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Convention européenne des droits de l'homme et droit de l'entreprise: Droit européen
Convention européenne des droits de l'homme et droit de l'entreprise: Droit européen
Convention européenne des droits de l'homme et droit de l'entreprise: Droit européen
Livre électronique653 pages7 heures

Convention européenne des droits de l'homme et droit de l'entreprise: Droit européen

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À propos de ce livre électronique

Les Éditions Anthemis vous proposent un outil complet pour comprendre l'impact de la Convention européenne des droits de l’homme dans le droit de l'entreprise.

L’intérêt de la doctrine pour le thème de l’utilisation de la Convention européenne des droits de l’homme dans le droit des affaires a débuté à partir des années 1990 et correspond aux premiers arrêts importants rendus par la Cour européenne à propos de sociétés commerciales.
Le sujet est complexe car il est à la fois très vaste et à la croisée des chemins du droit privé et du droit public. L'ambition du présent ouvrage est d’apporter sa contribution à la compréhension des interactions entre ces deux matières qui a priori n’étaient pas faites pour se rencontrer.
Retiennent successivement l'attention l’invocation des droits substantiels (vie privée, liberté de religion, protection des biens, liberté d'expression…) dans les relations internes et externes à l’entreprise et l’invocation des droits procéduraux (droit à un procès équitable, droit au juge…).

Un ouvrage écrit par des professionnels, pour des professionnels.

À PROPOS DES ÉDITIONS ANTHEMIS

Anthemis est une maison d’édition spécialisée dans l’édition professionnelle, soucieuse de mettre à la disposition du plus grand nombre de praticiens des ouvrages de qualité. Elle s’adresse à tous les professionnels qui ont besoin d’une information fiable en droit, en économie ou en médecine.
LangueFrançais
ÉditeurAnthemis
Date de sortie23 août 2017
ISBN9782807201750
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    Aperçu du livre

    Convention européenne des droits de l'homme et droit de l'entreprise - Laure Milano (dir.)

    1.pngConvention européenne des droits de l’homme et droit de l’entrepriseConvention européenne des droits de l’homme et droit de l’entreprise

    Cette version numérique de l’ouvrage a été réalisée par Communications s.p.r.l. (Limal) pour le © Anthemis s.a.

    Jurisquare

    La version en ligne de cet ouvrage est disponible sur la bibliothèque digitale ­Jurisquare à l’adresse www.jurisquare.be.

    Réalisé avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles

    Réalisé avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles

    ISBN : 978-2-8072-0175-0

    © 2016, Anthemis s.a.

    Place Albert I, 9 B-1300 Limal

    Tél. 32 (0)10 42 02 90 – info@anthemis.be – www.anthemis.be

    Éditions Nemesis a.s.b.l.

    11, avenue de la Ferme Rose, B-1180 Bruxelles.

    Toutes reproductions ou adaptations totales ou partielles de ce livre, par quelque procédé que ce soit et notamment par photocopie, réservées pour tous pays.

    Mise en page : Communications s.p.r.l.

    ePub : Communications s.p.r.l.

    Sommaire

    Rapport introductif – L’influence de la Convention européenne des droits de l’homme sur le droit des affaires

    Laure Milano, Professeur de droit public, Université d’Avignon, I.D.E.D.H. (EA 3976)

    Ire partie

    Droits substantiels et relations internes à l’entreprise

    Vie privée et relations de travail au sein de l’entreprise

    Sabine Mariette, Conseiller référendaire à la Chambre sociale de la Cour de cassation

    Liberté de religion au sein de l’entreprise

    Gérard Gonzalez, Professeur de droit public, Université de Montpellier, I.D.E.D.H. (EA 3976)

    Licenciement et Convention européenne des droits de l’homme

    Jean Mouly, Professeur de droit privé, Faculté de droit et des sciences économiques de Limoges, O.M.I.J. (EA 3077)

    IIe partie

    Droits substantiels et relations externes à l’entreprise

    Droit des contrats et Convention européenne des droits de l’homme

    Fabien Marchadier, Professeur de droit privé, Université de Poitiers

    La construction de la protection du domicile professionnel

    Bertrand Favreau, Avocat à la Cour, Président de l’Institut des droits de l’homme des avocats européens (I.D.H.A.E.)

    Fiscalité et protection des biens de l’entreprise

    Ludovic Ayrault, Professeur de droit public, Université Panthéon-Sorbonne (Paris 1)

    Le respect des biens de l’entreprise titulaire de droits de propriété intellectuelle

    Alexandre Zollinger, Maître de conférences en droit privé, Université de Poitiers (C.E.C.O.J.I.-U.P.)

    Liberté d’expression et information de nature commerciale

    Emmanuel Derieux, Professeur, Université Panthéon-Assas (Paris 2)

    IIIe partie

    Convention européenne des droits de l’homme et droit de l’entreprise : aspects procéduraux

    La nécessaire réforme du droit des visites domiciliaires sous l’influence du droit à un procès équitable

    Boris Ruy, Avocat à la Cour, Associé FIDAL (Lyon), département concurrence-distribution

    Les garanties applicables aux procédures se déroulant devant les autorités administratives statuant en matière économique

    Pascale Idoux, Professeur de droit public, Université de Montpellier, CREAM/IUF

    Droit au juge et pratiques restrictives de concurrence

    David Bosco, Professeur de droit privé, Université Aix-Marseille (EA 4224)

    Exigences du procès équitable et arbitrage : existence et essence du droit à un procès arbitral équitable

    Cécile Chainais, Membre de l’Institut universitaire de France,

    Professeur de droit privé,Université Panthéon-Assas (Paris 2),

    Directrice du Centre de recherche sur la justice et le règlement des conflits

    Conclusions générales

    Jean-Pierre Marguénaud, Professeur à la Faculté de droit et des sciences économiques, Université de Limoges, Membre de l’I.D.E.D.H., Université de Montpellier

    Rapport introductif

    L’influence de la Convention européenne des droits de l’homme sur le droit des affaires

    par

    Laure Milano

    Professeur de droit public, Université d’Avignon, I.D.E.D.H. (EA 3976)

    L’intérêt de la doctrine pour le thème de l’utilisation de la Convention européenne des droits de l’homme dans le droit des affaires a débuté à partir des années 1990 (¹) et correspond aux premiers arrêts importants rendus par la Cour européenne à propos de sociétés commerciales (²).

    À l’époque, le rapprochement entre ces deux matières juridiques apparaissait surprenant et le sujet très novateur. Aujourd’hui, affirmer que la Convention est « une interlocutrice de choix » pour les juristes d’affaires (³) n’a plus rien d’étonnant tant il s’agit d’une réalité bien connue des acteurs économiques, des juristes et des juges nationaux pour qui l’invocation de la Convention dans le cadre des contentieux du droit des affaires est devenue une banalité. Cette immixtion du droit européen des droits de l’homme n’a, en effet, cessé de s’amplifier au cours des dernières années. Traiter de ce sujet n’a donc plus rien de surprenant. Pourtant, paradoxalement, il y a peu de travaux d’ensemble qui l’abordent (⁴).

    Le sujet est certes complexe, car il est à la fois très vaste et à la croisée des chemins du droit privé et du droit public. Humblement, l’ambition de ce colloque est d’apporter sa contribution à la compréhension des interactions entre ces deux matières qui a priori n’étaient pas faites pour se rencontrer.

    Bien que ces aspects soient connus, il faut revenir sur l’historique de cette rencontre contre nature tant il est vrai que rien ne prédestinait la Convention à constituer un outil au service du juriste d’affaires. La Convention européenne des droits de l’homme, adoptée en 1950 dans le cadre du Conseil de l’Europe, a été conçue, c’est un truisme que de le rappeler, pour protéger les droits fondamentaux des individus contre l’arbitraire des États. C’est bien l’homme qui est au cœur de ce texte et les droits qui lui sont reconnus sont classiques, appartenant à ce que l’on qualifie traditionnellement de droits civils et politiques. Il n’y a donc que très peu de droits qui peuvent de prime abord bénéficier à l’individu situé dans ses relations professionnelles ou économiques, la plupart des droits garantis n’ayant aucun rapport avec ce type d’activités.

    A fortiori, les personnes morales ne peuvent bénéficier que d’un nombre limité de droits garantis par la Convention. Certes, l’article 1er de la Convention reconnaît la jouissance des droits garantis à « toute personne » relevant de la juridiction d’un État membre, ce qui a permis d’interpréter l’article 34 de la Convention, qui ouvre le droit de recours individuel à « toute organisation non gouvernementale » (⁵), comme incluant les personnes morales de droit privé à but lucratif ou non (⁶). Toutefois, à la lecture de la Convention, seules les garanties procédurales de l’article 6 de la Convention et l’article 1er du Protocole 1 additionnel à la Convention qui garantit le droit au respect des biens, article qui vise expressément les personnes morales, sont susceptibles de les intéresser, l’article 1er du Protocole 1 étant d’ailleurs la seule liberté économique reconnue par la Convention.

    La Convention n’aurait cependant été qu’un instrument international de protection des droits de l’homme parmi d’autres si elle n’avait pas bénéficié de deux atouts cardinaux qui font sa force. D’une part, un mécanisme de protection juridictionnelle des droits garantis sans équivalent sur la scène internationale, mécanisme qui s’est perfectionné en allant vers une juridictionnalisation accrue à partir de l’adoption du Protocole 11 en 1998. Il offre aux individus, personnes physiques et morales, un droit de recours direct devant un juge supranational et constitue « la clé de voûte » du mécanisme européen (⁷). D’autre part, mais ce second élément est sans doute intimement lié au premier, le dynamisme interprétatif du juge de Strasbourg. ­Celui-ci, guidé par le souci constant de l’effectivité des droits, a profondément fait évoluer le texte conventionnel, étendant son champ d’application et son contenu, comblant ses lacunes pour en faire un instrument de référence en matière de protection des droits fondamentaux. Instrument vivant doté d’un mécanisme de sanction efficace, la Convention a donc logiquement irradié la plupart des champs du droit dont la vie économique et le droit des affaires. Si la contamination fut plus lente en la matière que dans d’autres domaines, elle était cependant inexorable au regard de l’objet du droit des affaires.

    Le droit des affaires est une branche du droit dont le champ d’application est très large puisqu’il recoupe à son tour différentes branches du droit dont, entre autres, le droit commercial, le droit des contrats, le droit de la concurrence, le droit des sociétés, le droit de la propriété intellectuelle. Son objet étant de réglementer l’activité professionnelle des acteurs économiques, l’entreprise apparaît comme le point de convergence de ces différentes matières (⁸). L’entreprise ne fait pas l’objet d’une définition juridique unique, ­celle-ci étant mouvante en fonction des branches du droit considérées ; de même, il existe différentes formes d’entreprise. Néanmoins, l’on peut s’entendre sur le fait que l’entreprise, en tant que structure au travers de laquelle s’exerce une activité économique, est avant tout un regroupement d’hommes. Qu’elle soit considérée en tant que personne morale ou au travers de ses membres, personnes physiques, l’entreprise est au cœur du droit des affaires et ne pouvait donc pas échapper à l’emprise des droits fondamentaux. Cette immixtion des droits fondamentaux s’est d’abord manifestée par le biais du droit communautaire, aujourd’hui droit de l’Union européenne, qui constitue une source très importante du droit des affaires. Le système de protection communautaire des droits fondamentaux construit par la Cour de justice de Luxembourg s’est évidemment adressé aux opérateurs économiques et aux entreprises, acteurs principaux du marché intérieur. En dehors de certaines libertés propres au marché intérieur, ce système de protection s’est toutefois bâti sur une réception quasi totale et parfaite des principes de la Convention européenne des droits de l’homme et de sa jurisprudence.

    Texte majeur de protection des droits fondamentaux en Europe, la Convention fut ainsi, directement ou par le truchement du droit communautaire, le fer-de-lance d’un phénomène plus large qui a conduit à la subjectivisation et à la fondamentalisation de notre système juridique. Cette évolution a abouti à la reconnaissance de multiples droits subjectifs aux personnes physiques comme aux personnes morales (⁹), y compris dans le domaine économique, reconnaissance qui trouve un fondement dans les normes supra-législatives dont la Convention, pour les raisons que l’on vient d’évoquer, est l’un des instruments de référence.

    Aussi apparaît-il « qu’une entité qui prétend être un acteur au sein du système juridique ne peut déployer son activité si elle n’est pas titulaire de droits fondamentaux », ceci étant « inévitable si l’on entend permettre à ces entités de réaliser leur objet social » (¹⁰). Sans entrer dans le détail des querelles doctrinales qui ont animé la reconnaissance de droits fondamentaux aux personnes morales (¹¹), il est cependant entendu que cette reconnaissance ne saurait aboutir à une assimilation entre personnes physiques et personnes morales au regard de l’application des droits fondamentaux.

    Il faut toutefois constater que cette perméabilité du droit des affaires à la Convention européenne des droits de l’homme concerne désormais aussi bien les personnes physiques que morales et les droits procéduraux autant que les substantiels. Pour les droits procéduraux, les interférences sont naturelles dans la mesure où leur application est indépendante de la qualité de celui qui les invoque. La question était plus délicate pour les droits substantiels puisque les droits garantis par la Convention sont essentiellement des droits civils et politiques reconnus à l’homme dans sa dimension personnelle et donc très éloignés par leur nature des contentieux liés aux affaires et du particularisme de la condition juridique des sociétés.

    Pourtant, tant dans le cadre des relations au sein de l’entreprise, que dans le cadre des relations que l’entreprise, personne morale, noue avec des tiers, les droits substantiels trouvent aujourd’hui de nombreuses applications.

    Cette extension du champ de la Convention à des domaines inédits est l’œuvre du juge. Il y a eu, de ce point de vue, une véritable politique jurisprudentielle de conquête de nouveaux territoires par le juge, politique qui a progressivement été réceptionnée par le juriste d’affaires.

    Cette politique menée par le juge, européen et national, pour favoriser l’extension de la Convention a ainsi amené celle-ci sur le rivage du droit des affaires (I). Cette nouvelle donne a parfaitement été intégrée par le juriste d’affaires qui a trouvé dans la Convention un outil suffisamment malléable et protecteur pour englober une grande diversité de contentieux en lien avec la vie économique (II).

    I. Une politique jurisprudentielle favorisant l’extension de la Convention au droit des affaires

    Afin d’assurer l’effectivité des droits garantis et le succès du texte conventionnel, le juge européen a très tôt développé une politique d’extension de la Convention qui a abouti à profondément transformer la Convention (¹²). Cet activisme jurisprudentiel a certes suscité ponctuellement quelques réticences, voire quelques conflits avec les juridictions nationales, mais il a globalement été largement relayé par le juge interne. S’agissant de l’extension de la Convention au domaine économique (A), non seulement elle n’a entraîné aucune passe d’armes avec le juge national, mais ­celui-ci a, au contraire, accompagné ce mouvement d’extension et l’a même amplifié en allant parfois ­au-delà de l’interprétation européenne (B).

    A. Une politique d’extension menée par le juge européen

    L’extension du texte conventionnel au droit des affaires est le fruit d’un double travail d’interprétation de la part du juge européen le conduisant à développer les droits garantis (1) et à déployer les effets de ces derniers (2).

    1. Le développement des droits garantis

    Ce développement a emprunté deux vecteurs, l’extension du champ d’application et celle du contenu des droits garantis, et a mobilisé plusieurs techniques d’interprétation. Il est impossible dans le cadre de cette étude de rendre compte de l’ensemble de la jurisprudence européenne ayant eu un impact sur le droit des affaires ; des exemples significatifs seront donc choisis.

    Sur le terrain du champ d’application tout d’abord, c’est l’utilisation des notions autonomes (¹³) qui constitue l’outil privilégié d’extension de l’applicabilité des droits. Rappelons que les notions autonomes sont des notions que le juge européen détache des qualifications nationales pour leur donner un sens européen valable pour les États contractants. Si leur fonction première est de garantir une interprétation uniforme des engagements conventionnels des États, très tôt elles ont été l’instrument d’une politique jurisprudentielle d’extension tous azimuts du champ d’application des droits garantis. Les notions de « droits et obligations de caractère civil » et « d’accusation en matière pénale » contenues à l’article 6, § 1er, de la Convention sont particulièrement illustratives de cette politique et ont par ailleurs constitué l’une des deux portes d’entrée principale du droit des affaires dans le champ de la Convention. En effet, si la Cour n’a pas élaboré une grille de critères pour déterminer la notion de matière civile, à la différence de la matière pénale, il ressort de la jurisprudence qu’outre les litiges qualifiés de civils en droit interne, les contentieux ayant un objet patrimonial (¹⁴) ainsi que les décisions conditionnant (¹⁵) ou exerçant une influence sur l’exercice d’une activité professionnelle (¹⁶) relèvent de la matière civile. À ce titre, les procédures ordinales qui mettent en cause l’accès à une profession (¹⁷) ou le droit de l’exercer sont également attraites dans son champ d’application (¹⁸).

    Sous l’angle de la matière pénale, l’attraction est tout aussi importante, car, au regard des critères de la matière pénale (indications du droit national, nature de l’infraction, nature et sévérité de la sanction) (¹⁹), toute une série de sanctions administratives qui peuvent toucher l’entreprise sont susceptibles de relever de la matière pénale. Tel est le cas des sanctions douanières (²⁰), des infractions au droit de la concurrence (²¹), des sanctions les plus sévères infligées par les autorités administratives dans le cadre des contentieux professionnels (²²), des sanctions fiscales (²³).

    Au regard de ces critères d’applicabilité, la quasi-totalité des litiges intéressant les entreprises et le droit des affaires relèvent donc de l’article 6, § 1er.

    Toujours concernant l’applicabilité des droits garantis, il faut également mentionner la notion autonome de « biens », le droit de propriété constituant la seconde voie principale ayant permis l’entrée du droit des affaires dans le champ de la Convention. La notion de « bien » couvre en effet, selon la jurisprudence européenne, la propriété immobilière et mobilière, les biens matériels et immatériels, parmi lesquels notamment les droits de propriété industrielle et intellectuelle (²⁴), les clientèles commerciales (²⁵), les marques commerciales (²⁶), les licences et autorisations administratives pour exercer une profession (²⁷). S’agissant plus particulièrement des créances, leur valeur patrimoniale les rend éligibles au titre de « biens » (²⁸) si elles sont certaines et exigibles, mais également si elles reposent sur une espérance légitime suffisante (²⁹). L’aspect économique ou patrimonial du droit de propriété ainsi mis en exergue a dès lors permis d’aimanter un grand nombre de litiges touchant les opérateurs économiques.

    Depuis quelques années, une troisième notion autonome se révèle particulièrement attractive pour le droit des affaires, c’est la notion de « domicile » contenue à l’article 8 de la Convention. Cette notion a fait l’objet d’une interprétation particulièrement dynamique puisque le juge européen a, dans un premier temps, considéré que le domicile englobait les locaux professionnels et commerciaux des personnes physiques (³⁰) puis l’a étendu, dans un second temps, aux personnes morales (³¹).

    L’élargissement du champ d’application des droits est l’outil essentiel pour étendre la protection de la Convention à de nouveaux domaines. L’extension aux domaines économique et professionnel a ainsi parfois clairement été recherchée, par exemple s’agissant de la notion de « bien » ou de « domicile ». Elle a pu également parfois être un effet collatéral de l’interprétation dynamique européenne, par exemple le fait que la liberté d’expression couvre tout type d’information a logiquement fait entrer dans le champ de l’article 10 les messages publicitaires et les informations commerciales (³²).

    Concernant le développement du contenu des droits, il est plus rare qu’il ait en lui-même participé à l’extension de la Convention au droit des affaires. Le développement jurisprudentiel de la notion de vie privée constitue à ce titre un contre-exemple particulièrement intéressant. En considérant dans l’arrêt Niemietz que la vie privée doit aussi englober « le droit pour l’individu de nouer et de développer des relations avec ses semblables » et que cette manière de comprendre la notion de vie privée couvre dès lors « les activités professionnelles et commerciales », la Cour s’est livrée à une interprétation constructive de l’article 8 (³³). En conjuguant l’interprétation autonome de la notion de domicile comme incluant les locaux professionnels et l’interprétation extensive de la notion de vie privée comme englobant la vie professionnelle, elle a donné une toute nouvelle portée à l’article 8 ouvrant son application à des situations très éloignées de celles envisagées par ses rédacteurs. Cette conception modernisée de la vie privée et du domicile s’applique ainsi dans les relations de travail, bien qu’ici ce soit le juge interne qui soit le plus audacieux (cf. infra), mais c’est sur le terrain de la protection accordée dans le cadre des visites domiciliaires et perquisitions que l’article 8 a trouvé une application intéressant tout particulièrement le juriste d’affaires. Depuis l’arrêt Funke de 1993 (³⁴), la Cour a ainsi transposé de l’article 6 toute une série de garanties procédurales destinées à strictement encadrer ces visites, qu’il s’agisse de leur déroulement, du contrôle juridictionnel sur ces opérations (³⁵), des garanties entourant la saisie des documents (³⁶). C’est d’ailleurs dans le cadre de cette jurisprudence que la Cour a inclus dans le droit au respect de la vie privée, du domicile et de la correspondance, le droit au secret professionnel (³⁷).

    Le développement jurisprudentiel des droits garantis, s’il a été crucial pour étendre l’emprise de la Convention au domaine économique, n’est toutefois pas sans limites, l’élargissement du catalogue de droits garantis devant notamment, a minima, trouver un fondement textuel, même éloigné, dans la Convention. Pour prolonger ce phénomène d’extension, le juge européen a donc également joué sur un autre registre, celui du déploiement des effets des droits garantis.

    2. Le déploiement des effets des droits garantis

    La richesse de la palette des techniques d’interprétation utilisées par le juge européen n’est plus à démontrer (³⁸). C’est la conjugaison de plusieurs de ces techniques qui a permis la diffusion de la Convention au droit des affaires. Parmi ces techniques, l’une d’elles a contribué à grandement accélérer le phénomène de pénétration de la Convention dans le droit privé (³⁹), il s’agit de la théorie dite de l’effet horizontal. Sans revenir sur les origines de cette théorie ni sur les critiques dont elle a pu faire l’objet (⁴⁰), il faut souligner ses effets puisqu’elle permet « une extension de l’opposabilité des droits de l’Homme aux rapports interpersonnels » (⁴¹). La responsabilité d’une personne privée ne pouvant être engagée devant la juridiction strasbourgeoise, ­celle-ci estime, sur le fondement de l’article 1er de la Convention, que la responsabilité de l’État peut être engagée si le droit interne a permis à une personne privée de violer les droits et libertés conventionnellement garantis d’une autre personne privée. Ainsi, « en sollicitant l’intervention de la puissance publique pour la protection et la promotion des droits de l’Homme dans les rapports interindividuels, la Cour a permis une optimisation des garanties instituées et s’est réservé la possibilité d’établir une passerelle inattendue entre les droits de l’Homme et le droit privé » (⁴²). Le premier arrêt en la matière, l’arrêt Young, James et Webster de 1981 (⁴³), concernait justement les relations au sein de l’entreprise puisque la Cour y avait condamné le Royaume-Uni du fait de la violation, par la législation en vigueur, de la liberté d’association (art. 11 de la Convention européenne des droits de l’homme), le droit interne ayant permis le licenciement de trois employés ayant refusé d’adhérer à l’un des syndicats avec lequel leur employeur avait conclu un accord de monopole syndical (closed-shop). Cette affaire illustre l’hypothèse dans laquelle des violations privées sont imputables à l’État pour avoir fourni à un particulier les moyens de porter atteinte aux droits d’une autre personne privée (⁴⁴). De nombreux arrêts intéressants les relations internes (⁴⁵) et externes de l’entreprise (⁴⁶) ont depuis illustré dans divers domaines ce cas de figure. Une seconde hypothèse d’application de l’effet horizontal est celle où les violations privées sont imputables à l’État du fait de son inaction. Ici, la Cour conjugue alors effet horizontal et obligations positives. Les obligations positives sont entièrement fondées sur le souci d’effectivité des droits garantis et mettent à la charge de l’État des obligations de faire, sa responsabilité pouvant être engagée s’il a failli à adopter les mesures concrètes nécessaires à l’application d’un droit (⁴⁷). Par exemple, dans l’arrêt Sovtransavto Holding de 2002 (⁴⁸), dans lequel la Cour reconnaît l’application horizontale du droit au respect des biens, elle condamne la défaillance de l’État dans l’exercice de son contrôle sur les activités d’une société, défaillance qui a permis à ­celle-ci de prendre des décisions illégales entraînant la dévalorisation des actions de la société requérante (⁴⁹). L’arrêt Vilnes (⁵⁰) de 2013 est également très intéressant quant à l’étendue des obligations positives de l’État dans les relations interindividuelles professionnelles puisque la Cour, sous l’angle du droit au respect de la vie privée dont elle considère qu’il inclut le droit à la protection de la santé et l’obligation positive d’organiser l’accès aux informations en la matière (⁵¹), étend au bénéfice des salariés le droit d’accéder aux informations leur permettant d’apprécier les risques pour leur santé et leur sécurité liés à l’exercice de leur profession.

    Mais les audaces de la Cour ne s’arrêtent pas là. Sa volonté de donner tout son effet utile au texte conventionnel l’a également amenée à l’actualiser en comblant les lacunes que l’adoption du texte en 1950 avait nécessairement laissé apparaître. Nous prendrons pour illustration la protection de l’environnement, ­celle-ci ayant des répercussions sur l’activité des entreprises. L’arrêt Lopez-Ostra (⁵²) constitue en ce sens un exemple topique des hardiesses interprétatives de la Cour puisqu’elle y cumule effet horizontal, obligations positives et protection par ricochet, mécanisme qui lui permet d’étendre la protection de certains droits garantis à des droits non expressément protégés par la Convention (⁵³). Dans cette affaire, en effet, la Cour va condamner l’État pour ne pas avoir pris les mesures nécessaires pour protéger le droit au respect de la vie privée et du domicile de la requérante contre les émanations d’une entreprise privée, en l’occurrence une station d’épuration. Outre le fait qu’il s’agissait d’un litige interindividuel, que la Cour y condamne l’État pour ne pas avoir adopté les mesures nécessaires pour protéger les droits de la requérante en vertu de l’article 8, § 1er, de la Convention, elle fait également « pénétrer par le biais de l’article 8 le droit à un environnement sain dans le champ de la Convention » (⁵⁴). Dès lors que la Cour se saisissait de la protection de l’environnement, la question des effets dangereux pour l’environnement des activités industrielles devait nécessairement se poser (⁵⁵) et ce contentieux a sans aucun doute vocation à se développer. Outre la violation des obligations positives substantielles des États pour défaut d’adoption de mesures de protection contre les risques environnementaux liés à ces activités, la Cour condamne également régulièrement la violation d’obligations procédurales. En effet, dans le cadre de sa politique jurisprudentielle de « procéduralisation » des droits substantiels (⁵⁶), la Cour a imposé pour garantir la protection de l’environnement un certain nombre d’obligations déduites de l’article 8 tels que la réalisation d’enquête et d’études appropriées, le droit pour le public d’accéder à ces informations, de former des recours contre les décisions portant atteinte à leurs intérêts (⁵⁷). Il faut également souligner que l’article 8 n’est pas la seule base juridique utilisable pour protéger les individus contre les risques environnementaux liés aux activités industrielles, le droit à la vie (art. 2 de la Convention européenne des droits de l’homme) étant également invocable (⁵⁸).

    Il ressort de ces quelques exemples que si l’effet horizontal constitue l’outil principal de transmission du droit de la Convention vers l’entreprise, la démultiplication des effets que la Cour fait produire aux droits garantis participe également à l’intérêt que peut représenter la Convention pour le juriste d’affaires.

    La malléabilité qu’a conférée la Cour européenne au texte conventionnel, source d’élargissement constant de ce dernier, conjuguée aux effets qu’elle leur fait produire expliquent que la fondamentalisation du droit des affaires passe essentiellement par la Convention. Toutefois, outre les potentialités qu’offre le texte conventionnel, son succès provient également du relais qu’a offert le juge interne à la politique jurisprudentielle d’extension de la Cour de Strasbourg.

    B. Une politique relayée et amplifiée par le juge interne

    En matière économique, si le juge administratif connaît de certains contentieux, notamment ceux qui opposent les opérateurs économiques à l’administration et aux autorités de régulation, c’est néanmoins le juge judiciaire qui est en première ligne. Globalement, « l’esprit frondeur » (⁵⁹), les « réticences » (⁶⁰) de ce dernier vis-à-vis de la Convention sont désormais dépassés, mais s’agissant plus particulièrement des contentieux en lien avec le droit des affaires et l’entreprise, si les traces de rébellion passées sont rares, on peut aujourd’hui affirmer qu’il s’est véritablement emparé de la Convention. Il se livre non seulement dans ces domaines à une interprétation conforme du droit interne, mais n’hésite pas à opérer une interprétation extensive des droits conventionnels (1), la Convention ouvrant au juge un support de libre création (2) que ne lui permet pas le droit interne.

    1. L’interprétation extensive des droits conventionnels

    Que le juge national, juge de droit commun de la Convention en vertu du principe subsidiarité, fasse une interprétation conforme du droit interne à la Convention est un impératif juridique. Il y est tenu par l’applicabilité directe de l’ensemble des dispositions de la Convention, par l’article 55 de la Constitution française et par l’autorité de chose jugée conférée aux arrêts de la Cour de Strasbourg (art. 46 de la Convention européenne des droits de l’homme). Mais si durant de nombreuses années, l’attitude des juridictions nationales fut plutôt celle du suivisme, de la réception un peu forcée, souvent réticente, de la jurisprudence européenne, à la Cour de cassation comme au Palais Royal, cette attitude n’est plus de mise. Au contraire, dans de nombreux domaines, en particulier ceux en lien avec la vie économique, on constate désormais deux types de logique d’adhésion à la jurisprudence européenne.

    La première est celle d’une réception parfaite de la solution, mais également des critères d’analyse du juge européen. Tel fut le cas avec la réception du critère de « l’impérieux motif d’intérêt général » et de la méthode d’analyse du juge européen pour contrôler les lois de validation (⁶¹) par l’ensemble des juridictions (⁶²), y compris constitutionnelle (⁶³) ; de même avec la réception du principe européanisé d’impartialité appliqué aux juridictions ordinaires, spécialisées et aux autorités administratives (cf. infra). Ces contentieux, qui débordent le droit des affaires, mais qui y trouvent néanmoins de nombreuses applications, attestent d’une logique d’alignement des juridictions nationales qui traduit une volonté de convergence jurisprudentielle tout à fait louable et nécessaire pour renforcer l’autorité des arrêts des juridictions nationales et assurer la cohérence de l’ordre juridique.

    Plus surprenante est la seconde logique qui traduit, elle, le dépassement volontaire des exigences européennes. Cette interprétation extensive, là encore, n’est pas propre au domaine économique, mais l’analyse démontre qu’il s’agit du domaine de prédilection dans lequel elle s’exerce. L’application des garanties de l’article 6 aux autorités administratives constitue depuis plusieurs années un pan particulièrement illustratif de ce dépassement des exigences européennes. L’applicabilité de l’article 6, § 1er, sous l’angle de la matière civile ou, le plus souvent, sous celui de la matière pénale induit, en effet, la question de l’application des garanties de cet article à ces autorités. Sans rentrer dans les détails (⁶⁴), il faut souligner que là où le juge européen pratique un contrôle global n’exigeant pas nécessairement le respect de l’ensemble des garanties procédurales dans la phase en amont de la procédure juridictionnelle (⁶⁵), le juge interne adopte une approche systématique d’extension des garanties de l’article 6 à cette phase. La Cour de cassation et le Conseil d’État ont ainsi très tôt étendu l’application de certaines garanties de l’article 6 à la phase se déroulant devant les autorités administratives, qu’il s’agisse du principe d’impartialité (⁶⁶) ou des droits de la défense (⁶⁷) et il est patent de constater que c’est à propos d’autorités de régulation statuant en matière économique que ces avancées ont été initiées (⁶⁸). S’agissant toujours des garanties du procès équitable, l’exemple de la modulation des sanctions fiscales est d’autant plus intéressant qu’en la matière le manque de clarté de la jurisprudence européenne (⁶⁹), qui tantôt estimait que l’exigence de pleine juridiction en matière pénale supposait un pouvoir de modulation de la sanction par le juge national (⁷⁰), tantôt estimait que ce pouvoir de modulation n’était pas nécessaire pour se conformer aux prescriptions de l’article 6, § 1er (⁷¹), laissait au juge interne une marge d’appréciation importante. Ce flou a d’ailleurs été interprété par le juge administratif comme ne signifiant aucunement que le juge doive disposer d’un pouvoir de modulation (⁷²), alors que la Cour de cassation a retenu une solution inverse, choisissant le mieux-disant jurisprudentiel en jugeant que lorsque la loi ne prévoit pas de modulation de la sanction en fonction du comportement du contrevenant, c’est au juge dans l’exercice de son pouvoir de pleine juridiction d’exercer cette modulation (⁷³). Même après la reconnaissance par le juge européen de la conventionnalité des sanctions fiscales non modulables (⁷⁴), le juge judiciaire a choisi pour sa part de maintenir la solution la plus favorable aux intérêts des contribuables, comme l’y autorise d’ailleurs la Convention.

    Dans le cas de l’application des garanties de l’article 6, § 1er, aux autorités de régulation ou dans celui de la modulation des sanctions fiscales, il s’agit pour le juge interne de choisir des solutions plus protectrices que celles du juge européen et il n’est pas étonnant que ces deux exemples se situent sur le terrain des garanties du procès équitable.

    Nous citerons encore un troisième exemple qui témoigne d’une autre forme d’interprétation que l’on pourrait qualifier d’interprétation extensive constructive. C’est cette fois sur le terrain de l’article 8 que se situe l’extension des droits conventionnels. Nous avons précédemment évoqué l’interprétation particulièrement constructive utilisée par le juge européen pour donner au droit au respect de la vie privée une dimension sociale intégrant les relations professionnelles. Utilisant à son tour cette méthode d’interprétation, la Chambre sociale de la Cour de cassation va largement devancer les audaces du juge européen dans le cadre des relations internes à l’entreprise entre l’employé et son employeur. Les arrêts Spileers (⁷⁵) et Nikon France (⁷⁶) ont ainsi marqué une page importante dans l’application de la Convention par le juge interne (⁷⁷) et ont ouvert la voie à une « utilisation décomplexée » (⁷⁸) de la Convention en cassant, pour le premier, un arrêt de cour d’appel au seul visa de l’article 8 de la Convention pour condamner les clauses domiciliaires imposées au salarié, pour le second, en s’appuyant sur l’article 8 pour interdire à un employeur de prendre connaissance des messages personnels émis ou reçus par un salarié sur son outil informatique professionnel (⁷⁹). Dans les deux cas, le juge européen ne s’était jamais prononcé sur ces questions et s’agissant de la surveillance des messages personnels des salariés, c’est le juge interne qui a anticipé la jurisprudence européenne (⁸⁰), démontrant une nouvelle fois que le dialogue des juges est à double sens. Depuis, l’utilisation de l’article 8 dans le cadre des relations de travail (⁸¹) s’est multipliée (⁸²) que ­celui-ci soit invoqué seul ou au soutien des dispositions internes, sans d’ailleurs qu’il y ait de ligne jurisprudentielle très claire sur ce point.

    Toujours concernant l’article 8, il est un autre domaine dans lequel le juge interne a devancé la jurisprudence européenne et l’a influencée : celui de la question des saisies globales dans le cadre des perquisitions et visites domiciliaires. La Cour de Strasbourg n’a eu que récemment l’occasion de statuer sur cette question dans l’arrêt Vinci Construction (⁸³) et la solution retenue sous l’angle de l’article 8 n’est que la reprise de la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation, jurisprudence qui a délimité l’étendue de ces saisies et a prévu la restitution des documents couverts par le secret professionnel (⁸⁴).

    Au-delà du constat de cette interprétation extensive de la Convention par le juge interne, il faut s’interroger sur les motivations de ce dernier.

    2. La Convention européenne, outil de liberté pour le juge interne en matière économique

    Au préalable, il faut souligner la singularité du juge judiciaire sur la question des droits et libertés fondamentaux.

    En la matière, le juge judiciaire a, en effet, une approche relativement différente de celle du juge administratif, notamment parce qu’à la différence de ce dernier, il ne privilégie pas les sources internes. Le juge judiciaire recourt ainsi beaucoup plus souvent à la Convention que le juge administratif et la Convention « a acquis en droit privé une place sans commune mesure avec celle de la Constitution » (⁸⁵). Sans doute, le juge judiciaire, plus pragmatique, y voit-il un intérêt dans le cadre du contrôle de conventionnalité.

    D’ailleurs, outre le recourt fréquent à la Convention, cette prédilection pour cette source se manifeste également par l’application de la Convention telle qu’interprétée par le juge européen (⁸⁶), dont nous avons déjà cité de nombreux exemples, mais qui trouve une illustration éclatante avec les arrêts d’Assemblée plénière du 15 avril 2011 (⁸⁷). ­Ceux-ci énoncent, au visa de l’article 46 de la Convention relatif à l’autorité des arrêts de la Cour européenne, que « les États adhérents à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, sans attendre d’être attaqués devant elle ni d’avoir modifié leur législation ». La Haute juridiction y décide, en s’appuyant sur l’arrêt Salduz c. Turquie (⁸⁸), d’appliquer immédiatement la jurisprudence de la Cour de Strasbourg en matière d’assistance d’un avocat sans attendre l’entrée en vigueur de la loi modifiant le régime de la garde à vue, reconnaissant ainsi explicitement l’autorité de la chose interprétée (⁸⁹) à Strasbourg.

    Toutefois, l’exercice du contrôle de conventionnalité et la cohérence des ordres juridiques sont des nécessités qui s’imposent également au juge administratif. Manifestement, d’autres raisons expliquent que l’utilisation de la Convention soit privilégiée, d’autant que dans un certain nombre d’hypothèses cette application n’est pas nécessaire, les normes internes protégeant des droits similaires. Comment expliquer par exemple que le juge judiciaire se réfère à l’article 8 de la Convention pour protéger la vie privée alors que ­celle-ci est protégée par l’article 9 du Code civil ? Comment expliquer qu’il se fonde désormais exclusivement sur l’article 10 de la Convention pour sanctionner l’abus de liberté expression, délaissant l’article 1382 du Code civil et la responsabilité civile de droit commun (⁹⁰) ?

    Plusieurs raisons peuvent être avancées, certaines générales, d’autres spécifiques au droit des affaires.

    Les considérations générales sont connues, nous ne nous y attarderons pas. Tout d’abord, comme nous l’avons vu, en droit européen des droits de l’homme, l’enveloppe formelle du droit est sans commune mesure avec la richesse du contenu que lui donne le juge européen. L’exemple de la vie privée est de ce point de vue saisissant, la Cour reconnaissant elle-même que la notion ne se prête pas à une définition exhaustive (⁹¹). Le cadre conventionnel apparaît donc beaucoup plus élastique que le cadre interne, donnant au juge un pouvoir interprétatif large d’autant que les craintes qu’une interprétation trop constructive d’un droit soit démentie à Strasbourg sont infimes. En effet, le juge interne, juge de droit commun de la Convention, a tout loisir d’aller ­au-delà du droit conventionnel.

    D’autre part, se fonder sur la Convention renforce nécessairement l’autorité d’un arrêt du juge interne, l’inscrivant dans une volonté de respect de la conventionnalité, qui plus est, au nom des droits de l’homme.

    Enfin, la Convention et sa jurisprudence ont le mérite d’offrir « un vade-mecum des restrictions régulières aux droits » (⁹²) qu’ils proclament. Qu’il s’agisse du texte conventionnel qui prévoit pour les droits conditionnels une liste de restrictions autorisées sur le modèle des paragraphes 2 des articles 8 à 11 de la Convention ou qu’il s’agisse de la jurisprudence de la Cour qui, par exemple, en matière de garanties procédurales offre au juge interne des grilles d’analyse très précises, le travail du juge national s’en trouve facilité.

    S’agissant de considérations propres au droit des affaires, l’augmentation de l’invocation de la Convention par le juge en la matière pourrait s’expliquer, outre les raisons précédemment invoquées, par ses effets unificateur et structurant. Dans un domaine qui couvre des branches du droit aussi variées, des intérêts parfois aussi contradictoires, les droits fondamentaux apparaissent tout à la fois comme des sortes de garde-fous et comme susceptibles de transcender cette diversité. Dans le domaine économique tout particulièrement, statuer en ayant pour finalité, entre autres, le respect des droits fondamentaux des parties en présence, permet au juge de rétablir un équilibre entre les parties. Le juge ne se contente plus d’une application syllogistique de la loi (⁹³) ou du contrat passé entre les parties, ­celui-ci étant parfois la source de déséquilibres notables, il va rechercher la pondération des intérêts en présence (⁹⁴). On pourrait citer, par exemple, la condamnation par le Tribunal de commerce de Paris (⁹⁵) de la clause de solidarité imposée par une centrale d’achat à ses fournisseurs, ­celle-ci consistant à obliger chacun des fournisseurs à intervenir en justice pour défendre le contrat en cas de contentieux introduit par un tiers au contrat, y compris le ministre chargé de l’Économie. Le Tribunal a ainsi constaté « un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties » en violation du droit d’agir en justice garantit par l’article 6, § 1er, de la Convention. Pourrait également être cité comme témoignant d’une recherche d’équilibre entre intérêt individuel et intérêt collectif, l’interprétation que retient la Cour de cassation de la liberté d’association garantie par l’article 11 de la Convention, lorsqu’elle condamne d’une nullité absolue la clause d’un bail commercial faisant obligation au preneur d’adhérer à une association de commerçants et de maintenir l’adhésion pendant la durée du bail (⁹⁶).

    La prise en compte des droits fondamentaux dans les contentieux économiques au travers de la recherche d’équilibre, d’équité, qu’elle induit peut ainsi être pour le juge l’outil d’une certaine forme de « moralisation » de la vie économique.

    L’application des droits fondamentaux peut aussi avoir un effet structurant. Les garanties du procès équitable en sont l’exemple

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