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Précis de droit pénal social: 2e édition
Précis de droit pénal social: 2e édition
Précis de droit pénal social: 2e édition
Livre électronique828 pages8 heures

Précis de droit pénal social: 2e édition

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À propos de ce livre électronique

Les Éditions Anthemis vous proposent un outil complet pour comprendre le droit pénal social.

Peut-on expliquer le droit pénal social de la même manière aux étudiants et aux professionnels ? Tel est le pari renouvelé de cette seconde édition, devenue nécessaire après l’entrée en vigueur du Code pénal social.
Comme dans la première édition, le choix et l’ordonnancement des chapitres ont été dictés par des préoccupations didactiques.
Les trois premières leçons sont consacrées à l’examen de la norme pénale, confrontée au concept d’ordre public d’abord, envisagée dans ses particularités découlant de l’incrimination par la voie de conventions collectives de travail ensuite. Les trois leçons suivantes traitent de la responsabilité pénale : l’élément moral, l’imputabilité, les causes de justification, la responsabilité pénale de la personne physique, qui repose en principe sur l’employeur, mais aussi sur le préposé ou le mandataire en cas de délégation de pouvoir lorsqu’elle est prise en considération par le législateur ; enfin, la responsabilité pénale de la personne morale. Les leçons 7 et 8 font un détour par des questions d’ordre civil : les responsabilité et immunité civiles des travailleurs et employeurs et la prescription de l’action délictuelle. Les neuvième et dixième leçons sont dédiées à la sanction, pénale et administrative. Les questions de procédure pénale occupent les deux leçons suivantes : les autorités de poursuite et les juridictions compétentes ; la diversité et l’importance des pouvoirs des services de contrôle. Enfin, l’étude s’achève par le développement de trois incriminations particulières destinées à assurer l’effectivité des contrôles des services d’inspection du travail et spécialement celle d’obstacle à la surveillance.
Le volume se termine par un index alphabétique, un lexique français/néerlandais et une table des matières dans les deux langues.

Un ouvrage écrit par des professionnels, pour des professionnels.

À PROPOS DES ÉDITIONS ANTHEMIS

Anthemis est une maison d’édition spécialisée dans l’édition professionnelle, soucieuse de mettre à la disposition du plus grand nombre de praticiens des ouvrages de qualité. Elle s’adresse à tous les professionnels qui ont besoin d’une information fiable en droit, en économie ou en médecine.
LangueFrançais
ÉditeurAnthemis
Date de sortie23 août 2017
ISBN9782807201125
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    Aperçu du livre

    Précis de droit pénal social - Fabienne Kéfer

    978-2-8072-0112-5

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    Avant-propos

    Il est difficile de juger quel moment est propice à la publication d’un livre de droit. Cette question se posait déjà à propos de la première édition de ce Précis, en 2008, alors qu’étaient en cours les travaux parlementaires ayant conduit à l’adoption, en juin 2010, du Code pénal social. La même question se pose aujourd’hui : que vont devenir les modifications législatives en cours de rédaction – pour certaines d’entre elles, depuis 2009 – destinées à éliminer tantôt une erreur de plume, tantôt une abrogation malheureuse, tantôt une incompatibilité avec les arrêts Zolothoukine ou encore Salduz ? Faut-il attendre que soit solutionnée la question de la répression des manquements aux conventions collectives ? Le droit bouge sans cesse. En définitive, ce sont les contraintes du calendrier académique qui commandent le rythme de la publication. Les étudiants ont besoin d’un support de cours à jour, qualification que ne peut plus revendiquer la première édition de cet ouvrage.

    L’objectif de ce livre est de présenter l’état du droit pénal social d’aujourd’hui. Il ne sera donc pas question de la législation abrogée, sauf lorsque cela s’avère utile à la compréhension du droit actuel.

    Ce Précis n’a pas non plus pour ambition de présenter de manière exhaustive le droit pénal social. La prétention est plus limitée. Par exemple, on ne trouvera pratiquement pas de description des incriminations comme on en trouve dans les manuels de droit pénal des affaires ; d’autres ouvrages y sont consacrés et il n’est certainement pas utile d’écrire à nouveau ce que d’autres ont déjà fait. Le lecteur aura plaisir à compléter son information en les consultant1.

    Mon intention est davantage d’appréhender la matière dans sa globalité, d’étudier un système, d’éclairer le sens de ses règles.

    Le volume est divisé en leçons ; treize, comme le nombre de semaines de cours dans un quadrimestre universitaire. Certaines d’entre elles n’ont subi qu’un léger rafraichissement, d’autres ont dû faire l’objet d’une modification en profondeur, parfois d’une refonte complète, telle la toute première.

    Elles sont ordonnées selon un plan peu novateur. Les trois premières leçons sont consacrées à l’examen de la norme pénale, confrontée au concept d’ordre public d’abord, envisagée dans ses particularités découlant de l’incrimination par la voie de conventions collectives de travail ensuite. Les trois leçons suivantes traitent de la responsabilité pénale : tout d’abord, ses deux dimensions, élément moral et imputabilité, ainsi que les causes de justification ; puis la responsabilité pénale de la personne physique, qui repose en principe sur l’employeur, mais aussi sur le préposé ou le mandataire en cas de délégation de pouvoir lorsqu’elle est prise en considération par le législateur ; enfin, la responsabilité pénale de la personne morale. Les leçons 7 et 8 font un détour par des questions d’ordre civil : les responsabilité et immunité civiles des travailleurs et employeurs, qui ne sont pas forcément les corollaires des responsabilité et immunité pénales, et la prescription de l’action délictuelle. Les neuvième et dixième leçons sont dédiées aux sanctions, non seulement la peine au sens étroit du terme, mais aussi la répression administrative, à laquelle le droit social offre un terreau favorable. Les questions de procédure pénale occupent les deux leçons suivantes : les autorités de poursuite et les juridictions compétentes ; la diversité et l’importance des pouvoirs des services de contrôle. Enfin, l’étude s’achève par le développement de trois incriminations particulières destinées à assurer l’effectivité des contrôles des services d’inspection du travail et spécialement celle d’obstacle à la surveillance.

    Le travail universitaire est le plus souvent un travail d’équipe. Le savoir d’un professeur se nourrit des recherches de ses assistants, qui lui apportent plus qu’on ne croit. Les générations successives d’assistants de l’unité de droit social de l’Université de Liège ont, directement ou indirectement, contribué à ce Précis. Ils en sont tous remerciés, avec une attention particulière, lors de cette seconde édition, pour Guillaume Gailliet et Aurélie Mortier, qui ont relu minutieusement le manuscrit. Enfin, ma gratitude va à Patrick Wautelet et Ann Taghon, sans qui la version néerlandaise de la table des matières n’aurait pas vu le jour.

    Liège, le 18 octobre 2013


    1 Pour un panorama de l’ensemble des infractions, J.-M. DEMARCHE et F. KÉFER, « Le Code pénal social. Présentation et premières applications », Questions choisies de droit social, CUP, vol. 133, Liège, Anthemis, 2012, p. 162 et s. ; M. MORSA, Infractions et sanctions en droit social, Bruxelles, Larcier, 2013. Pour une étude de certaines infractions, F. LAGASSE et M. PALUMBO, Bien-être au travail et responsabilité pénale, Louvain-la-Neuve, Anthemis, 2006 ; C.-E. CLESSE E T G. DEPLUS, Les infractions de droit pénal social, Waterloo, Kluwer, 2012, p. 21 à 77 ; M. DERUE, Le Code pénal social, Dossier du J.T., no 86, Bruxelles, Larcier, 2012, p. 108 à 127.

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    Première leçon

    Le droit pénal social et l’ordre public

    1. Le droit pénal social est constitué des dispositions pénales sanctionnant le droit social, c’est-à-dire le droit du travail et de la sécurité sociale. La plupart de celles-ci sont désormais rassemblées dans le Code pénal social, en vigueur depuis le 1er juillet 2011. Cette définition exclut les dispositions pénales susceptibles d’être enfreintes à l’occasion de la relation de travail, mais qui ne sont nullement influencées par l’existence de cette relation. Seront par exemple ignorées les dispositions du Code pénal applicables indistinctement à toutes personnes, même si elles sont violées à l’occasion de l’exécution d’un contrat de travail. Si un employé se bat sur son lieu de travail, s’il détourne des sommes au préjudice de son employeur, les règles du Code pénal relatives aux coups et blessures ou à l’abus de confiance sont violées ; le droit pénal punit le salarié, mais il ne le punit pas différemment d’une personne qui n’était pas salariée de l’entreprise où les faits se sont déroulés. L’infraction ne ressortit pas au droit pénal social au sens où nous l’entendons.

    En dotant la matière d’un code, le législateur lui a, en quelque sorte, accordé ses lettres de noblesses. Le chemin parcouru depuis la naissance de ce qui est devenu une branche du droit à part entière mérite un détour (Section 1). Il permet en effet d’éclairer les liens entretenus par la règle de droit social sanctionnée pénalement et l’ordre public, objet de la protection de toute règle de droit pénal (Section 2).

    Section 1

    De l’abstentionnisme étatique à la codification

    § 1. Évolution historique

    2. Le droit pénal social s’est développé, comme le droit social dont il est le soutien, à la fin du XIXe siècle. Avant l’adoption de ce qu’il est convenu d’appeler les premières lois sociales, celles qui sont nées en réponse à la question sociale, il existait déjà des règles régissant la relation de travail. Ces règles étaient, il est vrai, très peu nombreuses ; le refus d’intervention étatique a empêché pendant longtemps l’élaboration ne fût-ce que d’une ébauche de réglementation du travail ; le contrat était la source presque exclusive de détermination du statut individuel de chaque salarié. Puisque le législateur s’interdit de s’immiscer dans la relation de travail, les dispositions pénales qui la concernent sont forcément peu nombreuses. Le droit pénal est le reflet des valeurs de son temps. Il est considéré comme le « baromètre de l’échelle des valeurs sociales »2. Par quelques dispositions éparses, dont certaines figuraient dans le Code pénal, le législateur avait cherché à régir les relations entre employeurs et travailleurs, au nom de l’ordre public tel qu’il était conçu à l’époque. Les incriminations de secret de fabrication (art. 309 du C. pén.) et vol domestique (art. 464 du C. pén.)3 ont en commun le souci du législateur de protéger, au nom de l’ordre public, la confiance que l’employeur est obligé d’accorder à son subordonné. C’est aussi l’ordre public qui justifie la répression du délit de coalition, puni par la loi Le Chapelier et plus tard par les articles 414 à 416 du Code pénal de 1810 : si plusieurs personnes décidaient ensemble de ne pas travailler ou de ne pas faire travailler, elles n’usaient pas de leur liberté individuelle, mais, au contraire, en abusaient. Cet abus fut jugé contraire à l’ordre public et sanctionné pénalement. Un demi-siècle plus tard, l’article 2 de la loi du 31 mai 1866, qui deviendra l’article 310 du Code pénal de 18674, ne réprimait plus la coalition en tant que telle. Mais la dépénalisation ne fut que partielle : demeuraient réprimés tous les actes portant atteinte à la liberté du travail, dont l’une des manifestations était l’atteinte à la libre fixation des salaires en vue de les faire baisser ou hausser5. Selon la conception bourgeoise qui a inspiré la rédaction du Code pénal, le salarié a juridiquement la faculté de refuser de contracter ; il fixe librement le prix de ses services avec celui à qui il les loue. S’il abuse de ce droit par la coalition, il porte atteinte à la liberté d’autrui et menace, de ce fait, l’ordre public.

    3. Lors de l’élaboration des premières lois de protection ouvrière, la nécessité de la sanction pénale est apparue d’emblée au législateur de façon évidente, face à la faiblesse des autres sanctions ; l’exemple du passé et les expériences faites notamment en Angleterre avaient démontré l’inefficacité de la sanction civile consistant dans la nullité des clauses contraires à la loi6.

    Aux yeux du législateur, l’ordre juridique ne contenait aucun autre moyen que la peine pour tenter de vaincre la résistance des employeurs aux nouvelles normes7. Cette résistance s’expliquait, du reste, aisément ; les nouvelles dispositions heurtaient de front les principes de liberté de commerce et d’industrie et d’autonomie des volontés8. Elles contrariaient les intérêts financiers et la liberté d’action de l’employeur. Cette résistance aurait bien pu triompher. Le risque était faible de voir le salarié réclamer et invoquer la nullité de la clause contraire à la loi ; du reste, par une sorte de cercle vicieux, la nullité du contrat engendrait, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, une inapplication des dispositions protectrices des travailleurs9. Vivant dans la crainte de perdre son emploi, le salarié était livré à l’autorité hiérarchique et à la domination économique du patron, que le faible risque de sanction civile ne décourageait guère d’imposer à son subordonné une clause illégale10.

    Aussi, seule une intervention législative à caractère pénal vis-à-vis de l’employeur paraissait-elle de nature à garantir l’exécution de la loi et à rétablir l’équilibre des relations de travail ; la force de persuasion que contient la menace d’une peine paraissait seule pouvoir venir à bout des habitudes profondément enracinées, mais bousculées par la nouvelle réglementation.

    4. L’expansion du droit social à partir de 1921 s’est accompagnée d’un développement symétrique de son allié, le droit pénal social ; chaque loi ou presque se terminait par des dispositions pénales, sans cependant que le législateur songe à l’harmonie ou la cohérence des ces multiples dispositifs répressifs. « Dans la mesure où le droit pénal social est (…) étroitement associé à la genèse du droit social (…), il en partage tous les travers : désordre, dispersion et incohérence »11. Cette formule résume parfaitement les reproches formulés à cette matière : le droit pénal social est devenu, au fil du temps un écheveau inextricable de normes illisibles tant par les justiciables que par les spécialistes, au point d’être comparé au « maquis labyrinthique d’une ‘cour aux miracles’ »12.

    Dans les années soixante, sous l’impulsion du Conseil d’État, un mouvement s’était dessiné en vue d’améliorer la cohérence des sanctions pénales13. En dépit de cela, les durées des peines d’emprisonnement et les taux des amendes étaient restés disparates et ne répondaient généralement à aucune logique. Par ailleurs, il était à remarquer que le droit pénal social ne faisait guère preuve d’originalité dans la sélection de ses sanctions pénales ; l’emprisonnement et l’amende (ou des peines financières similaires) étaient pratiquement les seules peines auxquelles il recourait, alors que le droit commun en connaît beaucoup d’autres (interdiction de certains droits, publication de la condamnation, fermeture d’entreprise, etc.)14.

    Au début du XXIe siècle, le législateur a codifié la matière. Le Code pénal social, fort de 237 articles, fruits de longs mois de travail parlementaire faisant suite au rapport de la commission de réforme du droit pénal social, est entré en vigueur le 1er juillet 2011. Introduit par une loi du 6 juin 2010, il est complété par une loi du 2 juin 2010 comprenant des dispositions de droit pénal social ; ces dispositions sont appelées à être intégrées dans le code par le Roi15.

    § 2. Description sommaire du Code pénal social

    A. Généralités

    5. Le Code pénal social vise à améliorer la lisibilité des textes et leur cohérence, et cherche à diversifier les sanctions pénales en alliant la quête d’efficacité du droit pénal social et le respect des principes fondamentaux, non seulement les principes classiques tels que la légalité des incriminations et des peines ou les droits de la défense, mais aussi les valeurs plus modernes, telles la proportionnalité des sanctions ou le droit à la vie privée.

    L’œuvre est le résultat d’une certaine audace, mais aussi, par la force des choses, d’une certaine modestie. Audace car il s’agit de mettre de l’ordre et une certaine organisation là où régnait le chaos et, pour ce faire, de rassembler en une seule loi l’ensemble des dispositions de droit pénal social, en les rendant plus compréhensibles par une formulation simple et un régime uniforme. Modestie parce que, le droit pénal social étant l’accessoire du droit social dont il n’est que le soutien, il ne s’agit pas de modifier le contenu de la règle à laquelle le code accorde le secours de ses peines ; seul le haubanage répressif a fait l’objet d’une transformation. De la dépendance du droit pénal social au droit social, il découle que l’objectif de clarification et de lisibilité du droit pénal social poursuivi par le code ne sera réellement atteint que lorsque la législation sociale fera elle-même l’objet d’une simplification. La règle dont l’incrimination est le soutien n’est pas toujours intelligible. Cette obscurité de la loi sociale peut résulter de l’inélégance de la rédaction ; nombre de textes sont à ce point obscurs que le comportement ou l’omission punissable (faire ou laisser travailler contrairement à telle règle) n’est pas immédiatement identifiable. La difficulté de lire la loi sociale peut aussi être liée à la multiplication des exceptions et des régimes particuliers ou encore à la nécessité, fréquente, de consulter plusieurs normes différentes, qui se complètent, se modifient ou se remplacent, avant d’avoir déterminé le comportement à adopter. Autant de maux législatifs auxquels il faudra trouver des remèdes.

    B. Le plan

    6. Le Code pénal social est ordonné selon un plan assez simple. Il se divise en deux Livres.

    Le Livre premier contient les règles communes à toutes les infractions ; il rassemble les dispositions relatives à la prévention, la constatation et la poursuite des infractions et leur répression en général. Il est divisé en six Titres.

    En commençant par les dispositions relatives à la politique de prévention et de surveillance et à la prévention des infractions (Titres 1er et 2), le législateur a voulu mettre l’accent sur le rôle que jouent les inspecteurs sociaux ainsi que le service de recherche et d’information sociale dans la prévention des infractions de droit pénal social.

    Viennent ensuite les dispositions relatives aux procès-verbaux d’audition et aux procès-verbaux de constatation d’une infraction (Titre 3) puis celles concernant la poursuite des infractions (Titre 4). S’ensuivent quelques dispositions particulières qui forment le Titre 5.

    Enfin, le Titre 6 consacré à la répression des infractions en général introduit une importante réforme du régime répressif des infractions de droit pénal social : il détermine le niveau des sanctions pénales et des amendes administratives ainsi que les principes généraux qui leurs sont applicables et propose des nouvelles sanctions pénales particulières. Ce Titre fait le lien entre le Livre premier et le Livre 2.

    Le Livre 2 regroupe toutes les incriminations de droit pénal social, lesquelles sont soumises au régime décrit dans le Livre premier. Elles sont classées par matière, en onze chapitres, selon l’intérêt protégé.

    Chapitre premier

    Les infractions contre la personne du travailleur

    Chapitre 2

    Les infractions en matière de temps de travail

    Chapitre 3

    Les infractions relatives aux autres conditions de travail

    Chapitre 4

    Le travail illégal

    Chapitre 5

    Le travail non déclaré

    Chapitre 6

    Les infractions concernant les documents sociaux

    Chapitre 7

    Les infractions concernant les relations collectives de travail

    Chapitre 8

    Les infractions en matière de contrôle

    Chapitre 9

    Les infractions concernant la sécurité sociale

    Chapitre 10

    Les infractions de faux, d’usage de faux, de déclarations inexactes ou incomplètes et d’escroquerie en droit pénal social

    Chapitre 11

    Règles communes aux chapitres précédents

    C. La recherche d’exhaustivité

    7. Le législateur a déclaré vouloir rassembler en un seul ouvrage, un code, l’ensemble des incriminations et leur régime répressif. Le Code pénal social procède à un inventaire des manquements susceptibles d’entraîner une sanction pénale. Depuis son entrée en vigueur, tous les comportements qui n’y sont pas visés ne sont plus punissables. Les anciennes dispositions pénales sont abrogées et remplacées par un nouveau texte, celui du Code pénal social. Il en va exactement de même des dispositions relatives aux amendes administratives et des règles de procédure propres à la matière ; elles sont incluses dans le code et les anciennes dispositions spécifiques sont abrogées. De la sorte, un régime clair et, lorsque c’est possible, uniforme, est donné à l’ensemble de la matière. Puisque les dispositions pénales auparavant éparpillées dans les différentes lois ont été abrogées, un renvoi au Code pénal social est effectué à titre informatif dans ces lois. On trouvera dès lors dans la loi sur le travail, dans la loi sur la protection de la rémunération, etc., dépouillées de leurs anciennes dispositions pénales, la formule suivante : « Les infractions visées en exécution du présent paragraphe sont recherchées, constatées et sanctionnées conformément au Code pénal social. Les inspecteurs sociaux disposent des pouvoirs visés aux articles 23 à 39 du Code pénal social lorsqu’ils agissent d’initiative ou sur demande dans le cadre de leur mission d’information, de conseil ou de surveillance relative au respect des dispositions de la présente loi et de ses arrêtés d’exécution ».

    Bien entendu, le Code pénal social n’a pas la prétention de créer un corps complet de règles de droit pénal ou de procédure pénale qui exclurait le Code pénal et le Code d’instruction criminelle. Ceux-ci restent applicables si le Code pénal social n’y déroge pas.

    8. À certains égards, le code présente un caractère inachevé.

    Tout d’abord, dans deux matières, la réécriture des incriminations n’a pas encore été entièrement effectuée.

    a) La santé et la sécurité au travail. Un obstacle que l’on espère provisoire empêche que les incriminations relatives à la santé et la sécurité au travail soient dès à présent réécrites en entier dans le Code pénal social. L’arrêté royal du 27 mars 1998 relatif à la politique du bien-être des travailleurs lors de l’exécution de leur travail pris en exécution de la loi du 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs lors de l’exécution de leur travail constitue le Code sur le bien-être au travail. Ce code intègre progressivement les dispositions du Règlement général pour la protection au travail, les modernise et les complète. À l’heure actuelle, cette codification n’est pas terminée. Le législateur a estimé que les infractions au Code sur le bien-être au travail ne pourront être réécrites dans le Code pénal social que lorsque le premier présentera une structure achevée16. Seules celles relatives à la violence et au harcèlement moral et sexuel au travail ont été réécrites dans le code (art. 119 à 122 du C. pén. soc.). En attendant, le Code pénal social (art. 123 à 133) soumet les autres infractions concernant le bien-être au travail au même régime que les autres infractions de droit pénal social (surveillance, procédure, régime des sanctions répressives, etc.) et assortit, de manière provisoire, l’ensemble des infractions en matière de santé et de sécurité au travail d’une même peine17, l’objectif à terme étant de distinguer dans cette matière quatre niveaux de gravité de sanction. Dans ce domaine, l’édifice conserve donc, pour l’heure, les mêmes fragilités qu’avant la codification, en particulier en ce qui concerne le principe de légalité des incriminations. D’une part, diverses incriminations sont de type ouvert18, parfois censurées par la Cour constitutionnelle19. D’autre part, la loi du 4 août 1996 et ses arrêtés d’exécution sont souvent pris en vue de transposer une directive européenne. Il n’est pas rare qu’un arrêté royal soit adopté dans cette matière sans consultation préalable du Conseil d’État, le Roi se prévalant de l’urgence d’assurer cette transposition. L’arrêté royal est illégal si l’urgence n’est pas justifiée20, par exemple si elle résulte d’un manque de diligence de l’administration21.

    b) Les conventions collectives de travail. L’article 189 du Code pénal social prévoit une sanction pour tout manquement à une convention collective de travail dont la transgression n’est pas déjà punie par une autre disposition du code. Les difficultés engendrées par cet article, dont l’entrée en vigueur est reportée au 1er juillet 201522, font l’objet de la deuxième leçon.

    Ensuite, un manque de coordination explique que l’article 17bis de l’arrêté royal no 38 organisant le statut social des travailleurs indépendants contienne un système autonome de répression pour quelques infractions, introduit par une loi-programme du 23 décembre 2009. Il prévoit une amende administrative à charge du travailleur indépendant qui exerce ou a exercé une activité professionnelle indépendante sans s’affilier à une caisse d’assurances sociales alors qu’il était tenu de le faire ainsi qu’à charge de celui dont les revenus professionnels servant de base au calcul de la cotisation « ont été revus à la hausse après constatation, faite par l’administration des contributions, d’un cas de fraude fiscale ». Le produit de ces amendes, infligées par un fonctionnaire de l’Institut national d’assurances sociales pour travailleurs indépendants et récupérées par les caisses d’assurances sociales, revient à l’Inasti (art. 20, § 1er, al. 5). Dans un souci de rationalité, il conviendrait que ces dispositions soient intégrées dans le Code pénal social23.

    Enfin, plusieurs matières relevant du droit social sont délibérément exclues du code.

    a) La discrimination. Le législateur a exclu du code la matière de la discrimination dans les relations de travail, pour des motifs peu convaincants24. Cette exclusion est néanmoins sans influence sur la compétence pénale de l’auditeur du travail et sur celle des inspecteurs sociaux, qui surveillent le respect de la loi conformément aux dispositions du Code pénal social25.

    b) Les dispensateurs de soins. Les anciennes dispositions pénales de la loi coordonnée du 14 juillet 1994 relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités ont été incorporées au Code pénal social. Parmi celles-ci, l’article 225, 3o, du code punissait les dispensateurs de soins par une disposition spécifique, lorsqu’ils délivraient une attestation de soins irrégulière. Le législateur a ensuite abrogé cette disposition par une loi du 15 février 2012 ; il a retiré l’infraction du code pour la réintégrer dans la loi de 1994 en instaurant un système de répression hybride. L’infraction continue d’être recherchée et constatée conformément aux dispositions du Code pénal social concernant les pouvoirs des services d’inspection (art. 169 de la loi coordonnée du 14 juillet 1994). Mais sa description et sa sanction se situent dans la loi du 14 juillet 1994 (art. 73bis, al. 1er, 1o, et 142). La peine est une amende administrative – dont la nature répressive n’est plus discutée – infligée par l’Institut national d’assurance maladie-invalidité (Inami). Elle constitue une recette de l’assurance soins de santé et indemnités. Cette modification a fait l’objet de sévères critiques : « On fait une sorte de ‘shopping’ pour les sanctions à appliquer (…). La réforme du droit pénal social avait pour objectif de rationaliser les sanctions et d’uniformiser les procédures. Le Code pénal social implique des adaptations des uns et des autres, mais il faut éviter de faire des régimes particuliers pour des secteurs sous peine de voir chaque secteur réclamer son autonomie, ce qui créera à nouveau le désordre qu’on a voulu supprimer »26.

    Il n’est pas certain que la loi du 15 février 2012 atteigne pleinement son objectif. En effet, les dispensateurs de soins tombent sous le coup des articles 232 et suivants du Code pénal social lorsqu’ils commettent un faux en vue de faire obtenir un avantage social indu. Il y a donc un risque de collision entre la sanction prévue par le code et la sanction administrative de type répressif prévue par la loi de 1994, que le principe non bis in idem ne permet pas de cumuler, ainsi qu’on le verra ultérieurement27. Le plus simple eût sans doute été de maintenir l’incrimination dans le code, quitte à négocier une affectation d’une partie des amendes au profit de l’Inami, à l’instar de ce qui est prévu au bénéfice l’Office national de sécurité sociale (Onss).

    D. Réflexions

    9. L’adoption du Code pénal social a été saluée avec enthousiasme par les divers milieux intéressés28. Facteur de démocratie, il facilite l’accès à la norme juridique tant de la part des citoyens que de la part des acteurs du droit pénal social.

    Ceci étant, comme le disait Portalis lors de la présentation du projet de Code civil en janvier 1801, « Un code, quelque complet qu’il puisse paraître, n’est pas plutôt achevé, que mille questions inattendues viennent s’offrir au magistrat »29. Deux siècles et quelques années plus tard, ces lignes n’ont pas perdu une ride. Il ne faut pas cacher que l’adoption d’un nouveau code s’accompagne toujours d’inconvénients. Perçu comme menaçant certaines habitudes ou certains privilèges, un code entraîne inévitablement un mouvement de résistance. Les arguments techniques se mêlent aux arguments émotionnels pour résister à la modernité. Le Code pénal social en subit directement les effets : la pénalisation des conventions collectives de travail, l’exclusion de la matière de la discrimination dans les relations de travail ainsi que le rétablissement d’un système particulier de répression pour les prestataires de soins en sont trois exemples frappants.

    Il faut y prendre garde, car, si elle se poursuit, cette « résistance au code » menace la « résistance du code »30 ; celui-ci risquerait de devenir une loi à option, ce qui ruinerait les efforts d’harmonisation et d’exhaustivité déployés par le législateur.

    Enfin, un code n’est jamais qu’une étape dans une évolution législative31. Il est vrai que plusieurs de ses imperfections sont en voie d’être gommées par de futures lois en préparation et qu’ensuite il est destiné à s’inscrire dans la durée. Mais l’idée du code multiséculaire est un mythe. Un code ne peut empêcher l’évolution du droit. Il est indispensable d’adapter le Code pénal social à l’arrêt Zolotoukhine, par exemple. En outre, dans une société frappée par l’inflation législative, on doit s’attendre à la naissance de nouvelles incriminations. Leur intégration dans le Code pénal social est indispensable, même si c’est au prix d’une remise en question partielle des méthodes habituelles de travail législatif. On peut espérer qu’avec la même patience, la même volonté et la même énergie que celles qui ont présidé à l’adoption du code, le législateur veille à son adaptation à l’évolution du droit, l’essentiel étant de préserver l’intelligibilité, l’accessibilité de la norme, la systématisation du régime juridique, dans le respect des normes supérieures32.

    Section 2

    Les relations entre le droit pénal social et l’ordre public

    § 1. La valeur expressive du droit pénal

    10. La doctrine contemporaine la plus répandue voit le fondement du droit pénal dans la nécessité d’assurer la survie de toute société ; il est un instrument de défense des valeurs que le groupement considère comme dignes de protection. Une collectivité ne peut exister que si sont observées les lois nécessaires pour faire régner l’ordre, faire respecter les droits du groupe et ceux de ses membres ; toute association humaine possède une loi de conservation l’amenant à prendre des mesures qui sont la condition de son existence33. Mme Delmas-Marty, dans ses travaux sur les grands systèmes de politique criminelle, constate que « dans toute société se développent des comportements d’écart aux normes (…). Face à ces comportements, toute société organise des réponses (…). Une société ne répondra jamais à tous les comportements d’écart, mais toujours elle répondra à certains d’entre eux, sauf à courir le risque de se désagréger et de disparaître »34. Il existe plusieurs formes de réaction, étatiques ou non, qui s’influencent réciproquement. Mais dans nos sociétés occidentales, il y a une prédominance de l’intervention étatique. Pour le pouvoir étatique, la tâche de préserver l’ordre social menacé est une nécessité dont l’accomplissement exige qu’il dispose de tous les moyens efficaces. Au même titre que la guerre est un moyen extrême de « protéger la société contre les agressions émanant des nations étrangères »35, la peine est un moyen destiné à préserver la société des atteintes que pourraient lui porter les particuliers36.

    La répression pénale n’est toutefois que l’une des formes – la plus violente – que peut emprunter la réaction étatique en réponse aux comportements dangereux37. Lorsque le législateur recourt à la sanction pénale, il signifie que le comportement visé mettrait en péril le fonctionnement harmonieux de la société. Par le droit pénal, la société se protège contre les atteintes à ses fondements. Le droit pénal a, ainsi, à côté de sa fonction répressive, une fonction expressive : il exprime les valeurs que le législateur juge essentielles à la survie de la collectivité38. « Le but premier de la loi pénale est d’affirmer, par les sanctions les plus graves (…), les règles de la vie sociale considérées comme essentielles par le pouvoir »39. Par l’adjonction de peines, le législateur marque la norme d’une impérativité plus grande ; la sanction pénale traduit sa volonté que la règle soit absolument observée.

    § 2. L’ordre public

    11. La disposition d’ordre public est décrite comme celle « qui touche aux intérêts essentiels de l’État ou de la collectivité, ou qui fixe, dans le droit privé, les bases juridiques sur lesquelles repose l’ordre économique ou moral de la société » à l’exclusion des dispositions ne protégeant que des intérêts privés. La Cour de cassation a, depuis longtemps, opté pour cette définition empruntée à De Page40.

    L’ordre public se confond avec l’intérêt général, sans que cela signifie que l’ensemble de la collectivité doive être concerné : la protection de personnes déterminées ou d’un groupe de personnes, d’une « classe »41, peut toucher aux intérêts essentiels de la société42.

    L’ordre public se compose à la fois des lois dont le législateur proclame directement ou indirectement le caractère d’ordre public – que ce soit par le recours à la sanction pénale ou par d’autres procédés – et des lois dont il ne dit pas qu’elles sont d’ordre public, mais dont les tribunaux affirment ce caractère parce qu’elles paraissent essentielles à la vie en collectivité ou fixent les bases juridiques sur lesquelles repose l’ordre économique ou moral de la société.

    La source principale de l’ordre public est la loi ; ce n’est qu’en cas de silence du législateur que la jurisprudence détermine ce qui est d’ordre public43. Le législateur peut qualifier d’ordre public toute matière qui, à ses yeux, le mérite, en se fondant sur des considérations d’opportunité politique44.

    L’ordre public est une notion fuyante ; son contenu se modifie à tout moment. Au XIXe siècle, l’ordre public dans les relations de travail portait la marque du libéralisme et se trouvait protégé principalement par des dispositions pénales servant le plus souvent les intérêts des patrons45. Avec l’apparition des premières lois ouvrières, l’ordre public qu’il s’est agi de protéger a changé de visage : il est devenu « plus social »46 ; à la conception libérale traditionnelle, s’est progressivement substituée une conception empreinte de valeurs nouvelles : protection du travail et des travailleurs, solidarité sociale, valeurs jugées indispensables au maintien de l’équilibre de la société47, et dont le respect favorise, au demeurant, le maintien de la paix sociale48. L’intérêt du groupe a succédé à l’individualisme libéral49.

    § 3. L’ordre public et la loi pénale

    12. On a écrit que l’ordre public législatif « culmine dans la loi pénale »50 ; le droit pénal est en effet tout entier d’ordre public. Lorsque le législateur recourt à la répression, il indique qu’il tient les faits visés pour perturbateurs de la paix publique, qu’ils menacent un intérêt dont la protection est un élément de l’équilibre social tel qu’il le conçoit.

    La règle à observer lui paraît si importante qu’il le fait savoir par l’adjonction de sanctions pénales. L’appartenance de la loi pénale à l’ordre public a pour conséquence qu’elle doit être observée par tous51, faute de quoi une sanction sera appliquée, sanction qui présente une spécificité par rapport à la sanction civile. Elle ne poursuit, en effet, pas la même finalité. Les deux mesures ne se distinguent pas seulement par le degré d’efficacité ; la peine a une originalité en ce qu’elle marque le comportement réprimé d’un certain blâme que n’exprime pas la sanction civile52.

    C’est ainsi que l’on présente le droit pénal comme un droit qui ne s’occupe pas de sauvegarder les intérêts particuliers. C’est au nom de l’intérêt général que les pouvoirs publics ont pris en charge la réaction aux atteintes portées aux intérêts particuliers53. L’infraction est avant tout tenue pour une atteinte à l’intérêt public, quel que soit le préjudice qui en résulte pour les particuliers54. C’est au nom de cet intérêt public que le ministère public exerce l’action tendant à l’application de la peine, appelée action publique. Ne constituent des infractions que les comportements déclarés porter atteinte aux droits et libertés d’autrui, à la paix publique55, ou mettre en péril l’organisation des rapports sociaux56. Parfois la collectivité partage l’appréciation du législateur quant au caractère dangereux du comportement visé par la disposition pénale, quant à l’importance de la règle à observer ; parfois elle ne la partage pas. L’appréciation du législateur est nécessairement subjective. Lorsqu’il affirme intervenir au nom de l’intérêt général, c’est nécessairement au nom de l’intérêt général et de l’harmonie de la collectivité tels qu’il les conçoit. Aussi, lorsque, dans la suite de cet exposé, nous évoquerons l’intérêt général en tant qu’objet de la protection du droit pénal, nous viserons, même lorsque nous ne le préciserons pas, la disposition présentée comme étant d’intérêt général par le législateur.

    Il est incontestable que, dans de nombreux cas, le droit pénal prête le secours de ses peines à des règles énoncées par d’autres branches du droit – ce qui n’est pas sans incidence sur l’interprétation de la loi pénale. Il y a alors simplement superposition entre les intérêts privés protégés par les règles civiles et l’intérêt public protégé par la loi pénale, superposition se traduisant par la coexistence des actions civile et publique nées de la même infraction et pouvant être diligentées devant la même juridiction57. Cette superposition ne va pas jusqu’à la confusion : l’intérêt particulier est secondaire. La lésion de l’ordre public prédomine, est sous-jacente à toute intervention pénale58.

    13. S’agissant du droit social, le législateur a, très tôt, marqué l’appartenance des nouvelles normes à l’ordre public, puisque les toutes premières d’entre elles sont flanquées de dispositions pénales59. Dès qu’il s’est soucié de réglementer la matière par des dispositions spécifiques, de ne plus l’abandonner exclusivement à l’empire du droit civil, le législateur a décidé de donner au droit social la forme répressive, pour lui conférer une impérativité particulière, parce qu’il attachait beaucoup d’importance aux changements que ces nouvelles lois devaient apporter.

    Les conséquences du caractère d’ordre public d’une disposition de droit pénal social peuvent être envisagées sous deux angles, celui de l’action publique et celui des obligations civiles, c’est-à-dire celui des intérêts particuliers de la victime du délit.

    § 4. Conséquences du caractère d’ordre public du droit pénal social sur l’action publique

    14. Une conséquence attachée au fait que l’action publique est, dans nos sociétés, présentée comme visant à protéger les intérêts de la collectivité est qu’elle échappe à toute transaction, désistement ou acquiescement du ministère public60, qui n’en est pas le titulaire, mais seulement le dépositaire61.

    La victime, n’étant pas titulaire des intérêts de la société, ne peut, par son consentement à l’infraction, faire disparaître le caractère délictueux des faits62, sinon lorsque la loi elle-même précise que le consentement de la victime est un obstacle à l’infraction63 ; par exemple, en dehors des conditions légales de l’euthanasie64, le crime d’homicide volontaire est établi même si la victime a demandé à ce qu’il soit mis fin à ses jours ; elle ne peut disposer de l’intérêt supérieur protégé par le droit pénal. Exceptionnellement, la loi précise elle-même que le consentement de la victime est élusif de l’infraction ; le trouble social n’est réalisé que parce que les agissements incriminés vont à l’encontre de la volonté d’autrui ; ainsi, l’infraction de violation de domicile n’existe, selon le prescrit exprès du législateur, que si l’auteur s’est introduit dans le domicile de l’habitant « contre le gré de celui-ci »65 ou « contre [sa] volonté »66.

    Par ailleurs, un accord exprimé après la commission de l’infraction, autrement dit le pardon de la part de la victime, ne constitue pas une cause de justification, même dans les cas exceptionnels où l’infraction requiert, pour son existence, l’absence de consentement de la victime.

    15. Transposés au droit pénal social, ces principes produisent les mêmes effets. Du caractère d’ordre public de la loi pénale, il découle que le consentement de la victime – en général, le travailleur – n’efface pas l’infraction67. Que le salarié ait délibérément, sans contrainte, effectué des prestations le dimanche après-midi dans un magasin de détail68 ou renoncé au sursalaire69, à une prime de fin d’année ou à la rémunération garantie par convention collective rendue obligatoire70, ou à l’indexation de celle-ci71, le caractère d’ordre public du droit pénal s’oppose à ce que la victime puisse dispenser le prévenu – l’employeur – du respect de la législation72. Il n’en va autrement que lorsque la loi elle-même précise que le consentement de la victime est un obstacle à l’infraction. On trouve une telle disposition dans l’article 14, alinéa 1er, de la loi du 12 avril 1965 sur la protection de la rémunération : « le paiement de la main à la main doit, sauf accord des parties, se faire au lieu du travail ou à proximité de celui-ci » ; cet accord empêche la réalisation de l’infraction visée à l’article 162 du Code pénal social73.

    § 5. Conséquences du caractère d’ordre public du droit pénal social sur les obligations civiles

    A. La disposition civile sanctionnée pénalement est une disposition d’ordre public

    16. Puisque le législateur estime que le respect de certains intérêts particuliers, dont il se soucie, est essentiel, et qu’il décide, pour cette raison, de protéger ces intérêts par des peines, il est logique d’admettre le caractère d’ordre public de la disposition civile sanctionnée. Cette opinion est partagée par le Conseil d’État74 et une partie de la doctrine : « le législateur a suffisamment exprimé que l’importance de la règle dépasse l’ordre privé lorsque, indépendamment du droit civil, il en assure le respect par une sanction pénale »75.

    17. Toutefois, des auteurs de plus en plus nombreux sont d’un avis opposé. Ils considèrent que l’existence de sanctions pénales est un indice sérieux, mais non infaillible du caractère d’ordre public de la loi sanctionnée ; une loi qui ne protège que des intérêts privés, mais qui néanmoins contient des peines, serait simplement impérative76-77. La jurisprudence de la Cour de cassation est sinueuse ; nous examinerons plus loin la position de cette dernière (nos 24 et s.).

    B. Conséquences sur le régime des nullités et des renonciations

    18. Les dispositions impératives et celles qui sont d’ordre public ont en commun de s’imposer aux parties au contrat en dépit de leur volonté contraire, à la différence des règles supplétives qui ne s’imposent qu’à défaut pour les cocontractants d’avoir exprimé une volonté contraire. Mais l’impérativité et l’ordre public sont des notions difficiles à démêler l’une de l’autre. La disposition impérative peut se définir comme celle qui vise à « protéger les intérêts particuliers d’une catégorie de personnes considérées comme faibles »78. On l’oppose souvent à la règle d’ordre public lorsque l’on examine la nature de la nullité de la disposition dérogatoire, ainsi que les possibilités de renonciation (conventionnelle ou unilatérale) à la protection légale.

    L’ordre public engendre généralement la nullité absolue de la disposition dérogatoire et l’indisponibilité du droit protégé. L’idée d’impérativité est quant à elle souvent associée à une nullité relative et à une possibilité de renoncer à un certain moment à la protection légale.

    Il arrive pourtant que certaines dispositions pénales n’entraînent qu’une nullité relative et tolèrent une renonciation de la part de la victime à un certain moment, d’une manière similaire à une disposition simplement impérative79. La conclusion à en tirer n’est pas, selon nous, que la disposition est purement impérative. Au contraire, du fait de son objet – la protection de l’intérêt général –, elle est d’ordre public ; ce caractère n’empêche pas que, dans certains cas, la nullité soit simplement relative80, ni que certaines renonciations soient possibles.

    1. Les nullités

    19. S’agissant de la nature de la nullité, il est communément admis que la règle d’ordre public entraîne en général une nullité absolue et la loi impérative une nullité relative. En l’absence de précision légale, c’est l’analyse du but poursuivi par le législateur qui est déterminante du caractère de la nullité81. Si seuls des intérêts particuliers sont en jeu, la nullité est relative et le droit de critique appartient aux seules personnes dont la protection est recherchée. Lorsque la nullité est relative, le juge ne peut la prononcer d’office82.

    En revanche, si le législateur a estimé que l’intérêt général est en cause, la nullité est absolue, elle peut être demandée par tout intéressé, parfois même par le ministère public agissant d’office83 et doit être prononcée d’office par le juge84. Il y a toutefois des exceptions à cette règle générale : le juge refusera de prononcer la sanction si elle devait se retourner contre la personne dont la protection est voulue85 ; de même, le législateur peut décider de déroger au droit commun lorsqu’il estime qu’une nullité relative est plus adéquate86.

    20. Le droit social permet bien souvent de faire l’économie de la démarche délicate consistant à déterminer si l’intérêt général ou des intérêts privés sont en jeu. Une série de dispositions – dont l’article 14 de la loi du 3 juillet 1978 – soustraient la matière au droit commun des nullités, en des termes identiques : « La nullité du contrat ne peut être opposée aux droits du travailleur qui découlent de l’application de la présente loi, lorsque des prestations de travail sont fournies :

    1) en vertu d’un contrat frappé de nullité du chef d’infraction aux dispositions ayant pour objet la réglementation des relations du travail,

    2) dans les salles de jeux »87.

    En écartant expressément l’employeur des titulaires du droit de critique, cette solution contribue à assurer au salarié l’application du droit du travail en ce qui concerne les prestations déjà accomplies en exécution d’un contrat annulable ; admettre une nullité absolue aurait permis à l’employeur d’invoquer la sanction pour se soustraire aux obligations légales découlant du contrat88 et échapper, par exemple, au sursalaire relatif à des heures supplémentaires irrégulières.

    L’origine de cette solution légale se trouve dans la volonté du législateur de couper court à une jurisprudence sévère refusant d’appliquer les dispositions du droit social en cas de nullité du contrat. En l’espèce, la législation en cause était celle relative aux accidents du travail. La victime était un ouvrier de moins de 16 ans occupé en violation de la réglementation du travail des femmes et des enfants dans un atelier où étaient utilisés des outils dangereux. S’étant blessé avec une dégauchisseuse, il avait sollicité l’octroi des indemnités prévues par la loi du 24 décembre 1903, subordonnées à plusieurs conditions dont celle-ci : l’accident devait être survenu dans le cours de l’exécution du contrat. Partant de la constatation que le contrat n’était pas valablement conclu, la Cour de cassation avait écarté l’application des dispositions permettant l’indemnisation de la victime89. C’est ce qui a incité le législateur à adopter la solution que l’on sait. Cette solution donne au salarié le droit d’obtenir tous les avantages contractuels ou légaux attachés à un contrat valable90-91.

    Le refus du droit de critique à l’employeur dans ces diverses occurrences s’impose en vertu de la loi sans qu’il soit nécessaire de trancher la question du caractère d’ordre public ou impératif de la norme violée92. Le législateur a estimé cette sanction plus adéquate pour assurer au salarié l’application effective de la loi.

    21. L’intervention du législateur ne protège le travailleur qu’en ce qui concerne les prestations déjà exécutées. Elle ne porte que sur la seule exécution passée du contrat de travail. En revanche, la sanction civile anéantit le contrat pour l’avenir et s’oppose à la reconnaissance des obligations de travailler, de faire travailler et de payer la rémunération93-94.

    2. Les renonciations

    22. Quant aux possibilités de dérogation (conventionnelle ou unilatérale) au bénéfice d’une loi d’ordre public, on sait que la doctrine est très divisée.

    Il est admis, d’une manière générale, qu’une dérogation à une loi simplement impérative est possible pour autant que la volonté de renoncer se manifeste à un moment où la protection légale n’a plus d’objet95. En droit du travail, la détermination du moment où la règle cesse d’être impérative est particulièrement délicate96.

    En revanche, lorsque la loi en cause est d’ordre public, plusieurs positions s’affrontent. Selon une première conception, « une prérogative d’ordre public cesse d’être indisponible par voie de transaction dès l’instant où elle constitue un droit né et acquis, où elle est entrée définitivement dans le patrimoine de celui qui prétend en disposer »97. La renonciation à un droit acquis serait licite même dans les matières d’ordre public. La prohibition ne viserait que les droits futurs et non les droits nés et actuels. Cette conception manque de pouvoir de conviction par son caractère réducteur.

    À l’opposé, certains considèrent qu’une disposition d’ordre public s’oppose à toute renonciation, même après la survenance de la circonstance ayant justifié la mesure de protection légale98.

    Une troisième conception, plus nuancée, consiste à déterminer un par un les cas où le législateur autorise la renonciation ou l’abdication par convention d’un droit créé par une disposition d’ordre public. Il arrive en effet que des normes d’ordre public donnent naissance à un certain moment à des droits dont les parties peuvent disposer99. Comme le note J.D. Bredin100, « une large zone de l’ordre public, et qui ne cesse de s’étendre, concerne la protection des intérêts économiques et sociaux d’individus, ou de groupes d’individus. On ne saurait sérieusement contester que des lois d’intérêt public puissent protéger des intérêts privés ou collectifs, mais non généraux. L’hésitation de certains juristes à l’admettre provient d’une confusion entre le but de la loi, qui est toujours de satisfaire l’intérêt général, et son objet, qui peut être de défendre des intérêts particuliers dont la lésion porterait préjudice à tout le groupe social. Chaque fois que des lois d’intérêt public défendent des intérêts particuliers, et la contradiction des termes ne doit pas nous surprendre, la renonciation ne saurait être prohibée de manière aussi rigoureuse. L’intérêt public impose, pour éviter des abus d’autorité, des spoliations, des injustices sociales, que des individus puissent acquérir certaines prérogatives, disposer de certains droits.

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