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Droit de la sécurité sociale
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Livre électronique1 187 pages13 heures

Droit de la sécurité sociale

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À propos de ce livre électronique

La sécurité sociale fait partie de notre quotidien. Elle est considérée comme un des piliers sur lesquels repose notre société. Et pourtant, les citoyens sont souvent perdus dans le dédale de sa réglementation. L’objectif de l’ouvrage est de présenter de manière claire les règles d’organisation de la sécurité sociale et les droits et obligations des assurés sociaux. Il s’ouvre sur une étude transversale des grands principes juridiques applicables à l’ensemble du système. Il examine ensuite, secteurs par secteurs, les trois grands régimes de la sécurité sociale (travailleurs salariés, travailleurs indépendants et agents des services publics) et les prestations des régimes non contributifs (revenu d’intégration, prestationspour personnes handicapées, etc.). L’étude ne se borne pas à une litanie de règles. Celles-ci sont illustrées par des exemples et par des indications sur les grandes orientations de la jurisprudence.
Dès lors, l’ouvrage s’adresse aux juristes, spécialisés ou non, mais aussi à tous ceux qui, sur le terrain, confrontés à des réalités souvent complexes, tentent de se débrouiller pour garantir à chacun les fruits de la solidarité.
Les logiques sous-jacentes, les principes de base, les notions permanentes et les choix politiques permettent de comprendre ou d’interpréter. L’objectif de l’ouvrage est de présenter de manière claire les règles d’organisation de la sécurité sociale et les droits et obligations des assurés sociaux. Il s’ouvre sur une étude transversale des grands principes
juridiques applicables à l’ensemble du système. Il examine ensuite, secteur par secteur, les trois grands régimes de la sécurité sociale (salariés, indépendants et agents des services publics) et les prestations des régimes non contributifs.
LangueFrançais
Date de sortie3 mars 2014
ISBN9782804460716
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    Aperçu du livre

    Droit de la sécurité sociale - Jean-François Funck

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    Cette version numérique de l’ouvrage a été réalisée pour le Groupe Larcier. Nous vous remercions de respecter la propriété littéraire et artistique. Le « photoco-pillage » menace l’avenir du livre.

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    © Groupe Larcier s.a., 2014

    Éditions Bruylant

    Rue des Minimes, 39 • B-1000 Bruxelles

    Tous droits réservés pour tous pays.

    Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent ouvrage, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.

    ISBN 978-2-8044-6071-6

    DROIT ACTUEL

    Collection dirigée par Christian Panier, ancien magistrat

    Balate E. de Patoul F., Dejemeppe P., Le droit du crédit à la consommation

    Bouvier Ph., Éléments de droit administratif, 2e édition

    De Brouwer L., Le droit des promotions commerciales, 2e éditions

    De Valkeneer C., Le droit de la police. La loi, l’institution et la société

    Duelz A., Le droit du divorce, 3e édition

    Funck J.-F., Droit de la sécurité sociale

    Guyot C., Le droit du tourisme

    Leleu Y.-H., Le droit médical. Aspects juridiques de la relation médecin-patient

    Louveaux B., Le droit du bail commercial

    Louveaux B., Le droit du bail. Régime général

    Louveaux B., Le droit du bail de résidence principale

    Louveaux B., Le droit de l’urbanisme. En Belgique et dans ses régions

    Paternostre B., Le droit de la rupture du contrat de travail. Modes, congé et préavis

    Silance L., Les sports et le droit

    Avant-propos

    La sécurité sociale constitue aujourd’hui l’un des piliers essentiels de notre société. La plupart des citoyens y ont recours comme si elle existait depuis toujours, alors qu’elle est née voici septante ans seulement.

    Paradoxalement, alors qu’elle est tellement ancrée dans la vie quotidienne, ses règles d’organisation et ses institutions sont perçues comme obscures et complexes. Il est vrai que, dans le dédale des réglementations, le citoyen a quelques raisons de se perdre : les textes légaux sont peu lisibles, les modifications incessantes, les règles souvent très techniques et détaillées.

    Dans un contexte légal aussi mouvant¹, rédiger un ouvrage sur le droit de la sécurité sociale relève de la gageure. Une présentation très générale n’aurait pas une grande utilité pour les personnes auxquelles l’ouvrage s’adresse : juristes, travailleurs sociaux, travailleurs du milieu associatif ou syndical, agents des services publics, et plus généralement citoyens intéressés par ces problématiques. Par contre, si un exposé plus détaillé est envisagé, les difficultés commencent. Comme Pénélope, l’auteur risque d’être sans cesse contraint de retisser sa toile et, comme Sisyphe, de reprendre éternellement l’ouvrage, à peine achevé.

    Dans la mesure du possible, le présent ouvrage tente de naviguer entre ces écueils.

    Si le droit de la sécurité sociale est complexe, il ne constitue pas pour autant une sorte de fatras de règles qui s’accumuleraient pêle-mêle. Il existe des logiques sous-jacentes, des principes de base, des notions permanentes et aussi des choix politiques, qui permettent de comprendre ou d’interpréter. L’ouvrage porte donc sur les grandes règles qui organisent le fonctionnement du système de sécurité sociale, les conditions permettant de bénéficier des prestations sociales et les modalités de ces prestations. Il contient également des indications sur la manière dont ces règles sont interprétées, par référence aux décisions des plus importantes juridictions. À l’occasion, des exemples sont donnés, sur la base de décisions de juridictions de fond.

    Dès lors, le praticien à la recherche d’une solution à la situation très particulière dont il est saisi ne trouvera peut-être pas ici une réponse précise. J’espère qu’à tout le moins, l’ouvrage lui ouvrira des pistes.

    Pour la première édition, j’ai pu bénéficier de la relecture et des commentaires de Mireille Delange, conseillère à la Cour de cassation, Michel Dumont, président de chambre à la Cour du travail de Liège et Philippe Versailles, avocat au Barreau de Namur. Pour la seconde édition, Laurence Markey a pris en charge la rédaction de la partie consacrée aux agents des services publics.

    Jean-François Funck

    1. L’ouvrage porte sur la législation arrêtée au 31 décembre 2013.

    TITRE I

    Introduction

    Chapitre I

    Les caractéristiques du système belge de sécurité sociale

    1. L’actuel système belge de sécurité sociale a été élaboré au sortir de la seconde guerre mondiale. Ses principes de base furent énoncés dans l’arrêté-loi du 28 décembre 1944 (section 1). Par nature, la sécurité sociale est néanmoins indissociablement liée au développement économique et social. En outre, elle s’adapte aux changements sociologiques et à la manière dont le travail, la vie privée, la place de chacun dans la société sont conçus et évoluent (section 2).

    Section 1. La conception de base

    2. La sécurité sociale est essentiellement :

    – un système d’assurance ;

    – une assurance fondée sur la solidarité ;

    – une assurance obligatoire.

    § 1. Un système d’assurance

    A) Principes

    3. Traditionnellement, l’on distingue deux manières de concevoir la sécurité sociale :

    1° Le modèle de « Bismarck » : l’objectif de la sécurité sociale est de fournir aux travailleurs une assurance contre les risques liés à la perte de leur travail. Le système est donc financé par les travailleurs et les employeurs. Il est destiné aux travailleurs.

    2° Le modèle de « Beveridge » : l’objectif de la sécurité sociale est d’assurer un revenu vital à tous. Le droit aux prestations est donc accordé aux citoyens d’un État, sans lien avec leur qualité de travailleur.

    Le Chancelier Von Bismarck est l’initiateur des lois qui, à partir de 1883, ont institué un système de sécurité sociale en Allemagne. Ce pays fut le premier, en Europe, à organiser une telle protection sociale.

    Lord Beveridge dirigea en Grande-Bretagne, à partir de 1941, une commission parlementaire chargée de proposer un système de sécurité sociale à créer après la fin de la guerre. Le plan Beveridge, d’inspiration keynésienne, est à la base de la législation en la matière dans ce pays.

    En Belgique, le système de sécurité sociale s’inscrit, à l’origine, dans la tradition « bismarckienne ». Il est essentiellement conçu comme « assurance » :

    1° Il couvre les travailleurs et leurs familles contre les conséquences de la perte du travail, c’est-à-dire en cas de chômage, d’incapacité de travail, de décès du travailleur, d’arrivée à l’âge de la retraite.

    2° Il est financé par les cotisations sociales payées par les travailleurs et les employeurs.

    3° Il est ouvert aux personnes qui ont participé à son financement, c’est-à-dire qui ont travaillé et cotisé durant une période suffisante.

    4° Il est géré par les représentants des travailleurs et des employeurs.

    Le « principe d’assurance » induit des conséquences sur la nature du droit aux prestations et sur l’obligation de cotisation.

    D’une part, les prestations sont la contrepartie de la participation au financement du système. En principe, l’ouverture du droit n’est donc soumise qu’à deux questions : le travailleur a-t-il suffisamment participé au financement ? Le risque s’est-il réalisé ? Certes, les modalités de ce droit sont très nombreuses. Mais, conçu de la sorte, le système ne prend pas en considération des conditions liées soit au mérite, soit à l’état de besoin.

    D’autre part, le paiement des cotisations garantit l’intervention de l’assurance en cas de survenance du risque couvert. Il ouvre le droit aux prestations. Il en va de même pour des primes dans le cadre d’assurances privées. Dès lors, le travailleur qui a payé ses cotisations peut faire valoir un droit subjectif à la prestation sociale, telle qu’elle est organisée par la législation. Par contre, il ne dispose pas d’un droit subjectif sur les cotisations : il ne peut prétendre ni à leur restitution, ni à une prestation équivalente aux cotisations payées.

    L’évolution du système de protection sociale conduira à l’intégration de notions étrangères à ce principe d’assurance¹. Ainsi, à titre résiduaire, des régimes seront introduits qui subordonnent leur intervention à la preuve d’un état de besoin. La nature de ces régimes « non contributifs » les distingue cependant fondamentalement de ceux qui relèvent de la sécurité sociale au sens strict : en effet, ils sont financés par l’impôt et ne sont pas soumis à une condition de travail préalable.

    B) Exceptions

    Ces principes ne sont pas absolus. En effet, même à l’origine, certaines prestations ont été intégrées dans la sécurité sociale sans constituer la couverture d’un risque.

    Ainsi, le régime des prestations familiales constitue l’organisation d’une solidarité de la collectivité en faveur des travailleurs ayant charge de famille. Pour ces travailleurs, plutôt que de prévoir des majorations de salaires, qui ne seraient à charge que de leurs seuls employeurs, une solidarité entre employeurs est organisée. Elle permet d’éviter les discriminations à l’embauche qu’induirait un système lié au salaire. La même logique est à l’œuvre dans l’institution d’une assurance « maternité ».

    § 2. Un système de solidarité

    4. Le principe de « solidarité » distingue la sécurité sociale des assurances privées. Il se caractérise par les règles suivantes :

    1° La cotisation est proportionnelle à la rémunération : la contribution des revenus plus élevés est donc plus importante.

    2° Le montant de la cotisation ne dépend pas de la probabilité de la survenance du risque. Ainsi, la contribution financière au régime d’assurance « soins de santé et indemnités »² n’est pas dépendante de l’état de santé ; la contribution au régime de pension n’est pas liée à l’âge ou à la durée probable de vie ; la contribution au régime du chômage n’est pas modifiée selon les qualifications du travailleur ou le secteur dans lequel il exerce son travail. À l’inverse, les assurances privées sont basées sur une logique de profit. Dès lors, l’assureur veille à maximiser ses bénéfices et à réduire les hypothèses dans lesquelles il devrait intervenir. Plus la probabilité de réalisation du risque est importante, plus la prime à payer par l’assuré est élevée.

    Par exemple :

    Pour une assurance-vie, le montant de la prime dépend de l’état de santé de l’assuré. Si la durée de vie probable est importante, la période de paiement de la prime sera longue. Par contre, si la durée estimée de vie est courte, les paiements risquent d’être moins nombreux : l’assureur augmente donc sa prime.

    Il en va de même pour une assurance hospitalisation : si l’assuré est en bonne santé, la probabilité d’intervention de l’assureur diminue.

    Cette caractéristique des systèmes de sécurité sociale est un facteur considérable de solidarité : la protection sociale est garantie sans prise en considération de la santé, de la richesse, de l’origine sociale ou des compétences professionnelles de l’assuré.

    3° L’étendue des prestations ne dépend que partiellement de l’impor­tance de la contribution financière.

    Sur ce point, un équilibre délicat doit être réalisé. C’est que l’objectif louable de solidarité ne doit pas avoir pour effet de supprimer la légitimité du système aux yeux des bénéficiaires de hauts revenus. Le risque serait grand qu’ils exercent une pression pour leur permettre de quitter – partiellement ou totalement – le système de sécurité sociale afin de s’adresser à des assurances privées.

    Certaines prestations sont accordées sans aucune prise en considération de la contribution de l’assuré social. À l’inverse, pour des raisons sociales, certaines prestations seront parfois plus élevées pour les faibles revenus.

    Par exemple, les interventions dans le régime général de l’assurance « soins de santé » sont identiques quels que soient les revenus. Un régime préférentiel est prévu pour les faibles revenus.

    Cependant, les montants de la plupart des revenus de remplacement sont liés au montant de la rémunération perçue avant la survenance du risque : chômage, « invalidité » et « maternité », pensions de retraite et de survie, accidents du travail et maladies professionnelles. Le principe de solidarité se manifeste par la limitation de la rémunération prise en considération à un « plafond ».

    § 3. Un système obligatoire

    5. L’assujettissement à la sécurité sociale n’est pas libre. Sous réserve de quelques rares exceptions, l’exercice d’une activité professionnelle en Belgique entraîne automatiquement et obligatoirement l’appartenance à l’un des régimes de sécurité sociale.

    Ce principe est en opposition avec l’idéologie libérale en vogue durant tout le XIXe siècle. Celle-ci peut être ainsi résumée : « Personne ne peut se décharger sur un autre du poids de son existence, des coups du sort ou des malheurs qu’il peut subir … Chacun est supposé être responsable de son sort, de sa vie, de sa destinée »³.

    C’est dire le temps qui sera nécessaire pour faire advenir l’idée d’un système obligatoire. Elle sera finalement admise, après qu’ait été constaté l’échec de tous les systèmes libres, mêmes subsidiés par les pouvoirs publics.

    Elle apparaît désormais comme un pendant indispensable du principe de solidarité.

    Section 2. L’évolution

    § 1. Avant 1945

    Le présent ouvrage n’est pas un travail d’historien. Je renvoie dès lors aux études réalisées par des personnes plus compétentes⁴.

    6. Le droit de la sécurité sociale est essentiellement lié à son histoire. Le système actuel en porte de multiples traces. Et dans la mémoire collective, demeure ancrée l’idée d’une protection obtenue, arrachée, de haute lutte.

    Car la sécurité sociale n’est pas un système de protection qui résulterait d’une évolution naturelle des sociétés. Elle est la conséquence d’un système économique – le capitalisme – et politique – le libéralisme. Mais elle s’est construite aussi contre ce système.

    7. De manière très schématique, l’on peut dire de la protection sociale sous l’Ancien Régime qu’elle fonctionne sous le mode d’une « protection rapprochée »⁵ : un réseau centré autour de la famille et de la communauté et organisant des solidarités, conçues comme naturelles. Dans la société féodale, s’ajoute la protection due par le seigneur à l’égard des personnes qui relèvent de sa juridiction.

    « Chaque individu se trouve ainsi pris dans un réseau complexe d’échanges inégaux qui le soumet à des obligations et lui procure des protections en fonction de cet organigramme à double entrée : la dépendance par rapport au seigneur ecclésiastique ou laïc, l’inscription dans le système des solidarités et des contraintes du lignage et du voisinage »⁶.

    Dans ce modèle, l’institution du mariage est essentielle car elle assure l’intégration de l’individu au groupe et donc la sécurité en son sein.

    Si l’insécurité est partie prenante de la vie, elle résulte essentiellement de facteurs externes à la communauté : guerres, circonstances atmosphériques, épidémies, … Quant aux mendiants et vagabonds, ils sont précisément perçus comme ceux qui ont rompu l’appartenance à la communauté et qui représentent dès lors, pour elle, un danger.

    8. Dans les centres industriels, l’avènement du capitalisme à la fin du XVIIIe siècle met fin progressivement aux protections rapprochées. Avec l’industrialisation, l’ouvrier se vend, c’est-à-dire vend sa force de travail, dans un rapport exclusivement bilatéral entre lui-même et l’employeur. Le travail se transforme en une marchandise : en échange, le travailleur reçoit un salaire, le plus souvent insuffisant pour assurer la subsistance de sa famille. Quoique l’état misérable de la classe ouvrière soit bien connu, la doctrine libérale interdit toute intervention étatique en vue d’organiser la protection sociale.

    Cette doctrine fondée sur la responsabilité individuelle est ainsi résumée par A. Thiers en 1848 : « Le principe fondamental de toute société, c’est que chaque homme est chargé de pourvoir lui-même à ses besoins et à ceux de sa famille par ses ressources acquises ou transmises. Sans ce principe toute activité cesserait dans une société, car si l’homme pouvait compter sur un autre travail que le sien pour subsister, il s’en reposerait volontiers sur autrui des soins et des difficultés de la vie »⁷.

    Cette doctrine traverse tout le XIXe siècle. Malgré une pauvreté de masse, elle n’offre que deux solutions pour se protéger contre les aléas de la vie : soit l’épargne individuelle, soit l’assistance, publique ou privée. L’épargne est, évidemment, une illusion pour des travailleurs dont les salaires ne permettent déjà pas de couvrir les besoins élémentaires du quotidien. L’assistance est moralisatrice et culpabilisante.

    Petit à petit, des systèmes de solidarité s’organisent au sein de certaines professions, ou à l’instigation des organisations syndicales naissantes. Des fonds sont financés par les travailleurs eux-mêmes. Ils sont fragiles car disposent de ressources peu élevées. Il s’agit cependant des premières ébauches de ce qui deviendra, plus tard, un système de sécurité sociale.

    À la fin du XIXe siècle, la « question sociale » est politiquement reconnue. Elle requiert des mesures concrètes. La classe ouvrière commence à s’organiser. Des mouvements sociaux se multiplient. Si, dans certains pays – l’Allemagne par exemple – une sécurité sociale est instituée, sous la forme d’assurances obligatoires, le gouvernement belge en reste à un système dit de « liberté subsidiée » : des sociétés de secours mutuels offrent des assurances sociales aux travailleurs qui font le choix de s’y affilier ; ces sociétés sont subventionnées par les pouvoirs publics. Des réseaux d’organisations sociales sont ainsi encouragés, autour des piliers idéologiques propres à la Belgique : catholiques, socialistes, libéraux. Ces organisations (syndicats, mutuelles, …) conserveront un rôle essentiel après 1’institution du système de sécurité sociale en 1944.

    9. Dès le début du XXe siècle, une première avancée sociale se manifeste : le vote en 1903 de la loi instituant une assurance obligatoire contre les accidents du travail.

    De même, en matière de pension de retraite et de survie, des régimes obligatoires sont progressivement instaurés, dès lors que le système des livrets de retraite, facultatifs et individuels, s’est soldé par un échec : loi du 5 juin 1911 pour les ouvriers mineurs, loi du 10 décembre 1924 pour les autres ouvriers, loi du 10 mars 1925 pour les employés.

    En matière d’allocations familiales également, une loi du 4 août 1930 introduit l’obligation de paiement de ces prestations, à charge de caisses de compensation créées par les employeurs.

    Lorsque survient la seconde guerre mondiale, deux domaines restent non réglés malgré les nombreuses discussions et propositions : l’assurance chômage et l’assurance contre la maladie et l’invalidité.

    § 2. L’arrêté-loi du 28 décembre 1944

    10. Durant la seconde guerre mondiale, des responsables des principales organisations patronales et syndicales négocient discrètement les réformes sociales à mettre en œuvre lorsque viendra le jour de la reconstruction. Ils concluent un accord (le « Pacte social »), qui est repris ensuite par le gouvernement. L’arrêté-loi du 28 décembre 1944 est promulgué. Il est considéré comme le texte fondateur de l’actuelle sécurité sociale. Les nouveautés résultant de cet arrêté-loi sont de trois ordres :

    – la création d’une institution centralisant la gestion des ressources de la sécurité sociale (l’O.N.S.S.) ;

    – l’instauration d’une cotisation sociale obligatoire et retenue à la source sur la rémunération des travailleurs ;

    – la naissance de régimes obligatoires d’assurance contre le chômage et d’assurance maladie-invalidité.

    L’assurance « pension » et le système des allocations familiales sont intégrés dans ce système.

    § 3. De 1945 à 1975

    11. Le régime instauré à partir de 1945 concerne les travailleurs salariés. Le développement économique des trente années qui suivent la fin de la seconde guerre est accompagné de revendications en vue d’étendre la protection sociale à une plus grande partie de la population⁸. Ces revendications sont traduites sur le terrain politique.

    Un régime de sécurité sociale va petit à petit se construire pour les travailleurs indépendants :

    – une assurance pension obligatoire (L. 30 juin 1956) ;

    – une assurance soins de santé obligatoire, mais limitée (A.R. 30 juillet 1964) ;

    – une assurance contre l’incapacité de travail (A.R. 20 juillet 1971).

    Par ailleurs, la pratique du modèle « bismarckien » de sécurité sociale révèle qu’un nombre important de personnes sont laissées sans protection sociale car elles ne peuvent revendiquer la qualité de travailleur. Le système de sécurité sociale est dès lors étendu, partiellement ou entièrement, à des personnes qui exercent un travail similaire à un travail salarié. Diverses catégories supplémentaires son ainsi protégées : personnel domestique, apprentis, travailleurs intérimaires, sportifs, personnes handicapées, etc.

    Le secteur des « soins de santé » offre un exemple caractéristique de ce mouvement : d’une logique de protection des travailleurs salariés, l’on évolue progressivement vers une universalisation de la couverture en vue de garantir à tous l’accès aux soins de santé.

    Dans le secteur des allocations familiales, même si les prestations ne sont pas encore légalement reconnues comme étant un « droit de l’enfant », c’est à tout le moins cette logique qui est à l’œuvre, dès lors que les hypothèses d’ouverture du droit ont été considérablement élargies.

    Ainsi, petit à petit, sont intégrés des objectifs tirés du modèle de Beveridge : la volonté est de garantir une certaine sécurité à toute la population. La nature du système évolue dès lors. D’une part, des prestations sociales sont instituées au profit de personnes qui n’ont pas nécessairement participé à leur financement. D’autre part, dans ces systèmes, il ne s’agit plus tant d’assurer le travailleur contre la perte d’un travail, mais de garantir un revenu minimal à des personnes qui n’en disposent pas. Divers régimes dits « non contributifs » sont ainsi créés :

    – revenu garanti aux personnes âgées (L. 1er avril 1969)⁹ ;

    – allocations aux personnes handicapées (L. 27 juin 1969)¹⁰ ;

    – prestations familiales garanties (L. 20 juillet 1971) ;

    – minimum de moyens d’existence (L. 7 août 1974).

    Cette évolution se marque même dans des secteurs où le lien avec le travail est en principe particulièrement fort, tel que, par exemple, celui de l’assurance « chômage ». Ainsi, un système d’allocations de chômage est-il constitué au profit de personnes qui n’ont pas du tout cotisé puisqu’elles ne sont pas encore intégrées dans le circuit du travail : des allocations d’insertion sont payées aux anciens étudiants à la recherche d’un emploi.

    § 4. À partir de 1975

    A) Modification du contexte économique

    12. Le système de sécurité sociale de 1945 est élaboré dans le contexte économique d’une société en reconstruction et en croissance.

    Avec le premier choc pétrolier de 1973, commence une longue période de récession économique. Un chômage de masse apparaît. L’équilibre financier de la sécurité sociale est directement atteint : le nombre de cotisants diminue tandis que la demande d’allocations sociales (notamment de chômage) croît. L’État, lui-même confronté à un grave déficit de son budget, réduit considérablement son intervention financière dans la sécurité sociale.

    Dès sa création en 1945, le système de la sécurité sociale était financé par les cotisations des travailleurs et des employeurs, ainsi que par une subvention de l’État. À l’époque, les taux des cotisations étaient les suivants :

    – pour les employeurs : 15,5 % du salaire des ouvriers et 15,25 % du salaire des employés ;

    – pour les travailleurs : 8 % du salaire pour les ouvriers et 8,25 % du salaire pour les employés.

    La participation de l’État consistait en une subvention représentant 4 % de l’ensemble des salaires¹¹ et destinée à un fonds de soutien en faveur des chômeurs.

    La part de l’État va croître au fil des années, passant, pour l’ensemble des recettes de la sécurité sociale, de 28 % en 1953 à 34 % en 1980. À partir de 1981, un mouvement en sens inverse s’opère, le Gouvernement estimant que le budget de la sécurité sociale doit participer à l’effort d’assainissement du budget de l’État. La loi du 29 juin 1981 fixe, par secteurs, les critères déterminant la part d’intervention financière de l’État. Régulièrement cependant, des lois seront adoptées, fixant pour l’État une participation inférieure à celle qui était en principe prévue¹².

    Celle-ci diminue, pour atteindre, en 1992, 17,4 % de l’ensemble des recettes. Pour compenser le manque à gagner résultant du désengagement de l’État, un « Fonds pour l’équilibre financier de la sécurité sociale » est créé. Ce Fonds est notamment alimenté par le produit de la modération salariale, c’est-à-dire le blocage ou la non-indexation des salaires des travailleurs. Ces ressources sont affectées aux secteurs qui présentent un déficit.

    Les mesures visant à combler le déficit budgétaire ont des effets pervers : ainsi l’augmentation du montant des cotisations sociales rend le coût du travail plus élevé et décourage la création d’emplois. Les employeurs font valoir que le coût du travail, résultant en partie de la charge des cotisations sociales, met en péril la compétitivité des entreprises dans un contexte économique marqué par la mondialisation de l’économie et l’augmentation de la concurrence. Les organisations syndicales répliquent quant à elles que ce raisonnement, tenu isolément par chaque gouvernement européen, risque de créer une escalade dans la réduction des cotisations sociales et entraînerait une diminution en cascade des recettes de la sécurité sociale, et donc de la protection sociale.

    Dans le même temps, le développement des technologies permet de remplacer le travail humain – essentiellement manuel – par des machines. La demande en main-d’œuvre peu qualifiée diminue. Les grandes industries manufacturières licencient en grand nombre et les travailleurs formés au sein de ces entreprises ont peu de possibilités de reconversion. Le nombre de travailleurs sur le marché étant trop élevé au regard de la demande, l’insertion des jeunes sur le marché du travail est considérée comme prioritaire. À cet égard, le système de sécurité sociale est utilisé comme outil pour tenter de mener une politique de l’emploi : des mesures sont prises pour assurer une protection renforcée aux travailleurs âgés licenciés et permettre leur sortie anticipée du marché du travail ; à l’inverse, à titre d’incitant pour les employeurs, toute une série de réductions de cotisations sociales sont accordées en vue d’encourager l’engagement de certaines catégories de travailleurs, tels les jeunes.

    Certaines mesures sont adoptées en vue de limiter le coût du travail par la réduction des cotisations sociales sur certains salaires.

    Ces réductions de cotisations sociales constituent pour les pouvoirs publics une forme de politique visant à encourager l’engagement de certains travailleurs : chômeurs de longue durée, travailleurs considérés comme « difficiles à placer », travailleurs bénéficiant de bas salaires ... De multiples plans et formules de réduction des cotisations sont mis en œuvre au point que le non-initié rencontre de grandes difficultés à s’y retrouver dans ce maquis législatif.

    Enfin, la réduction des prestations sociales ou les conditions plus restrictives pour leur octroi a pour effet d’exclure de certaines prestations un nombre plus élevé de personnes, qui relèvent alors des régimes résiduaires soumis à un contrôle social renforcé.

    Au début des années nonante, apparaît la nécessité de procéder à un « financement alternatif » de la sécurité sociale. Le Gouvernement estime que l’imposition de cotisations sociales trop importantes décourage l’engagement de travailleurs, alors que le chômage est très élevé.

    Le financement alternatif consiste à rechercher des ressources pour la sécurité sociale par d’autres contributions que celles des travailleurs et des employeurs. Il est entamé à partir de 1993 avec la création de la taxe sur l’énergie et la « contribution complémentaire de crise » affectant les revenus élevés. Ces ressources sont affectées au Fonds pour l’équilibre financier de la sécurité sociale. Il se poursuit ensuite : certaines recettes fiscales (augmentation de la T.V.A. et des accises, modifications du régime de fiscalité des revenus mobiliers et immobiliers ...) reçoivent la même destination.

    Depuis 2001, une part des recettes de la T.V.A. et la totalité des recettes de l’impôt affectant les options sur actions sont affectées au budget de la sécurité sociale.

    En 2002, dans le régime des salariés, les recettes étaient les sui-vantes :

    – total des cotisations : 32 milliards 292 millions € (73 %) ;

    – contribution de l’État : 5 milliards 123 millions € (12 %) ;

    – financement alternatif : 4 milliards 340 millions € ;

    – autres : 2 milliards 644 millions € ;

    – total : 44 milliards 402 millions €.

    En 2006, 15 % des revenus du précompte mobilier sont attribués au budget de la sécurité sociale. La part du produit des accises affectée au financement de l’assurance soins de santé est augmentée. Le législateur inscrit dans la loi pour 2007 le principe du transfert des gains dans la fiscalité des entreprises résultant des réductions de cotisations sociales.

    B) Modification du modèle familial

    13. Le système de sécurité sociale de 1945 est élaboré sur la base d’un modèle familial : celui de la famille patriarcale. La protection sociale est dès lors fondée sur la personne du père, qui travaille et est la source de revenus de la famille. Celui-ci est le titulaire des droits parce qu’ils sont ouverts par son activité professionnelle. Les autres membres de la famille – l’épouse au foyer et les enfants – bénéficient de droits dits « dérivés », c’est-à-dire des droits trouvant leur origine dans ceux du titulaire.

    Ce modèle est profondément bouleversé dans le dernier quart du XXe siècle. L’éclatement des familles, l’indépendance financière recherchée par les femmes, l’autonomie revendiquée de manière générale, notamment par les jeunes, créent une forte demande : celle d’assurer un revenu individualisé à chacun.

    L’augmentation du travail des femmes amène nombre d’entre elles à ouvrir pour elles-mêmes les droits aux prestations sociales. Mais, dans le même temps, les contraintes budgétaires vont imposer une logique nouvelle. Le déséquilibre entre les situations financières vécues par les familles à revenu unique et celles à double revenu aboutit à la prise en compte de cette situation familiale pour déterminer, soit le montant des allocations, soit la période durant laquelle elles seront payées. Ce critère de la situation familiale est en principe peu compatible avec le principe d’assurance puisqu’il s’apparente à une prise en considération d’un état de besoin.

    C) Modification du modèle social

    14. Le système de sécurité sociale de 1945 est élaboré sur la base d’un modèle social : celui du travailleur à temps plein, qui dispose d’un emploi stable.

    Les droits sont ouverts – et le montant des prestations déterminé – en fonction de la contribution financière du travailleur : sur la base de sa période de travail et de sa rémunération. Dès lors qu’il travaille à temps plein, quelques règles relativement simples permettent de fixer les droits.

    Par ailleurs, la perte du travail suite à un licenciement ou l’impossibilité de travailler pour des raisons physiques n’apparaissent que comme des accidents exceptionnels et temporaires dans une carrière qui doit se développer normalement de la fin des études à la retraite.

    Ce modèle est également profondément bouleversé dans le dernier quart du XXe siècle.

    Les fermetures ou restructurations d’entreprises créent un chômage de masse qui se prolonge ou, pour certains, devient définitif. Des travailleurs sont mis à l’écart du marché du travail, ou n’y sont plus adaptés, bien avant l’âge de la retraite.

    Les prestations de sécurité sociale constituent dès lors pour beaucoup une source permanente de revenus, un revenu minimum garanti, et non la couverture temporaire d’un risque.

    Par ailleurs, les entreprises imposent leurs exigences de flexibilité du travail : contrats de courte durée, horaires de travail flexibles, travail à temps partiel, … À cette demande se conjugue la volonté des travailleurs de mieux concilier travail et vie de famille et d’organiser en conséquence le temps de travail. Ces deux phénomènes mêlés – sans que l’on sache déterminer avec clarté lequel est la cause et lequel l’effet – ont pour conséquence de constituer des carrières professionnelles hybrides, hachées, interrompues, incomplètes, … Certains travailleurs rencontrent dès lors des difficultés à justifier d’une carrière suffisante pour ouvrir le droit à certaines prestations sociales. Ces paramètres nouveaux sont partiellement intégrés par le système de sécurité sociale. D’où la prise en considération et l’organisation par la réglementation de multiples situations particulières. D’où aussi une complexité grandissante des textes réglementaires, jusqu’à l’opacité.

    D) Modification du contexte démographique

    15. Le système de sécurité sociale de 1945 est élaboré sur la base d’un équilibre démographique : l’existence d’une génération active suffisante pour financer l’ensemble de la protection sociale, celle des actifs et des non-actifs.

    Si les années d’après-guerre sont celles du « baby-boom », un double mouvement inverse se manifeste sur le plan démographique à partir des années septante : la natalité chute et, par ailleurs, l’espérance de vie croît de manière importante, grâce notamment aux progrès de la médecine.

    Les enfants nés dans l’après-guerre arrivent en grand nombre sur le marché du travail. Dans le même temps, la crise économique diminue le nombre d’emplois disponibles. L’arrivée de cette même génération à l’âge de la retraite soulève cette fois des difficultés pour le secteur des pensions. Les charges du paiement des pensions de retraite augmentent sensiblement. Dans un système de pension organisé sur la base du principe de la « répartition »¹³, ces impératifs croissants de financement ont des effet directs puisqu’ils doivent être assumés par les personnes actives.

    E) Modification de la structure politique

    16. Le système de sécurité sociale de 1945 est élaboré sur la base d’un modèle politique : un État unitaire et souverain.

    Ce modèle sera affecté par deux mouvements en sens inverse : la construction européenne et la transformation de la Belgique en un État fédéral.

    (1) Construction européenne

    17. Il est d’usage de constater le déficit de la politique sociale européenne. Il n’existe pas, en effet, de réelle politique européenne de sécurité sociale. Les dispositions prises en matière de protection sociale s’inscrivent en réalité dans le cadre d’une des grandes libertés instaurées par les traités fondateurs : la liberté de circulation des travailleurs. Afin de faciliter cette libre circulation, les autorités européennes se sont efforcées de garantir le maintien de la protection sociale en faveur des travailleurs qui circulent entre les divers États membres. Cet objectif exigeait une coordination des systèmes de sécurité sociale nationaux afin de régler la situation de ces travailleurs qui, au cours de leur carrière professionnelle, relèvent successivement de plusieurs systèmes.

    La politique de sécurité sociale est restée une prérogative des États membres. Ceux-ci ont cependant été amenés à adapter leurs législations sous la pression de la jurisprudence. La Cour de justice des Communautés européennes a en effet exercé une influence non négligeable par l’application et l’interprétation des concepts de « non-discrimination » ou d’« égalité de traitement ». Corollaires de la liberté de circulation, ceux-ci sont présents dans les traités européens à un double titre :

    – la non-discrimination entre travailleurs ressortissants de différents États membres ;

    – l’égalité de traitement entre hommes et femmes.

    Certaines adaptations législatives du droit interne ont bien souvent dépassé l’aspect de droit communautaire de la problématique. Ainsi, la Cour de justice s’est-elle prononcée notamment en matière de fixation de l’âge de la retraite, d’obligation de résidence, ou encore concernant les conditions de nationalité. La jurisprudence de la Cour amène les États à s’interroger sur leurs législations, sur les conditions qu’ils posent à l’octroi de prestations sociales et à régler des questions d’ordre politique beaucoup plus larges.

    Par ailleurs, les concepts de libre circulation des services et de non-discrimination vont bousculer les systèmes nationaux de sécurité sociale en les plaçant dans un contexte concurrentiel. A priori, les États se croyaient protégés de la concurrence en ces matières. Mais, sous l’influence de l’idéologie du marché, dominante en fin de XXe et en début de XXIe siècle, certaines prestations prises en charge par la sécurité sociale, comme les prestations de santé, ont été intégrées dans le régime de la libre concurrence, sous réserve d’exceptions que la Cour de justice élabore au fil de ses arrêts¹⁴.

    Enfin, sous l’empire du Traité de Rome, la libre circulation, et les garanties qui s’y attachent en matière de sécurité sociale, étaient limitées aux seuls travailleurs des États membres. Aujourd’hui, la liberté de circulation est un des droits reconnus, non pas aux seuls travailleurs, mais à l’ensemble des citoyens européens. Les conséquences de cette citoyenneté nouvelle se dégagent peu à peu de la jurisprudence de la Cour de justice.

    (2) Régionalisation et communautarisation

    Les transferts de compétence aux Communautés et Régions sont exposés ci-dessous¹⁵.

    § 5. Enjeux d’aujourd’hui

    A) L’équilibre budgétaire

    18. Les sommes considérables requises pour le paiement des prestations sociales rend l’équilibre budgétaire particulièrement complexe. Cette difficulté est renforcée par la conjonction de phénomènes économiques et démographiques :

    – le vieillissement de la population augmente les dépenses de pensions de retraite et les besoins en soins de santé ; à l’inverse, la population active diminue et engendre dès lors moins de rentrées financières ;

    – le chômage reste élevé et concerne notamment un nombre important de chômeurs de longue durée pour lesquels la réintégration sur le marché du travail est rendue plus compliquée du fait de l’inadéquation de leurs qualifications aux demandes des entre-prises ;

    – la demande en soins de santé augmente dans tous les pays industrialisés et les traitements médicaux sont de plus en plus coûteux en raison du développement considérable des technologies ;

    – la perte de légitimité de la sécurité sociale entraîne des phéno-mènes importants de fraude, comme le travail en noir ou l’affiliation au régime des indépendants, moins coûteux, pour des travailleurs qui en réalité travaillent comme des salariés ;

    – etc.

    La recherche de sources de financement différentes des cotisations sociales apparaît comme une nécessité afin d’éviter de pénaliser la création – ou la conservation – d’emplois.

    B) La contractualisation et l’État social actif

    19. L’État libéral du XIXe siècle n’intervient ni en matière économique, ni en matière de protection sociale. Cependant, succédant à la charité privée ou religieuse, il prend en charge l’« assistance aux pauvres ». Dès l’origine, la question de la contrepartie des prestations sociales a été posée. Dans la foulée de l’émergence des droits de l’homme, l’assistance est reconnue comme une « dette inviolable et sacrée » de la collectivité à l’égard de ceux qui sont dans le besoin. La notion même de dette renvoie déjà à une logique contractuelle. Par opposition aux traditions d’Ancien Régime, l’assistance publique s’inscrit désormais dans cette réciprocité : elle doit soumettre les pauvres à des obligations de retour puisque « solidarité n’est pas charité ».

    Dans les principes du système de sécurité sociale institué en 1945, la contrepartie est par principe antérieure à l’octroi de la prestation : le droit résulte de la participation au financement de ce système, c’est-à-dire du paiement des cotisations. La logique d’assurance ignore toute idée de contrepartie au moment où le risque se réalise. Des conditions objectives sont fixées pour l’octroi d’une prestation. Si elles sont réunies, le droit est acquis. L’assuré social ne doit fournir aucune autre contrepartie à la collectivité pour le conserver. Par contre, toujours dans la cohérence d’un régime d’assurance, l’assuré social ne peut avoir volontairement créé le risque couvert. Il ne peut pas non plus volontairement le maintenir.

    Ainsi, le chômeur n’a pas droit aux prestations lorsque son chômage est « volontaire ».

    La notion de contrepartie va revenir en force au début des années 1980, essentiellement au départ des États-Unis et dans la foulée de la résurgence de la doctrine libérale : selon ce courant de pensée, l’aide reçue de l’autorité publique n’est justifiée que moyennant la prestation d’un travail pour la collectivité.

    En France, une analyse quelque peu similaire sera faite, non pas au nom du néolibéralisme, mais dans la perspective d’une nouvelle légitimité de l’État-providence¹⁶ : celui-ci serait dans une impasse dans la mesure où il limite son action au paiement d’indemnités. Il faudrait dès lors passer de l’État-social passif à l’État-social actif, c’est-à-dire d’une société d’indemnisation à une société d’insertion. À cet effet, l’octroi des prestations serait soumis à contrepartie, c’est-à-dire à l’engagement de l’assuré social de participer activement à un processus d’« insertion ».

    Cette doctrine a été vivement critiquée. On y a vu une construction théorique qui, sous le couvert du principe de « responsabilité », permet de culpabiliser les personnes sans emploi alors que l’emploi fait précisément défaut. De la sorte, le concept d’État-social actif peut apparaître comme une manière de légitimer l’exclusion des droits à la sécurité sociale.

    Dans sa formulation traditionnelle, le concept est à tout le moins en rupture par rapport au principe d’assurance : si le maintien du droit à la prestation est subordonné à un examen des efforts de l’assuré social en vue de sa réinsertion, une condition liée au mérite est introduite.

    Au terme d’une analyse approfondie, D. Dumont estime quant à lui que la notion de responsabilisation pourrait être véritablement assumée, non pas au sens d’une imputation aux bénéficiaires d’une responsabilité individuelle de leur situation sociale, mais au sens où ces bénéficiaires pourraient ainsi retrouver la maîtrise de leur propre trajectoire et ne pas être « déresponsabilisés » dans le cadre d’une gestion bureaucratique¹⁷. Il en conclut que la critique de l’État social actif ne doit pas se porter sur la contractualisation elle-même mais sur la fausse introduction du contrat dans les dispositifs actuels, en ce sens qu’ils ne laissent aucune autonomie réelle aux assurés sociaux et aux agents des administrations. Le contrat devrait ainsi constituer un outil d’accompagnement et non de coercition. Dans une logique contractuelle, un projet de réinsertion peut faire l’objet d’une réelle négociation qui permette une adaptation au profil de chacun. « Dans la variante sociale-démocrate de la contractualisation, l’authentique personnalisation des prestations contribue, bien mieux que n’y parvenaient les guichets de l’État-providence, à faire droit à la parole du bénéficiaire et à le mettre en mesure de devenir réellement acteur de son intégration socioprofessionnelle »¹⁸.

    Le concept a été largement utilisé par les gouvernements européens, quelle que soit leur orientation politique. En Belgique, les mesures d’activation des allocations sociales se sont essentiellement traduites dans les domaines du chômage et du droit à l’intégration sociale.

    C) L’individualisation

    20. Avec l’éclatement du modèle familial traditionnel et l’émergence de modes les plus divers de vies familiales, chaque individu revendique la garantie d’une autonomie financière. La sécurité sociale est également touchée par cette évolution sociale.

    Dans certains secteurs, l’individualisation est déjà consacrée. Ainsi, en matière de garantie de revenus aux personnes âgées, le droit et le montant des prestations de personnes mariées ne sont plus déterminés en fonction d’un unique « taux ménage » : ils s’apprécient individuellement dans le chef de chacun des époux.

    Cependant, si elle est revendiquée par certains, cette individualisation est encore loin d’être réalisée puisque, dans la plupart des secteurs, il est tenu compte de la situation familiale de l’assuré social. Ainsi :

    – le montant des prestations sera le plus souvent fonction de la cohabitation éventuelle avec une autre personne disposant de revenus ;

    – la durée de l’octroi des prestations dépendra, dans certains cas, de l’existence ou non d’une telle cohabitation : il en va ainsi en matière de chômage.

    D) La privatisation

    21. Alors même que la quasi-totalité de la population belge bénéficie de ses avantages, la sécurité sociale souffre de discrédit ou de manque de confiance. Ce phénomène a des causes diverses :

    L’absence de sécurité juridique. Les mesures prises au cours des vingt dernières années ont réduit le montant de prestations ou ont renforcé les conditions d’octroi ; ces mesures ont créé un sentiment diffus d’insécurité quant aux possibilités de pouvoir dans l’avenir bénéficier des prestations sociales.

    L’absence de sécurité financière. Dans le secteur des pensions, l’augmentation de la durée de vie et la diminution du nombre des travailleurs actifs rendent incertaine la garantie future du paiement des pensions à un niveau suffisant ; dans le secteur des soins de santé, l’augmentation du coût des prestations médicales et le renforcement des exigences des patients rendent incertaine la possibilité de couvrir des interventions lourdes ou des séjours prolongés en institution.

    La doctrine néo-libérale en vogue. Pour celle-ci, l’intervention publique – et donc les prélèvements de cotisations – doit être réduite au maximum.

    Ce relatif discrédit a engendré un recours croissant à des systèmes complémentaires de sécurité sociale organisés par des entreprises privées : compagnies d’assurances, fonds de pensions, … L’État lui-même encourage ces formules, notamment sous la forme d’avantages fiscaux.

    La logique à l’œuvre dans ces systèmes est évidemment fondamentalement différente de celle qui est propre à la sécurité sociale. Lorsqu’ils sont souscrits à titre individuel, ces compléments ne sont accessibles qu’à ceux qui en ont les moyens financiers. Lorsqu’ils sont souscrits par l’employeur ou par un ensemble d’employeurs, les travailleurs occupés dans des secteurs d’activité peu rentables n’en bénéficient généralement pas.

    Par ailleurs, ces systèmes induisent des inégalités de traitement dans des domaines couverts en principe par la sécurité sociale. Ainsi, en matière de soins de santé, le risque est grand que le traitement d’un patient bénéficiant d’une assurance « hospitalisation » soit privilégié. La couverture de la sécurité sociale deviendrait dans ce cas une sorte de minimum dont devraient se contenter les personnes à faibles revenus.

    E) La sélectivité

    21bis. Les difficultés budgétaires rencontrées par le système de sécurité sociale peuvent déboucher sur des solutions qui ont les allures du bon sens. En effet, dès lors que les moyens sont réduits, il pourrait paraître logique de réserver les prestations de sécurité sociale à « ceux qui en ont le plus besoin ». Pourquoi en effet payer des prestations sociales à des personnes dont les revenus ou le patrimoine sont déjà largement suffisants ?

    Sous les allures de bons sentiments, cette thèse est cependant extrêmement périlleuse.

    D’une part, elle introduit un critère qui est en principe étranger à la sécurité sociale : celui de l’état de besoin. La vérification de cette condition implique une enquête sur les ressources, donc une intrusion dans l’intimité du demandeur et un contrôle sur son mode de vie. La force du système de sécurité sociale est précisément d’allier liberté et solidarité, c’est-à-dire d’organiser l’octroi de prestations sociales par des institutions publiques, en limitant au maximum l’ingérence de celles-ci dans la sphère de son autonomie. Cette alchimie est possible en fixant comme condition au droit, non pas à un état de besoin, mais la participation au financement du système.

    D’autre part, l’exclusion des personnes à hauts revenus amènerait celles-ci à revendiquer une réduction de leurs contributions financières et à préférer l’affiliation à des systèmes parallèles et privés garantissant une meilleure protection moyennant une participation financière plus élevée.

    La sécurité sociale se bornerait dans ce cas à assurer une « solidarité minimale ».

    « Sans que le vocabulaire change (on parle toujours de « solidarité »), le rôle de l’État subirait une transformation radicale. Au lieu de fonder une solidarité face au risque, où chacun tout à la fois est appelé à donner (cotiser) et recevoir (percevoir des prestations), il renoue avec la charité publique, c’est-à-dire à une solidarité face au besoin, où les plus riches donnent sans recevoir, tandis que les plus pauvres reçoivent sans être appelés à donner. D’un État-providence, où le lien de tout citoyen avec le système de sécurité sociale est bilatéral, on passe alors à un État assistance où le lien devient unilatéral (…). Le danger d’une telle évolution est évidemment d’instituer une société duale, où la notion de citoyenneté sociale n’aurait plus le même sens pour tous »¹⁹.

    1. Voy. no 11.

    2. Comme on le verra ci-dessous, le secteur appelé anciennement « assurance maladie-invalidité » est désormais dénommé « assurance obligatoire soins de santé et indemnités ».

    3. Ainsi résumé par F. 

    Ewald

    , Histoire de l’État-providence, Paris, Grasset, 1986, p. 32.

    4. Pour la Belgique : B. 

    Chlepner

    , Cent ans d’histoire sociale en Belgique, ULB, Institut de sociologie, Bruxelles, Puvrez, 1956 ; G. 

    Vanthemsche

    , La sécurité sociale. Les origines du système belge. Le présent face à son passé, Bruxelles, De Boeck-Wesmael, 1994.

    Concernant la constitution des premiers syndicats en association de secours mutuels, voy. J. 

    Neuville

    , Naissance et croissance du syndicalisme. L’origine des premiers syndicats, Bruxelles, Éd. Vie ouvière, 1979.

    Pour une théorie plus générale, voy. F. 

    Ewald

    , Histoire de l’État-providence, Paris, Grasset, 1986 ; R. 

    Castel

    , Métamorphoses de la question sociale : une chronique du salariat, Paris, Fayard, 1995 (rééd., coll. Folio, Paris, Gallimard, 1999), et L’insécurité sociale, Paris, Seuil, 2003.

    5. R. 

    Castel

    , Métamorphoses de la question sociale, op. cit., pp. 33 et s.

    6. Ibid., p. 35.

    7. Cité par F. 

    Ewald

    , Histoire de l’État-providence, op. cit., p. 32.

    8. Voy. J. 

    Basiliades

    , C. 

    Radermecker

    et C. 

    Selis

    , « Philosophie et histoire de la sécurité sociale », Guide social permanent, t. IV, Droit de la sécurité sociale : commentaire, Bruxelles, Kluwer, 1997.

    9. Aujourd’hui dénommé « garantie de revenus aux personnes âgées ».

    10. Un régime d’aide aux handicapés existait cependant depuis une loi du 1er déc. 1928.

    11. Chiffres : « Cinquante ans après », in Cinquante ans de sécurité sociale … et après ?, vol. 2, Le difficile équilibre des chiffres, Bruxelles, Bruylant, 1995, p. 27.

    12. Cf. P. 

    Denis,

    Droit de la sécurité sociale, Bruxelles, Larcier, 1984, no 22.

    13. Sur cette notion, voy. ci-dessous, no 393.

    14. Voy. ci-dessous, nos 279 et s.

    15. Voy. ci-dessous, nos 23 et s.

    16. Le théoricien le plus fameux de ce courant est Pierre

    Rosanvallon

    (voy. La crise de l’État-providence et La nouvelle question sociale. Repenser l’État-providence, Paris, Seuil, 1995).

    17 D. 

    Dumont

    , La responsabilisation des personnes sans emploi en question, La Charte, 2012, voy. not. pp. 523-534. L’auteur a résumé sa thèse dans « De Tocqueville à Lucky Bunny, la (dé)responsabilisation des personnes sans emploi en question », Chron. D.S., 2011, pp. 101-106.

    18 Idem, p. 549.

    19. Au-delà de l’emploi : transformations du travail et devenir du droit du travail en Europe (A. 

    Supiot

    dir.), Rapport pour la Commission européenne, Paris, Flammarion, 1999, p. 214.

    Chapitre II

    Les caractéristiques du droit belge de la sécurité sociale

    Section 1. Des droits fondamentaux

    § 1. Déclarations de principe

    22. Plusieurs grands textes internationaux reconnaissent les droits à la sécurité sociale parmi les droits fondamentaux.

    Citons notamment :

    – la Déclaration universelle des droits de l’homme : article 22 ;

    – le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels : article 9 ;

    – la Convention no 102 de l’O.I.T. concernant la sécurité sociale ;

    – la Charte sociale européenne : art. 12 et 13 ;

    – la Convention relative aux droits de l’enfant : art. 26.

    Ces textes n’énoncent cependant pas des droits qui peuvent être directement invoqués par les citoyens devant une instance juridictionnelle¹. Il s’agit uniquement d’engagements de principe pris par les États. Dans certains cas (O.I.T., Charte sociale européenne), le contrôle de ces engagements est exercé sous la forme de rapports que les États doivent rédiger, et par lesquels ils exposent en quoi ils ont mis en œuvre les obligations auxquelles ils ont souscrit.

    En ce qui concerne la Charte sociale européenne, son caractère directement applicable est revendiqué² mais la jurisprudence belge ne va pas en ce sens³. On notera néanmoins à son propos l’existence d’un mécanisme de réclamation collective, encore mal connu, auprès du Comité européen des droits sociaux⁴.

    § 2. La Convention européenne des droits de l’homme

    La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne contient pas de dispositions spécifiques concernant la protection sociale. Cependant, pour la Cour européenne des droits de l’homme, des prestations de sécurité sociale peuvent constituer des « droits patrimoniaux », c’est-à-dire des droits relatifs à des biens. À ce titre, ils sont protégés par la Convention, plus particulièrement par son premier Protocole additionnel⁵.

    Dans l’affaire Gaygusuz c. Autriche⁶, l’arrêt porte sur une prestation d’un régime contributif, à savoir une allocation de chômage d’urgence, précédant la pension de retraite. La Cour estime qu’il s’agit d’un droit patrimonial dès lors que le droit de se voir attribuer une prestation sociale est lié au paiement de contributions. Dans l’affaire Azinas c. Chypre⁷, un droit à la pension du secteur public a été assimilé à un droit de propriété au motif que l’employeur (dans ce cas l’État) avait pris l’engagement de verser une pension. Dans l’affaire Koua Poirrez c/ France⁸, l’arrêt porte sur des prestations non contributives, à savoir des allocations d’adulte handicapé, prévues par la législation française. La Cour étend donc l’application de la Convention à des prestations de régimes non contributifs.. Dans un arrêt Stec/Royaume-Uni⁹, qui constitue un arrêt de principe, elle fixe sa jurisprudence : compte tenu de la diversité des prestations sociales et de leurs modes de financement, il serait artificiel de ne réserver la protection de la Convention et du premier Protocole qu’aux seules prestations financées par des cotisations. La Cour en déduit que l’article 1er du premier Protocole vise toute créance portant sur une prestation sociale. Elle précise cependant la portée de la protection : celle-ci ne crée pas un droit à acquérir des biens de sorte que les États restent libres de créer un régime de protection social ou d’en fixer le niveau ; si ce régime est créé, il engendre un intérêt patrimonial qui relève du champ d’application de la Convention. Les droits ainsi constitués doivent dès lors être assurés dans le respect des garanties de la Convention. En outre, la privation d’un de ces droits peut constituer une ingérence injustifiée de la part de l’État lorsque l’équilibre devant exister entre la protection du droit individuel et les exigences de l’intérêt général est rompu. Par exemple, la Cour européenne a jugé que constituait une telle ingérence, la déchéance du droit à la pension de retraite par suite d’une sanction disciplinaire dès lors qu’elle prive l’intéressé de tout moyen de subsistance et de couverture sociale¹⁰.En Belgique, la Cour de cassation a jugé que le droit à la pension de retraite ne constituait pas un droit patrimonial visé par le premier Protocole additionnel à la Convention européenne¹¹. La Cour relève que le régime belge repose sur le principe de répartition : les cotisations ne sont pas capitalisées mais immédiatement distribuées. Les cotisations ne sont donc payées ni pour compte ni au profit d’un travailleur déterminé. Il n’y a, dès lors, pas de relation directe entre le montant des cotisations versées et le montant de la pension de retraite, celle-ci n’étant pas la contrepartie de ces contributions. Cette décision est en contradiction avec la jurisprudence de la Cour européenne, puisque celle-ci écarte le critère du lien entre la prestation sociale et la contribution au régime. Il semble d’ailleurs que, sans le dire explicitement la Cour de cassation soit revenu sur sa position dans un arrêt ultérieur¹².

    Cette intégration dans un droit hautement individualiste – le droit de propriété –, ne devrait pas aboutir à occulter l’une des caractéristiques essentielles du droit aux prestations sociales, à savoir la notion de solidarité. Le droit de propriété ignore, en principe, cette notion. Elle implique l’organisation d’une redistribution des revenus. Le système de pension par répartition en est un bel exemple.

    Le droit aux prestations sociales peut donc être considéré comme un droit patrimonial dans les limites suivantes :

    1° la prestation sociale est un droit patrimonial au sens où elle constitue un droit sur une somme d’argent ;

    2° l’État doit organiser ce droit dans le respect des garanties édictées par la Convention européenne des droits de l’Homme ;

    3° si la prestation sociale est, dans les régimes contributifs, conditionnée par le paiement de cotisations, le citoyen ne peut pas, pour autant, invoquer un droit à la restitution ou à une prestation équivalente aux cotisations qu’il a individuellement payées¹³.

    Les droits fondamentaux reconnus par la Convention européenne des droits de l’homme doivent être assurés sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions, l’origine nationale, l’appartenance à une minorité, la fortune ou la naissance¹⁴. Le principe de non-discrimination dans la jouissance des droits fondamentaux vise donc également les prestations de sécurité sociale.

    Ce principe a été appliqué aux discriminations fondées sur la nationalité¹⁵.

    § 3. Les Traités fondateurs de l’Union européenne

    L’Union européenne reconnaît, selon sa Charte des droits fondamentaux, le droit d’accès aux prestations de sécurité sociale assurant une protection notamment en cas de maternité, de maladie, d’accidents du travail, de dépendance ou de vieillesse, ainsi que de perte d’emploi. De même, sont reconnus comme fondamentaux les droits à l’aide sociale et aux soins de santé¹⁶. Cette Charte a force contraignante¹⁷.

    § 4. La Constitution

    En Belgique, les droits à la sécurité sociale et à l’aide sociale sont inscrits dans la Constitution¹⁸. Cependant, « la Constitution se borne à reconnaître l’existence du droit à la sécurité sociale, sans en préciser le contenu matériel. Une telle formulation peut donc paraître insatisfaisante, car elle ne donne pas d’indication au législateur chargé de la mise en œuvre du droit ». À tout le moins, cette inscription permet de « s’opposer à toute tentative de démantèlement d’éléments essentiels de la sécurité sociale »¹⁹.

    Le droit à la sécurité sociale tel qu’énoncé par la Constitution n’est pas reconnu comme un droit ayant une portée directe. Il s’agit d’un principe général qui doit être mis en œuvre par le législateur, en déterminant les conditions d’octroi des prestations.

    L’article 23 de la Constitution n’énonce donc pas un droit subjectif à la sécurité sociale dont un citoyen pourrait demander la reconnaissance en justice. Sur ce point, il diffère du droit à l’aide sociale. Sa portée n’est cependant pas nulle. Énoncé comme principe fondamental, ce droit peut avoir une influence sur les juges dans l’interprétation des normes²⁰. Par ailleurs, plusieurs commentateurs estiment qu’un effet dit de « standstill » ou encore de « non-rétrogression » doit lui être reconnu²¹. En d’autres termes, la protection constitutionnelle serait un « obstacle à l’adoption de normes législatives ayant pour effet de réduire le niveau de protection des droits que cette disposition reconnaît par rapport aux garanties précédemment acquises »²².

    La Cour d’arbitrage a reconnu un tel effet de « standstill » à l’article 23, en matière d’aide sociale et de droit à l’intégration sociale. La portée de cet effet est ainsi décrit : « cette disposition constitutionnelle impose aux législateurs de ne pas porter atteinte au droit garanti par la législation qui était applicable le jour où l’article 23 est entré en vigueur. Cette obligation ne peut toutefois s’entendre comme imposant à chaque législateur (…) de ne pas toucher aux modalités de l’aide sociale prévues par la loi. Elle leur interdit d’adopter des mesures qui marqueraient un recul significatif du droit garanti par l’article 23 (...) de la Constitution, mais elle ne les prive pas du pouvoir d’apprécier de quelle manière ce droit sera le plus adéquatement assuré »²³. La Cour de cassation ne reconnaît pas l’effet de « standstill » comme principe général de droit²⁴.

    La portée de ce principe de « standstill » reste encore imprécise. Toute la question est de savoir comment déterminer ce qui constitue ou non « un recul significatif » par rapport aux droits antérieurement reconnus. Par ailleurs, le caractère absolu ou relatif du principe est discuté, c’est-à-dire la possibilité ou non d’y faire exception dans certaines circonstances.

    Section 2. Une compétence fédérale

    23. Dans la Belgique fédéralisée, la sécurité sociale est restée une matière relevant de la compétence de l’État fédéral. Compte tenu du principe de solidarité qui la fonde, elle est perçue comme un élément d’unification des citoyens belges.

    Dès lors, les règles qui déterminent le financement et l’organisation du système, le fonctionnement des institutions, les conditions d’octroi des prestations et leur calcul émanent du pouvoir fédéral.

    Dès la réforme de l’État de 1980, cependant, certains compétences relatives à des matières connexes à la sécurité sociale ont été transférées aux entités fédérées.

    Ainsi :

    1° La politique de l’emploi relève de la compétence des Régions²⁵ et la formation professionnelle, en principe, de la compétence des Communautés²⁶. Cependant, en Communauté française, suite aux accords dits de la Saint-Quentin, la matière de la formation professionnelle est exercée²⁷ :

    – par la Région wallonne, sur le territoire de la Région de langue française ;

    – par la Commission communautaire française, sur le territoire de la Région bilingue de Bruxelles-Capitale.

    L’État conserve l’organisation de l’ensemble du système d’assurance chômage.

    2° La politique des personnes handicapées relève de la compétence des Communautés²⁸. En Communauté française, cette compétence a également été transférée à la Région wallonne et à la Commission communautaire française²⁹.

    L’État conserve la matière des allocations pour personnes handicapées et celle de l’intervention financière pour la mise au travail de personnes handicapées.

    3° La politique de l’aide sociale relève de la compétence des Communautés³⁰. À nouveau, cette compétence est exercée, en Communauté française, par la Région wallonne et la Commission communautaire française³¹.

    L’État conserve :

    – la fixation des conditions d’octroi et du montant du revenu d’intégration sociale ;

    – les conditions d’octroi de l’aide sociale ;

    – le remboursement par l’État de l’aide sociale accordée par les C.P.A.S. ;

    – la fixation de la compétence territoriale des C.P.A.S.

    4° La politique de la santé relève de la compétence des Communautés³².

    En Communauté française, cette compétence est exercée par la Région wallonne et la Commission communautaire française³³.

    L’État conserve l’ensemble de l’organisation du système d’assurance soins de santé et indemnités, son financement, les conditions d’octroi et de remboursement des prestations, les droits et obligations des assurés sociaux et des prestataires de soins.

    La sixième réforme de l’État, négociée en 2011-2012, ouvre une brèche dans le principe de la compétence fédérale puisque, pour la première fois, des matières relevant spécifiquement de la sécurité sociale sont transférées aux Communautés et Régions. Celles-ci seront dès lors compétentes dans les matières suivantes³⁴ :

    – les allocations familiales, allocations de naissance et primes d’adoption ;

    – le contrôle de la disponibilité des chômeurs ;

    – les titres-services et les agences locales pour l’emploi ;

    – les réductions de cotisations à destination de groupes-cibles et l’activation des allocations de chômage ;

    – la politique d’accompagnement des bénéficiaires du revenu d’intégration ;

    – en matière de soins de santé :

    – les normes hospitalières, avec maintien de certains compétences fédérales, notamment concernant le financement ;

    – les maisons de repos ;

    – les conventions de revalidation ;

    – les maisons de soins psychiatriques ;

    – les soins de première ligne ;

    – en matière d’aide aux personnes handicapées :

    – les aides à la mobilité ;

    – l’allocation pour l’aide aux personnes âgées.

    Section 3. Une législation « d’ordre public »

    § 1. Principes

    24. Le système de solidarité organisé par la législation relative à la sécurité sociale est considéré comme l’un des piliers sur lesquels repose l’organisation de la société belge. Pour ce motif, cette législation est dite d’« ordre public ».

    Rappelons qu’une loi (au sens large) est dite :

    – « supplétive », lorsqu’elle s’impose à défaut de disposition contraire prévue par un contrat ;

    – « impérative », lorsqu’elle a pour finalité la protection de certaines catégories de personnes ; elle s’impose même en cas d’accord ou de contrat en sens contraire ; toutefois, lorsque la personne ne se trouve plus dans la situation justifiant la protection

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