine, c’est pas le style gravure de mode, mais en général, elle plaît aux keums. Elle est mignonne, mais pas vraiment belle. Bien en chair, mais pas vraiment grosse (enfin, quand elle est pas en cloque). Gentille, mais pas conne. Il se dégage de sa personne un petit quelque chose de subtil qui fait qu’elle a « du chien », comme on dit.

    Pour l’heure, à voir sa frime illuminée de bonheur, on pourrait presque la prendre pour une première communiante tant elle a l’air juvénile, si ce n’était son ventre rebondi, qu’elle porte fièrement en avant, témoin de sa maternité (très) avancée.

    Jésus est ému, lui aussi, ça se voit.

    Il a l’œil humide, les lèvres un peu tremblantes. Il éponge sans arrêt avec

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