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Les obligations contractuelles en pratique: Questions choisies (Belgique)
Les obligations contractuelles en pratique: Questions choisies (Belgique)
Les obligations contractuelles en pratique: Questions choisies (Belgique)
Livre électronique457 pages4 heures

Les obligations contractuelles en pratique: Questions choisies (Belgique)

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À propos de ce livre électronique

Nous connaissons l’importance pour les civilistes de maitriser le droit des obligations ainsi que ses mécanismes spécifiques. Confronté régulièrement à des questions complexes et pratiques, le praticien doit tenter d’y répondre mais peine souvent à trouver des réponses évidentes.

Dans cet ouvrage, des spécialistes reconnus répondent à dix questions choisies qui abordent différents thèmes, secteurs d’application et modalités de mise en œuvre du droit des obligations afin d’aider les civilistes dans leur pratique quotidienne.

Sont ainsi abordés, de manière synthétique et pratique, les thèmes suivants : le silence et l’inaction en droit des obligations, la validité et la mise en œuvre des clauses attributives de compétence en droit interne, les clauses abusives au regard de l’office du juge, les contrats de service et les ventes forcées, Internet, quelques mécanismes de modification du prix dans la vente et les contrats de service, les concours de responsabilités contractuelle et extracontractuelle, la mise en œuvre des actions directes, les difficultés liées aux obligations de restitution après annulation, et enfin, le sort des droits d’auteur en cas de fin de contrat.
Cet ouvrage se veut résolument accessible et a pour objectif de répondre efficacement aux questions complexes et récurrentes que se pose régulièrement le praticien.
LangueFrançais
ÉditeurAnthemis
Date de sortie26 juin 2015
ISBN9782874558047
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    Aperçu du livre

    Les obligations contractuelles en pratique - Marie Dupont (sous la coordination de)

    RUQUENAIRE

    Introduction

    Personne n’ignore l’importance du droit des obligations comme fondateur de la vie juridique, ni la nécessité pour les civilistes de pouvoir maîtriser – autant que faire se peut – ses nombreux mécanismes spécifiques. La matière est complexe et ses aspects variés, et le praticien est régulièrement confronté à des questions très pratiques pour lesquelles il ne trouve pas toujours, en dépit des nombreuses études doctrinales qui existent en la matière, de réponse satisfaisante et concrète.

    C’est avec l’ambition de répondre efficacement à quelques-unes de ces questions que les Marie Dupont, François Glansdorff et Erik Van den Haute ont souhaité organiser un colloque et publier un ouvrage aussi accessibles et pratiques que pointus en droit des obligations.

    Ils ont dès lors fait appel à des praticiens reconnus en leur demandant de bien vouloir fournir une réponse synthétique, intelligible et pragmatique à des questions complexes mais récurrentes.

    Les dix questions choisies envisagent différents thèmes, secteurs d’application et modalités de mise en œuvre du droit des obligations ; une gageure peut-être mais le lecteur devrait trouver un grand intérêt aux contributions des auteurs qui ont accepté de relever ce défi.

    Réflexions sur le silence et l’inaction en droit des obligations

    François G

    LANSDORFF

    Avocat

    Professeur honoraire à l’Université libre de Bruxelles

    1. Dans notre système consensualiste, la notion de volonté juridique est fondamentale. C’est de la volonté que naissent les engagements juridiques. Une manifestation de volonté destinée à produire des effets de droit, telle est la définition classique de l’acte juridique¹. Et l’un des éléments fondamentaux du régime des contrats dans notre droit civil est sans conteste le concept d’autonomie… de la volonté².

    Que se passe-t-il alors lorsque la volonté est absente, ou qu’en tout cas elle n’apparaît pas? Aucun effet de droit ne peut-il se produire?

    Non, bien sûr. Les situations sont multiples, où le silence, la passivité, l’inaction, la négligence, l’imprudence ou l’omission – tous comportements auxquels la volonté est étrangère – produisent des effets de droit. Cela va du simple non-paiement d’une dette à la non-assistance d’une personne en danger, en passant par bien d’autres comportements et situations intermédiaires³.

    2. Ces situations sont à ce point nombreuses qu’il nous faut limiter notre propos. Il se bornera à l’exploration d’un domaine du droit, qui est celui des contrats (ou des obligations, mais des obligations conventionnelles), et au sein du droit des contrats nous ne parlerons pas de la non-exécution de ses obligations⁴ par le débiteur, non-exécution qui peut évidemment procéder d’une absence de volonté et qui va à l’évidence produire des effets de droit. Nous n’envisagerons, indépendamment de toute inexécution d’une obligation préexistante, que les effets juridiques du silence, de la passivité, de l’inaction « vierges » de l’un des cocontractants – matière qui laisse déjà suffisamment de champ à la réflexion, et sans doute à une réflexion plus originale qu’un examen classique de l’inexécution des obligations contractuelles.

    3. Le silence et la passivité doivent-ils être traités séparément? Nous ne le pensons pas. L’un et l’autre vont le plus souvent de pair, et traduisent la même absence de volonté exprimée⁵. Il y a néanmoins un cas où le silence est tout sauf passif, parce qu’il procède d’une volonté délibérée d’abuser l’autre partie : c’est le dol par dissimulation, qu’on appelle aussi réticence dolosive, ou encore, suivant l’expression de J.-P. Masson, les « fourberies silencieuses »⁶. Selon un arrêt de la Cour de cassation du 17 février 2012, « la réticence d’une partie, lors de la conclusion d’une convention, peut, dans certaines circonstances, être constitutive de dol au sens de l’article 1116 du Code civil lorsqu’elle porte sur un fait qui, s’il avait été connu de l’autre partie, l’aurait amenée à ne pas conclure le contrat ou à ne le conclure qu’à des conditions moins onéreuses »⁷. Encore faut-il, pour qu’il y ait réticence, que la rétention d’information soit volontaire et ne procède pas d’une simple négligence, et que « selon les circonstances, il existe dans le chef de celui qui se tait une obligation de parler, de révéler à l’autre partie les informations qu’il connaît »⁸.

    L’arrêt du 17 février 2012 rappelle implicitement que le dol peut être aussi bien incident que principal, le dol incident étant celui qui a eu seulement pour effet d’influencer les conditions d’un contrat qui aurait été conclu, même à défaut de la commission d’un tel dol, mais à d’autres conditions⁹. La sanction du dol incident est limitée à l’allocation de dommages et intérêts, qui se traduisent souvent par une réduction de prix.

    L’hypothèse s’apparente, en tout cas en France, à celle du destinataire d’une offre qui accueille celle-ci par un silence équivoque, qui peut, suivant les circonstances, s’accompagner de mauvaise foi. En pareil cas, dit-on, le destinataire « doit être condamné à réparer ce préjudice dans les mêmes conditions et pour les mêmes raisons que celui qui est responsable de la rupture des pourparlers »¹⁰. On se trouve dans l’une des hypothèses de la culpa in contrahendo, qui débouchera pratiquement sur une réparation par équivalent (des dommages et intérêts) analogue à celle qui sanctionnerait un dol incident.

    4. Écartons à présent ce qui est fautif en soi, qu’il s’agisse de la réticence dolosive ou de la simple inexécution d’une obligation contractuelle. On se trouve alors sur le terrain plus mouvant de la passivité ou du silence non fautif, mais qui, répétons-le, ne sont pas pour autant dépourvus d’effets juridiques. Quels sont ces effets? Quelle est la sanction d’un tel comportement, si sanction il y a?

    Trois conceptions se dégagent de la jurisprudence et de la doctrine :

    Soit le silence équivaut tout simplement au consentement, et doit produire les mêmes effets que celui-ci. Il y a acceptation implicite, ou présumée.

    Soit il n’y a pas équivalence à un consentement mais abus de droit ou manquement à la bonne foi dans le chef de la partie qui n’accepte pas les conséquences de la situation ou de la croyance qu’elle a contribué à créer. On retrouve sans doute la faute dans cette hypothèse, mais ce n’est plus la passivité ou le silence en soi qui est fautif : c’est l’incohérence dans le comportement, qui a pu tromper la légitime confiance des tiers, du cocontractant en particulier.

    Soit la même incohérence est sanctionnée de manière objective, donc indépendamment de toute faute, par le seul fait que les comportements actuel et passé du cocontractant sont inconciliables et que cette incohérence est préjudiciable aux tiers. C’est l’hypothèse de la rechtsverwerking.

    Reprenons ces trois conceptions en examinant dans quel cas la jurisprudence en fait application, quelles conséquences elle en tire, et en s’interrogeant sur le bien-fondé de cette pluralité de conceptions face à des situations qui sont à première vue sensiblement analogues.

    Section 1

    L’équivalence à un consentement

    5. Il est admis que si le silence en soi n’implique pas l’émission d’une volonté et ne vaut dès lors pas acceptation, il n’en va pas de même du silence dit « circonstancié », c’est-à-dire du silence qui, compte tenu des circonstances, ne peut normalement pas signifier autre chose qu’une acceptation.

    La solution est constante à tous les degrés de juridiction, cassation y compris¹¹. Elle prévaut également en France, où la Cour de cassation a rappelé que « si le silence ne vaut pas à lui seul acceptation, il n’en est pas de même lorsque les circonstances permettent de donner à ce silence la signification d’une acceptation »¹².

    6. Précisons à ce sujet :

    que cette solution vaut non seulement pour l’offre, mais aussi, de façon plus générale, pour toute émission de volonté, en droit civil comme en droit commercial¹³ ;

    qu’en matière de preuve, le silence peut constituer une présomption, et particulièrement le silence gardé par une partie en présence d’affirmations répétées de l’autre partie¹⁴ ;

    que c’est surtout en droit commercial que la théorie du silence circonstancié reçoit le plus d’applications concrètes¹⁵, les circonstances le plus souvent retenues étant le caractère habituel des relations entre parties, les usages en vigueur dans certaines branches de l’industrie ou du commerce (par exemple pour des opérations qui portent sur des marchandises sujettes à des fluctuations de prix rapides), le fait que le destinataire soit lui-même commerçant, la rapidité de l’exécution du contrat après la réception de l’offre, le caractère favorable de l’offre pour le destinataire (hypothèse envisagée ci-après)¹⁶ ;

    que le destinataire peut évidemment démontrer que son silence doit s’interpréter autrement que comme une acceptation¹⁷ ;

    que, sauf interdiction légale (cf. ci-après, en droit de la consommation), les parties peuvent aménager conventionnellement les effets du silence, ou convenir que celui-ci ne produira aucun effet¹⁸ ;

    que, selon certains, le silence même non circonstancié peut valoir acceptation lorsque l’offre a été faite dans l’intérêt exclusif de son destinataire, par exemple une offre de remise de dette ou de délai de paiement supplémentaire en faveur du débiteur, ou encore le silence du preneur à qui l’on annonce une réduction de loyer¹⁹ ; la solution, ou tout au moins ses applications et ses possibles effets pervers ont été critiqués aussi bien en France²⁰ qu’en Belgique²¹ ;

    qu’en droit de la consommation, plusieurs législations réglementent en faveur du client les effets du silence de l’une ou l’autre des parties.

    Ainsi :

    l’article 41 de la loi du 6 avril 2010 relative aux pratiques du marché et à la protection du consommateur, qui interdit la clause suivant laquelle, en cas d’envoi d’un produit à acquérir, le silence du destinataire vaudra acceptation de l’offre²² ;

    l’article 4, § 1er, de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d’assurance terrestre, qui dispose que lorsque le futur assuré renvoie à l’assureur une proposition d’assurance, ce dernier s’oblige à conclure le contrat d’assurance dans les termes de la proposition s’il n’a pas, dans les trente jours, notifié au preneur d’une offre d’assurance, son refus d’assurer ou son intention de subordonner l’assurance à une demande d’enquête²³ ;

    dans le même sens, la doctrine majoritaire condamne la théorie de l’approbation tacite (ou implicite) des documents bancaires par le client, en matière de gestion de fortune²⁴.

    Section 2

    L’abus de droit, entre autres

    7. La thèse du silence circonstancié valant acceptation tacite n’a guère été critiquée en tant que telle, en Belgique tout au moins. En France, en revanche, on a souligné combien « la frontière entre le silence circonstancié et l’acceptation tacite demeure floue »²⁵, et combien pouvait être hasardeuse l’assimilation de l’un à l’autre. Aussi avait-on proposé de longue date – car cela ne date pas d’hier – d’avoir plutôt recours à la théorie de l’abus de droit : « De la sorte, disait-on, on concilie les deux conceptions contraires : celle qui n’admet pas que l’on puisse forcer quelqu’un à une réponse et celle qui vous oblige à parler dans certains cas. Si, en effet, j’ai le droit de ne pas répondre à une offre que l’on me fait, je n’ai pas le droit d’abuser de mon silence, lorsque en me taisant je nuis sciemment à autrui. Je suis donc tenu parce que, en me taisant, j’ai pu aggraver la situation d’un tiers, alors qu’une simple parole de ma part aurait pu l’éclairer sur mes intentions et lui éviter des dommages inutiles. Il y a abus de droit comme dans le cas de rupture injustifiée de pourparlers précontractuels. »²⁶

    Recours fondé donc sur l’abus de droit, et dont, par le biais de la réparation en nature, la sanction est identique à celle que la jurisprudence applique au silence-acceptation : « Il vaut donc mieux dire non pas que, dans ce cas, la réparation peut consister à considérer qu’il y a eu, de la part de celui qui s’est tu abusivement, une certaine volonté, mais plus exactement que la reparation peut consister parfois à obliger comme s’il avait contracté celui qui a gardé le silence, abstraction faite de sa volonté, ou même contre sa volonté. »²⁷

    La même idée, aussi bien par sa sanction que dans son principe, se retrouve à la base de la théorie de l’apparence, laquelle, explique P. A. Foriers, « apparaît comme un des aspects du principe général de droit de l’exécution de bonne foi. Si la création d’apparences trompeuses n’est pas nécessairement fautive – elle peut évidemment l’être –, manque à la bonne foi et commet donc une faute celui qui n’accepte pas les conséquences de la situation qu’il a contribué à créer et qui surprend ainsi les tiers. C’est le mécanisme de la réparation en nature du dommage subi par les tiers qui justifie que la situation apparente sorte les mêmes effets que la situation réelle »²⁸.

    La même idée encore se retrouve dans le critère, développé par X. Dieux, des expectatives de l’homme raisonnable et des anticipations qu’autorise le sens commun²⁹.

    Toutes ces notions, dont la parenté a été soulignée en droit belge³⁰, se retrouvent dans la jurisprudence française, pour reprendre cette phrase très synthétique du traité de Ghestin : « Pour justifier une telle solution on a fait état d’un abus de droit, le silence ayant provoqué un préjudice qu’une manifestation de volonté aurait permis d’éviter, ou d’une sanction de celui qui, ayant laissé se constituer une apparence, ne pourrait plus ensuite la dissiper sans incohérence. D’autres auteurs invoquent l’apparence trompeuse qui a été créée par le silence et dont il convient de protéger celui dont la confiance légitime a été abusée. »³¹

    Section 3

    La rechtsverwerking

    8. Une première amorce d’objectivation avait ainsi été réalisée en passant du silence-acceptation à l’abus de droit, l’exécution de bonne foi, la théorie de l’apparence ou celle des expectatives légitimes. « Détacher la bonne foi de ses intentions, écrit P. Martens, donner au dépérissement une définition objective et une sanction spécifique en partant de l’analyse d’un comportement plutôt que d’une volonté présumée, c’était lui faire franchir le même gué que quand l’abus de droit s’est affranchi de l’intention de nuire, quand les troubles de voisinage ont quitté le domaine distendu de l’article 1382 pour entrer dans celui plus circonscrit de l’article 544, quand l’apparence a accédé à la catégorie de source autonome de droits et d’obligations, indépendamment de sa création fautive. Ce n’était pas une entreprise d’affadissement du juridique par l’éthique mais, au contraire, la recherche d’une objectivité – donc d’une scientificité – propre à réduire l’emprise des émotions. »³²

    Mais ce n’était qu’une amorce. La progression vers une plus grande objectivation s’est traduite par l’apparition dans notre droit de la rechtsverwerking, qui est « un mode d’extinction³³ des obligations selon lequel celui qui adopte un comportement inconciliable avec un droit qu’il prétend par ailleurs mettre en œuvre doit être privé de la faculté de se prévaloir de ce droit »³⁴. Cette troisième conception se distingue des deux premières en ce sens que « selon le concept de rechtsverwerking, on se détache de la recherche d’une volonté plus ou moins implicite pour mettre l’accent sur une attitude objective. Il n’est pas requis que celui à qui la rechtsverwerking est opposée ait commis une faute »³⁵.

    On sait que la notion de rechtsverwerking a été critiquée par une partie de la doctrine³⁶ et que la Cour de cassation ne l’a pas admise comme principe général du droit³⁷. Ceci pour divers motifs d’ordre juridique, ou tout simplement parce que notre droit… préfère Descartes à Wagner³⁸. La rechtsverwerking survit néanmoins, mais au travers de l’abus de droit ou de l’exigence d’exécution de bonne foi, dont elle peut constituer un cas d’application. La jurisprudence récente de la Cour confirme ce maintien, ou cette évolution³⁹, un arrêt du 1er octobre 2010 ayant condamné une brasserie qui avait attendu dix ans avant de faire jouer, à charge des exploitants d’un débit de boissons, une clause pénale prévue en cas de manquement à leur obligation de distribution⁴⁰. Certes, le fondement de la sanction de ce type d’inertie reste le manquement à l’exécution de bonne foi ou l’abus de droit⁴¹, voire le retard fautif de la victime dans la valorisation de ses droits⁴², qui peut aller de la suspension du cours des intérêts jusqu’au rejet total de la demande⁴³ ; il n’en reste pas moins qu’on a pu dire, après l’arrêt du 1er octobre 2010, que la rechtsverwerking existait implicitement grâce à l’abus de droit et que « la haute juridiction reconnaît implicitement l’existence du premier concept (la rechtsverwerking) à travers le second (l’abus de droit) »⁴⁴. Le premier concept continue donc à faire son chemin, même si l’avenir reste indéterminé : « Het blijft echter de vraag of het Hof van Cassatie in de toekomst een nieuw bijzonder criterium van rechtsmisbruik zal (of zou moeten) erkennen. Of het zal gaan om een criterium van « rechtsverwerking » dan wel om een ruimer criterium van het « beschamen van het rechtmatige vertrouwen », zal de toekomst uitwijzen. »⁴⁵

    Le même cheminement vers « l’interdiction de se contredire au détriment d’autrui » s’observe dans la jurisprudence de la Cour de cassation de France, même si, comme en Belgique, le cordon ombilical avec l’exécution de bonne foi et l’abus de droit n’est pas coupé. Ainsi la doctrine française souligne-t-elle l’importance d’un arrêt du 8 mars 2005 au motif que, « même s’il rattache la solution à la désormais classique exigence d’exécution de bonne foi, il montre que la chambre commerciale n’est pas insensible à l’obligation de faire preuve d’une certaine cohérence dans le comportement »⁴⁶.

    9. Silence-acceptation, abus de droit, rechtsverwerking, on suit la progression : d’abord recherche d’une volonté présumée, puis appréciation d’un comportement, au départ fautif puis avec une poussée vers l’objectivation, où l’accent est mis sur la cohérence plus que sur la faute. Toutefois – et cela n’aura échappé à personne – parle-t-on toujours de la même chose, et notre analyse porte-t-elle du début jusqu’à la fin sur le même genre de situation? Non, sans doute : car s’il est vrai que l’inertie du créancier qui tarde à réclamer paiement et le silence du destinataire d’une offre relèvent tous deux de la passivité – qui est notre sujet –, tel n’est pas le cas, par exemple, du banquier que nous venons d’évoquer et qui utilise puis n’utilise plus sa clause d’unicité de comptes, situation qui relève sans doute de l’incohérence mais non de la passivité (car l’incohérence peut se rencontrer dans beaucoup d’autres cas que ceux de la passivité ou de l’inertie…).

    Restons plutôt dans les limites de cette dernière, à propos de laquelle la rétrospective sommaire qui précède conduit à se poser la question suivante : qu’estce qui explique le clivage fondamental entre, d’une part, l’analyse fondée sur la volonté, analyse adoptée dans un type de situation – l’acceptation –, et d’autre part l’analyse fondée (de manière plus ou moins objective) sur le comportement, adoptée dans un type de situation voisin du premier – la renonciation?

    En d’autres termes, pourquoi le raisonnement est-il axé sur la volonté présumée lorsqu’on parle de l’acceptation tacite d’une proposition, alors qu’il est axé sur le comportement lorsqu’il est question de la renonciation à un droit⁴⁷, ce qui est le propre de la rechtsverwerking en particulier? Pourquoi la jurisprudence n’éprouve-t-elle guère de réticence à présumer de la volonté de l’auteur silencieux, même si l’on exige que son silence soit « circonstancié », lorsqu’il s’agit d’accepter un acte ou une situation, alors qu’elle se montre beaucoup moins encline à présumer de la volonté de renoncer à un droit, quand bien même renonciation et acceptation ne sont que l’envers l’une de l’autre⁴⁸ et peuvent avoir des conséquences également lourdes?

    Deux motifs expliquent à notre avis ce phénomène.

    1° Il est de bon sens que la nécessité de sanctionner telle ou telle renonciation peut exister, aussi bien que la nécessité de sanctionner telle ou telle acceptation. Dans l’une et l’autre hypothèse, on rencontre des situations choquantes où l’on sent que justice doit être faite. Encore faut-il que le juge dispose des moyens juridiques adéquats. Or, si la panoplie des moyens est étendue pour la renonciation – abus de droit, exécution de bonne foi, etc. –, elle l’est beaucoup moins pour l’acceptation. L’hypothèse de l’abus de droit y apparaît plus fragile, voire artificielle, en dépit de la séduisante démonstration faite en 1930 par M. Popesco-Ramniceano, dont nous avons reproduit des extraits ci-dessus, et sauf erreur l’on n’en trouve guère d’application dans la jurisprudence ; quant à la rechtsverwerking, elle n’est qu’un mode d’extinction des obligations⁴⁹, et non un mode de conclusion des contrats.

    Ceci pourrait contribuer à expliquer que la volonté présumée est mieux reçue dans l’hypothèse du silence-acceptation.

    2° Dans l’hypothèse du silence-acceptation, la partie ne réagit pas à une sollicitation, à une offre, ou à une quelconque stimulation initiale qui appelait une réaction ; d’où la possibilité d’interpréter, sans grand risque de se tromper, l’absence de réaction comme une acceptation implicite. La situation est différente lorsqu’il s’agit de présumer d’une renonciation, car dans cette hypothèse il n’y a généralement pas eu de stimulation initiale appelant une réaction. Il y a simplement un droit que son titulaire tarde à mettre en œuvre, ce qui est souvent susceptible d’interprétations diverses ; d’où une réticence plus compréhensible, dans la jurisprudence, à présumer de la volonté de la personne à qui l’on voudrait imputer une renonciation.

    Il est difficile de dire si ce clivage entre acceptation et renonciation ira en s’atténuant ou au contraire se prolongera, l’accent restant mis d’un côté sur la volonté présumée, de l’autre sur la cohérence du comportement. En pratique, en tout cas, l’un et l’autre fondement se traduisent jusqu’ici par des sanctions équivalentes : on fait « comme si » la personne avait accepté, ou « comme si » elle avait renoncé, sous le couvert tantôt de volonté présumée, tantôt de réparation en nature, tantôt d’extinction de l’obligation concernée. Peut-être la jurisprudence fera-t-elle un jour apparaître que ces sanctions ne sont pas équivalentes dans tous les cas et n’emportent pas toujours les mêmes conséquences. Il faudra alors s’interroger, de manière moins théorique que nous ne le faisons aujourd’hui, sur le bien-fondé de la différence qui nous interpelle.

    ____________

    1 J. C

    ARBONNIER

    , Flexible droit. Textes pour une sociologie du droit sans rigueur, Paris, Librairie générale du droit et de la jurisprudence, 1971, p. 31.

    2 P. V

    AN

    O

    MMESLAGHE

    , Les obligations, vol. 1, coll. De Page – Traité de droit civil belge, tome II, Bruxelles, Bruylant, 2013, n° 79-1.

    3 Sans écarter, entre autres, des cas qui s’apparentent à de la force majeure, comme celui, que rapporte Carbonnier, du voyageur qui s’endort et dépasse la gare à laquelle son billet lui donnait droit : contravention ou simple paiement d’un supplément ? ( ibid ., p. 54).

    4 Aussi bien précontractuelles, comme l’obligation d’information, que contractuelles.

    5 Ainsi la Cour de cassation a-t-elle récemment considéré, à propos de l’avocat poursuivi au disciplinaire, que « le silence ou l’attitude passive de l’avocat poursuivi ne peuvent, à eux seuls, conduire à une sanction disciplinaire ou à une aggravation de celle-ci » (Cass., 25 novembre 2011, Pas ., I, 2616).

    6 Note sous Cass., 8 juin 1978, R.C.J.B. , 1979, p. 527.

    7 Cass., 17 février 2012, cité par P. V

    AN

    O

    MMESLAGHE

    , op. cit., n° 153.

    8 Ibid ., et les nombreux exemples qu’offre la jurisprudence. Voy. aussi le n° 154, à propos de l’obligation légale « de parler » qui pèse sur le preneur d’assurance.

    9 Ibid ., n° 155.

    10 J. G

    HESTIN

    , Traité de droit civil. Les obligations – Le contrat : formation, Paris, L.G.D.J., 1988, p. 310, n° 297.

    11 P. V

    AN

    O

    MMESLAGHE

    , op. cit., n° 329, et, en ce qui concerne l’acceptation des conditions générales, le n° 332 ; P. W

    ÉRY

    , Droit des obligations, tome I, Bruxelles, Larcier, 2010, n° 139.

    12 Civ., 24 mai 2005, Dall., 2006, p. 1025, obs. A. B

    ENSAMOUN

    . Voy. aussi Civ., 4 juin 2009, quant aux conditions de la tacite reconduction d’un contrat à durée déterminée (RTDciv., p. 530).

    13 P. V

    AN

    O

    MMESLAGHE

    , op. cit., n° 329.

    14 Ibid. , vol. 3, n° 1794.

    15 Voy. les exemples cités par P. V

    AN

    O

    MMESLAGHE

    , ibid., n° 329 ; adde : Mons, 12 mars 2012, J.L.M.B., 2013, p. 38.

    16 Sur l’application des mêmes critères en France, voy. J. G

    HESTIN

    , op. cit., p. 308, n° 29, et A. B

    ENSAMOUN

    , note précitée sous Civ., 24 mai 2005.

    17 Mons, 12 mars 2012, précité.

    18 P. V

    AN

    O

    MMESLAGHE

    , loc. cit.

    19 Ibid .

    20 J. G

    HESTIN

    , op. cit., p. 312, n° 298.

    21 P. W

    ÉRY

    , op. cit., n° 139.

    22 Voy. aussi P. V

    AN

    O

    MMESLAGHE

    , op. cit., vol. 1, n° 329, note 1454.

    23 Ibid ., n° 333.

    24 B. F

    ERON

    , « La gestion de fortune en droit belge », in Aspects juridiques de la gestion de fortune, Bruxelles, Bruylant, 1999, p. 108 ; L. D

    ABIN

    , Régime juridique des marchés financiers et des valeurs mobilières, Bruxelles, Larcier, 2004, p. 355, n° 281 ; M. D. W

    EINBERGER

    , « Gestion de portefeuille et conseil en investissements », in Aspects contractuels et de responsabilités avant et après MIFID, Bruxelles, Kluwer, 2008, pp. 154 et s., nos 217 et 218.

    25 Note A. B

    ENSAMOUN

    sous Civ., 24 mai 2005, précitée. Le contrat d’assurance est un bon exemple des discussions qu’engendre cette question (cf. F. L

    EDUC

    , « La formation tacite du contrat d’assurance », in Propos sur les obligations et quelques autres thèmes fondamentaux du droit, Mélanges offerts à Jean-Luc Aubert, Paris, Dalloz, 2005, p. 193).

    26 R. P

    OPESCO

    -R

    AMNICEANO

    , Le silence créateur d’obligations et l’abus du droit, RTDciv., 1930, pp. 999 et s., spéc. p. 1006. Sur l’adverbe « sciemment », qui traduit une intention de nuire ici hors de propos, l’auteur s’explique plus loin : « si je garde le silence non seulement dans l’intention de nuire à autrui, ou en sachant qu’en ce faisant je nuis à autrui, mais même si mon silence n’est dû qu’à une maladresse de ma part, à une manière

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