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Droit européen des concentrations
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Droit européen des concentrations

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À propos de ce livre électronique

Le présent manuel aborde d’une façon pédagogique le contrôle des opérations de fusions et acquisitions d’entreprises dans l’Union européenne. Il permet aux lecteurs de comprendre les origines économiques du droit européen de la concurrence, et ainsi de saisir les réelles questions fondamentales juridiques et économiques qui sont soulevées par sa mise en œuvre tout au long de la procédure de contrôle d’une opération de concentration par la Commission européenne et lors du contrôle juridictionnel de ses décisions opéré par les juges de l’Union à Luxembourg.

Avec de multiples références claires à l’historique fascinant de l’adoption des règles européennes de concurrence et des éclairages par rapport au droit antitrust américain, l’ouvrage recherche un équilibre stimulant entre la théorie et la pratique qui intéressera les étudiants qui souhaitent se spécialiser, les avocats et juristes d’entreprise, les juges et agents des autorités de régulation ainsi que les journalistes.
LangueFrançais
ÉditeurBruylant
Date de sortie3 juil. 2017
ISBN9782802755272
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    Aperçu du livre

    Droit européen des concentrations - Georges Vallindas

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    Cette version numérique de l’ouvrage a été réalisée pour le Groupe Larcier.

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    © Groupe Larcier s.a., 2017

    Éditions Bruylant

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    Tous droits réservés pour tous pays.

    Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent ouvrage, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.

    ISBN : 9782802755272

    Précédemment parus dans la collection

    New frontiers of antitrust 2011, edited by Frédéric Jenny, Laurence Idot and Nicolas Charbit, 2012.

    Abus de position dominante et secteur public. L’application par les autorités de concurrence du droit des abus de position dominante aux opérateurs publics, Claire Mongouachon, 2012.

    Reviewing vertical restraints in Europe. Reform, key issues and national enforcement, edited by Jean-François Bellis and José Maria Beneyto (Jerónimo Maillo, associate editor), 2012.

    Droit de la concurrence et droits de propriété intellectuelle. Les nouveaux monopoles de la société de l’information, Jérôme Gstalter, 2012.

    L’action collective en droit des pratiques anticoncurrentielles. Perspectives nationale, européenne et internationale, Silvia Pietrini, 2012.

    New frontiers of antitrust 2012, edited by Joaquin Almunia, Eric Barbier de La Serre, Olivier Bethell, François Brunet, Guy Canivet, Henk Don, Nicholas Forwood, Laurence Idot, Bruno Lasserre, Christophe Lemaire, Cecilio Madero Villarejo, Andreas Mundt, Siun O’Keeffe, Mark Powell, Martim Valente and Richard Wish, 2013.

    New frontiers of antitrust 2010, edited by Joaquìn Almunia, Mark Armstrong, Nadia Calvino, John M. Connor, Henry Ergas, Allan Fels, John Fingleton, Ian Forrester, Peter Freeman, Laurence Idot, Frédéric Jenny, Bruno Lasserre, Douglas Miller, Jorge Padilla, Nicolas Petit, Christine Varney, Bo Vesterdorf, Wouter Wils and Antoine Winckler, 2013.

    New frontiers of antitrust 2013, sous la coordination de Nicolas Charbit, 2013.

    Le contentieux privé des pratiques anticoncurrentielles, Rafaël Amaro, 2014.

    Day-to-Day Competition Law. A practical Guide for Businesses, edited by Patrick Hubert, Marie Leppard and Olivier Lécroart, 2014.

    Pratiques anticoncurrentielles et brevets. Étude en faveur de la promotion européenne de l’innovation, Lauren Leblond, 2014.

    New frontiers of antitrust 2014, edited by Joaquín Almunia, Chris Fonteijn, Peter Freeman, Douglas Ginsburg, Thomas Graf, Benoît Hamon, Nathalie Homobono, Laurence Idot, Alexander Italianer, Frédéric Jenny, William Kovacic, Bruno Lasserre, George Milton, Andreas Mundt, Anne Perrot, Matthew Readings, Howard A. Shelanski, Mélanie Thill-Tayara, Wouter Wils and Joshua Wright, 2014.

    Droit européen de la concurrence, Jean-François Bellis, 1re éd., 2014.

    Droit européen des aides d’État, Michaël Karpenschif, 2015.

    The Fight against Hard Core Cartels in Europe. Trends, Challenges and Best International Practices, Eric Van Ginderachter, José Maria Beneyto, Jerónimo Maillo, 2016.

    La récidive en droits de la concurrence, Ludovic Bernardeau, 2017.

    À Julie, Sofía et Odysseas, pour l’aide, le bonheur et la force qu’ils m’apportent.

    Les avis exprimés sont propres à leur auteur.

    Pour plus d’informations sur l’auteur veuillez visiter :

    www.vallindas.eu

    Préface

    Cet ouvrage sur le droit européen des concentrations s’inscrit dans un contexte d’une crise économique internationale sans précédent qui a malheureusement comme épicentre, encore en ce décembre 2016 et malgré une certaine accalmie, l’Union européenne. Les institutions européennes ont mis en place bien que tardivement, ainsi que la majorité des commentateurs s’accordent à le reconnaître, des instruments financiers afin de faire face aux risques encourus par la zone euro. Toutefois, les défis auxquels fait face l’Union européenne sont bien plus complexes que le rubik’s cube financier. En effet, l’économie européenne dans son ensemble manque cruellement de dynamique de croissance entraînant de graves conséquences sur le plan de l’emploi. Tout cela resterait dans la sphère théorique si les effets, notamment pour les pays du sud de l’Union mais déjà bien au-delà, n’étaient pas lourdement ressentis au quotidien d’une large partie des 500 millions de citoyens européens.

    À la lumière de l’actualité, cet ouvrage, qui aborde de façon directe la question des fusions-acquisitions dans l’Union européenne, nous permet de mieux comprendre un des mécanismes d’une économie vivante et saine, ainsi que de saisir pleinement comment l’Union européenne a décidé d’encadrer ces pratiques économiques.

    L’expérience théorique et pratique de M. Georges Vallindas, qui a été mon référendaire au Tribunal de l’Union européenne, lui permet d’aller au cœur des questions soulevées par ce domaine singulier du droit de la concurrence de l’Union. Sa maîtrise des questions théoriques, encore plus largement analysées dans le cadre de sa Thèse de doctorat à Aix en Provence, permet une réelle compréhension de la raison d’être des règles juridiques, cette ratio legis qui, souvent, est le guide tant pour l’application de ces règles par la Commission européenne que pour le contrôle de légalité opéré par le juge de l’Union.

    De façon plus large que le droit des concentrations, l’approche retenue par M. Vallindas éclairera les lecteurs sur l’histoire des règles de concurrence européennes et la nouvelle approche économique qui est exigée dans leur application. La connaissance acquise par l’auteur des différentes écoles économiques permettra aux juristes, jeunes comme confirmés, de mieux comprendre les enjeux du contrôle d’une opération de concentration, autant pour les institutions européennes que pour les entreprises.

    Rédigé dans un style direct, « Pourquoi les entreprises décident-elles de fusionner ? » ou encore « Pourquoi contrôle-t-on une opération de concentration ? », le présent livre tranche avec le style habituel de la majorité des ouvrages universitaires francophones. Il permet de comprendre de façon immédiate le pourquoi et le comment du droit européen des concentrations, maintenant un équilibre entre les parties pratiques et les parties théoriques. Ainsi, à la partie consacrée à l’historique économique passionnante des premières règles européennes du droit de la concurrence succède la présentation du formulaire CO, annonçant auprès de la Commission le souhait de réaliser une opération de concentration d’envergure européenne. Cet ouvrage marie donc la théorie juridique et économique à la pratique du contrôle européen d’une opération de concentration, permettant ainsi, dès ses premières pages, de capitiver son lecteur.

    Je suis convaincu, que l’ouvrage de Georges Vallindas, passionné par l’enseignement et la pratique du droit de l’Union européenne, diffusera de façon pédagogique les riches connaissances de son auteur et ses points de vue singuliers sur l’ensemble des questions abordées. En effet, loin de se contenter d’une approche neutre et sans relief, l’auteur présente de façon systématique sa propre analyse sur les questions les plus délicates du contrôle des fusions-acquisitions dans l’Union européenne : s’agit-il de simples règles juridiques ou plutôt d’un des instruments d’une réelle politique européenne de concurrence, voire même d’une politique industrielle ? De quelle marge discrétionnaire dispose aujourd’hui la Commission face au contrôle exercée par les juges de l’Union ? Quel(s) rôle(s) les juges de l’Union sont-ils appelés à jouer dans ce processus ?

    Tout en présentant l’ensemble des éléments classiques d’un ouvrage spécialisé – présentation des acteurs, du Règlement Concentration en vigueur etc. – Georges Vallindas adopte une structure originale en 8 chapitres à la fois autonomes et interdépendants, permettant à ses lecteurs de comprendre les équilibres délicats entre le droit, l’économie et la politique, qui caractérisent le contrôle européen des opérations de concentration mais aussi le droit de la concurrence de l’Union dans son ensemble.

    Il s’agit d’éveiller l’attention du lecteur aux questions que tout juriste praticien du droit de la concurrence aura à traiter soit de façon directe, soit de façon indirecte, en tant que cadre théorique de référence au sein duquel des décisions stratégiques devront être prises, que ce soit dans le rôle de l’avocat, de l’agent de la Commission, d’une autorité nationale de la concurrence ou, encore, en tant que juge.

    En définitive, les décisions les mieux éclairées sont celles qui durent le plus dans le temps, en assurant la prévisibilité et la sécurité juridique des acteurs économiques, tout en participant, ainsi que Georges Vallindas le souligne à de multiples reprises, à la légitimation de l’action des institutions de l’Union aux yeux des citoyens européens, dont il ne faut jamais oublier qu’ils sont au cœur de la construction européenne. Je pense que le présent ouvrage y contribuera.

    Madrid, décembre 2016

    Santiago Soldevila Fragoso

    Ancien Juge au Tribunal de l’Union européenne 2007-2013

    Juge à la Audiencia Nacional, Madrid, Espagne

    Sommaire

    Préface

    Introduction

    Chapitre 1. Les concentrations et la concurrence

    Chapitre 2. Les fondements économiques du droit européen des concentrations

    Chapitre 3. Le rôle de la Commission dans le contrôle des concentrations

    Chapitre 4. Les objectifs poursuivis par le contrôle des concentrations

    Chapitre 5. La prise en compte des gains d’efficacité et la négociation de mesures correctives

    Chapitre 6. Concentrations et compétitivité internationale de l’industrie européenne

    Chapitre 7. Le contrôle juridictionnel des décisions de la Commission en matière de concentrations

    Chapitre 8. De la modernisation de 2004 à 2017 et au-delà

    Annexe I

    Le règlement (CE) n° 139/2004

    Annexe II

    Formulaire CO relatif à la notification d’une concentration conformément au règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil

    Annexe III

    Statistiques de la Commission européenne en matière de concentrations du 21 septembre 1990 au 30 avril 2017

    Bibliographie indicative

    Table des matières

    Introduction

    1. Les fusions entre entreprises occupent de manière systématique les pages économiques de tous les journaux quotidiens. Quand Facebook rachète Instagram pour un milliard de dollars ou lorsque Microsoft propose le rachat de LinkedIn pour 26,2 milliards de dollars, il s’agit de concentrations. Enfin, lorsque la Commission européenne refuse à Ryanair le rachat de AirLingus, c’est la mise en œuvre du droit européen des concentrations. D’ailleurs, lorsque Facebook demande le feu vert de la Commission afin de racheter WhatsApp pour 16 milliards de dollars et se retrouve aujourd’hui sanctionné d’une amende de 110 millions d’euros pour avoir menti à celle-ci, il s’agit d’une application du Règlement Concentrations de l’Union européenne.

    2. Le droit de la concurrence de l’Union européenne, dans son expression du contrôle des concentrations, est aujourd’hui considéré comme le mécanisme de base permettant la satisfaction des besoins des consommateurs¹, stimulant l’innovation et la croissance au sein de l’économie européenne. Le problème de la concentration économique s’étant posé très tôt dans le marché européen², le rôle de cet ensemble de règles de droit, qui est de préserver la concurrence sur les marchés, s’est imposé au fil de la construction européenne.

    3. En effet, face à un tel mouvement économique, la science juridique ne pouvait rester indifférente. Sa principale fonction étant d’établir les règles de fonctionnement d’une société, la vie économique, qui en fait intégralement partie, s’est vue soumise à de nombreuses contraintes juridiques dont l’objectif est de préserver ce que l’on considère traditionnellement comme la garantie de l’intérêt commun³.

    4. Le droit de l’Union européenne, construit progressivement autour de la fondation d’un marché intérieur européen, anciennement dénommé « commun » et avec la perspective qu’un jour il devienne « unique »⁴, encadré par les quatre libertés fondamentales de circulation, a pris le parti d’encourager la compétition entre les entreprises européennes⁵ afin d’améliorer l’efficacité des opérateurs économiques en stimulant leurs efforts pour satisfaire la demande. Ce choix était alors en parfait contraste avec l’expérience des économies dirigées dans les États d’Europe de l’Est et imposait aux six membres fondateurs une politique fédérale de concurrence⁶ souvent inexistante au niveau national⁷ et qui avait pour objectif de préserver la structure concurrentielle des marchés. Cela revenait à envisager une autre démarche que celle issue d’un interventionnisme étatique ou d’un « laisser-faire capitaliste » pour découvrir le phénomène de « l’ordre public régulatoire »⁸.

    5. Dès 1957, le traité de Rome instituant la CEE⁹ prévoit « l’établissement d’un régime assurant que la concurrence n’est pas faussée dans le marché commun »¹⁰ dans le but de promouvoir un développement harmonieux, équilibré et durable des activités économiques, un degré élevé de compétitivité et une convergence des performances économiques¹¹, mais surtout afin de contribuer à l’intégration du marché communautaire, qui est à l’époque la priorité absolue¹². Le traité de Rome tend à établir un marché libre et concurrentiel, garant du bien-être collectif et moteur de la construction européenne¹³. En effet, l’économie de marché fait peser une pression permanente sur les entreprises. Afin de rester compétitives dans ce contexte concurrentiel, ces dernières entament par phases cycliques des périodes de restructuration industrielle. Dans un contexte où le jeu de l’offre et de la demande est censé assurer la meilleure répartition des facteurs de production, une modification de la structure du marché est considérée comme suspecte. Elle interfère avec la sélection naturelle des opérateurs les plus efficaces, opérée par les consommateurs. Un préjugé négatif pèse donc sur les opérations de concentration entre entreprises.

    6. Le droit de l’Union est pourtant resté longtemps silencieux¹⁴ s’agissant du comportement à adopter face aux rapprochements entre entreprises¹⁵. En effet, l’article 345 TFUE (ancien 295 CE) qui précise que « le présent traité ne préjuge en rien le régime de la propriété dans les États membres »¹⁶, était interprété dans un sens interdisant à l’Union d’interférer dans une opération d’acquisition d’une entreprise par une autre. L’une des raisons de cette lacune est qu’en 1957, c’était l’éparpillement et le morcellement des industries des États membres et non l’excès de concentration qui posait problème à l’économie européenne. Ainsi, les deux économies « moteurs » que sont l’Allemagne et la France ne se sont respectivement dotées d’un contrôle national des concentrations qu’en 1973 et en 1977. Aujourd’hui, plus de 100 États ont institué un contrôle des opérations de concentrations¹⁷.

    7. Le droit européen de la concurrence aboutissait ainsi à un paradoxe : comment lutter efficacement contre les comportements anticoncurrentiels des entreprises alors qu’elles peuvent de toute façon obtenir le même résultat par une concentration, certes plus contraignante, mais non soumise au contrôle des pouvoirs publics au niveau européen ?

    8. Face à l’intégration progressive des économies européennes et l’accélération des restructurations industrielles, notamment par des concentrations transfrontalières entre entreprises, la Commission a dû préparer en 1973 une proposition de règlement relatif au contrôle des concentrations¹⁸. Toutefois, en raison des règles de vote au sein du Conseil et du refus de certains États membres des différentes configurations institutionnelles proposées, cette proposition n’a pas pu aboutir. La Commission a donc dû étendre de façon très large l’applicabilité des actuels articles 101 et 102 TFUE aux opérations de concentration dès 1973¹⁹. Cela dit, ceci n’était possible que dans l’hypothèse où l’acquéreur était déjà en position dominante et où l’opération renforçait une telle position. Il s’agissait finalement de qualifier l’opération comme un abus de position dominante défini par l’article 102 TFUE. Par ailleurs, le fait qu’une concentration peut faciliter les pratiques concertées dans un marché oligopolistique ne pouvait pas être pris en compte. Le besoin d’un instrument spécifique permettant de contrôler les modifications de structure de l’offre sur le marché est devenu incontournable, dans un but préventif de préservation de la concurrence.

    9. Ainsi, en confirmant le raisonnement de la Commission, la Cour de justice de l’Union européenne a considéré dans son arrêt de 1973 Continental Can, qu’une concentration pouvait renforcer une position dominante, constituant ainsi un abus interdit par l’ex-article 86 CEE (102 TFUE)²⁰. Par la suite, dans l’arrêt British American Tobacco de 1987, la Cour a décidé qu’une prise de participation dans une entreprise concurrente pouvait tomber sous le coup de l’ex-article 85 CEE (101 TFUE)²¹, faisant ainsi peser une pression sur la Commission et les États membres pour l’adoption d’un texte spécifique. Celui-ci n’a vu le jour que le 21 décembre 1989²² sous la présidence française du Conseil, avec le projet d’une concentration des pouvoirs d’enquête et d’interdiction, a priori, des opérations de concentration d’entreprises de dimension européenne entre les mains de la Commission²³. Ce règlement fut adopté sur la base des ex-articles 87 (83 CE et actuel 103 TFUE) et 235 (308 CE et actuel 352 TFUE) du traité CEE24 ; les ex-articles 85 (101 TFUE) et 86 (102 TFUE) restant indistinctement applicables.

    10. Ce premier règlement a été remplacé par le règlement (CE) n° 139/2004, en vigueur depuis le 1er mai 2004²⁵. Dans le présent ouvrage nous nous attacherons à analyser le nouveau Règlement Concentrations en nous référant de façon limitée à celui de 1989 et à sa modification du 30 juin 1997 uniquement lors de l’analyse d’affaires qui ont eu lieu sous leur empire.

    11. Si la première impression laissée par le survol des textes européens est qu’ils posent des principes d’interdiction de certaines pratiques, en les examinant de plus près et, notamment, tels qu’ils sont repris dans la jurisprudence européenne, on constate qu’ils ne définissent pas eux-mêmes ce qui est permis et ce qui est interdit. La Commission, sous le contrôle de la Cour de justice, a défini, à la lumière des objectifs généraux du traité et des besoins de la construction européenne, les limites des prohibitions. Certes, une telle évolution est positive puisqu’elle semble permettre une certaine flexibilité du droit européen de la concurrence mais elle peut mettre en péril la sécurité juridique des entreprises et compromettre leurs stratégies de développement. Ce danger est, du moins partiellement, contrebalancé par la publication de Communications et de Lignes directrices sur certaines de ses pratiques ou interprétations, afin d’offrir une meilleure visibilité pour les utilisateurs du système, mais surtout par la méthode classique d’interprétation utilisée par la Commission : toutes les règles de concurrence doivent être appliquées de manière téléologique, en recherchant leurs finalités au service des grands objectifs du traité. Mais en dehors d’une volonté affichée de tenir compte de l’intérêt des entreprises, il reste un problème fondamental non résolu. Si le droit de l’Union reste très attaché à la méthode téléologique d’interprétation des règles, la finalité de l’ensemble du droit de la concurrence est souvent ignorée lors de sa mise en œuvre que ce soit par les practiciens privés ou du côté des autorités publiques.

    12. La concurrence est présentée dans l’ancien article 3 CE, qui ne se retrouve plus en tant que tel dans les traités actuellement en vigueur, comme un instrument au service des objectifs de l’Union, or cette logique est souvent écartée par la Commission lors de la mise en œuvre des règles européennes de la concurrence. En effet, la remise en cause, sans ambiguïté, des pratiques de la Commission de la part du Tribunal²⁶ doit placer le débat à un niveau plus général : quels sont actuellement les objectifs de la politique de concurrence européenne ? Quels sont plus précisément les objectifs poursuivis par le contrôle des concentrations ? L’on peut considérer que sa spécificité consiste en la combinaison d’objectifs traditionnels de toute politique de concurrence (notamment la protection des intérêts des consommateurs et l’innovation) avec l’objectif proprement européen d’intégration, qui passe notamment par le monde des entreprises. Le Professeur Prieto se réfère, à cet égard, à une « culture européenne de concurrence »²⁷ qui peut être différenciée de la culture américaine de concurrence, source incontestable d’inspiration²⁸.

    13. Dès ses débuts, la politique de concurrence a été l’un des moyens de décloisonner les marchés nationaux. À l’époque, l’économie européenne semblait fragile et composée d’entreprises de taille insuffisante, ce qui explique l’absence de tout contrôle des concentrations, en espérant ainsi les favoriser au niveau européen. Par ailleurs, la théorie de la concurrence « praticable » (workable competition, c’est-à-dire la recherche de la concurrence envisageable compte tenu du contexte économique et non pas la recherche d’une concurrence parfaite) a été consacrée. Soixante ans plus tard, le contexte interne de l’Union européenne ainsi que le contexte international ont profondément évolué. Le marché européen est aujourd’hui quasi accompli, même s’il reste perfectible, la mondialisation est un fait et la concurrence entre les entreprises est plus rude, ce qui implique une plus grande vigilance de la part des autorités face à ceux qui essayent d’y échapper par des moyens déloyaux. Ces nouveaux éléments doivent être pris en compte dans la définition et la mise en œuvre du droit européen de la concurrence.

    14. En effet, ce droit fut défini dans un contexte bien différent. Ce corps de règles est adapté de façon continue, comme ce fut le cas en 1989 avec l’adoption du règlement relatif au contrôle des concentrations entre entreprises. Cependant, même cette réforme d’importance commence actuellement à être dépassée par la vitesse des mutations de l’environnement économique. Un problème se pose alors : à force de vouloir envisager chaque problème de manière distincte, ne risque-t-on pas de porter atteinte à la cohérence de la politique européenne de concurrence ? Ne doit-on pas envisager la politique de concurrence comme un ensemble qui poursuit des finalités précises, avec des priorités diverses dont l’ordre hiérarchique doit être bien déterminé ? Il serait judicieux qu’en ce début du XXIe siècle, les finalités poursuivies par la politique européenne de concurrence soient redéfinies en tenant compte des défis auxquels elle doit actuellement faire face.

    15. En effet, certaines décisions de la Commission sont mal perçues par les entreprises, pour qui l’intérêt du consommateur, aussi légitime soit-il, ne peut pas toujours prévaloir sur les objectifs stratégiques des opérateurs économiques européens. D’autres objectifs pourraient être pris en compte par la Commission et par la politique de concurrence en général, sans que cela soit limité au contrôle de la Commission, mais devraient être intégrés dans la logique des textes afin d’assurer la sécurité juridique des entreprises et leur permettre d’agir dans le cadre d’un environnement prévisible. Il paraît clair que les évolutions du monde économique contemporain accentuent les faiblesses des mécanismes existants et contraignent les autorités européennes chargées du contrôle des marchés à envisager les adaptations nécessaires pour que la concurrence y demeure efficace. C’est la raison pour laquelle la Commission a mené « un programme ambitieux de réformes, qui visait à assurer que les règles communautaires de concurrence, même si elles restent bâties sur d’anciennes fondations, conservent une dynamique évolutive »²⁹. Alors que, systématiquement, chaque interdiction de concentration de la part de la Commission suscite une vive polémique et, parfois, une remise en cause directe par le Tribunal, l’adoption d’un nouveau Règlement sur la modernisation des règles de concurrence³⁰ et notamment d’un nouveau règlement visant à moderniser le contrôle des concentrations démontrent la volonté réelle d’adapter les instruments existants aux problèmes actuels en améliorant leur efficacité par le dialogue avec les opérateurs économiques.

    16. La concurrence, moteur de la construction européenne a donc été envisagée comme un moyen visant à servir les objectifs généraux de l’Union³¹. Le Règlement Concentrations a aussi été adopté pour des raisons de politique industrielle³², en étroite relation avec le programme de la Commission d’établissement du marché unique. Ces différentes solutions du conflit d’intérêts entre le droit de la concurrence et la politique industrielle semblent être fondamentales dans la définition de la rationalité du contrôle des concentrations et dans la compréhension du modèle européen de concurrence³³. Est-ce que le droit européen de la concurrence a, ou peut avoir, d’autres objectifs que celui de la préservation de la concurrence sur le Marché intérieur ?

    17. Si les spécialistes de droit privé étudient le droit de la concurrence notamment dans ses rapports avec la consommation et les contrats, de nombreux auteurs considèrent que la concurrence relève en partie du droit public³⁴. En effet, la notion de police de la concentration économique peut se définir par deux éléments qui relèvent en France du droit administratif : la présence d’une autorité administrative qui prend des décisions dans l’exercice de prérogatives de puissance publique, l’objectif étant de préserver l’effectivité de la concurrence sur un marché en vue d’une opération de concentration. C’est précisément ce point de vue qui sera retenu pour le présent ouvrage. Nous examinerons les règles de police existant en matière de concentrations et leur mode de mise en œuvre par l’autorité chargée de la police de la concurrence au niveau de l’Union européenne, à savoir la Commission.

    18. À ce titre, l’expérience de systèmes juridiques dans lesquels des questions similaires ont été, où sont toujours, soulevées est un point de référence solide. Le droit américain a introduit le contrôle des opérations de concentration depuis 1914. Il est donc aisément compréhensible que les solutions juridiques américaines et le développement de la jurisprudence soient une source d’information et de comparaison incontournable pour les juristes européens, afin de mieux comprendre le fonctionnement du modèle juridique de l’Union³⁵.

    19. Si le modèle américain de contrôle des concentrations est caractérisé par des règles juridiques imprégnées de théories économiques, la lecture du modèle européen paraît bien plus complexe. En effet, la définition du rôle précis du contrôle des concentrations au sein de l’Union européenne ne semble pas évidente et sa cohérence au sein de l’ensemble du droit de la concurrence de l’Union n’est pas toujours acquise. D’après le traité, la politique de concurrence contribue à réaliser l’ensemble des objectifs de l’Union, dont beaucoup ne sont pas strictement économiques. Cependant, la mise en œuvre du droit des concentrations lors du contrôle par la Commission ne semble être guidée que par la protection de la concurrence sur le marché, comme une sorte de principe de précaution économique.

    20. Si le droit européen de la concurrence semble se rapprocher progressivement du modèle américain, cette évolution est loin d’avoir effacé les caractéristiques propres du droit européen des concentrations. La modernisation de 2004 en est la parfaite illustration : de nouveaux instruments ont été définis mais l’ensemble du modèle a conservé un mode de fonctionnement largement différent de celui du modèle américain. Il nous semble cependant qu’un certain nombre d’évolutions, d’éléments de convergence notamment en ce qui concerne le mode de mise en œuvre du contrôle, méritent d’être analysés afin de mieux comprendre les spécificités du droit européen des concentrations.

    21. Par ailleurs, dans la littérature anglo-américaine le domaine de la concurrence est surtout traité au sein de la matière de l’Industrial organisation, qui est traduite en français par l’expression « économie industrielle ». Une telle appellation ne change en rien le caractère très juridique de la problématique, mais permet de prendre en compte l’aspect interdisciplinaire de notre étude : notamment dans le domaine de la concurrence et du contrôle juridique de la concentration économique, le droit, l’économie et la politique sont très liés. Les règles de droit sont certes fixées par le législateur mais illustrent l’état de la société : la prise en compte de la théorie économique et des choix politiques précèdent l’édiction des règles et guident leur mise en œuvre.

    22. Il faudra étudier si ces différents éléments sont effectivement utilisés de façon coordonnée, ce qui rendrait possible la définition d’un objectif commun. Il est par ailleurs intéressant de se pencher sur l’adéquation entre ces objectifs et les ambitions déclarées par l’Union européenne, notamment en matière de compétitivité. Ceci revient à s’interroger sur les théories sur la concurrence sous-jacentes au Règlement Concentrations et sur le cadre théorique adapté à la construction européenne.

    23. Si l’expression « droit européen des concentrations » ne soulève pas de problème quant à sa définition en tant qu’ensemble de règles juridiques qui régissent la réalisation des opérations de concentrations au sein de l’Union européenne, elle est rarement utilisée, au profit de celle de « contrôle des concentrations », laissant dans le flou la question de savoir s’il s’agit d’un ensemble de règles juridiques ou d’une politique. Nous utiliserons donc l’expression « droit européen des concentrations » afin de souligner le caractère juridique du présent ouvrage mais aussi parce que nous considérons que son caractère juridique ne prive pas ce domaine de considérations liées aux objectifs économiques ou politiques qui sont inhérents à la ratio legis, qui se trouve au fondement de chaque règle juridique.

    24. Dans les huit chapitres qui suivent, les analyses concrètes des articles clés du règlement (CE) n° 139/2004 et de la jurisprudence pertinente seront juxtaposées avec des éléments historiques et théoriques juridiques et économiques afin de permettre aux lecteurs et aux praticiens de mieux saisir le sens du droit des concentrations de l’Union européenne et sa rationalité complexe, tout en fournissant des éléments comparatifs notamment en référence au droit antitrust américain.

    1 K.

    van

    Miert

    , « Foreword », in D.

    Hildebrand

    , The Role of Economic Analysis in the EC Competition Rules, Waterloo, Kluwer, 1998. L’ancien commissaire chargé de la concurrence considère qu’« il y a un consensus au sein de l’Union européenne sur le fait que la concurrence avec son pouvoir d’obliger les entreprises à fonctionner efficacement, est une des clés de notre succès économique ».

    2 Mémorandum sur le problème de la concentration dans le Marché Commun, 1er décembre 1965, Revue trimestrielle de droit européen, 1966, pp. 651-677.

    3

    Aristote

    (384-322 av. J.-C.) condamnait déjà le monopole pour sa tarification injuste, voy. S. 

    Vergnières

    , Éthique et politique chez Aristote : physis, éthos, nomos, Paris, PUF, 1995 ; sous l’Empire Romain, l’article 52 (2) de la Constitution de l’Empereur Zeno de 483 av. J.-C. prohibait la fixation de prix et la monopolisation notamment des habits et des poissons, toute violation étant sanctionnée par un exil perpétuel vers les îles britanniques, Codex Iustinianus, c 4, 59, 2.

    4 Voy. à ce sujet, Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions : « L’acte pour le marché unique II, ensemble pour une nouvelle croissance », COM (2012) 573 final, du 3 octobre 2012.

    5 E.

    Alfandari

    , « Le droit économique en France », in Mélanges en l’honneur de Louis Dubouis, Paris, Dalloz, 2003, p. 232.

    6 Par ailleurs : « Le droit communautaire de la concurrence doit être respecté de la même façon que le droit national », E.

    Alfandari

    , « Le droit économique en France », in Mélanges en l’honneur de Louis Dubouis, Paris, Dalloz, 2003, p. 232.

    7 La France avait mis en place en 1953 une commission technique des ententes, avant de fonder en 1977 la commission de concurrence ; voy. M.-D.

    Hagelsteen

    (ex-présidente du Conseil de la concurrence français), 13 février 2002, colloque du 15e anniversaire du Conseil de la concurrence : « L’efficacité de la politique de concurrence », Gaz. Pal., 29 au 30 janvier 2003. En Allemagne les premiers textes antitrust sont adoptés en 1957.

    8 M.

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    9 Sur l’importance de l’insertion de la notion de concurrence dans les traités, voy. B.

    Goldman

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    Vogel

    , « Concurrence », Encyclopaedia Universalis, p. 336.

    10 Article 3 g) du traité CEE.

    11 L’article 2 du traité CE énumère les objectifs de plus en plus nombreux que doivent poursuivre les politiques énumérées dans l’article 3 ; CJCE, 21 février 1973, 6/72, Continental Can, Rec., 1973, p. 215 ; CJCE, 1985, 229/83, LeClerc/Au blé vert, Rec., 1985, p. I-29.

    12 Les États membres sont tenus d’y coopérer de bonne foi sur le fondement de l’article 10, paragraphe 2, voy. not.

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    13 Ch.

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    Kovar

    , Strasbourg, Université Robert Schuman, 2001, 670 p. (not. l’introduction).

    14 Il faut ici noter que le défunt traité de la Communauté européenne du charbon et de l’acier mentionnait les concentrations d’entreprises dans ce secteur spécifique ainsi que le Mémorandum sur le problème de la concentration dans le Marché commun, EC competition series, étude nº 3, Bruxelles 1966, paragraphe 55.

    15 À l’exception de l’industrie du charbon et de l’acier. Voy., sur ce point, la Communication de la Commission relative à certains aspects du traitement des affaires de concurrence résultant de l’expiration du traité CECA, JOCE, 2002, C 152/5.

    16 J.-Cl.

    Gautron

    , Droit européen, coll. Mémentos, Paris, Dalloz, 2004, p. 220.

    17 Voy. sur le site du Réseau international des autorités de concurrence (ICN) : http://www.internationalcompetitionnetwork.org/mergercontrollaws.html.

    18 Première proposition de Règlement du Conseil sur le contrôle des concentrations entre entreprises, 1973 JO, C 92/1, 31 octobre 1973. De nombreuses propositions ont suivi : JO, C 36/3, 12 février 1982 ; JO, C 51/8, 23 février 1984 ; JO, C 324/5, 17 décembre 1986 ; JO, C 130/4, 25 avril 1988 ; JO, C 22/14, 30 novembre 1988.

    19 Arrêt de la Cour du 21 février 1973, Europemballage et Continental Can/Commission, 6/72, Rec., 1973, p. 215.

    20 Arrêt de la Cour du 21 février 1973, Europemballage et Continental Can/Commission, 6/72, Rec., 1973, p. 215 ; décision de la Commission, 9 décembre 1971.

    21 Arrêt de la Cour du 17 novembre 1987, British American Tobacco et Reynolds Industries c/ Commission, 142/84 et 156/84, Rec., 1987, p. 4487. Sur l’ensemble de la pratique décisionnelle de la Commission et de la jurisprudence de l’Union en matière de concurrence et son évolution, voy. not. M.

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    22 Règlement du Conseil 4064/89 du 21 décembre 1989 sur le contrôle des concentrations d’entreprises, JOCE, L 395 du 30 décembre 1989, p. 1 et L 257 du 21 septembre 1990, rectifiée JO, du 21 septembre 1990, L 257, p. 13 (ci-après le « Règlement de 1989 »).

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    24 L’article 235 CE prévoit que si le traité n’a pas prévu un moyen nécessaire pour l’accomplissement des objectifs du traité, le Conseil à l’unanimité peut adopter les mesures nécessaires.

    25 M. G. 

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    26 Voy., not., les arrêts Airtours, Schneider c. Legrand et Tetra Laval c. Sidel, qui seront analysés dans le présent manuel.

    27 C.

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    28 Voy. en ce sens A.

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    29 Discours de M.

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    (ex-commissaire chargé de la concurrence), « A European competition policy for today and tomorrow », Washington, 26 june 2000, speech/00/240.

    30 Proposition de règlement du Conseil relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité, Doc. COM (2000) 582 final, JOCE, C 365 E, 19 décembre 2000.

    31 Article 102 a) CE, inséré par l’article G du traité sur l’Union européenne.

    32 E.

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    33 La notion de modèle peut ainsi se rapprocher de la notion d’« identité européenne », voy. J. 

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    34 B.

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    Chapitre 1

    Les concentrations et la concurrence

    25. Le nombre d’opérations de concentration notifiées chaque année à la Commission est passé de 11 en 1990 à 402 en 2007 pour retomber à 259 en 2009 et se trouver en novembre 2016 à 337. L’accélération des opérations de concentrations de 1998 à 2000 s’est soldée par un majeur krach boursier, mais après une longue période d’assainissement des comptes, les entreprises ont en 2004 relancé une nouvelle vague mondiale de fusions¹. En 2007, le marché global des fusions acquisitions a atteint le chiffre record de 4300 milliards de dollars, 20 % supérieur à celui de 2006 qui était déjà qualifié comme une « vague de fusions-acquisitions sans précédent »². Depuis 2008, du fait de la crise financière ce mouvement a été moins important, mais tout semble indiquer qu’il s’agit d’un simple creux entre deux vagues.

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    Graphique disponible sur https://www.bloomberg.com/news/articles/2016-10-31/october-smashes-merger-records-as-companies-turn-to-megadeals.

    26. Toutefois, ces caractéristiques économiques des fusions et acquisitions ne doivent pas occulter les aspects fondamentalement juridiques de ces opérations. Celles-ci relèvent certes d’un choix financier et commercial stratégique des entreprises, mais elles sont soumises à des règles de droit très strictes tant au niveau étatique qu’européen. En tout cas, il s’agit bien ici d’un phénomène quantifiable en constante progression, qui met en exergue l’importance des règles de droit applicables.

    I. Qu’est-ce qu’une concentration ?

    27. Nous allons nous intéresser dans le cadre du présent manuel à cette stratégie de croissance des entreprises. Sur le marché, face aux concurrents, l’accroissement de la taille d’une entreprise peut s’avérer être une stratégie efficace pour assurer sa survie et sa compétitivité. Pour s’adapter à l’évolution du marché et parfois s’en émanciper, l’entreprise peut choisir entre différents moyens d’obtenir une part plus importante du marché.

    – La croissance interne : c’est l’augmentation de la taille de l’entreprise par elle-même. Elle se fait par l’investissement, la création d’usines, de magasins. Ce problème n’est pas régi par la législation de l’Union européenne, sauf évidemment intervention étatique par le biais de fonds publics, c’est-à-dire une aide d’État³. Elle ne fera pas l’objet de notre étude puisqu’il ne s’agit pas d’une opération de concentration.

    – Ce sont les stratégies de croissance externe qui correspondent au terme générique de concentration qui feront l’objet central de cet ouvrage. Il s’agit de l’augmentation de la taille d’une entreprise par l’acquisition de tout ou partie, d’une ou plusieurs, autres entreprises. La concentration est le processus économique et financier qui conduit à la réduction du nombre des acteurs sur le marché et à l’augmentation de leur taille.

    28. D’ailleurs, lorsqu’une entreprise cherche à accroître son pouvoir sur le marché, la concentration semble depuis longtemps être le moyen privilégié : la concentration des marchés résulte principalement des opérations de fusion. En effet, la croissance interne des entreprises est, loin derrière, la deuxième raison de concentration des marchés, la sortie du marché de certaines entreprises étant relativement insignifiante.

    29. On retrouve principalement cinq types d’opérations qui se réalisent notamment par l’acquisition d’actions sur les marchés financiers :

    – la fusion : l’association de deux entreprises (A) et (B) donne une nouvelle entreprise (C). Les entreprises (A) et (B) se dissolvent pour former une nouvelle société qui reprend l’ensemble de leurs patrimoines ;

    – la fusion-absorption ou acquisition par participation financière : l’entreprise (A) absorbe (B), souvent sa filiale, qui disparaît. (A) reçoit l’ensemble des actifs et des dettes de (B) ;

    – la cession partielle d’actifs : aucune entreprise ne disparaît. (A) acquiert des actions dans le capital de (B) et réciproquement ;

    – la filiale commune ou entreprise commune : communément appelée en anglais joint venture, cette opération consiste à la création d’une nouvelle entité économique à laquelle les entreprises fondatrices apportent une partie de leurs actifs, tout en continuant leurs activités respectives. (A) et (B) continuent leurs activités et fondent ensemble (D) ;

    – la scission : elle entraîne la disparition d’une entreprise, ses actions étant partagées entre plusieurs autres entreprises. Elle peut être exigée par les autorités de la concurrence afin d’autoriser une grande opération de Fusion. (A) est partagée entre (B) et (C). Concrètement les autorités de concurrence exigent le plus souvent une cession d’actifs de la part de la nouvelle entité résultant d’une concentration.

    30. Ces différentes opérations de concentration se réalisent habituellement en bourse :

    – soit par une OPA = Offre Publique d’Achat, (A) achète toutes les actions de (B) ;

    – soit par une OPE = Offre Public d’Échange, (A) échange ses actions avec (B), selon les modalités et une parité qui sont annoncées publiquement.

    31. On distingue les offres amicales qui se déroulent avec l’accord des dirigeants et des principaux actionnaires, et les offres hostiles, ou encore qualifiées de prédatrices, dans l’hypothèse inverse.

    32. Selon la place relative qu’occupent les entreprises concernées par l’opération dans le processus de production, ces types d’opérations peuvent donner lieu à divers types de concentration de propriété, qui affectent donc la concurrence de manière différente :

    – la concentration horizontale :

    On utilise le terme concentration ou intégration horizontale pour définir une situation dans laquelle une entreprise contrôle, sur un territoire donné, plusieurs unités de production de même nature qui fabriquent des produits identiques ou similaires. Dans cette hypothèse les entreprises concernées produisent ou distribuent le même produit et interviennent au même niveau du marché. Ce type d’opérations peut être considéré comme potentiellement le plus dangereux pour la concurrence ;

    – la concentration verticale :

    On utilise le terme concentration ou intégration verticale pour définir une opération dans laquelle des entreprises qui contrôlent les différentes phases d’un processus de production d’un même produit se réunissent dans une nouvelle structure commune. C’est le cas, par exemple, de certains groupes de presse, qui publient des quotidiens, des hebdomadaires, des magazines, et sont également présents dans le secteur de l’imprimerie et dans celui de la distribution ;

    – intégration multisectorielle ou conglomérat :

    Une intégration est dite conglomérale lorsque se concentrent plusieurs entreprises qui n’ont aucun lien entre elles sur aucun marché. Il s’agit par exemple d’une entreprise qui contrôle différents types de médias et qui se trouve impliquée dans d’autres activités connexes. Les AOL-Time Warner, Vivendi Universal et autres conglomérats qui dominent, à l’échelle internationale, les divers secteurs de l’information et du divertissement, constituent la meilleure illustration de ce type d’intégration. Plus rarement, des entreprises du même secteur sont aussi intégrées dans des conglomérats plus vastes œuvrant dans d’autres secteurs industriels. C’est notamment le cas de General Electric qui possède aux États-Unis le réseau de télévision NBC, ou de l’entreprise de travaux publics Bouygues, en France, propriétaire de la chaîne de télévision privée, TF1.

    33. En ce qui concerne l’importance quantitative des différents types de concentration industrielle, les études de l’OCDE nous montrent qu’à peu près sept concentrations sur dix sont horizontales, trois sur dix conglomérales et seulement une sur cinquante est verticale⁴.

    II. Pourquoi une entreprise recherche-t-elle la croissance ?

    34. Il est en effet intéressant de regarder quels sont les avantages attendus par une concentration de la part des entreprises qui envisagent une telle opération. Dès 1963 Stigler démontrait que la concentration peut augmenter les taux de profit de la nouvelle entité⁵. Sur un ensemble de 46 études américaines menées avant les années 1970, 42 tiraient comme conclusion que plus l’industrie est concentrée plus ses profits sont élevés. Cependant, la corrélation semble être bien plus faible aujourd’hui⁶.

    35. L’entreprise qui recherche la croissance veut dominer un marché, c’est-à-dire triompher de la concurrence, être plus compétitive par la diminution des prix ou en s’affranchissant de la pression concurrentielle pour la fixation des prix de ses produits, et en augmentant son pouvoir de négociation. En d’autres termes, l’entreprise cherche à accroître sa capacité à se déterminer de manière indépendante par rapport à ses concurrents, selon la terminologie de l’arrêt United Brands⁷. L’entreprise cherche à augmenter sa taille pour s’internationaliser, se spécialiser, s’intégrer ou se diversifier. Autrement dit, une entreprise recherche la croissance pour quatre raisons principales : la volonté de faire de diminuer les coûts de production, la volonté d’innover, la recherche de nouveaux débouchés et la volonté d’être plus influent dans le marché⁸.

    36. L’entreprise est à la recherche de la taille critique⁹. La croissance de l’entreprise lui permet d’atteindre la taille optimale de la production, c’est-à-dire le niveau de production pour lequel le coût moyen est le plus faible. Cette marche vers la taille critique est donc facteur d’économies d’échelle. Les concentrations réduisent les coûts, salariaux, de transport, de distribution, d’organisation et de recherche-développement, car ce sont facteurs de synergie qui favorisent les économies d’échelle, les gains de productivité et permettent donc d’augmenter le chiffre d’affaires favorisant le profit¹⁰.

    37. Des synergies peuvent résulter soit du rapprochement entre des entreprises qui produisent les mêmes biens et qui diminuent leurs coûts en harmonisant le mode de production, soit du simple fait de l’accroissement de la taille des unités de production. Les synergies résultent le plus souvent de concentrations horizontales ou conglomérales.

    38. Si une opération consiste en une spécialisation, l’entreprise étend sa taille sur le même marché notamment pour accroître son pouvoir de marché en réduisant l’intensité de la concurrence sur les prix, la quantité ou même la qualité du produit concerné. Souvent les fusions horizontales, qui consistent au regroupement par des entreprises engagées dans la même activité de leurs actifs, aboutissent à des économies d’échelle par la rationalisation de la production entre les différents sites. Le fait qu’une des conséquences principales d’une fusion horizontale est de renforcer la position sur le marché explique le constat de la sévérité des différentes législations à leur égard.

    39. Dans l’hypothèse d’une croissance par intégration verticale, une entreprise étend sa taille sur un marché complémentaire à l’activité de base. L’objectif est d’étoffer la filière de production tout en améliorant la compétitivité de l’entreprise. En effet, elle est facteur de synergie en associant par exemple l’expertise d’une entreprise qui produit à celle d’une entreprise qui distribue. Il est en effet plus efficace économiquement de fusionner avec un distributeur plutôt que d’essayer d’apprendre à distribuer avec la même efficacité¹¹. L’intégration verticale engendre des coûts du fait de la moindre spécialisation dans les activités aval ou amont, mais elle permet simultanément de réduire les coûts par l’intégration des fournisseurs en amont et des distributeurs en aval, d’assurer un approvisionnement sans risque, de contourner les législations relatives aux restrictions verticales et, notamment, de priver les concurrents d’un de leurs fournisseurs ou distributeurs potentiels¹².

    40. La volonté de faciliter la recherche et l’innovation est un autre motif de concentration. La croissance peut permettre d’acquérir davantage de moyens financiers et humains pour investir et surtout pour innover. Le rapport (coût de l’innovation / quantité) baisse. Favorisant ainsi l’innovation et la compétitivité de l’entreprise. L’objectif dans cette hypothèse est de s’approprier d’autres entreprises qui sont spécialisées dans un domaine précis et sont porteuses d’innovations qui pourront être utilisées dans la filière de production de l’acquéreur. C’est le cas notamment dans l’industrie automobile qui nécessite de plus en plus une grande expertise dans l’électronique et l’informatique. Il s’agit ici le plus souvent de concentration verticale.

    41. L’autre hypothèse est celle d’une joint venture, c’est-à-dire d’une entreprise commune qui a souvent un objectif de recherche clairement défini, dans un domaine très pointu et qui nécessite d’importants moyens financiers pour être engagée. Le résultat de l’innovation sera partagé par les entreprises à la base du projet, ce qui leur accordera un avantage conséquent par rapport à leurs concurrents. Depuis longtemps, les compagnies pétrolières réalisent beaucoup de joint-ventures, c’est-à-dire, des filiales communes pour diminuer les risques du fait de coût des investissements très élevés.

    42. Une stratégie d’internationalisation consiste pour une entreprise à augmenter sa taille en s’implantant à l’étranger pour conquérir de nouveaux marchés et vendre plus pour accroître son chiffre d’affaires. Il s’agit ici de rechercher de nouveaux débouchés une fois que le marché national semble saturé¹³. Afin de pénétrer un marché étranger, le rachat d’une entreprise locale semble être le moyen le plus efficace puisque la marque est familière pour les consommateurs et le réseau de distribution existe déjà¹⁴. Par ailleurs, les opérations transfrontalières permettent de pénétrer rapidement des marchés étrangers tout en contournant les barrières tarifaires et non tarifaires.

    43. On trouve évidemment dans la doctrine économique une multitude d’autres facteurs qui peuvent inciter une entreprise à envisager une opération de concentration. En voilà certains :

    – la diversification : l’entreprise va faire de la croissance sur des marchés différents et non complémentaires. Si un marché fonctionne mal, elle peut ainsi se tourner vers un autre. La croissance est ici conglomérale ; elle diversifie les risques mais augmente la rentabilité ;

    – les marchés financiers : les opérations de Fusions et d’Acquisitions créent de la valeur pour les actionnaires en favorisant la hausse des dividendes et les plus-values boursières¹⁵ ;

    – l’efficience managériale : la doctrine anglo-américaine consacre une littérature abondante sur le sujet. L’opération de concentration permettrait de choisir les dirigeants les plus aptes à mener à bien les objectifs fixés par les actionnaires.

    III. La concurrence et les concentrations sont des concepts économiques

    44. L’essence même du marché intérieur de l’Union européenne est de permettre aux entreprises de se concurrencer à conditions égales au sein d’un vaste marché les amenant à produire à grande échelle. La libre concurrence est alors considérée comme le meilleur mode de fonctionnement des marchés¹⁶ puisqu’elle permettrait, du moins en théorie, la diversité de l’offre de biens et de services aux consommateurs pour des prix aussi bas que possible, une qualité améliorée et une stimulation de l’innovation¹⁷. En effet, le fait de favoriser la concurrence entre les entreprises améliore non seulement le bien-être des consommateurs mais stimule également le dynamisme des sociétés¹⁸. Cela permet aux entreprises les plus performantes de mieux faire face à la concurrence européenne et internationale.

    45. Une telle situation est favorable au consommateur européen qui semble être placé au cœur du système. Elle l’est beaucoup moins – en tout cas à court terme – pour les entreprises qui doivent faire des efforts permanents pour rester compétitives sur les marchés. Dès lors, pour échapper à cette course incessante et augmenter leurs bénéfices plus aisément, certaines entreprises vont essayer de contourner les règles de la concurrence en limitant de ce fait les bienfaits pour les consommateurs. Adam Smith, expliquait dès 1776, dans son œuvre « Recherches sur la nature et les causes de la richesse des Nations » que la mise en œuvre de pratiques anticoncurrentielles est presque une tendance naturelle de toute entreprise privée. La concurrence est un facteur de coût important pour une entreprise : elle tire les prix vers le bas, elle contraint à l’innovation et provoque des incertitudes quant aux profits à venir. Une entreprise, agissant par définition en vue de maximiser ses profits, est tentée de réduire le coût de la concurrence soit par le biais d’ententes avec les concurrents, soit par des pratiques d’exclusion ou d’acquisition. La « main invisible » n’est alors plus suffisante¹⁹ : comme dans un match de football, il faut des règles et un arbitre²⁰. Ainsi, aux États-Unis, le droit de la concurrence est né d’un besoin de protéger les valeurs fondatrices de la société américaine menacées par la puissance économique de certains Trusts²¹. Pour défendre la liberté, il faut donc interdire²². L’objectif des règles de droit en la matière est donc de préserver la concurrence. Le droit de la concurrence de l’Union européenne adopte sans difficulté ce même fondement : « Nous avons adopté un engagement envers la concurrence libre et c’est le rôle de la Commission, en tant qu’autorité chargée de la concurrence, de s’assurer que les marchés restent ouverts et que la concurrence puisse s’épanouir sans obstacle »²³.

    46. Max Weber considérait que la concurrence sur le marché ne représente pas nécessairement un accroissement de la liberté individuelle. À l’inverse, elle peut faciliter l’accroissement de la coercition autoritaire²⁴. La préservation de la concurrence sur les divers marchés de produits et de services est confiée à des organes spécifiques que ce soit au niveau national ou au niveau européen. Ces autorités exercent l’une des fonctions essentielles des pouvoirs publics qui est celle de la police (au sens strictement juridique), dont le droit public détermine l’organisation et l’exercice. Il s’agit donc d’assurer le bon ordre en matière économique afin de préserver la liberté du marché²⁵ et l’exercice de la concurrence dans des conditions normales.

    47. L’économie de marché n’est pas exclusive de règles. Celles-ci ne peuvent être mises en œuvre efficacement que par des organes bénéficiant de pouvoirs de police spécifiques, puisqu’il ne s’agit pas ici de la mission de police générale qui concerne la sécurité et la tranquillité. En droit de la concurrence, la police de la concurrence a pour objectif de préserver sur un marché les conditions de concurrence effective entre les différents opérateurs. Le droit de la concurrence régit donc le comportement – la stratégie – des opérateurs sur un marché.

    48. L’objectif de ce contrôle est de maintenir une structure concurrentielle au sein du marché concerné. Les fusions ont plusieurs motivations : volonté de dégager des synergies ou recherche d’un effet de taille. Avec le passage d’une multitude de marchés nationaux à un Marché commun d’une importance bien plus grande, une acquisition peut se justifier par la recherche d’une masse critique qui permettra d’être plus compétitif face à la concurrence européenne et tierce, ainsi que d’être mieux implanté sur le vaste territoire de la L’Union. Le problème que peuvent poser de telles opérations est qu’à terme, le marché pertinent peut devenir oligopolistique avec un risque accru d’abus de position dominante ou la création d’un monopole de fait, situations qui portent atteinte à une concurrence saine et qui sont préjudiciables aux consommateurs. Une telle situation pourrait se traduire pour les petites et moyennes entreprises (PME) et les consommateurs finaux par un renchérissement du coût des produits et par une raréfaction de l’offre de produits innovants.

    49. La place centrale accordée au processus de concurrence conduit certains auteurs à considérer que l’ordre concurrentiel fait partie de l’ordre constitutionnel de l’Union européenne²⁶, analyse à laquelle nous souscrivons. Il s’agirait d’une Constitution économique comme entendue par l’École ordolibérale allemande, qui se référait à la participation du droit de la concurrence en qualité d’institution constitutionnelle²⁷, l’ordre économique devant se conformer aux principes constitutionnels de l’ordre social²⁸. Les trois traités étant de nature économique, Ophüls, s’est interrogé sur la transposition possible du concept allemand de « Constitution économique » en droit de l’UE. Les juristes allemands qualifient ainsi les règles essentielles sur lesquelles sont fondées l’organisation économique et l’intervention des pouvoirs publics dans l’économie²⁹. Plus tard, Constantinesco va définir la notion de Constitution économique comme l’ensemble des normes juridiques qui précisent et ordonnent le cours du processus économique dans un ensemble économique donné³⁰.

    50. De son côté, la Cour de justice de l’Union européenne semble plus nuancée puisqu’elle qualifie le principe de libre concurrence de disposition fondamentale de l’ordre de l’Union³¹ ou encore de principe structurel³². La concurrence s’impose donc comme règle de base qui doit être rigoureusement respectée par les entreprises, les États membres³³ et les institutions européennes.

    51. Ces considérations sont les premiers indices de la nature duale du droit européen des concentrations, à la fois juridique et économique.

    52. Le droit de la concurrence impose des règles objectives aux différents acteurs d’un marché. Sa raison d’être est de sauvegarder les bénéfices théoriques qui peuvent résulter d’un marché concurrentiel et qui sont mis en péril par certains comportements ou certaines opérations menées par les entreprises. Son corollaire est donc l’acceptation d’un certain nombre de théories économiques qui analysent en quoi la concurrence est garante d’efficacité économique³⁴.

    53. Au sein d’un marché en situation de Concurrence Pure et Parfaite (CPP), la concurrence se suffit à elle-même pour garantir l’allocation optimale des ressources³⁵. Aucune intervention d’une autorité de régulation de la concurrence n’est alors nécessaire. Cependant, pour être en situation de CPP, cinq caractéristiques cumulatives doivent être réunies³⁶ : de nombreux concurrents, des produits homogènes, une entrée et une sortie libre du marché, l’indépendance des décisions des concurrents, et enfin une parfaite transparence de l’information. Dans un tel marché parfaitement contestable, la question de la stratégie d’entreprise ne se pose pas car dans cette situation le marché s’impose aux entreprises et elles s’y adaptent. En effet, dans une telle situation, l’entrée potentielle d’un concurrent sur le marché suffit pour discipliner le pouvoir de marché des firmes en place. Il n’apparaît donc pas nécessaire de surveiller et/ou réguler le fonctionnement d’un tel marché.

    54. Toutefois, s’intéresser à la stratégie d’entreprise c’est s’intéresser à la concurrence imparfaite et aux limites du marché. Les premiers économistes ayant défini la concurrence imparfaite sont Sraffa³⁷, Chamberlin³⁸ et Robinson³⁹. Pour eux la CPP n’est qu’un idéal de référence et ne correspond pas à la réalité des marchés. Ce fonctionnement imparfait de la concurrence peut avoir des effets aussi négatifs que ceux issus d’un monopole.

    55. Face à la concurrence, les entreprises cherchent aujourd’hui à atteindre une taille critique. La concentration permet à l’entreprise d’être plus compétitive, de faire face à la concurrence sans pour autant l’éradiquer automatiquement. En effet, celle-ci change de nature : on l’appelle alors concurrence imparfaite. La concurrence imparfaite est la situation de concurrence qui ne respecte pas la CPP. La typologie de Stackelberg est un tableau où l’on distingue la situation de l’offre et de la demande sur un marché. Lorsque les entreprises cherchent à augmenter leur taille, la concurrence va être affectée parce que le marché se déforme : monopole, oligopole. L’offre est moins importante que la demande, ce qui permet aux entreprises de gérer le marché. Cependant, même un marché contrôlé par un petit nombre d’entreprises connaît une concurrence potentielle. Ce marché qui reste donc contestable oblige les entreprises présentes à adopter un comportement concurrentiel⁴⁰.

    56. Cependant, la nouvelle entité peut obtenir des économies d’échelle, notamment par l’augmentation du pouvoir de négociation avec les fournisseurs et donc de diminuer ses coûts. Ainsi le consommateur peut toujours profiter éventuellement de prix plus bas. Le problème posé est celui de délimiter cette éventualité positive, puisqu’en absence de pression concurrentielle, la nouvelle entité n’aura aucune obligation de partager ses profits avec les consommateurs⁴¹.

    57. Toutefois, dans ces conditions « imparfaites » de fonctionnement de la grande majorité des marchés aujourd’hui, il est important de maintenir une structure concurrentielle afin de préserver une allocation satisfaisante des ressources et notamment pour protéger les intérêts des consommateurs face à des opérateurs économiques trop puissants⁴².

    58. Le droit du contrôle des concentrations repose sur l’idée que certaines structures de marché favorisent les comportements anticoncurrentiels et qu’il faut donc les empêcher d’émerger. Le rôle de la Commission européenne en tant qu’autorité chargée de la surveillance de la concurrence est d’empêcher les entreprises de s’affranchir par un tel moyen de la pression concurrentielle.

    59. Le droit de la concurrence traite des effets du comportement des entreprises sur les consommateurs. Comprendre la relation entre ce comportement et le bien-être du consommateur nécessite l’utilisation de la théorie économique. Se pose dès lors la question du traitement de questions économiques par le droit⁴³. Les modèles économiques impliqués sont essentiels à toute analyse concurrentielle, mais restent suffisamment abordables pour être compris par les juristes. En effet, puisque nous ne pouvons attendre du législateur, des juges et des juristes d’être également des économistes sophistiqués, c’est le simple fait que des idées économiques simples sont puissantes et tout à fait adaptées à ce domaine, qui rend concevable pour le droit d’encadrer et mettre en œuvre une politique utile⁴⁴.

    60. Karel Van Miert a qualifié le droit de la concurrence de « matière éminemment juridique et économique »⁴⁵. François Souty évoquait quant à lui « une culture juridique à dominante économique »⁴⁶. Enfin, le professeur Boulouis considère que le droit de l’Union est une illustration des plus homogènes de ce qu’on appelle « droit économique »⁴⁷. Il s’est interrogé sur la conjugaison du droit et de l’économie et a constaté des différences fondamentales dans les démarches respectives de la science économique et du droit. La première fonde ses analyses sur des quantités et des valeurs ; la seconde sur des qualités⁴⁸.

    61. En effet, le droit européen des concentrations est, dans le cadre de la nature même du droit de la concurrence, un droit économique par excellence. Il se trouve, en tant que tel, confronté à un défi : définir des règles juridiques dont la mise en œuvre est transparente et prévisible, élément

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