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Le statut social des travailleurs indépendants: Perspectives de droit social
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Le statut social des travailleurs indépendants: Perspectives de droit social
Livre électronique1 377 pages18 heures

Le statut social des travailleurs indépendants: Perspectives de droit social

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À propos de ce livre électronique

Les Éditions Anthemis vous proposent un outil complet afin de comprendre les tenants et aboutissants du statut social des travailleurs indépendants

Toute personne qui exerce une activité professionnelle en Belgique doit être assujettie à un régime de sécurité sociale. C’est une règle d’ordre public. Il existe deux grands régimes : le régime des travailleurs salariés et celui des travailleurs indépendants.

Les travailleurs indépendants sont essentiellement définis par la négative. Il s’agit de personnes qui exercent une activité professionnelle en dehors d’un contrat de travail ou d’un statut.
L’arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1967 organisant le statut social des travailleurs indépendants n’avait plus fait en doctrine l’objet d’un examen approfondi depuis un certain temps. Or, la question de l’assujettissement au statut social des travailleurs indépendants pose en pratique de nombreuses difficultés.

Les auteurs de cet ouvrage, tous issus soit du monde académique, soit de celui des praticiens, se sont penchés sur les actualités importantes qui marquent cette matière : requalification de la convention, situation particulière des mandataires de sociétés commerciales, incidence du droit européen sur l’assujettissement, compétences des juridictions du travail pour connaître des décisions de refus de dispense de cotisations sociales, modification des règles relatives au calcul des cotisations sociales des travailleurs indépendants, etc.

Un ouvrage écrit par des professionnels, pour des professionnels

A PROPOS DES ÉDITIONS ANTHEMIS

Anthemis est une maison d’édition spécialisée dans l’édition professionnelle, soucieuse de mettre à la disposition du plus grand nombre de praticiens des ouvrages de qualité. Elle s’adresse à tous les professionnels qui ont besoin d’une information fiable en droit, en économie ou en médecine.
LangueFrançais
ÉditeurAnthemis
Date de sortie4 mai 2016
ISBN9782874557989
Le statut social des travailleurs indépendants: Perspectives de droit social

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    Aperçu du livre

    Le statut social des travailleurs indépendants - Collectif

    ECKHOUTTE

    Remerciements

    Le Barreau de Tournai a décidé d’organiser un colloque dont le présent ouvrage reprend les actes.

    Il est consacré au statut social des travailleurs indépendants et aborde ainsi une matière qui fait traditionnellement l’objet de peu de développements doctrinaux mais qui connait de nos jours une actualité importante.

    Nous souhaitions, à cet égard, remercier les organisateurs de ce colloque au sein du Barreau de Tournai et plus particulièrement Arnaud Beuscart et Jean-Jacques Vandenbroucke, Bâtonnier de Tournai.

    Nous souhaitions remercier également tous les contributeurs et les orateurs pour leur participation à ce projet.

    Celui-ci n’aurait pas pu voir le jour sans l’aimable contribution des éditions Anthemis et le travail éditorial qui y a été mené.

    Nous tenions également à remercier Messieurs les Professeurs Jacques Clesse et Willy van Eeckhoutte qui ont accepté d’introduire et de conclure l’après-midi d’étude.

    Steve G

    ILSON

    Michel W

    ESTRADE

    À propos du travail indépendant…

    Jacques C

    LESSE

    ¹

    Professeur à la Faculté de droit de l’U.Lg.

    Avocat au barreau de Liège

    Quelques chiffres…

    1. En 2012, suivant les données de la Banque nationale de Belgique, on relevait en Belgique 3.812.000 travailleurs subordonnés (secteurs privé et public confondus) et 742.000 travailleurs indépendants.

    Sur la période 1995-2012, le travail subordonné était, en moyenne, près de cinq fois supérieur au travail indépendant. Au-delà de ce constat, on remarque que le travail indépendant est en nette progression depuis 2002 et, contrairement au travail subordonné, le travail indépendant n’a pas accusé de recul depuis le début de la crise économique actuelle.

    Source : Banque nationale de Belgique².

    Le schéma ci-dessus présente deux axes de lecture. À gauche, le nombre de travailleurs indépendants et subordonnés de 1995 à 2012. À droite, le taux de croissance annuel du travail intérieur indépendant/subordonné. Au-dessus de l’axe des abscisses (voir le côté droit du graphique), le volume de l’emploi intérieur est croissant ; en dessous de l’axe, le nombre de travailleurs subordonnés/indépendants diminue. On remarque que le travail indépendant n’a pas cessé de croître depuis 2003 alors que le travail subordonné a fortement fléchi en 2009. En outre, depuis 2008, début de la crise financière et économique, le taux de croissance du travail indépendant est systématiquement plus élevé que le taux de croissance du travail salarié. Il semble donc que la crise de 2008 n’ait pas eu d’effet négatif sur le volume du travail indépendant.

    La croissance du travail indépendant est généralisée aux trois Régions du pays, même si elle est un peu plus forte pour la Région de Bruxelles-Capitale (augmentation de 7,3 % à Bruxelles, de 3,9 % en Wallonie et de 4,8 % en Flandre du nombre d’affiliés à l’INASTI)³.

    Quelles sont les branches d’activités concernées par le travail indépendant ? Les indépendants, en 2011, étaient principalement actifs dans le commerce (35 %), les professions libérales (25,9 %) et l’industrie (21,6 %). On voit que le commerce est le domaine privilégié du travail indépendant. Toutefois, en rapprochant les chiffres de 2011 de ceux de 2003, on constate que la branche du commerce cède du terrain au profit des professions libérales.

    Figure 2. Répartition des indépendants par branche d’activité

    Source : INASTI.

    Quel est l’âge du travailleur indépendant ? Le travailleur indépendant a en moyenne 46 ans. L’âge moyen de la population des travailleurs indépendants a légèrement augmenté depuis 2000. Cette indication est à mettre en perspective avec le vieillissement global de la population active. L’âge auquel le travailleur indépendant débute son activité est stable et oscille autour de 34 ans. On remarque aussi une forte augmentation de l’âge moyen des aidants entre 2002 et 2003, probablement en liaison avec le changement du statut social de l’aidant au 1er janvier 2003⁴.

    … et quelques réflexions

    2. En droit social, la division entre le travail subordonné ou travail dépendant et le travail non subordonné ou travail indépendant est cardinale.

    De son origine à nos jours, le droit du travail ne concerne que la relation de travail subordonnée, c’est-à-dire le travail accompli pour le compte et sous l’autorité d’autrui. La dépendance économique du salarié à l’égard de l’employeur a fait naître le besoin de la protection que lui apporte le droit du travail. Mais le cercle des bénéficiaires de cette protection est circonscrit par le critère de la subordination juridique, excluant ainsi les personnes qui, par choix ou par nécessité, retirent leurs revenus du travail indépendant.

    Quant au droit de la sécurité sociale, l’arrêté-loi du 28 décembre 1944 institua un système de sécurité sociale professionnel, conçu et destiné au travail salarié. Sans doute, le législateur a-t-il manifesté dès ce moment l’intention d’étendre la prévoyance sociale à l’ensemble des travailleurs. Il fallut cependant attendre 1967 pour que ce vœu soit concrétisé par la mise en place d’un système de sécurité sociale conçu pour le travail indépendant. Avec cette ouverture, la distinction entre le travail dépendant et indépendant a perdu de son tranchant sans lui retirer sa pertinence.

    3. L’indifférence du droit social à l’égard de la condition juridique du travailleur indépendant n’est pas une contingence propre à la Belgique. Sur le plan international, les instruments relatifs aux droits sociaux se révèlent imprécis, peu consistants quant au statut du travailleur indépendant. Classiquement, ces dispositifs identifient deux catégories de bénéficiaires des droits qu’ils garantissent : d’une part, « toute personne », d’autre part, « le ou les travailleurs ». Ainsi, le Pacte international du 19 décembre 1966 relatif aux droits économiques et sociaux et culturels dispose que les États membres reconnaissent le droit qu’a toute personne de jouir de conditions de travail justes et favorables (art. 7). La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne énonce que « tout travailleur a droit à des conditions de travail qui respectent sa santé, sa sécurité, et sa dignité » (art. 31.1). L’article 2 de la Charte sociale européenne révisée, relatif au droit à des conditions de travail équitables, paraît bien s’adresser à « tous les travailleurs ». Le point de savoir si le travailleur indépendant peut être considéré comme un travailleur en regard de ces instruments est incertain. Le fait que le concept de travailleur est utilisé dans des occurrences qui restreignent sa portée au seul travailleur subordonné entretient le doute quant à l’étendue des droits sociaux fondamentaux du travailleur indépendant.

    La Constitution belge est plus claire : dans son interprétation actuelle, le droit à des conditions de travail et à une rémunération équitables, établi par l’article 23, ne concerne que les travailleurs subordonnés. Les indépendants ne sont pas visés⁵.

    On le voit, les normes qui surplombent le droit positif ne témoignent que d’un intérêt limité à l’égard de la condition du travailleur indépendant, laissant ainsi au législateur une très large marge de manœuvre.

    4. Si l’on y regarde d’un peu plus près, la distinction entre le travail salarié et le travail indépendant apparaît cependant comme moins tranchée qu’il ne semble à première vue. Le rapprochement, voire le chevauchement, entre ces deux types de travail se laisse observer dans les faits que le droit positif tente d’appréhender (n° 4). Le même phénomène apparaît également dans la construction de la règle juridique (n° 5).

    L’extension continue du concept de subordination a conduit à cette conséquence qu’à l’heure actuelle, à peu près toutes les activités professionnelles peuvent être exercées sous l’un ou l’autre statut juridique. Autrefois, certains métiers étaient l’apanage du travail indépendant, notamment les professions libérales ou celles de dirigeants d’entreprise. Jurisprudence et doctrine ont fait céder ces limites⁶.

    Autre facteur de rapprochement : de longue date, il fut reconnu que certains travailleurs indépendants subissent un état de dépendance économique. À l’instar du salarié, s’il n’était soutenu par la loi, ces travailleurs indépendants se trouvent dans une position d’infériorité pour négocier les contrats sur lesquels repose leur activité professionnelle. Jadis, on évoquait fréquemment l’exemple de la dépendance de l’agriculteur à l’égard du propriétaire des terres. Loin de disparaître, le phénomène s’est maintenu. Peut-être s’est-il développé, quoiqu’il soit malaisé de l’évaluer quantitativement. Un certain nombre de travailleurs indépendants consacrent l’essentiel de leur activité à un seul cocontractant ; celui-ci assure leurs revenus et, dans le même temps, impose les conditions de leur collaboration. Ceci donne naissance à une dépendance économique à l’égard de cet unique commettant. Bien souvent, cette relation professionnelle, source de dépendance économique, emprunte des formes juridiques qui la tiennent à distance respectable du travail subordonné. Ainsi, le travailleur indépendant peut apparaître sur le marché comme l’exploitant d’une entreprise qui recourt à la main-d’œuvre salariée, dispose de son propre outillage.

    Cette forme de travail, aisément repérable dans certains secteurs d’activité comme la distribution des biens de consommation, est en liaison avec une tendance lourde dans l’organisation des entreprises. Celles-ci délaissent le mode d’intégration verticale pour une division du processus de production en externalisant une partie de celui-ci vers des cocontractants, sous-traitants ou partenaires. On voit ainsi apparaître une nouvelle catégorie de travailleurs indépendants – on parle tour à tour de travailleurs indépendants économiquement dépendants, de travail autonome ou encore de parasubordination – à mi-chemin entre, d’un côté, le salariat et, d’un autre côté, la forme classique du travail indépendant, celui qui entretient des liens professionnels et juridiques avec une multitude de donneurs d’ordres. Plusieurs pays européens ont été attentifs à l’émergence d’une nouvelle forme de travail indépendant en l’assujettissant à des règles prenant en compte la dépendance économique du travailleur indépendant, parfois par la voie d’un rattachement partiel au droit social.

    Enfin, la frontière entre le travail subordonné et le travail indépendant est devenue floue, poreuse par endroits. La compétition économique, le souci de produire des biens et des services au moindre coût conduisent les entreprises à privilégier le régime de travail le moins onéreux. Les incertitudes gangrenant la définition juridique du travail subordonné (ou sa mise en application) ont constitué un terrain de choix sur lequel le phénomène du travail subordonné déguisé sous la fausse apparence du travail indépendant s’est développé. Cette difficulté croissante d’établir la ligne de démarcation a amené le législateur à intervenir plus d’un siècle après la première loi sur le contrat de travail. La loi du 27 décembre 2006 sur la nature de la relation de travail a pour objectif d’affermir la distinction entre le travail salarié et le travail indépendant en vue de renforcer la sécurité juridique.

    5. De iure, la distinction entre le travail salarié et le travail indépendant n’a pas davantage valeur absolue. Plusieurs lois enjambent la frontière pour donner aux travailleurs, sans distinction de statut, des droits identiques. Le propos est illustré par quatre exemples.

    Le premier est la liberté syndicale. La loi du 24 mai 1921 garantissant la liberté d’association, laquelle inclut la liberté syndicale, quoique conçue et rédigée pour les travailleurs salariés, garantit également la liberté du travailleur indépendant de s’associer avec d’autres en vue de défendre ses intérêts professionnels.

    Le deuxième exemple est pris du droit de la sécurité sociale. Le législateur de 1969 a confié au Roi « le pouvoir d’étendre le champ d’application de la sécurité sociale des travailleurs salariés aux personnes qui sans être liées par un contrat de travail exécutent un travail selon des modalités similaires à celles d’un contrat de louage de travail »⁷. Un des buts du législateur était de permettre l’extension de la prévoyance sociale propre au salarié à certains travailleurs indépendants en raison de leur état de dépendance économique analogue à celle des salariés⁸. Cette disposition, novatrice au moment de son adoption, dotait le pouvoir exécutif d’un instrument puissant pour atteindre les travailleurs juridiquement indépendants mais économiquement dépendants. Force est de constater qu’il a été peu utilisé par le pouvoir exécutif⁹ qui y a vu davantage un moyen de combattre la fraude sociale par le jeu sur la qualification juridique de la relation de travail.

    Le statut juridique du médecin hospitalier fournit une troisième illustration. La loi sur les hôpitaux, coordonnée par l’arrêté royal du 7 août 1987, établit, dans l’intérêt des médecins hospitaliers, des dispositions impératives tendant à protéger ceux-ci, notamment contre la volonté de l’hôpital (le gestionnaire) de mettre fin à la collaboration professionnelle. Il s’agit là de garanties minimales applicables à tous les médecins hospitaliers, indépendamment de leur statut juridique : salarié, agent statutaire ou travailleur indépendant. La protection prend appui notamment sur la présence dans chaque hôpital d’un conseil médical, élu par les médecins hospitaliers (art. 122, § 1er). Il représente ces derniers auprès du gestionnaire (art. 121). Le conseil médical dispose à cet égard de compétences plus étendues que le conseil d’entreprise dans l’entreprise privée : par le procédé de l’avis renforcé, il peut bloquer certaines décisions du gestionnaire (art. 127 et s.).

    Enfin, le dispositif mis en place par les lois du 10 mai 2007 pour combattre les discriminations s’applique « à toutes les personnes », entre autres, dans le domaine des « relations de travail ». Le terme travail est entendu au sens large ; il inclut aussi bien le travail subordonné que le travail indépendant. Les lois sont ainsi applicables aux dispositions et pratiques relatives aux conditions de travail et à la rémunération, y compris « les conventions d’indépendants […] les régimes collectifs pour les indépendants […] les décisions unilatérales imposées à un indépendant […] l’octroi et la fixation des honoraires »¹⁰.

    6. Pour compléter ce bref aperçu, relevons encore ceci. Alors que la présence du lien de subordination entraîne l’application de règles uniformes, indépendantes du travail accompli, le statut du travailleur indépendant est caractérisé par la diversité et la multiplicité des normes le régissant. La plupart de ces normes sont tributaires du métier exercé (accès à la profession, agrément, déontologie, etc.). En dépit de l’hétérogénéité de ces dispositions, il est possible d’observer un certain parallélisme avec le droit du travail. Parallélisme quant à la finalité : les lois instaurant le repos hebdomadaire dans l’artisanat et le commerce (loi du 22 juin 1960) instaurant la fermeture obligatoire du soir dans le commerce, l’artisanat et les services (loi du 24 juillet 1973) ont clairement pour objet de veiller au bien-être des travailleurs indépendants en leur permettant de mener une vie digne de la condition d’homme¹¹. Parallélisme aussi quant aux moyens utilisés lorsque l’activité du travailleur indépendant repose sur une relation contractuelle unique ou dominante, ce qui la rapproche de la relation de travail subordonnée. Les législations sur le bail à ferme et le bail commercial tendent à assurer une certaine stabilité de l’activité économique. C’est le même objectif qui est poursuivi par la loi du 27 juillet 1961 relative à la résiliation unilatérale des concessions de vente exclusive à durée illimitée ou encore la loi du 13 avril 1995 relative au contrat d’agence commerciale. Élément significatif, cette loi prévoit, dans certains secteurs, la mise en place d’un organe de concertation paritaire au sein duquel des conventions relatives aux commissions peuvent être conclues (art. 15, alinéa 2). Les agents élus pour siéger dans cet organe bénéficient d’une protection renforcée contre la résiliation unilatérale de la convention par le commettant.

    Il y a quarante ans fut publiée une étude dédicacée à l’identification, au sein du droit positif, d’un droit social du travail indépendant. Le droit associatif et le droit de la sécurité sociale en constituaient des pièces importantes. Aux législations mentionnées ci-dessus, l’auteur ajoutait notamment les règles relatives à la formation professionnelle et l’accès à la profession, destinées à protéger l’indépendant contre ses propres fautes, la réglementation des pratiques du commerce visant à garantir une concurrence loyale ainsi que l’ensemble des mesures accordant des aides et des subventions en vue de garantir un revenu décent ¹².

    7. Ces quelques considérations n’ont d’autre but que de montrer les lacunes de l’analyse qui oppose le travail salarié au travail indépendant. Elles tendent, sans prétention d’originalité, à attirer l’attention sur les rapports, les points de contact entre ces deux types de travail. Parvenu à ce stade, s’ouvre un large champ pour une réflexion sur le droit positif et le travail. Faut-il cultiver la dualité travail salarié/travail indépendant et, le cas échéant, l’approfondir ? Dans cette perspective, l’existence d’une sécurité sociale différenciée pour les indépendants et les travailleurs subordonnés conserverait sa pertinence. Ou, au contraire, faut-il œuvrer au rapprochement en accordant une attention soutenue à la dépendance économique du travailleur, aux conditions dans lesquelles le travail est accompli en allant au-delà des catégories juridiques classiques ?

    Dans un passé récent, de savantes études ont nourri cette réflexion. S’inscrivant résolument dans la voie du rapprochement, M. Supiot avait proposé l’émergence d’un droit commun au travail salarié et au travail indépendant. Cette structure faîtière serait complétée par un droit du travail spécial, constitué de différents régimes particuliers, notamment le travail salarié. Ce droit commun, dans l’idée de M. Supiot, se déploierait suivant quatre axes : droit à la sécurité sociale, droit à la formation professionnelle, droit de participer à la définition de l’objet du travail et les conditions de son accomplissement et droit à la stabilité des conventions supports de l’activité professionnelle¹³. Le tableau pourrait être complété par la protection de la liberté syndicale et le droit de négocier collectivement les conditions d’exercice de l’activité.

    En 2006, le Livre vert de la Commission de l’Union européenne a relayé une partie de ces idées en lançant une consultation, entre autres, sur le statut juridique du travail économiquement dépendant et l’opportunité de le soumettre à certaines obligations minimales. Il est apparu toutefois que les États membres et les partenaires sociaux sont opposés à l’introduction d’une troisième catégorie intermédiaire à côté de celle du travail salarié et du travail indépendant¹⁴.

    Juin 2013

    _______________

    1 Avec la collaboration de Stéphane Clesse, master en économie, U.L.B.

    2 Deux sources sont utilisées dans cette analyse chiffrée. Vu que les données administratives sont collectées par des organismes différents pour les travailleurs subordonnés (O.N.S.S. et ONSSAPL) et indépendants (INASTI), il est préférable d’utiliser les données de la BNB pour comparer le volume de travail subordonné et indépendant. Le reste de cette analyse s’appuie sur des données administratives disponibles sur le site Internet de l’INASTI. On ne constate pas de différence significative entre les données de la BNB et de l’INASTI concernant le volume de travail indépendant.

    3 Ces chiffres prennent en compte les affiliés inscrits à l’INASTI en leur qualité d’indépendants ou d’aidants. Si on ne prend que les indépendants, les taux de croissance sont légèrement plus élevés (10,5 % pour Bruxelles, 5,2 % pour la Wallonie et 7,4 % pour la Flandre), mais le classement des Régions ne change pas.

    4 Loi-programme du 24 décembre 2002 qui a prévu une intégration progressive du conjoint aidant dans le statut social des travailleurs indépendants.

    5 P. J

    OASSART

    , «Le droit au travail et au libre choix d’une activité professionnelle, le droit à des conditions de travail et à une rémunération équitables et le droit d’information, de consultation et de négociation collective», Les droits constitutionnels en Belgique, Bruylant, 2011, vol. 2, p. 1295, spéc. p. 1312.

    6 J. C

    LESSE

    , «La notion générale de lien de subordination», Le lien de subordination, Kluwer, 2004, pp. 17 et 18.

    7 Article 2, § 1 er , 1°, de la loi du 27 juin 1969.

    8 Exposé des motifs, Doc. parl., Chambre, 1966-1967, n o 390/1, p. 5.

    9 Parmi une littérature abondante, voy. A. F

    YON

    et S. G

    ILSON

    , «Les extensions à la sécurité sociale des travailleurs salariés», La sécurité sociale des travailleurs salariés, Larcier, 2010, pp. 109 et s.

    10 Article 5, § 2, 2°, des lois du 10 mai 2007, d’une part, tendant à lutter contre certaines formes de discrimination et, d’autre part, tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes.

    11 Projet de loi relatif aux heures d’ouverture dans le commerce, l’artisanat et les services, Doc. parl. , Chambre, 2005-2006, n o 51-2486/001, p. 4 ; projet de loi instaurant le repos hebdomadaire dans l’artisanat et le commerce, Doc. parl., Chambre, 1959-1960, n o 470/1, p. 1.

    12 J.-M. B

    ERGER

    , Le droit social du travail indépendant, Larcier, 1973. Guidé par le souci d’établir le parallélisme avec le droit social au sens classique, l’auteur ordonnait ces différentes règles protégeant le travailleur indépendant autour de trois lignes de conduite : a) le législateur tente de rétablir l’égalité en faveur des travailleurs indépendants ; b) le travailleur indépendant est protégé contre sa propre incompétence et son imprévoyance ; c) les associations de travailleurs indépendants sont encouragées, notamment en assurant leur représentation dans différents organes consultatifs et en les associant à l’élaboration de normes réglementaires.

    13 A. S

    UPIOT

    , «Les nouveaux visages de la subordination», Droit social, 2000, p. 131 et les nombreuses références citées.

    14 Livre vert de la Commission «Moderniser le droit du travail pour relever les défis du XXI e siècle», COM (2006) 708; Communication du 24 octobre 2007 de la Commission au Conseil, au Parlement européen, au Comité économique et social européen et au Conseil des Régions, COM (2007) 627. Voy., encore, l’avis du 26 février 2009 du Comité économique et social européen sur les «Nouvelles tendances du travail indépendant : le cas particulier du travail indépendant économiquement dépendant», 2011/C 18/08, J.O.U.E. , C.18/44.

    Aspects historiques et économiques du travail indépendant

    Michel W

    ESTRADE

    Ancien président et juge honoraire du Tribunal du travail de Tournai

    Les secours publics sont une dette sacrée.

    A

    RTICLE

    21 DE LA

    C

    ONSTITUTION DE L’AN

    I

    Section 1

    Genèse et évolution

    1. S’agissant des travailleurs indépendants, la difficulté procède, lorsqu’on se situe dans une optique historique, de ce que l’on se trouve face à un groupe social dépourvu d’unité, représentant une mosaïque d’activités. Tout au plus peut-on établir, s’agissant de la genèse de ce qui devait devenir un système de protection sociale, une typologie axée sur trois segments : les métiers et négoces, catégorisation regroupant l’artisanat et le petit commerce, les agriculteurs et les professions dites « libérales ».

    Dès 1880, on voit se développer un vaste mouvement d’association parmi les paysans (sociétés agricoles, caisses locales de crédit, unions professionnelles). Il faudra attendre 1906 pour voir apparaître un Office des classes moyennes, embryon du futur ministère des Classes moyennes. Par ailleurs, les métiers et négoces seront dotés d’un Conseil supérieur par arrêté royal du 5 février 1909, Conseil chargé de soumettre au ministre de l’Industrie et du Travail les questions relatives aux intérêts des artisans et petits industriels.

    Ces catégories ne sont pas sans évoquer le concept, dégagé du critère économique, de « petites et moyennes entreprises », celles-ci regroupant des entreprises industrielles, commerciales, artisanales et agricoles gérées par un indépendant¹. On a par ailleurs déjà évoqué cet autre concept, tiré du critère socio-économique, de « classes moyennes », celles-ci ayant « en commun de ne pas se définir comme des dominants ou des dominés » et d’avoir une propension à la prise de risque supérieure à celle de la majorité des citoyens »².

    2. On ne peut, à partir de ce morcellement sociologique, que constater la difficulté de mettre sur pied une législation sociale cohérente, spécifique pour les travailleurs indépendants, qui ne reflète pas un mimétisme avec le système des salariés, difficulté procédant par ailleurs de la nature même de l’activité indépendante, celle-ci en appelant plus particulièrement aux ressources et à l’épargne individuelles, à la préservation de la liberté et à une plus grande responsabilisation. On a dépeint les indépendants comme étant « d’essence, allergiques à tout ce qu’ils considèrent à tort comme un impôt direct ou indirect, et, plus que d’autres, rebelles au sentiment de solidarité sociale que leur situation économique concurrentielle leur empêche de concevoir[…] »³. En outre, le refus des indépendants de se rallier à un système de sécurité sociale relève de la sphère psychosociologique : les indépendants constituaient un groupe social rétif à tout interventionnisme d’État⁴, préférant supporter le risque euxmêmes. Ajoutons qu’ils ne peuvent compter sur une quelconque intervention d’employeur.

    On ne pourra, dès lors, que constater l’important retard mis à fonder un système cohérent de sécurité sociale pour les indépendants par rapport à celui mis en place pour les salariés. À titre d’exemple, si les ouvriers mineurs sont dotés d’un régime de pensions de vieillesse par la loi du 5 juin 1911, et si les ouvriers et les employés bénéficient de l’assurance vieillesse-décès obligatoire par le fait des lois des 10 décembre 1924 et 10 mars 1925, il faudra attendre la loi du 30 juin 1956 pour voir instauré un régime de pension obligatoire des indépendants. Si on a pu souligner que « les raisons de ce retard sont nombreuses », on n’a pas manqué de constater « qu’elles se ramènent toutes finalement à l’individualisme libéral des intéressés »⁵. C’est à partir de la décennie 1950 que l’on note une réelle avancée des projets d’extension de la sécurité sociale aux indépendants, le mouvement restant axé sur les prestations de base. En effet, si le régime se développe, c’est de manière plus modeste que chez les salariés⁶.

    3. C’est qu’au point de départ de la sécurité sociale, il y a la seule assurance d’un minimum vital. Ainsi, l’abrogation de la loi du 11 juillet 1930⁷ instaurant une pension obligatoire pour les salariés et pour certains indépendants⁸ ne laissa-t-elle à ceux-ci que le recours à l’assurance libre, ce, dans l’optique de l’octroi d’une pension ne devant être qu’un strict minimum vital. Le but poursuivi resta la création d’un système de pensions n’intervenant qu’à titre subsidiaire ou en dernier recours, là où le travailleur indépendant avait échoué dans la constitution d’un patrimoine venant garantir sa retraite⁹. On verra, après une loi de 1954 rendant obligatoire l’affiliation à une caisse libre de pensions, la loi du 30 juin 1956 introduire une obligation d’assurance, fondée à la fois sur le principe de répartition et sur celui de la capitalisation, la solidarité y apparaissant à travers la mise sur pied d’un régime spécial et transitoire pour ceux qui ne peuvent pas se constituer un fonds suffisant¹⁰.

    Le secteur de l’assurance maladie-invalidité reflète la même conception : « Les travailleurs indépendants n’eurent jusqu’en 1963 que la possibilité de cotiser librement en tant qu’assurés libres pour se couvrir contre les risques résultant de toute atteinte à leur santé.»¹¹ Le législateur organisa par la suite un système d’assurance limitée aux seuls gros risques, ceux au regard desquels le budget de l’indépendant risquait de se trouver dépourvu¹², ces risques qui vont au-delà des capacités financières normales de la personne. Cette conception individualiste et, dans ce cas, réductrice devait cependant déboucher, au fil des ans, sur une conception couvrant les risques sociaux, certains de ceux-ci se présentant de la même manière pour les indépendants et les salariés. Il n’en reste pas moins que le Conseil supérieur des classes moyennes devait, dans un avis du 9 juin 1971, insister sur le caractère autonome de l’assurance-maladie des indépendants par rapport à celle des salariés. De manière générale, on notera encore que l’extension du champ d’application de l’assurance soins de santé depuis 1964 « transforme sa conception : régime d’assurance à l’origine, elle tend […] à se transformer de facto en outil de la solidarité nationale »¹³.

    On épinglera enfin la loi du 9 juin 1970, à l’origine de l’arrêté royal du 20 juillet 1971, celui-ci instituant en faveur des travailleurs indépendants un régime d’assurance contre l’incapacité de travail. Cette incapacité est, en son début, évaluée par rapport à l’activité concrète de l’indépendant et non au regard des critères liés à l’entreprise, compte tenu de ce que la période d’invalidité qui succède à la période d’incapacité primaire ajoute la référence à l’aptitude de l’indépendant à être chargé d’une quelconque activité professionnelle, selon les critères établis. C’est que la nature même de l’activité de travailleur indépendant commandait de considérer, d’une part, l’incapacité en tant que telle, d’autre part, sa répercussion économique par rapport à la situation professionnelle antérieure.

    Dans la période précédant la Seconde Guerre mondiale, on retiendra, dans la perspective de la loi du 4 août 1930 instituant une réglementation obligatoire en matière d’allocations familiales pour travailleurs salariés, la loi du 10 juin 1937¹⁴ étendant les allocations familiales aux employeurs et aux nonsalariés : c’est que l’« instauration d’un régime d’allocations familiales permettra de favoriser l’éclosion de la solidarité entre les travailleurs indépendants »¹⁵, solidarité devant les charges de famille qui permettait d’éviter une concurrence néfaste entre indépendants. On le voit, le législateur veille ici à adapter le nouveau régime à la situation particulière de l’indépendant. Cette spécificité continuera à être soulignée : dans son avis du 10 avril 1968¹⁶, le Conseil supérieur des classes moyennes insistera sur cet aspect, estimant par ailleurs, dans son avis du 9 juin 1971, que les avantages alloués aux indépendants doivent être similaires à ceux accordés aux salariés¹⁷.

    Section 2

    Les fondations d’une lente construction

    4. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le contexte social et économique change, entraînant une évolution des mentalités, les clivages sociaux étant par ailleurs moins tranchés.

    Par ailleurs apparaît la nécessité de reconnaître le rôle essentiel que jouent dans l’économie du pays les petites entreprises artisanales ou commerciales face au grand capital et de promouvoir l’activité indépendante.

    Dans le rapport au Régent précédant l’arrêté-loi du 28 décembre 1944, apparaît l’idée d’une couverture sociale couvrant toute la population, en ce compris les travailleurs indépendants¹⁸. La première tentative d’organisation d’un système de sécurité sociale destiné aux indépendants apparaît avec l’arrêté du Régent du 19 décembre 1945¹⁹ en ce qu’il institue auprès du ministère du Travail et de la Prévoyance sociale une commission pour l’étude des mesures de sécurité sociale à prendre en ce qui concerne les travailleurs indépendants économiquement faibles.

    Par la suite, on assistera au passage de la prise en charge du risque économique à l’acceptation par les indépendants des risques sociaux. Ainsi, après l’arrêté-loi du 28 décembre 1944 qui dote le pays d’un régime de sécurité sociale, « texte fondateur de l’actuelle sécurité sociale »²⁰ et la loi du 20 septembre 1948 portant organisation de l’économie, la loi du 2 mai 1949 portait-elle organisation d’un Conseil supérieur des classes moyennes. C’est qu’il s’agit ici, sur un plan individuel, non seulement de promouvoir l’activité indépendante, celle des petits chefs d’entreprise, des artisans et commerçants, mais de la protéger. On notera que ne sont représentés audit Conseil ni les agriculteurs, leur solidarité se manifestant de façon autonome en raison de la spécificité de leur activité²¹, ni les professions libérales, celles-ci n’ayant pas un rôle de production et distribution. Toutefois, ces dernières se trouveront représentées au sein du Conseil supérieur des classes moyennes par la loi du 6 mars 1964, modifiée par celle du 21 décembre 1970.

    On ne peut passer sous silence l’important rapport des Commissaires royaux à la réforme de la sécurité sociale, publié en 1951, même s’il ne lui fut pas prêté une attention suffisante à l’époque. Ce rapport se révèle essentiel en ce qu’il proposait notamment, par-delà les divergences essentiellement doctrinales des Commissaires royaux, une simplification du secteur des prestations, une rationalisation des structures administratives et, pour les indépendants, une réglementation s’inspirant de celle des salariés (propositions du Commissaire adjoint Leen), avec des cotisations exprimées en pourcentage des revenus²². C’est avec raison qu’on a pu écrire que le régime de sécurité sociale des indépendants « s’est constitué progressivement en s’inspirant du régime des travailleurs salariés »²³.

    5. Les avis émis par le groupe de travail, dit « groupe Allard »²⁴, se révèlent très importants dans la mesure où ils vont contribuer à donner une armature au statut social des travailleurs indépendants. Constatant que les indépendants ne sont plus à même de couvrir eux-mêmes leur risque social, mais qu’ils ne peuvent cependant bénéficier de la même couverture que les salariés, cette extension étant financièrement trop lourde, le groupe envisage une structure fondée sur des organismes privés, une participation de l’État n’étant pas exclue, et ne reprenant pas tous les risques. Ainsi, compte-t-on, dès 1964, trois assurances sociales obligatoires pour les indépendants : les allocations familiales, les pensions et les soins de santé (« gros risques »), les cotisations restant calculées selon un mode de calcul différent selon les régimes²⁵. Dans ce même contexte des travaux du groupe Allard, on retiendra le rapport au Roi précédant l’arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1967, qui avait en vue une rationalisation, dans le sens d’une globalisation d’un système jusqu’alors trop éparpillé, mais gardant ses spécificités comme la perception des cotisations par des institutions privées²⁶. L’accent est mis sur « la recherche préalable de mesures propres à assurer une rationalisation profonde des régimes en cause, en ce qui concerne surtout le champ d’application, les cotisations et les structures »²⁷. Ainsi, s’agissant de ces trois régimes, le Conseil supérieur des classes moyennes devait-il relever « qu’il ne s’agit nullement de trois choses différentes, mais de trois aspects d’une même chose ; le statut social constitue un tout, une entité et il y aurait lieu d’en harmoniser la gestion »²⁸. De cet arrêté royal n° 38, on peut dire qu’il « unifia, dans une large mesure, la sécurité sociale des indépendants en créant, notamment, un champ d’application unique pour les trois secteurs et institua comme tel le statut social des travailleurs indépendants»²⁹.

    On retiendra encore, parmi les avis émis par le groupe Allard, celui du 14 avril 1969 dans lequel sont notamment soulignés deux impératifs d’ordre financier : d’une part, le plafond des cotisations doit tenir compte de la nécessité pour l’indépendant de mobiliser le maximum de ses ressources au service de l’entreprise, le crédit n’apparaissant que comme une solution subsidiaire, d’autre part, l’absence de revenus stables. Enfin, si les besoins sont également imprévisibles et inéluctables quelle que soit la classe sociale, il s’agit d’y pourvoir selon des critères particuliers au groupe. De ce rapport, « se dégage incontestablement une volonté de réaliser une programmation de l’augmentation de l’intervention de l’État, dont les étapes successives permettraient d’atteindre l’objectif souhaité »³⁰.

    6. La notion de travailleur indépendant³¹, telle que définie par l’article 3, § 1er, de l’arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1967 organisant le statut social des travailleurs indépendants, procède d’une définition négative : c’est qu’il s’agit essentiellement³², pour être indépendant, de n’être pas engagé dans les liens d’un contrat de travail ou d’un statut³³. De la sorte, le groupe des indépendants peut être qualifié de résiduaire³⁴.

    Cette définition, intervenant de manière subsidiaire³⁵, se réfère à deux critères : le premier, d’ordre social ou sociologique, qui se réfère à la nature de l’activité exercée, le second, fiscal, articulé sur une présomption juris tantum d’exercice d’une activité indépendante³⁶, le critère social apparaissant comme « critère de base de l’assujettissement »³⁷.

    On a, à propos de cette appréhension juridique, pu très justement écrire que « le droit de la sécurité sociale […] s’est divisé sommairement sur l’origine de la vulnérabilité des actifs : d’une part ceux qui dépendent prima facie de leur propre investissement, d’autre part ceux qui dépendant directement de l’investissement d’autrui, au service duquel ils sont »³⁸.

    7. Sur le plan structurel, on relèvera l’existence, avant l’apparition du Statut social, de trois établissements publics : l’Office national des pensions pour travailleurs indépendants (O.N.P.T.I.), l’Office national d’allocations familiales pour travailleurs indépendants (ONAFTI) et l’INAMI. La perception des cotisations est éparpillée et relève de la Caisse de pensions, de la Caisse mutuelle d’allocations familiales et de la mutuelle. Avec le statut social, la cotisation fera l’objet d’une seule perception.

    La réforme, laissait subsister les organismes primaires, devenus au 1er janvier 1968 des « Caisses d’assurances sociales pour travailleurs indépendants », seuls organismes pouvant percevoir la cotisation trimestrielle couvrant les trois secteurs du statut social. Elle rationalisait le système en créant l’Office national d’assurances sociales pour travailleurs indépendants (ONASTI), établissement public chargé de la surveillance et de l’exécution des obligations des travailleurs indépendants pour les trois secteurs du statut social et en laissant subsister l’ONAFTI. On remarquera que le champ d’application du régime des allocations familiales ne rencontre pas celui des deux autres régimes, pensions et assurance soins de santé, ces derniers se recouvrant.

    Ce n’est qu’au 1er janvier 1971 que l’INASTI (loi du 20 décembre 1970), procédant de la fusion de ces deux organismes, reprit leurs droits et obligations.

    _______________

    1 Avec les caractéristiques suivantes : direction et gestion librement assurées, personnalisation des responsabilités techniques et des risques financiers, compétence professionnelle consacrée à une participation technique dans l’exploitation, appui principal sur un capital d’épargne personnelle ou familiale (voy. P. V

    AN

    D

    ER

    V

    ORST

    , «Le non-droit dans l’ assujettissement des travailleurs indépendants à leur statut social», J.T.T., 1975, p. 98).

    2 Voy. P. V

    AN

    D

    ER

    V

    ORST

    , op. cit., p. 97 et les références citées.

    3 J. G

    ILLAIN

    , «L’avenir de la sécurité sociale», in P. V

    AN

    D

    ER

    V

    ORST

    (dir.), À l’enseigne du droit social belge, Bruxelles, Éditions de l’U.L.B., 1982, p. 154.

    4 P. F

    ELTESSE

    et P. R

    EMAN

    , «La sécurité sociale», Dossiers du CRISP, 1992, no 38, p. 9.

    5 P. V

    AN

    D

    ER

    V

    ORST

    , op. cit., p. 102.

    6 Ch. R

    ADERMECKER

    et J.-Cl. M

    ASSAUT

    , «De la consolidation aux défis», in Guide social permanent, t. 4, Droit de la sécurité sociale : commentaires, Kluwer, titre IV, chapitre I, pp. 142 et 143.

    7 Par la loi du 15 décembre 1937.

    8 Ceux dont le revenu professionnel ne dépassait pas, à l’époque, 18 000 francs par an.

    9 On remarquera la persistance de cette philosophie : «la liberté domine le régime prévu […] puisque la pension légale ne garantira l’octroi que du minimum, la prévoyance individuelle devant jouer un rôle primordial» (J.-M. B

    ERGER

    , Le droit social du travail indépendant, Bruxelles, Larcier, 1973, p. 73), les travailleurs ayant par ailleurs la liberté quant au mode de constitution de leur pension et de l’organisme assureur.

    10 P. D

    ENIS

    , Droit de la sécurité sociale, t. I, Bruxelles, Larcier, 1993, p. 26.

    11 J.-M. B

    ERGER

    , op. cit., p. 82.

    12 L’A.R. du 30 juillet 1964 porte les conditions dans lesquelles l’application de la loi du 9 août 1963 instituant et organisant un régime d’assurance obligatoire contre la maladie et l’invalidité est étendue aux travailleurs indépendants. C’est que la loi du 9 août 1963, désignant en son article 21 les bénéficiaires du droit aux prestations de santé, n’y reprenait pas les travailleurs indépendants, son article 22 disposant cependant que le Roi pouvait étendre, en tout ou en partie, le bénéfice de la loi, notamment aux travailleurs indépendants soumis à la législation relative à la pension de retraite et de survie des travailleurs indépendants (voy. M. T

    AQUET

    , «L’assurance maladie obligatoire des travailleurs indépendants», J.T., 1964, pp. 71 et 72). Par ailleurs, ladite loi ne prévoit pour les indépendants aucune indemnité venant couvrir les périodes d’incapacité de travail, et l’intervention du régime se trouve limitée aux prestations de santé énumérées.

    13 Ch. R

    ADERMECKER

    et J.-Cl. M

    ASSAUT

    , op. cit., p. 155.

    14 Elle n’entrera en vigueur qu’en 1941.

    15 J.-M. B

    ERGER

    , op. cit., p. 62, citant M. Heyman dans Doc. parl., Chambre, 1936-1937, no 129.

    16 Avis du Conseil supérieur des classes moyennes n o 320-4/68-13 du 10 avril 1968.

    17 Idem , n o 320-6/71-16 du 9 juin 1971.

    18 «La sécurité sociale doit être garantie à tous, aux travailleurs indépendants, artisans, commerçants ou personnes de profession libérale, aussi bien qu’aux travailleurs salariés. Le présent projet n’est toutefois consacré qu’à ces derniers. Mais il sera suivi de mesures analogues qui sont actuellement à l’étude, au bénéfice des autres catégories de personnes, dites économiquement faibles», Rapport au Régent… ( M.B ., 30 décembre 1944).

    19 «In het verslag aan de Regent […] wordt de Beveridge-doctrine van bevrijding van de armoede voor iedereen beleden […], maar meteen wordt aangekondigd dat voorlopig het stelsel alleen van toepassing zal zijn op de loonarbeiders, om later uitgebreid te worden tot de andere bevolkinsgroepen» in J. V

    AN

    L

    ANGENDONCK

    et J. P

    UT

    (dir.), Handboek Socialezekerheidsrecht, Antwerpen, Intersentia, 2006, no 113).

    20 J.-F. F

    UNCK

    , Droit de la sécurité sociale, Bruxelles, De Boeck-Larcier, 2006, no 10.

    21 Un Conseil supérieur de l’agriculture est créé le 21 février 1898.

    22 J. V

    AN

    L

    ANGENDONCK

    , «Aktuele betekenis van het verslag van de rijkscommissarissen over de hervorming van de sociale zekerheid (1951)», in P. V

    AN

    D

    ER

    V

    ORST

    (dir.), Cent ans de droit social belge, Bruxelles, Bruylant, 1986, pp. 473 à 485.

    23 M. M

    AGREZ

    , «Les plans de réforme du droit de la sécurité sociale», in P. V

    AN

    D

    ER

    V

    ORST

    (dir.), Cent ans de droit social belge, Bruxelles, Bruylant, 1986, p. 493.

    24 Du nom du président du Conseil supérieur des classes moyennes. Le groupe a été constitué à l’initiative du ministre des Classes moyennes par arrêté royal du 29 mars 1962.

    25 Revenus professionnels pour les pensions, critères d’aisance pour les allocations familiales, forfait par tranches de revenus en matière d’assurance soins de santé. Il n’en reste pas moins que le nouveau statut instauré par l’A.R. n o 38 laisse subsister sur le plan du calcul des cotisations la dichotomie entre, d’une part, le régime des prestations familiales et le régime des prestations de retraite et de survie, et, d’autre part, le régime de l’assurance contre la maladie et l’invalidité (voy. J. R

    AEMAEKERS

    , Le nouveau statut social des travailleurs indépendants, Bruxelles, Édition de services interbancaires, s.d., nos 34 à 43).

    26 J. V

    AN

    L

    ANGENDONCK

    et J. P

    UT

    , op. cit., no 1793.

    27 Rapport au Roi précédant l’A.R. n o 38 du 27 juillet 1967, Pasin ., 27 juillet 1967, p. 1002.

    28 Ibid.

    29 M. M

    AGREZ

    , op. cit., p. 494.

    30 J.-M. B

    ERGER

    , op. cit., p. 60.

    31 Sur cette notion et la division entre travail subordonné et travail indépendant, voy., dans cet ouvrage, J. C

    LESSE

    , «À propos du travail indépendant».

    32 La règle imposant une activité de dix-huit jours au moins par an, ayant suscité trop de litiges, a été abrogée.

    33 M. O

    SLET

    , «Le statut social et la programmation sociale en faveur des travailleurs indépendants», J.T.T., 1971, pp. 86 et 87.

    34 J. V

    AN

    L

    ANGENDONCK

    et J. P

    UT

    , op. cit., no 1796 : «[…] De bedoeling is duidelijk : men wil vermijden dat er een niemandsland zou ontstaan tussen de verschillende sociale statuten.»

    35 J.-F. F

    UNCK

    , op. cit., p. 430.

    36 Voy., dans cet ouvrage, S. G

    ILSON

    et C. W

    ATTECAMPS

    , «La notion de travailleurs indépendants».

    37 Rapport au Roi…, p. 1002.

    38 P. V

    AN

    D

    ER

    V

    ORST

    , op. cit., p. 100.

    La notion de travailleurs indépendants

    Céline W

    ATTECAMPS

    Avocate au barreau de Bruxelles

    Steve G

    ILSON

    Avocat au barreau de Namur

    Maître de conférences invité à la Faculté de droit de l’U.C.L.¹

    Chargé de cours à l’ICHEC

    Juge suppléant au Tribunal du travail de Namur

    Introduction

    Le but de notre modeste contribution est très limité². Il s’agit simplement de présenter de manière didactique et globale ce que l’on entend juridiquement par travailleur indépendant au sens de la sécurité sociale belge. La contribution se veut donc une introduction générale aux travaux de l’aprèsmidi d’étude organisée par le barreau de Tournai, et ce faisant, elle renverra largement vers les contributions spécifiques qui seront consacrées à toute une série de thèmes qui ne seront ici qu’effleurés. L’objectif est seulement de brosser à grands traits une vision la plus globale des principes généraux de l’assujettissement des travailleurs indépendants à la sécurité sociale belge.

    L’article 1er de l’arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1967 organisant le statut social des travailleurs indépendants précise qu’il organise un statut social en faveur des travailleurs indépendants et des aidants³.

    En ce qui concerne la définition des travailleurs indépendants, on peut se référer aux articles 3 à 5bis de l’arrêté royal n° 38, qui donne une définition générale, instaure et permet d’instaurer certaines présomptions, et prévoit quelques exclusions⁴.

    Chapitre 1

    Le critère de base : l’exercice d’une activité professionnelle en dehors d’un contrat de travail ou d’un statut

    L’arrêté royal n° 38 entend par « travailleur indépendant » toute personne physique qui exerce en Belgique une activité professionnelle en raison de laquelle elle n’est pas engagée dans les liens d’un contrat de travail ou d’un statut (art. 3, § 1er, alinéa 1er).

    Section 1

    L’activité doit être exercée par une personne physique

    Il en résulte que les personnes morales ne sont pas, comme telles, assujetties au statut social des travailleurs indépendants⁶. En revanche, les organes de ces personnes morales (administrateurs, gérants, etc.) sont, en principe, considérés comme étant des travailleurs indépendants et tenus de se conformer aux obligations prévues par l’arrêté royal (infra).

    Section 2

    L’activité doit être exercée en Belgique

    L’assujettissement à la sécurité sociale des travailleurs indépendants ne dépend pas de la nationalité ou du lieu de résidence de la personne, mais de la territorialité de l’activité. L’activité doit être exercée en Belgique. En règle générale, lorsque l’activité n’est pas exercée en Belgique par la personne, celle-ci ne sera pas assujettie au régime belge de sécurité sociale des travailleurs indépendants.

    Cette condition doit toutefois être examinée en tenant compte de la réglementation européenne sur la coordination des régimes de sécurité sociale⁸. L’assujettissement de principe d’une personne qui exerce une activité non salariée dans un État membre à la législation de cet État membre (lex loci laboris) est consacré par le règlement européen n° 883/2004. Des dérogations à ce principe sont prévues par le règlement. Par exemple, lorsque la personne exerce normalement une activité non salariée dans un État membre et part effectuer une activité semblable dans un autre État membre, elle demeure soumise à la législation du premier État membre si la durée prévisible de cette activité n’excède pas vingt-quatre mois. La personne qui exerce normalement une activité non salariée dans deux ou plusieurs États membres est, quant à elle, uniquement soumise à la législation de l’État membre de résidence, si elle exerce une partie substantielle de son activité dans cet État membre, ou à la législation de l’État membre dans lequel se situe le centre d’intérêt de ses activités, si la personne ne réside pas dans l’un des États membres où elle exerce une partie substantielle de son activité. Le règlement prévoit, en outre, que lorsque la personne exerce normalement une activité salariée et une activité non salariée dans différents États membres, elle est en principe soumise à la législation de l’État membre dans lequel elle exerce l’activité salariée⁹.

    En application du règlement européen n° 883/2004, une personne pourra donc être assujettie au régime belge de sécurité sociale des travailleurs indépendants alors qu’elle n’exerce pas son activité indépendante en Belgique, et inversement. Une telle situation pourrait également se présenter dans le cadre de l’application de conventions bilatérales de sécurité sociale conclues entre la Belgique et des États tiers à l’Union européenne, lesquelles prévoient souvent des règles semblables au règlement européen n° 883/2004 pour déterminer la législation applicable.

    Relevons, en outre, la dérogation particulière au principe d’assujettissement sur la base de la territorialité de l’activité prévue par la réglementation belge. L’article 3, § 1er, alinéa 4, de l’arrêté royal n° 38 stipule que les personnes désignées comme mandataires dans une société ou association assujettie à l’impôt belge des sociétés ou à l’impôt belge des non-résidents sont présumées, de manière irréfragable, exercer en Belgique une activité professionnelle en tant que travailleurs indépendants. Cette présomption irréfragable d’exercice en Belgique d’une activité indépendante a été invalidée par la Cour de justice de l’Union européenne, à tout le moins à l’égard des personnes qui exercent leur activité à partir d’un autre État membre que la Belgique. Dans un arrêt du 27 septembre 2012, la Cour a rappelé que la détermination du lieu d’exercice de l’activité, qui conditionne la désignation de la législation applicable et précède la qualification de l’activité en tant qu’activité salariée ou non salariée, relève du droit de l’Union et, par suite, de l’interprétation qu’en donne la Cour (infra). La Belgique ne peut donc pas considérer d’office qu’une activité est exercée sur son territoire. Selon la Cour, la notion de lieu d’exercice d’une activité doit être entendue « comme désignant le lieu où, concrètement, la personne concernée accomplit les actes liés à cette activité »¹⁰.

    En application de la définition retenue par la Cour de justice de l’Union européenne, sans préjudice de l’application éventuelle des dispositions particulières du règlement européen n° 883/2004 ou d’une convention bilatérale de sécurité sociale, on peut conclure que, lorsqu’une personne physique n’accomplit pas en Belgique, concrètement, les actes liés à l’activité professionnelle en raison de laquelle elle n’est pas engagée dans les liens d’un contrat de travail ou d’un statut, elle n’est pas assujettie au régime belge de sécurité sociale des travailleurs indépendants.

    Dans le même ordre d’idées, la Cour du travail de Liège avait décidé, dans un arrêt qui n’est pas récent, qu’un intermédiaire dans la vente de voitures de transit à des militaires belges en Allemagne n’était pas assujetti au régime belge de sécurité sociale des travailleurs indépendants, estimant qu’il n’y avait pas lieu d’accorder de l’importance au fait que l’intéressé restait domicilié en Belgique, mais n’y revenait qu’une fois par mois, ni de tenir compte de la nationalité belge de son mandant et de l’imposition de ses revenus en Belgique¹¹.

    Section 3

    L’activité exercée doit être professionnelle

    A. L’exercice d’une activité

    Il faut tout d’abord exercer une activité. Cet élément exclut d’emblée du champ d’application du régime les personnes bénéficiant de revenus qui ne sont pas le produit d’une activité (par exemple, les associés non actifs d’une société commerciale)¹².

    Il ne permet pas non plus l’assujettissement des personnes qui posent uniquement des actes préparatoires à une activité, comme l’inscription au registre de commerce, l’obtention d’un numéro de T.V.A., la déclaration d’affiliation à une caisse d’assurances sociales, etc.¹³.

    B. L’exercice d’une activité qui doit être professionnelle

    L’activité exercée doit être professionnelle.

    • L’exercice d’une activité dans un but de lucre

    La notion d’activité professionnelle suppose que l’activité soit exercée dans un but de lucre même si, en fait, elle ne produit pas de revenus¹⁴. Il est donc indifférent que l’activité exercée produise ou non effectivement des revenus professionnels¹⁵, ou que ses revenus soient modiques, ou encore soient acquis au cours d’un seul mois de l’année ou absorbés par les frais¹⁶.

    • L’exercice d’une activité habituelle

    Enfin, une activité, même exercée dans un but de lucre, ne peut être qualifiée de professionnelle que si elle est exercée de manière habituelle. Il n’y a pas de condition de durée minimale de l’activité, mais cela est abordé à travers la régularité de celle-ci et la notion d’activité occasionnelle. Il n’est pas nécessaire que le travail soit effectué de manière ininterrompue ou à temps plein¹⁷. Pour être qualifiée de professionnelle, l’activité doit présenter un caractère habituel, ce qui implique l’existence d’un ensemble d’opérations liées entre elles, répétées et accompagnées de démarches en vue de cette répétition¹⁸.

    Par conséquent, la personne qui offre en permanence ses services à la clientèle (enseigne, publicité, etc.) doit être considérée comme exerçant une activité de manière habituelle, quel que soit le nombre de prestations qui lui sont effectivement demandées¹⁹. Une cartomancienne qui place des annonces à cette fin doit être considérée comme exerçant une activité professionnelle indépendante dans la mesure où elle est de façon permanente et publique, par le biais des annonces qu’elle publie, à la disposition d’une clientèle potentielle²⁰. Pour l’artiste, la Cour du travail de Liège considère qu’il faut distinguer l’artiste qui produit pour vendre, alors même qu’il ne parviendrait pas à vendre une seule œuvre, de l’artiste qui ne vend une œuvre que très occasionnellement. Le premier est assujetti au statut social des travailleurs indépendants parce qu’il exerce une activité déployée dans un but lucratif et qui présente un caractère habituel, le second n’est, par contre, pas assujetti parce que l’acte est dans ce cas isolé non par un succès, mais parce que l’intention de la répétition de même que les démarches en vue de cette répétition font défaut²¹.

    C’est donc moins la nature de l’activité que l’intention dans laquelle elle est exercée et sa régularité qui détermineront le caractère professionnel de l’activité.

    C. Des conditions d’ordre public

    La législation relative à l’assujettissement au statut social des travailleurs indépendants est une législation d’ordre public qui impose, parmi les conditions d’assujettissement, l’exercice d’une activité professionnelle. Dès lors, si une activité n’est plus exercée, il n’y a plus lieu à assujettissement²², même si les formalités exigées par le droit commercial n’ont pas été remplies ou l’ont été tardivement²³.

    Rappelons à cet égard que, si c’est à la caisse d’assurances sociales d’apporter la preuve de l’assujettissement du travailleur indépendant, lorsque cette preuve est rapportée, c’est au travailleur indépendant à démontrer la cessation de son activité. L’article 8 de l’arrêté royal du 19 décembre 1967²⁴ lui impose de signaler à sa caisse, dans les quinze jours, appuyée d’une pièce officielle justificative, la cessation de toute activité de travailleur indépendant. Le manquement à cette formalité n’a toutefois pas pour conséquence le maintien de l’assujettissement. L’assujettissement au statut social des travailleurs indépendants prend fin à la date de cessation effective de l’activité et ne dépend pas de la réception du document de preuve par la caisse d’assurances sociales ou par l’INASTI²⁵.

    Section 4

    L’activité ne peut être exercée dans les liens d’un contrat de travail ou d’un statut

    L’application de l’arrêté royal n° 38 suppose, enfin, que l’activité professionnelle en cause ne soit pas exercée dans les liens d’un contrat de travail ou d’un statut²⁶.

    L’assujettissement à la sécurité sociale des indépendants se fait donc de manière subsidiaire par une définition en négatif : c’est l’activité professionnelle qui n’est pas exercée comme travailleur salarié.

    Section 5

    Double assujettissement

    La définition analysée ci-dessus a notamment pour conséquence qu’une personne qui exerce deux activités juridiquement distinctes (l’une en qualité de travailleur salarié et l’autre en qualité de travailleur indépendant) se trouve assujettie à la fois au régime de la sécurité sociale des travailleurs salariés et à celui des travailleurs indépendants.

    La personne qui exerce son activité de travailleur indépendant à titre complémentaire bénéficie cependant d’un régime particulier en matière de cotisations, pour autant que les revenus de cette activité ne dépassent pas certains montants.

    D’autre part, le double assujettissement n’implique pas le cumul des prestations prévues par les deux régimes²⁷.

    Chapitre 2

    Les présomptions : les hypothèses dans lesquelles une personne est présumée exercer (ou ne pas exercer) une activité indépendante

    L’arrêté royal n° 38, la loi-programme du 27 décembre 2006 et l’arrêté royal du 19 décembre 1967 édictent diverses présomptions relatives à l’exercice d’une activité de travailleur indépendant :

    une présomption d’assujettissement découlant de la qualification fiscale des revenus (section 1) ;

    deux présomptions d’assujettissement liées à la qualité de mandataire de société (section 2) ;

    une présomption d’assujettissement dans certains secteurs d’activités particuliers lorsqu’un certain nombre de critères définis ne sont pas présents (section 3) ;

    une présomption de non-assujettissement lorsqu’en vertu d’une extension du régime de sécurité sociale des travailleurs salariés, l’intéressé est présumé être engagé dans les liens d’un contrat de travail (section 4).

        On notera incidemment que les présomptions de contrat de travail peuvent avoir une incidence dès lors que la définition négative du régime des indépendants exclut les personnes engagées sans contrat de travail.

    Section 1

    La présomption fiscale

    A. Principes

    Toute personne qui exerce en Belgique une activité professionnelle susceptible de produire des revenus visés à l’article 23, § 1er, 1° ou 2°, ou à l’article 30, 2°, du Code des impôts sur les revenus 1992 (C.I.R. 92)²⁸ est présumée, jusqu’à preuve du contraire, se trouver dans les conditions d’assujettissement au régime des travailleurs indépendants (art. 3, § 1er, alinéa 2, de l’arrêté royal n° 38)²⁹.

    Cette présomption a pour but de faciliter l’identification des travailleurs indépendants. Elle ne vaut cependant que jusqu’à preuve du contraire.

    B. La primauté du critère socio-économique

    La Cour de cassation a admis que le critère fiscal n’était pas absolu et a reconnu la primauté du critère « socio-économique » ou « sociologique »³⁰ sur le critère fiscal. Ce dernier n’entrera en considération que dans la mesure où il n’est pas contredit par la réalité sociologique.

    La personne en cause est ainsi admise à prouver que, nonobstant le régime fiscal applicable aux revenus que son activité est susceptible de produire, elle ne répond pas à la notion de travailleur indépendant telle que définie à l’article 3, § 1er, alinéa 1er, de l’arrêté royal n° 38³¹. En principe, l’intéressé peut donc démontrer :

    soit qu’il n’exerce pas son activité en Belgique (sans préjudice de l’application éventuelle des dispositions particulières du règlement européen n° 883/2004 ou d’une convention bilatérale de sécurité sociale) ;

    soit qu’il n’exerce pas ou plus d’activité ;

    soit qu’il n’exerce pas cette activité dans un but de lucre ;

    soit qu’il n’exerce pas cette activité de manière habituelle ;

    soit qu’il est lié pour cette activité par un contrat de travail ou un statut.

    C. Le pouvoir des juridictions du travail pour décider de l’exercice d’une activité professionnelle

    Les juridictions du travail sont seules compétentes pour décider qu’une personne a exercé une activité professionnelle au sens de la législation relative au statut social des travailleurs indépendants sans qu’ait à cet égard la moindre incidence le fait que l’administration fiscale ait décidé de l’attribution de revenus auxquels elle donne la qualification de revenus professionnels³².

    C’est ainsi, par exemple, que l’achat et la vente d’immeubles, effectués par un particulier dans le cadre de la gestion de son propre patrimoine, ne constituent pas une activité professionnelle : il importe peu que, du point de vue fiscal, ces opérations aient été considérées comme constituant l’exercice d’une telle activité³³. La jouissance d’une voiture que la société familiale a laissée à la disposition d’un mandataire de société ne peut constituer la preuve irréfutable de l’exercice d’une activité, même si l’administration fiscale a qualifié de professionnel cet avantage : ce n’est pas parce qu’un associé jouit d’un avantage que celui-ci constitue une preuve absolue de l’exercice d’une activité au sein de la société³⁴. Lorsqu’une société n’a plus eu d’activité commerciale depuis de nombreuses années, son administrateur n’a pas exercé une activité susceptible de l’assujettir au statut social, même si l’administration fiscale a taxé des revenus professionnels dans le chef de ce dernier à la suite de l’existence d’un compte courant dans la société³⁵.

    D. Incise : le pouvoir des juridictions du travail pour décider de la base de calcul des cotisations sociales

    Par contre, la question de savoir si et dans quelle mesure les juridictions du travail sont liées par les décisions de l’Administration des contributions directes pour le calcul des cotisations de sécurité sociale dues par le travailleur indépendant, dont l’assujettissement est reconnu ou n’est pas contesté, est controversée³⁶. La Cour de cassation a considéré, à plusieurs reprises, que les juridictions du travail ne peuvent remettre en question ni le montant des revenus professionnels fixés conformément à la législation relative à l’impôt sur les revenus ni la qualification de ces revenus sur la base de laquelle a été enrôlé l’impôt³⁷. Certaines critiques peuvent toutefois être formulées à l’encontre de la jurisprudence de la Cour de cassation, comme expliqué à juste titre par J.-Fr. Neven³⁸.

    Section 2

    Les présomptions liées à la qualité de mandataire de société

    ³⁹

    En ce qui concerne les mandataires de sociétés, il existe, en outre, deux présomptions légales :

    la première est érigée par l’article 2 de l’arrêté royal du 19 décembre 1967 portant règlement général en exécution de l’arrêté royal n° 38, qui dispose que « l’exercice d’un mandat dans une association, ou une société de droit ou de fait qui se livre à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif est, de manière irréfragable, présumé constituer l’exercice d’une activité entraînant l’assujettissement au statut social des travailleurs indépendants » ;

    la seconde est consacrée par l’article 3, § 1er, alinéa 4, de l’arrêté royal n° 38 qui prévoit que les « personnes désignées comme mandataires dans une société ou association assujettie à l’impôt belge des sociétés ou à l’impôt belge des non-résidents sont présumées, de manière irréfragable, exercer, en Belgique, une activité professionnelle en tant

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