Une reine en son palais de papier
Chère Mado,
Cela fait exactement la 1 500e lettre que je vais te poster aujourd’hui.
En déduisant imprévus, dimanches et jours fériés, le compte y est : cinq années de correspondance quotidienne quasi ininterrompue. C’est tout de même rare.
Et quelle littérature ! Je ne voudrais pas m’envoyer des fleurs, mais mon observatoire est imprenable pour prendre le pouls de notre époque. D’un côté de mon comptoir, les nouvelles du monde sous toutes ses formes, des plus farfelues aux plus inimaginables, de l’autre, ceux qui les lisent, du quartier ou d’ailleurs, les pressés, les rêveurs, les bavards… Position stratégique d’un kiosque à journaux.
Oui, mes témoignages épistolaires devraient rester dans les annales de l’Histoire. Et mon regard particulier en signer la valeur. Pas de modestie déplacée. Car t’écrire chaque jour, chère Mado, m’astreindre à prendre de la distance, soigner le style afin que forme et fond se rejoignent est un exercice qui m’oblige à ne verser ni dans le pathos, ni dans l’excès, ni dans les préjugés, que sais-je encore ! Je connais ta rigueur, ton besoin de logique, et lorsque ma sensibilité s’emballe, je sais que tu n’apprécies pas. Et j’ai le temps – oh oui, j’ai le temps – de faire les choses comme il faut. Rien à voir avec un carnet intime dont je déteste l’idée.
La 1 499e lettre, aussi, que je reçois ce matin et que je lis toujours assidûment, l’esprit critique aux aguets, passé le sourire du gentil postier – toujours le même. Il se demande sans doute qui peut m’écrire avec une telle régularité.
Bien. Une lettre, donc, particulièrement soignée aujourd’hui pour fêter cet anniversaire de nos échanges. Chacune d’elles m’enfonce plus profondément en un moi-même qui se livre peu à peu, sous la pression de ma plume impitoyable.
Un exemple ? Je t’écrivais hier que mon jardin de verdure (mon kiosque et ses feuilles de chou) me paraissait chaque jour un peu plus illisible. Quel que soit le journal, on est sûr de trouver l’avis
