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Détour
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Livre électronique202 pages2 heures

Détour

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À propos de ce livre électronique

Imaginez le topo…
Vous êtes convié à l’enterrement d’un pote que vous n’aviez pas vu depuis des lustres. Comme une sale coïncidence, il est allé mourir au fond d’un bled perdu, peuplé de gus aussi avenants que des furoncles mal soignés. En sus le trépas du fameux pote, son soi-disant suicide, refoule le bizarre à pleins naseaux… Bref, on va encore dire que je suis pointilleux, plus acharné qu’un bouledogue, mais cette fois ça va chier.
LangueFrançais
Date de sortie19 janv. 2024
ISBN9782491750565
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    Aperçu du livre

    Détour - Stan Kurtz

    DETOUR

    Stan Kurtz

    DETOUR

    Logo-Faute-de-Frappe

    ISBN : 978-2-491750-56-5

    Dépôt légal janvier 2020

    © Editions Faute de frappe

    Tous droits réservés.

    A Frédéric Dard,

    parce qu’arrive toujours un moment

    où il faut embrasser ses modèles.

    PREMIERE PARTIE

    Autoreverse

    1

    Le contrôleur poinçonna mon billet.

    – Merci, monsieur. Bonne journée.

    Je ne répondis rien.

    Je n’avais pas desserré les mâchoires depuis la veille, depuis qu’un clodo aviné m’avait accosté à la sortie du bar d’en face pour me demander une pièce. Il avait dit.

    – Z’auriez pas quelque chose ?

    Et j’avais balancé, blafard.

    – J’en ai gros sur le cœur.

    On s’était quittés sur cette sentence absconse. Même pas vraie, en réalité. J’en avais pas gros sur la patate, les loulous. Juste une foutue flemme.

    D’abord technique.

    Mon carrosse japonais à quintuple changement de vitesse, le fidèle destrier des épiques chevauchées kurtziennes se trouvait encore, pour un temps indéterminé, au garage… En d’autres termes, ma vieille Honda pourrie avait coulé une bielle. Et je ne possédais ni le temps ni l’argent – deux des trucs les plus courus au monde – pour la faire réparer avant l’échéance fatidique.

    Ne me restait donc en tout et pour tout que l’avion – trop cher et flippant pour en éviter avec soin chaque occase – le bateau – choix difficile, because entre ma ville chérie et ma destination, ça manquait de flotte – ou encore la carriole en bois tirée par un âne, mais pour des raisons évidentes de praticité, confort et vitesse, vous pigerez donc que voilà, n’est-ce pas, bien sûr et on n’en causera plus, ce qui laissait en définitive le train.

    Le bon vieux tchou-tchou des familles.

    Tentant à première vue, même si ça s’annonçait corsé niveau changements. Trois au bas mot pour rallier le bled en question… Ça m’envoyait dinguer à travers le pays pire qu’une boule de flipper. Un trajet en sac de nœuds, pour vous résumer l’affaire, plutôt raccord au final avec le cœur même du problème…

    Parce qu’au fond, je voulais pas y aller.

    Voilà.

    J’avais assez de mon propre malheur sans vouloir m’encombrer du sien. Celui des autres. Tous mes anciens et plus si bons camarades que j’allais sans doute retrouver en acceptant l’invite… À quoi ça servait, de toute façon ? Ensuite, passé l’intermède SDF – qualifiant mon interlocuteur, pas l’intermède lui-même – j’avais regagné à pas lourds mes pénates, l’obscurité duveteuse et surtout poussiéreuse de mon bureau. Ma turbine cérébrale tournait au ralenti. S’extasiait du moindre grain de saleté. Elle flânait à donf en chemin pour pas voir l’essentiel, se confronter à la vérité nue : le faire-part.

    Arrivé dans ma boîte aux lettres trois jours plus tôt. D’habitude, je ne consultais plus celle-ci au-delà d’une certaine limite, disons pile au moment où le tas de pubs et de prospectus, de lettres en provenance d’un tas de gens dont je me foutais d’avoir des news, devenait si épais qu’il commençait à dépasser de la fente. Telle une langue pâteuse et colorée. Là, je disais stop et attendais qu’une bonne âme, en l’occurrence mon proprio – sûrement pas l’employé chargé du ménage des parties communes, faudrait d’abord qu’il retrouve l’adresse de mon immeuble ou même qu’il existe – en ait sa claque et désengorge le bousin. Mette tout en tas sur le petit tabouret du hall ou carrément devant ma porte. Agrémenté d’une note manuscrite dans laquelle il laisserait éclater son désamour de la race humaine, en particulier des locataires. Bref. Je vois pas pourquoi je vous cause autant de ma foutue boîte aux lettres au lieu d’en venir à l’essentiel ou plutôt si, j’en vois pile-poil la cause… Because, sans faillir devant la puissance des allitérations, ledit essentiel me rebutait.

    Voire pire.

    Because bis, c’était un faire-part de décès.

    Le contrôleur poinçonna donc mon billet. Y alla de sa marque de politesse professionnelle et puis s’en alla tout court. Moi, je restai dans le wagon. Appliquant le principe de Je-sais-plus-qui, comme quoi lui mobile le long du train et moi immobile sur mon siège, on arriverait exactement à la même heure au même endroit, enfin un truc du genre. Et que ça servait à rien de s’agiter. Un peu comme la mort. Notre destination ultime. On pouvait y aller en courant, en marchant ou à la nage, à pied, à cheval ou en voiture, y aller le cœur en fête ou les bonbons qui collaient au papier, y aller seul voire à plusieurs, les bras ouverts ou les yeux grands fermés, on y allait tous… Rendez-vous sans faute au bout de la ligne. Tout le monde descendait au terminus.

    C’était gai.

    Presque autant qu’un colloque de dentistes.

    Et si des dentistes me lisent, sachez que je n’ai rien contre vous. J’aurais pu prendre n’importe quelle profession qui consiste à faire asseoir les gens dans une pièce pour les torturer. Banquier ou professeur de physique. Proctologue – bien que la torture s’y pratique à quatre pattes plutôt qu’assis – et j’en passe. Je peux même vous laisser un blanc à compléter. La narration interactive, ça s’appelle. Le lecteur devient auteur. Et l’auteur doit apprendre à écrire en gruyère. Qui est une langue aussi complexe que le Français, mais plus intermittente. En définitive plus raccord avec la communication des Hommes, qui ressemble souvent à un texte à trous.

    Je sortis fumer une cigarette, avant de me souvenir que les trains aujourd’hui étaient devenus non-fumeurs. Je stationnai debout, indécis, dans l’entre-wagons. Comment oublier quelque chose qu’on a toujours connu ? Je n’avais jamais fumé dans un train. J’étais trop jeune. Est-ce que je perdais la boule ? Et est-ce que je ferais pas mieux d’entamer un demi-tour dès la prochaine gare, ou de passer direct au chapitre suivant, en espérant qu’il sera meilleur pour mes nerfs et ma santé mentale ? Ça coûtait rien d’essayer.

    2

    Voilà.

    On y est, et je me sens toujours pas mieux.

    Toujours la boule au bide et mal aux tifs. Les mâchoires raides. Envie de rebrousser chemin à la prochaine, retourner fissa me terrer au fond de mon bureau pour des siècles et des siècles, Amen. Ouais, amen-toi. Amende-toi. Sale…

    Je causais tout seul. Ça devenait grave. Je rangeai mes clopes et retournai à ma place. Encore vingt bonnes minutes à attendre avant la gare suivante. Fallait m’occuper. Arrêter cette satanée turbine. Je tirai le bouquin de mon sac. Un roman de gare – pléonasme – que j’avais emporté pour le voyage. Je repris ma lecture sans réussir à raccrocher le début. Foutue amnésie duraille – ou du rail ? Vague récit de meurtre et de machination… Un type sans histoires pris dans une sacrée, d’histoire. La routine du polar industriel. Je tentai de lire une ou deux pages. En vain. Impossible de se concentrer. Le book retourna vite dans son sac. Retourner.

    Retour.

    L’Éternel retour.

    Je repris le faire-part. L’unique truc que j’avais envie de lire. Relire, pour la ixième fois, pour essayer de comprendre ce qui m’avait motivé. Moi le casanier pur jus. L’ours. L’Infra-Détective, et surtout Infra-Feignasse. Celui qu’il fallait secouer, traquer, écorcher pour qu’enfin il quitte sa tanière et s’intéresse à autre chose que son fabuleux nombril. Était-ce la nature de la nouvelle ? Pas sûr. Des morts, au cours de ma pourtant jeune carrière, j’en avais vu. J’avais même participé. Le trépas en tant que tel ne m’impressionnait plus, d’autant que le trépassé en question remontait à une époque immémoriale, antédiluvienne, l’ère paléolithique de Stan Kurtz. Un ami de collège. Une ère où je suivais un enseignement quelconque, et où j’avais des amis. Impensable à l’heure actuelle. Non, si je devais regarder la vérité en face, cette vérité nue dont je vous parlais un peu plus tôt, faudrait à nouveau retourner faire un tour du côté de cette cruelle cicatrice. La marque indélébile de notre attachement passé – au sens propre – à l’inconsciente qui nous a, par envie ou inadvertance, donné la vie. Le come-back du nombril.

    Ce faire-part m’envoyait loin et c’était pile où je voulais aller. Aucune obligation ne me retenait en ville. Aucune affaire en cours. Aucun client à qui j’aurais pu soutirer du fric, même facile. Aucune nana. Même plus de paternel acariâtre, pour cause de coma suite à une rafale de balles au dos – cf mon enquête précédente Triviale Poursuite, en vente non pas dans toutes les bonnes crémeries mais seulement la meilleure, la boutique en ligne des Editions Faute de frappe – ce qui était bien pire qu’une balle au bond et beaucoup plus dur à rattraper. Surtout qu’il avait morflé pour rien, puisque l’ultime piste menant à mon ennemi, le Révérend, les restes calcinés mais toujours actifs du centre Pandora, s’était révélée un mirage de plus, une autre embrouille au parfum d’enculerie…

    Peau de zob all down the line.

    Je m’étais retrouvé en moins de deux avec un père criblé de plombs, une Némésis invisible et un chef de la police furax, qui tenta de me mettre notre échec sur le dos. Selon Karol Klugman c’était le temps perdu à cause de mon indécision qui avait tout fait capoter. Bien sûr, j’optai pour la seule ligne de défense viable, celle que j’employais souvent. Je l’envoyai se faire foutre. J’envoyai tout le monde, les vivants et les morts et ceux qui gravitent au milieu se faire rôtir l’oignon en Enfer, m’enfermai dans mon habituelle ascèse de moine bouddhiste, ma cure de bonheur privée, enfin ça s’appelle l’alcool et ça vous envoie ailleurs, loin, là où tout redevient simple. On se cala, le chef Klugman et moi, dans un statu quo pratique et qui durait encore…

    Bref, je redevins une loque. Le résidu sale et pouilleux, puant la gnôle, la sueur et le soufre, de ce qui aurait pu être quelqu’un de bien dans une autre vie ou une dimension parallèle, le pire étant que je me sentais à ma place. Bref, bis repetita, j’avais tellement de temps à perdre et un tel dégoût de ma peau que ce cadavre emballé, ou plutôt embierré, tombait à pic.

    Franck Drexel.

    Drexel le Bretzel, comme on disait. Je ne me souvenais de rien, sauf du surnom. Raccord avec son physique, semblait-il, de longs membres fins surmontés d’un visage qui, lui, demeurait flou.

    Monsieur,

    Nous avons aujourd’hui la tristesse et le chagrin de vous annoncer la mort de Franck Drexel, et vous convier à ses funérailles. Une cérémonie se tiendra au cimetière Saint-Paul de Machin puis à son domicile du 36, rue Bidule. Veuillez agréer blablabla…

    Je brodais. C’était pas le texte exact. Celui-ci au final avait peu d’importance. Ce qui m’avait marqué, plus que le reste, était l’accroche.

    Monsieur Stanislas Gerald Kurtz.

    Déjà, on m’avait retrouvé. Celui ou celle en charge des obsèques de mon ancien pote avait pu remonter le fil ténu de ma fragile existence, après des années de silence radio… Il ou elle avait pu dénicher mon cabinet de détective et m’y écrire. Mais surtout, ce il ou elle avait orné sa missive de mes nom et prénoms complets. Et ça, c’était louche. Bizarre autant qu’étrange, et je dirais même plus… Cela constituait un mystère à lui tout seul.

    Le train stoppa.

    Dix minutes d’arrêt dans une gare inconnue.

    J’en profitai pour descendre me dégourdir les pattes et nicotiner mes poumons. Le fameux puzzle précédent toujours en ligne de mire. À quoi ça tenait, hein ? Juste à une appellation, à un unique mot. Gerald. Second prénom que personne ne connaissait. Alors comment avait-il pu se retrouver sur l’en-tête d’un faire-part ? Entame plutôt maigre, j’en avais conscience… Je vous ai habitués à mieux. Des intros fracassantes, du genre à se finir à l’hosto et déboucher dare-dare sur une enquête de haut vol, je sais. Enfin. Pour celle-ci, les loulous, faudra vous contenter du string minimum. Votre Infra-Détective en balade avec une possible énigme dans sa poche et une belle marge de manœuvre pour attirer les emmerdes… Déjà pas mal en ces temps de crise aiguë du milieu littéraire. Avec tous ces plumitifs aux bourses vides qui tirent à blanc, inondent les rayons et les places publiques de leur stérile semence. Ici au moins, on se fend la poire. On prend pas des V6 pour des lanternes, ni le polar pour un concours de bites, malgré le nombre de glands en lice.

    Je sondai mes fringues en quête de monnaie. Dégotai juste assez pour un café au distributeur. Que j’eus à peine le temps de déguster avant le redécollage de notre cheval de métal aux bandes bleues et noires. Enfin, je dis notre par réflexe, genre licence poétique, car à part le contrôleur et moi, je n’avais encore pour l’instant vu personne, nobody du tout in the train. Et comme, par la force des choses, je ne me voyais guère – ce qui était sans doute mieux – ça faisait pas grand monde.

    3

    Le bled s’appelait Carmona.

    Trois mille deux cents âmes selon les dépliants. Pas une ne m’attendait à la gare. Un bloc de briques et de ciment lézardé. Aux vitres crades. Le genre piaule de rêve pour nuit de cauchemar, avec employé somnolant en prime.

    Je marchai à pas feutrés, discrétos pour pas réveiller monsieur, puis sortis sur le parvis.

    Soleil pâle derrière d’épais nuages.

    Un parking clairsemé. Plusieurs commerces aussi avenants que des stèles anonymes – même le blaze de l’unique coiffeur, Pallia’tif, donnait le bourdon – ou bien fermés jusqu’à nouvel ordre.

    Liquidation totale.

    Qu’est-ce que je foutais là ?

    Sérieux… Fallait vraiment être au trente-sixième dessous, victime d’un coup de mou maousse pour accepter une invitation pareille. Un enterrement, ici ? Autant se tirer une balle direct. Je faillis rebrousser chemin. Checker l’horaire du prochain trajet retour, avant de penser fissa à ce qui pourrait me guetter en ville, si jamais je revenais maintenant. Un blues carabiné, modèle Winchester à pompe, et un vide relationnel assez intersidéral pour pouvoir jouir d’icelui – matez la richesse du vocable – en toute quiétude. C’était la déprime assurée, ici comme là-bas.

    J’allumai une clope.

    Avisai un bar au nom prédestiné, le Terminus.

    – Monsieur !

    Une voix chevrotante me héla.

    J’arrêtai ma course tranquille et tournai la tête. Entre la gare de Carmona et le bar Terminus, la municipalité soucieuse du bien-être de

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