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Droit matériel européen des ententes: Textes et commentaires
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Droit matériel européen des ententes: Textes et commentaires
Livre électronique780 pages8 heures

Droit matériel européen des ententes: Textes et commentaires

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À propos de ce livre électronique

Dans cet ouvrage de la série « Grands arrêts, textes et documents commentés » de la collection « Competition Law/Droit de la concurrence », les auteurs présentent et commentent minutieusement un ensemble de textes consacrés aux aspects matériels des ententes en droit de l’Union européenne, en s’attachant aux fondements législatifs, à la pratique décisionnelle visant à la sanction de ces pratiques et aux apports des juridictions de l’Union, notamment quant à l’interprétation des notions en cause.

Y sont abordées dans un langage clair des problématiques complexes en droit des ententes comme notamment la détermination du marché pertinent, le constat d’un accord, la distinction entre infraction par objet et par effet et l’appréciation de l’existence d’une restriction de concurrence dans le cadre d’un échange d’informations. Chaque partie de décisions ou d’arrêts est accompagnée d’une synthèse thématique et de schémas didactiques.

Par le biais d’une approche didactique abordant les principes directeurs, l’évolution et la pratique du droit des ententes, ce recueil de textes commentés a pour vocation de dépeindre l’état actuel de cette branche du droit de l’Union telle qu’interprétée et pratiquée par ses institutions.

Les textes cités recouvrent les règlements et directives de l’Union européenne, les décisions et actes de la Commission parmi lesquels les lignes directrices et communications pertinentes, ainsi que la jurisprudence du Tribunal et de la Cour de justice de l’Union européenne.

Accompagnés des commentaires des auteurs, enseignants, chercheurs et praticiens spécialisés en la matière, les extraits cités permettront au lecteur d’appréhender les problématiques soulevées par le droit des ententes.

L’ouvrage sera particulièrement utile aux praticiens spécialisés en droit de la concurrence. Il répondra avec certitude à leurs questions posées dans cette matière complexe et évolutive qu’est le droit des ententes.
LangueFrançais
ÉditeurBruylant
Date de sortie18 déc. 2019
ISBN9782802766001
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    Aperçu du livre

    Droit matériel européen des ententes - Luc Desaunettes-Barbero

    couverturepagetitre

    Cette version numérique de l’ouvrage a été réalisée pour Larcier.

    Nous vous remercions de respecter la propriété littéraire et artistique. Le « photoco-pillage » menace l’avenir du livre.

    Pour toute information sur nos fonds et nos nouveautés dans votre domaine de spécialisation, consultez nos sites web via www.larcier.com.

    © Lefebvre Sarrut Belgium s.a., 2019

    Éditions Bruylant

    Rue Haute, 139/6 - 1000 Bruxelles

    EAN : 9782-8-0276-6001

    Cette version numérique de l’ouvrage a été réalisée par Nord Compo pour ELS Belgium. Nous vous remercions de respecter la propriété littéraire et artistique. Le « photoco-pillage » menace l’avenir du livre.

    COMPETITION LAW/DROIT DE LA CONCURRENCE

    La collection « Droit de la concurrence » rassemble des ouvrages consacrés à cette matière particulièrement évolutive et concrète, à la croisée de plusieurs disciplines, qu’est le droit de la concurrence, en langue française et anglaise.

    Cette collection a pour vocation d’accueillir différents types d’ouvrages : des collectifs issus des meilleurs « Actes de colloque » dans la matière, des travaux de recherche impactant la pratique, tels que des « Thèses », des « Monographies » sur des thèmes précis à finalité professionnelle, des « Manuels » spécialisés, des « Essais » issus de la vie du droit et des recueils de « Grands arrêts, textes et documents commentés ».

    Collection dirigée par Ludovic Bernardeau • Coordinatrice de rédaction : Manon Oiknine

    The « Competition Law » collection gathers publications, in French and in English, dedicated to the particularly dynamic and concrete area of studying that is competition law, deeply intertwined with several fields.

    This collection aims at assembling different types of publications : collective works from the best Conference proceedings in the area, research works influencing the legal practice – such as Thesis –, Monographs on targeted topics for professional purposes, specialized Textbooks, Essays relating to ongoing debates and compilations of Major cases, texts, and documents commented.

    Collection directed by Ludovic Bernardeau • Writing coordinator : Manon Oiknine

    Précédemment parus dans la collection - Previously published in the collection :

    New frontiers of antitrust 2011, edited by Frédéric Jenny, Laurence Idot and Nicolas Charbit, 2012.

    Abus de position dominante et secteur public. L’application par les autorités de concurrence du droit des abus de position dominante aux opérateurs publics, Claire Mongouachon, 2012.

    Reviewing vertical restraints in Europe. Reform, key issues and national enforcement, edited by Jean-François Bellis and José Maria Beneyto, 2012.

    Droit de la concurrence et droits de propriété intellectuelle. Les nouveaux monopoles de la société de l’information, Jérôme Gstalter, 2012.

    L’action collective en droit des pratiques anticoncurrentielles. Perspectives nationale, européenne et internationale, Silvia Pietrini, 2012.

    New frontiers of antitrust 2012, edited by Joaquin Almunia, Eric Barbier de La Serre, Olivier Bethell, François Brunet, Guy Canivet, Henk Don, Nicholas Forwood, Laurence Idot, Bruno Lasserre, Christophe Lemaire, Cecilio Madero Villarejo, Andreas Mundt, Siun O’Keeffe, Mark Powell, Martim Valente and Richard Wish, 2013.

    New frontiers of antitrust 2010, edited by Joaquìn Almunia, Mark Armstrong, Nadia Calvino, John M. Connor, Henry Ergas, Allan Fels, John Fingleton, Ian Forrester, Peter Freeman, Laurence Idot, Frédéric Jenny, Bruno Lasserre, Douglas Miller, Jorge Padilla, Nicolas Petit, Christine Varney, Bo Vesterdorf, Wouter Wils and Antoine Winckler, 2013.

    New frontiers of antitrust 2013, sous la coordination de Nicolas Charbit, 2013.

    Le contentieux privé des pratiques anticoncurrentielles, Rafaël Amaro, 2014.

    Day-to-Day Competition Law. A practical Guide for Businesses, edited by Patrick Hubert, Marie Leppard and Olivier Lécroart, 2014.

    Pratiques anticoncurrentielles et brevets. Étude en faveur de la promotion européenne de l’innovation, Lauren Leblond, 2014.

    New frontiers of antitrust 2014, edited by Joaquín Almunia, Chris Fonteijn, Peter Freeman, Douglas Ginsburg, Thomas Graf, Benoît Hamon, Nathalie Homobono, Laurence Idot, Alexander Italianer, Frédéric Jenny, William Kovacic, Bruno Lasserre, George Milton, Andreas Mundt, Anne Perrot, Matthew Readings, Howard A. Shelanski, Mélanie Thill-Tayara, Wouter Wils and Joshua Wright, 2014.

    The Fight against Hard Core Cartels in Europe. Trends, Challenges and Best International Practices, Eric Van Ginderachter, José Maria Beneyto, Jerónimo Maillo, 2016.

    Droit européen de la concurrence, Jean-François Bellis, 2e édition, 2017.

    La récidive en droits de la concurrence, Ludovic Bernardeau, 2017.

    Droit européen des concentrations, Georges Vallindas, 2017.

    Droit européen des aides d’État, Michaël Karpenschif, 2e édition, 2017.

    L’innovation prédatrice en droit de la concurrence, Thibault Schrepel, 2018.

    « By enforcing the competition rules, we can make sure that markets in Europe serve people – not the other way round »

    Margrethe VESTAGER,

    Membre de la Commission chargée de la concurrence (2018)

    PRÉFACE

    D’un genre nouveau dans le paysage éditorial en langue française, le présent ouvrage constitue un complément des plus utiles aux multiples traités, précis ou manuels que l’on dénombre à ce jour en droit de la concurrence.

    S’inspirant fortement des « case books » si chers à la culture juridique anglo-saxonne, où la règle du précédent est reine, les auteurs proposent, par le présent ouvrage, d’aborder les aspects matériels du droit des ententes par un choix opportun de décisions, administratives et juridictionnelles, qui auront jalonné et jalonnent toujours son évolution. Aussi diversifié que foisonnant d’un point de vue jurisprudentiel, le droit de la concurrence se prête assurément à cet exercice. Les auteurs le réussissent pleinement.

    L’ouvrage ne peut en aucun cas être réduit à un simple agrégat de citations : chaque morceau choisi de décisions de la Commission européenne ou d’arrêts du Tribunal et de la Cour de justice de l’Union européenne s’accompagne d’une habile synthèse des problématiques rencontrées. Soucieux de rendre cette matière accessible au plus grand nombre, et, puisqu’« un bon croquis vaut mieux qu’un long discours », les auteurs ont également ponctué leurs développements de schémas simples et pédagogiques, augmentant considérablement la plus-value d’un ensemble déjà très riche.

    On ne saurait que trop recommander cet ouvrage, non seulement aux étudiants en droit, mais également à tout lecteur – profane ou non – intéressé par le droit des ententes, lequel arpentera avec aisance les nombreux chapitres le structurant intelligemment et systématiquement portés par une bibliographie habilement choisie.

    Les développements sont d’une grande clarté, alors même qu’ils abordent des problématiques complexes mais essentielles telles que la détermination du marché pertinent, le constat d’un accord, la distinction entre infraction par objet et par effet ou encore l’appréciation de l’existence d’une restriction de concurrence dans le cadre d’un échange d’informations.

    En d’autres termes, les auteurs auront, par cet ambitieux projet, fait œuvre utile. Souhaitons-leur le succès qu’ils méritent amplement, à la hauteur des efforts entrepris en vue de son élaboration.

    Emmanuelle CLAUDEL

    Professeur à l’Université Paris Panthéon-Assas

    SOMMAIRE

    Une table des matières détaillée figure à la fin de l’ouvrage.

    TITRE 1 – LES NOTIONS FONDAMENTALES

    C

    HAPITRE 1 –

     L

    E MARCHÉ PERTINENT

    Section I. Les enjeux de la détermination du marché pertinent

    Section II. Les composantes du marché pertinent

    Section III. De quelques marchés spécifiques

    C

    HAPITRE 2 –

     L

    ’ENTREPRISE

    Section I. Une entité économique

    Section II. Une unité économique

    C

    HAPITRE 3 –

     L

    ’AFFECTATION DU COMMERCE ENTRE ÉTATS MEMBRES

    TITRE 2 – LES ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS DE L’ENTENTE

    C

    HAPITRE 1 –

     U

    NE COLLUSION

    Section I. Les accords entre entreprises

    Section II. Les décisions d’association d’entreprises

    Section III. Les pratiques concertées

    Section IV. La question des facilitateurs de cartels

    C

    HAPITRE 2 –

     U

    NE RESTRICTION DE CONCURRENCE

    Section I. Un objet ou un effet anticoncurrentiel

    Section II. Les accords d’importance mineure

    Section III. La typologie des restrictions de concurrence

    TITRE 3 – LES JUSTIFICATIONS DE L’ENTENTE

    C

    HAPITRE 1 –

     L

    ’ARTICLE 101, PARAGRAPHE 3, TFUE

    C

    HAPITRE 2 –

     L

    ES RÈGLEMENTS D’EXEMPTION PAR CATÉGORIE

    Section I. Le domaine des règlements d’exemption

    Section II. Le régime des règlements d’exemption

    INTRODUCTION

    1.   Propos introductifs : l’article 101 TFUE – Adam Smith relevait dans ses Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations qu’« il est rare que des gens du même métier se trouvent réunis, fût-ce pour quelque partie de plaisir ou pour se distraire, sans que la conversation finisse par quelque conspiration contre le public, ou par quelque machination pour faire hausser les prix » ¹. Ce constat aura sans nul doute influencé les pères fondateurs de l’Union européenne qui, dès le traité CECA, ont prévu, en son article 65, une interdiction de « tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées qui tendraient, sur le marché commun, directement ou indirectement, à empêcher, restreindre ou fausser le jeu normal de la concurrence ». Cette disposition, devenue, au gré des évolutions des traités européens, l’article 85 du traité CEE, 81 du traité CE, puis, à ce jour, l’article 101 TFUE, constitue un aspect cardinal de la politique de la concurrence de l’Union européenne. Véritable « impôt caché » affectant le consommateur, pour reprendre les termes employés par l’ancien membre de la Commission chargé de la concurrence Joacquim Almunia ², les ententes font l’objet par la Commission européenne d’une surveillance constante et occupent une place toujours plus prépondérante dans son action.

    2.   Diversité des marchés concernés et de l’objet des ententes – Le constat d’Adam Smith ne manque pas, à ce jour, d’illustrations pratiques : nombreux sont les exemples de condamnations d’entreprises pour leur participation à une entente. À cet égard, les marchés de matières peu transformées, tels que notamment celui de la lysine, du chlorure de choline, des méthacrylates, des stabilisants thermiques, des treillis soudés ou encore du carton, sont, en raison de la faible différenciation de ces produits, assurément propices à la commission de cette catégorie d’infraction. Les marchés de produits finis ne sont cependant pas épargnés – pièces détachées, médicaments, produits d’hygiène ou d’entretien, produit d’alimentation, produits bancaires, tuyaux marins – comme ceux des services – cartes bancaires, fret aérien, pour ne citer qu’eux, ont fait l’objet de décisions de la part des autorités de concurrence constatant une violation à l’interdiction faite aux entreprises de se soustraire au libre jeu de la concurrence.

    Si les marchés affectés sont assurément divers, cette diversité se retrouve tout autant pour ce qui est de l’objet de l’entente. Allant de simples accords sur les prix à des accords de répartition de marchés, en passant par des stratégies discriminatoires ou par des échanges d’informations confidentielles, le but poursuivi par l’entente demeure identique : ne plus agir dans la rivalité pour réduire les incertitudes qu’implique une concurrence effective entre entreprises sur un marché, et ce au détriment du consommateur.

    3.   Une origine « ordo-libérale » – Contrairement aux États-Unis, précurseurs dans la lutte contre les ententes avec l’adoption, dès 1890, du Sherman Act, les premières réglementations modernes du droit de la concurrence datent, au niveau européen, de l’après-guerre et s’inscrivent dans le courant de pensée « ordo-libéral », du nom de la revue Ordo dans laquelle les économistes à l’origine dudit courant de pensée l’ont initialement théorisée. Ce courant de pensée, fortement marqué par la concentration des pouvoirs économiques pendant la Seconde Guerre mondiale, défend schématiquement la thèse selon laquelle les libertés économiques ne sont pas seulement une source de prospérité, mais aussi une garantie de la liberté politique : en l’absence de pouvoir de marché, les acteurs économiques ne sont pas à même de menacer le processus démocratique. En d’autres termes, encadrer le pouvoir de marché des acteurs économiques apparaît comme l’une des missions de l’État aux fins de préserver, notamment, le processus démocratique. À cette fin, le rétablissement d’une concurrence entre entreprises s’avère essentiel. Cette dernière n’étant pas nécessairement spontanée, l’État se doit dès lors d’intervenir pour l’établir, l’organiser ou la favoriser ³.

    4.   Un droit en constante évolution – Imprégné à ses débuts par la philosophie « ordo-libérale », le droit de la concurrence est un droit en constante évolution, en particulier pour ce qui est de la mise en œuvre de l’article 101 TFUE. La Commission s’est en effet engagée, à la suite de la publication en 1999 d’un livre blanc, dans un processus de modernisation, lequel a conduit à une approche plus économique et moins formaliste de la matière. Cette approche se vérifie aisément pour ce qui est des nouveaux règlements d’exemption par catégorie, lesquels invitent les autorités de concurrence à prendre davantage en compte le pouvoir de marché des entreprises en cause, à la lumière notamment de seuils fixés en termes de parts de marché.

    5.   Un droit prétorien – Une étude de la jurisprudence du Tribunal et de la Cour (ci-après les « juges de l’Union ») permet de révéler l’évolution du droit de la concurrence. Saisis des recours en annulation contre les décisions de la Commission infligeant une amende à une entreprise pour sa participation à une infraction ou, pour la Cour, de questions préjudicielles en interprétation posées par des juridictions nationales, les juges de l’Union jouent en effet un rôle des plus importants pour définir les contours de l’article 101 TFUE et des notions cardinales du droit de la concurrence, parmi lesquelles les notions de marché, d’entreprise, d’accord ou encore de restriction de concurrence. La Commission aura également, pour sa part, entendu clarifier l’application du droit de la concurrence, en adoptant diverses lignes directrices et communications, lesquelles ont, par endroits, synthétisé la jurisprudence des juges de l’Union.

    6.   Divisions – En clair, le droit de la concurrence demeure une matière jeune, évoluant, au niveau de l’Union, au gré des décisions de la Commission, sous le contrôle des juges de l’Union. Aussi, par une sélection de certains textes, de documents et d’arrêts du Tribunal et de la Cour intéressant le droit des ententes, le présent ouvrage ambitionne-t-il de fournir un aperçu des principaux aspects dudit droit, sans faire preuve, à cette fin, d’exhaustivité. En suivant cette approche analytique, seront tout d’abord présentées les notions fondamentales du droit de la concurrence (titre 1) avant d’exposer les éléments constitutifs d’une entente restrictive de concurrence (titre 2) pour enfin se pencher sur son éventuelle justification (titre 3).

    1. A. SMITH, An enquiry into the nature and causes of the wealth of the nation, The Glasgow edition of the works and correspondence of Adam Smith, vol. 1, University of Glasgow, 1982, p. 145.

    2. Voy., sur cette citation, M. BEHAR-TOUCHAIS, « Introduction », in À quoi sert la concurrence (M. BEHAR-TOUCHAIS, N. CHARBIT et R. AMARO dir.), Concurrences, octobre 2014, p. 27.

    3. Voy. M. BEHAR-TOUCHAIS, « Introduction », op. cit., p. 27.

    TITRE 1 — LES NOTIONS FONDAMENTALES

    7.   Propos liminaires – Plusieurs notions fondamentales du droit de la concurrence se doivent d’être d’emblée présentées. Il en va ainsi de la notion de marché. Si cette dernière présente, à première vue, un intérêt limité dans la mise en œuvre de l’article 101 TFUE, elle mérite toutefois que l’on s’y attarde, en ce que l’application dudit article commandera, dans certaines hypothèses, de vérifier les effets anticoncurrentiels d’une pratique donnée mais également les parts de marché des parties en présence, ce qui nécessitera en premier lieu de situer cette dernière dans un espace concurrentiel (chapitre 1). Deux autres notions méritent assurément davantage d’attention : l’entreprise et l’affectation du commerce entre États membres. La première est centrale en droit de la concurrence puisqu’elle va permettre de déterminer le sujet des règles de concurrence (chapitre 2). La seconde, tout aussi importante, vise quant à elle à délimiter le champ d’application du droit de l’Union par rapport à celui des États membres (chapitre 3).

    Chapitre 1

    Le marché pertinent

    Bibliographie

    Ouvrages – Ph. AGHION et J. CAGÉ, Microéconomie, Paris, Pearson Education France, 2010, chap. 1, « La microéconomie, instrument d’analyse du marché », pp. 1-18 ; S. BISHOP et M. WALTER, The Economics of EC Competition law, 3e éd., Londres, Sweet & Maxwell, 2010, chap. 4, « The relevant market », pp. 4/001-4/049 ; Ph. MADDALON, La notion de marché dans la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, Bibliothèque de droit public, no 253, Paris, LGDJ, 2007 ; M. MOTTA, Competition Policy : Theory and Practice, Cambridge, Cambridge University Press, 2004, chap. 3, « Market Definition and the Assessment of Market Power », p. 101-136 ; A.-L. SIBONY, Le juge et le raisonnement économique en droit de la concurrence, Droit et économie, Paris, LGDJ, 2008.

    Articles – L. COPPI, « Aftermarket monopolization : the emerging consensus in economics », Antitrust Bulletin, 2007, vol. 52, no 1, pp. 53-71 ; D. GERADIN et N. PETIT, « Judicial Review in European Union Competition Law : A Quantitative and Qualitative Assessment », TILEC Law and Economics Discussion Paper, no 2011-008 ; M. GLAIS, « Analyse économique de la définition du marché pertinent : son apport au droit de la concurrence », Économie Rurale, 2003, nos 277-276, pp. 23-44 ; M. PORTER, « The five competitive forces that shape strategy », Haward Business Review, janvier 2008, p. 78-93 ; D. SLATER, S. THOMAS et D. WAELBROECK, « Competition Law Proceedings Before the European Commission and the Right to Fair Trial : No Need for Reform ? », European Competition Journal, 2009, vol. 5, no 1, pp. 97-143.

    Institutionnel – Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), Market definition, DAF/COMP(2012)19.

    8.   Première approche théorique – En microéconomie, le marché d’un produit (ou d’un service) peut être défini comme la rencontre des acheteurs et des vendeurs dudit produit (ou dudit service) qui, par leurs interactions, actuelles ou potentielles, en déterminent le prix ⁴. Situer un produit (ou un service) dans un marché permet de comprendre les contraintes concurrentielles auxquelles sont soumis les acteurs qui y sont présents. En d’autres termes, la délimitation du marché permet de déterminer, d’un point de vue économique, le périmètre dans lequel s’exerce une concurrence entre entreprises, et, d’un point de vue juridique, d’identifier les règles de concurrence qui vont trouver à s’appliquer. C’est la première étape du raisonnement mené par toute autorité de concurrence ⁵.

    9.   Enjeux pratiques – La concrétisation de cette définition économique va s’avérer, en pratique, une opération délicate ⁶. Il va en effet s’agir de déterminer le périmètre dans lequel s’exerce l’activité économique, périmètre par nature mouvant et protéiforme ⁷. Procédant nécessairement de débats ayant pour support des analyses économiques parfois complexes, cette partie du litige sera souvent difficile d’accès au juriste. Pourtant ce dernier ne peut, au vu de l’enjeu contentieux qu’elle comporte, y rester extérieur ⁸.

    10.   Divisions – Après avoir expliqué les enjeux de la détermination du marché pertinent (section 1), le présent chapitre consacrera, des développements substantiels à l’étude de ses composantes (section 2). Une attention plus particulière sera portée à certains marchés présentant des caractéristiques spécifiques (section 3).

    Section I

    Les enjeux de la détermination du marché pertinent

    11.   Enjeux de la détermination du marché dans le cadre de l’article 101 TFUE : l’affaire MasterCard – Avant de s’intéresser aux modalités de la détermination du marché pertinent, les enjeux d’une telle opération doivent être précisés. À cet égard, par son arrêt prononcé dans l’affaire MasterCard, le Tribunal les présente avec une certaine pédagogie. Cet arrêt est également au demeurant révélateur du contrôle opéré par les juges de l’Union sur les appréciations de la Commission en la matière.

    Arrêt du 24 mai 2012, MasterCard, T-111/08, EU:T:2012:260

    Par sa décision dans l’affaire Cartes bancaires, la Commission a, en 2007, sanctionné une entente dans ce secteur et considéré comme contraire à l’article 101 TFUE les commissions multilatérales d’interchange (CMI) du système MasterCard. Par leurs recours, certaines sociétés du groupe MasterCard ont reproché à la Commission d’avoir défini de manière erronée le marché pertinent.

    « Sur les griefs liés à l’examen du marché de produits

    […]

    169. En premier lieu, en ce qui concerne les critiques portant sur la définition du marché de produits retenue par la Commission, premièrement, il convient de rappeler que, en application d’une jurisprudence constante, la définition du marché en cause, dans la mesure où elle implique des appréciations économiques complexes de la part de la Commission, ne saurait faire l’objet que d’un contrôle restreint de la part du juge de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 30 mars 2000, Kish Glass/Commission, T-65/96, Rec. p. II-1885, point 64, et du 6 juin 2002, Airtours/Commission, T-342/99, Rec. p. II-2585, point 26).

    170. Deuxièmement, il y a lieu de souligner que le marché à prendre en considération comprend l’ensemble des produits qui, en fonction de leurs caractéristiques, sont particulièrement aptes à satisfaire des besoins constants et sont peu interchangeables avec d’autres produits (arrêt de la Cour du 9 novembre 1983, Nederlandsche Banden-Industrie-Michelin/Commission, 322/81, Rec. p. 3461, point 37). La Cour a jugé, plus spécifiquement, que la notion de marché de produits implique qu’une concurrence effective puisse exister entre les produits qui en font partie, ce qui suppose un degré suffisant d’interchangeabilité entre tous les produits faisant partie d’un même marché (arrêt de la Cour du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission, 85/76, Rec. p. 461, point 28).

    171. Il convient également de souligner que la définition du marché en cause ne joue pas le même rôle selon qu’il s’agit d’appliquer l’article 81 CE ou l’article 82 CE. Dans le cadre de l’application de l’article 82 CE, la définition adéquate du marché en cause est une condition nécessaire et préalable au jugement porté sur un comportement prétendument anticoncurrentiel, puisque, avant d’établir l’existence d’un abus de position dominante, il faut établir l’existence d’une position dominante sur un marché donné, ce qui suppose que ce marché ait été préalablement délimité. Dans le cadre de l’application de l’article 81 CE, c’est pour déterminer si l’accord, la décision d’association d’entreprises ou la pratique concertée en cause est susceptible d’affecter le commerce entre États membres et a pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun qu’il faut définir le marché en cause. C’est la raison pour laquelle, dans le cadre de l’application de l’article 81, paragraphe 1, CE, les griefs formulés à l’encontre de la définition du marché retenue par la Commission ne sauraient revêtir une dimension autonome par rapport à ceux relatifs à l’affectation du commerce entre États membres et à l’atteinte à la concurrence. Il a également été jugé que la contestation de la définition du marché pertinent est inopérante si la Commission a conclu à juste titre, sur la base des documents mentionnés dans la décision attaquée, que l’accord en question faussait la concurrence et était susceptible d’affecter de façon sensible le commerce entre États membres (voir arrêt du Tribunal du 11 décembre 2003, Adriatica di Navigazione/Commission, T-61/99, Rec. p. II-5349, point 27, et la jurisprudence citée).

    172. Ainsi qu’il a été mentionné aux points 21 à 23 ci-dessus, la Commission a estimé que les systèmes de cartes bancaires quadripartites intervenaient dans trois marchés distincts, un marché intersystèmes, un marché de l’émission et un marché de l’acquisition, et s’est fondée sur les effets restrictifs des CMI sur le marché de l’acquisition.

    173. Force est de constater qu’une telle définition n’est pas manifestement erronée et que sa contestation par les requérantes et les intervenantes n’apparaît pas convaincante.

    174. Les requérantes font valoir, en substance, que la Commission a erronément constaté l’existence d’un marché autonome de l’acquisition, dès lors qu’un service unique serait offert par le système quadripartite à la demande conjointe des détenteurs de cartes et des commerçants.

    175. Une telle argumentation doit être rejetée, la Commission n’ayant commis aucune erreur manifeste d’appréciation en concluant, aux considérants 260 à 265 de la décision attaquée, qu’il n’existait pas de service unique offert en réponse à une demande conjointe des commerçants et des titulaires de cartes.

    176. Il est, certes, exact qu’existent certaines interactions entre les volets émission et acquisition, tels le caractère complémentaire des services d’émission et des services d’acquisition et la présence d’effets de réseaux indirects, en ce que l’importance de l’acceptation des cartes par les commerçants et le nombre de cartes en circulation influent l’un sur l’autre.

    177. Toutefois, il convient de souligner que, en dépit de cette complémentarité, d’une part, les services fournis aux titulaires de cartes et aux commerçants peuvent être distingués et, d’autre part, les titulaires de cartes et les commerçants exercent des pressions concurrentielles séparées sur, respectivement, les banques d’émission et les banques d’acquisition. »

    12.   Notions de « pouvoir de marché » et de « marché pertinent » – Pour apprécier la portée de l’arrêt du Tribunal prononcé dans l’affaire MasterCard, les notions de « pouvoir de marché » et de « marché pertinent » nécessitent d’être brièvement présentées.

    13.   Le « pouvoir de marché » – Le pouvoir de marché est, selon les économistes, la capacité pour une entreprise de maintenir avantageusement le prix d’un bien au-dessus de son coût marginal à court terme, c’est-à-dire le coût engendré par la production d’une unité supplémentaire. L’augmentation du pouvoir de marché d’une entreprise n’est pas, en soi, répréhensible. Ainsi, un pouvoir de marché obtenu par un comportement innovant, tout en respectant les règles de concurrence, doit être salué. Au contraire, un pouvoir de marché obtenu en dehors de toute concurrence par les mérites par le biais d’une entente anticoncurrentielle aura un impact assurément négatif : le droit de la concurrence vise ainsi à réguler l’augmentation et l’exercice de ce pouvoir.

    14.   Détermination du « pouvoir de marché » – Pour déterminer le pouvoir de marché, deux méthodes peuvent être identifiées. La première, dite « méthode directe », consiste à évaluer ce pouvoir en analysant la courbe de demande résiduelle d’une entreprise, c’est-à-dire de la demande restante après soustraction de la demande satisfaite par des entreprises concurrentes. Cette méthode nécessite toutefois l’exploitation de données souvent inaccessibles à une autorité de concurrence. La seconde méthode, dite « méthode indirecte », consiste à déduire le pouvoir de marché par référence aux contraintes s’exerçant sur une entreprise. Si ces contraintes sont faibles, l’entreprise détiendra un fort pouvoir de marché. Au contraire, si elles sont fortes, le pouvoir de marché de l’entreprise sera faible.

    15.   Le « marché pertinent » – Dans le cadre de cette dernière analyse, la détermination du marché pertinent joue un rôle crucial, étant donné que le marché constitue la contrainte concurrentielle la plus directe exercée sur une entreprise. Deux précisions seront à cet endroit apportées. D’une part, si le marché est le facteur de discipline le plus immédiat, il n’est cependant pas la seule contrainte concurrentielle s’exerçant sur une entreprise. Cette dernière pourra également être contrainte par la concurrence potentielle ou par la puissance d’achat des clients et des consommateurs. D’autre part, sur un marché donné, la concurrence peut s’avérer plus ou moins vigoureuse. Certains marchés comprenant un nombre restreint de concurrents seront parfois plus concurrentiels que d’autres possédant un grand nombre de concurrents.

    16.   Le rôle en apparence résiduel de la définition du marché pertinent dans la mise œuvre de l’article 101 TFUE – Comme le relève le Tribunal au point 171 de l’arrêt rapporté, la détermination du marché pertinent ne joue pas un rôle aussi essentiel dans le cadre de la mise en œuvre de l’article 101 TFUE que dans le cadre de la mise en œuvre de l’article 102 TFUE. Pour ce qui est de l’article 102 TFUE, lequel interdit à une entreprise d’abuser de sa position dominante, le préalable à toute infraction est en effet la détention par une entreprise d’une position dominante. En d’autres termes, cette dernière se doit de détenir un pouvoir de marché important, de sorte que l’établissement du marché pertinent est un prérequis à l’application de l’article 102 TFUE. Dans le cadre de la mise en œuvre de l’article 101 TFUE, ce rôle est variable. La ratio legis de la prohibition des ententes entre entreprises, au sens de l’article 101 TFUE, réside certes dans le fait qu’elles permettent à celles-ci d’augmenter leur pouvoir de marché, au détriment du consommateur. Si deux concurrents s’entendent sur une augmentation des prix, ils réduisent de facto la contrainte concurrentielle que l’un exerce sur l’autre, et inversement, et maintiennent ainsi artificiellement un prix élevé. Toutefois, l’établissement d’une infraction à l’article 101 TFUE ne nécessitera pas de définir systématiquement le marché pertinent. En effet, en principe, le constat d’une entente, au sens de l’article 101 TFUE, n’exige pas que les entreprises détiennent un pouvoir de marché. Soulignons dès à présent que les ententes les plus graves, dites « par objet », sont prohibées sans qu’une analyse de leurs effets sur un marché donné soit requise ⁹.

    17.   Un rôle toutefois important dans la mise en œuvre de l’article 101 TFUE – Cela ne veut pas dire pour autant que, dans le cadre de la mise en œuvre de l’article 101 TFUE, la détermination du marché pertinent est accessoire. Elle sera utile pour identifier, notamment, si :

    une pratique affecte le commerce entre les États membres ;

    une pratique restreint la concurrence sur un marché donné ;

    en raison de la faiblesse des parts de marché des parties à l’entente, cette dernière peut être considérée comme n’affectant pas la concurrence de façon sensible ¹⁰ ;

    une pratique peut bénéficier d’une exemption, sur le fondement de l’article 101, paragraphe 3, TFUE ;

    l’application d’un règlement d’exemption par catégorie est possible.

    18.   Un contrôle de l’appréciation de la Commission par les juges de l’Union limité à l’erreur manifeste d’appréciation – L’arrêt prononcé par le Tribunal dans l’affaire MasterCard illustre également l’intensité du contrôle qu’entendent exercer les juges de l’Union sur la définition du marché pertinent par la Commission. Aux termes du point 175 de cet arrêt, le Tribunal précise, de manière univoque, que « la définition du marché en cause, dans la mesure où elle implique des appréciations économiques complexes de la part de la Commission, ne saurait faire l’objet que d’un contrôle restreint de la part du juge de l’Union ». Le contrôle du Tribunal se limite ainsi à « l’erreur manifeste d’appréciation ». Cette jurisprudence demeure constante. Elle peut se comprendre à la lumière notamment de la différence de nature qui existe entre, d’une part, le caractère absolu de la règle de droit et, d’autre part, celui relatif de l’analyse économique. Ainsi, le juge se contente, en principe, de vérifier si l’analyse économique n’est pas manifestement erronée et si la Commission a bien motivé son appréciation à la lumière de l’ensemble des éléments soulevés par les parties ¹¹.

    19.   L’intensité du contrôle discutée – L’existence d’une marge d’appréciation laissée à la Commission, cumulée au contrôle restreint des juges de l’Union en matière économique, pourrait interpeler à l’aune notamment du droit à un procès équitable. Le contentieux en droit de la concurrence apparaît toujours plus comme un contentieux à forte coloration pénale. À ce titre, l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), tout comme l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme (CEDH), garantit à la partie mise en cause le droit d’être jugée par un tribunal indépendant et impartial. Or, la Commission exerce à la fois les fonctions de poursuite, d’instruction et de jugement. Elle ne peut donc être regardée dans sa formation contentieuse comme répondant à ces exigences. Aussi certains auteurs défendent-ils l’idée d’un contrôle entier des juges de l’Union sur les appréciations économiques de la Commission ¹².

    Section II

    Les composantes du marché pertinent

    20.   Divisions – Le marché pertinent va se caractériser par l’homogénéité des produits qui le composent (sous-section 1) sur un territoire donné (sous-section 2).

    Sous-section I

    Le marché de produits

    21.   Définition – Une première définition du marché de produits peut être trouvée dans la communication de la Commission sur la détermination du marché pertinent ¹³. Aux termes de celle-ci « un marché de produits comprend tous les produits et/ou services que le consommateur considère comme interchangeables ou substituables en raison de leurs caractéristiques, de leur prix et de l’usage auquel ils sont destinés » ¹⁴.

    22.   Divisions – Cette définition est construite autour de l’idée de substituabilité. Cette dernière se doit d’être appréciée du côté de la demande (§ 1) et du côté de l’offre (§ 2).

    § 1. La substituabilité du côté de la demande

    23.   Divisions – La détermination du marché pertinent peut se faire selon deux types d’analyses. La première, dite « analyse qualitative », se base sur les caractéristiques physiologiques du produit pour estimer si ce dernier doit être considéré comme substituable aux yeux du consommateur. Une illustration de cette méthode nous est donnée par la Cour dans son arrêt prononcé dans l’affaire United Brands (A). La seconde, dite « analyse quantitative », consiste dans la mise en œuvre d’un test issu de la science économique dit « SNIPP test » (B).

    A) L’analyse qualitative

    Arrêt du 14 février 1978, United Brands, 27/76, EU:C:1978:22

    Par une décision du 17 décembre 1976, la Commission a condamné United Brands pour avoir, schématiquement, abusé de sa position dominante sur le marché de la banane. Par son recours, United Brands demande l’annulation de la décision de la Commission en invoquant une erreur dans la détermination du marché pertinent. Selon la requérante, le marché pertinent ne devait pas être limité à ce seul fruit, mais comprendre l’ensemble des fruits frais.

    « Paragraphe 1. Le marché du produit

    […]

    12. Attendu qu’en ce qui concerne le marché du produit, il y a lieu d’abord de rechercher si, comme le soutient la requérante, les bananes font partie intégrante du marché des fruits frais, parce qu’elles seraient raisonnablement interchangeables pour les consommateurs avec d’autres variétés de fruits frais, tels que les pommes, les oranges, le raisin, les pêches, les fraises, etc., ou si le marché en cause serait exclusivement celui de la banane, qui comprendrait tant les bananes de marque que les bananes non pourvues de label et constituerait un marché suffisamment homogène et distinct de celui des autres fruits frais ;

    13. Attendu qu’à l’appui de sa thèse, la requérante fait valoir que les bananes seraient en concurrence avec les autres fruits frais dans les mêmes magasins, sur les mêmes étalages, à des prix qui peuvent être comparés, satisfaisant les mêmes besoins : la consommation au dessert ou entre les repas ;

    […]

    22. Attendu que la banane pour être considérée comme constituant l’objet d’un marché suffisamment distinct doit pouvoir être individualisée par ses caractéristiques particulières la différenciant des autres fruits frais au point qu’elle soit peu interchangeable avec eux et ne subisse leur concurrence que d’une manière peu sensible ;

    23. Attendu que la maturation de la banane se produit tout le long de l’année sans considération de saison ;

    24. Que sa production est toute l’année supérieure à la demande et peut à tout moment la satisfaire ;

    25. Que cette caractéristique en fait un fruit privilégié dont la production et la commercialisation peuvent s’adapter aux fluctuations saisonnières connues et mesurables des autres fruits frais ;

    26. Qu’il n’existe pas de substitution forcée saisonnière, puisque le consommateur peut se procurer ce fruit toute l’année ;

    27. Que la banane étant un fruit disponible à tous moments en quantités suffisantes, c’est sur l’ensemble de l’année qu’il s’impose d’évaluer sa substituabilité avec les autres fruits pour mesurer le degré de concurrence existant entre elle et d’autres fruits frais ;

    28. Qu’il résulte des études sur le marché de la banane versées au dossier que celui-ci ne comporte pas d’élasticité croisée significative à long terme, pas plus, comme il a été dit, de substituabilité saisonnière de façon généralisée entre la banane et tous les fruits saisonniers, mais seulement entre elle et deux fruits (pêche et raisin de table) et dans un pays (Allemagne) du marché géographique en cause ;

    29. Qu’en ce qui concerne les deux fruits disponibles toute l’année (orange et pomme), il n’existe pas d’interchangeabilité pour le premier et seulement une substituabilité relative pour le second ;

    30. Que ce très faible degré de substituabilité est dû aux caractéristiques spécifiques de la banane et à tous les facteurs influençant le choix du consommateur ;

    31. Que la banane a une apparence, un goût, une consistance moelleuse, une absence de pépins, un maniement facile, un niveau permanent de production qui lui permettent de satisfaire les besoins constants d’une catégorie importante de la population composée d’enfants, de personnes âgées et de malades ;

    32. Qu’en ce qui concerne les prix, deux études de la FAO montrent que la banane ne subit l’incidence des prix – en baisse – d’autres fruits (et seulement des pêches et raisins de table) que pendant les mois d’été et principalement le mois de juillet et cela dans une proportion ne dépassant pas 20 % ;

    33. Que s’il n’est pas niable que pendant ces mois et durant quelques semaines en fin d’année ce produit subit la concurrence des autres fruits, sa flexibilité d’adaptation en volume d’importation et de commercialisation sur le marché géographique en cause fait que les conditions de concurrence sont extrêmement réduites et que son prix se conforme sans difficultés majeures à cette situation d’abondance ;

    34. Que, de l’ensemble de ces considérations, il résulte qu’une grande masse de consommateurs qui a un besoin constant de bananes n’est pas détournée d’une manière caractérisée et même sensible de la consommation de ce produit par l’arrivée sur le marché d’autres fruits frais et que même les pointes saisonnières ne l’affectent que d’une manière modérée dans le temps et très limitée au point de vue de la substituabilité ;

    35. Qu’il s’ensuit que le marché de la banane constitue un marché suffisamment distinct de celui des autres fruits frais. »

    24.   Première approche de la substituabilité – Du point de vue de l’approche économique, la substituabilité du côté de la demande est la contrainte concurrentielle la plus directe. Si une entreprise augmente ses prix au-dessus de celui du marché, celle-ci sera automatiquement sanctionnée par le détournement du consommateur vers un produit concurrent. La réaction du consommateur est ainsi essentielle. Aussi déterminer le marché pertinent invite-t-il notamment à s’interroger sur la manière dont le consommateur perçoit différents produits en tant qu’ils sont ou non substituables.

    25.   Appréciation de la substituabilité – À cet égard, pour être substituables, deux produits ne doivent pas nécessairement être strictement identiques. Si les bananes ne sont certes pas identiques à d’autres fruits sur les plans visuel, nutritif ou simplement gustatif, l’on pourrait imaginer qu’elles puissent, selon les consommateurs, appartenir à un marché plus large de fruits frais. La Cour rejette toutefois, dans l’affaire United Brands, cet argument. Elle se base, en l’espèce, sur les caractéristiques physiques et matérielles de la banane pour juger qu’elle constitue un marché distinct des autres fruits. Selon la Cour, la banane « a une apparence, un goût, une consistance moelleuse, une absence de pépins, un maniement facile, un niveau permanent de production qui lui permettent de satisfaire les besoins constants d’une catégorie importante de la population composée d’enfants, de personnes âgées et de malades » ¹⁵. Cette approche, dite « qualitative », revient à déterminer le marché pertinent en fonction des qualités du produit en cause ¹⁶. Dans le cadre de cette approche, plusieurs critères pourront être pris en compte : outre les caractéristiques physiques du produit, son usage, ses conditions d’utilisation ¹⁷, où encore sa gamme de prix ¹⁸ seront des indices pertinents pour apprécier la substituabilité de la demande.

    26.   L’erreur de raisonnement dénommée « Toothless fallacy » – L’arrêt prononcé dans l’affaire United Brands est également connu en raison d’une erreur de raisonnement de la Cour dite « Toothless fallacy ». La Cour définit, au point 27 de son arrêt, le marché pertinent en raison notamment du fait qu’une partie de la population ne peut trouver d’alternative à la banane : les enfants, les personnes âgées et les malades (autrement dit, ceux qui n’ont pas ou plus de dents). Or, le marché doit être compris comme une contrainte exercée sur l’entreprise. En d’autres termes, la question n’est-elle pas de savoir si tous les consommateurs sont en mesure de trouver un produit substituable, mais si une portion suffisante des consommateurs considère d’autres produits comme substituables, rendant, de ce fait, toute augmentation du prix non profitable. Le fait qu’une partie de la population soit captive d’un produit n’empêche nullement ce dernier d’être en concurrence avec d’autres sur un même marché. Définir les consommateurs captifs comme un marché à part n’a de sens que si les entreprises sont en mesure de les isoler et de leur imposer un prix discriminatoire.

    27.   Marché temporel – L’arrêt de la Cour dans l’affaire United Brands permet également de discuter la question d’une dimension temporelle du marché pertinent ¹⁹. La Cour envisage en effet, avant de la nier, la possibilité qu’en fonction des saisons, le marché en cause puisse évoluer. Traditionnellement le marché pertinent est en effet présenté comme possédant deux composantes : matérielle et géographique. Cependant, dans certains cas, une définition temporelle pourrait s’avérer nécessaire ²⁰.

    B) L’analyse quantitative

    28.   Le « SSNIP test » – Pour donner un caractère plus rigoureux à l’analyse du marché, la science économique a développé un outil, nommé le test du « monopoleur hypothétique », ouvrant les portes à une détermination quantitative du marché. Cet outil a été adopté par la Commission, laquelle lui consacre des développements conséquents au sein de sa communication sur la définition du marché pertinent ²¹.

    Communication de la Commission du 9 décembre 1997 portant sur la définition du marché en cause aux fins du droit communautaire de la concurrence

    « Substitution du côté de la demande :

    […]

    15. L’appréciation de la substituabilité de la demande entraîne une détermination de l’éventail des produits perçus comme substituables par le consommateur. Une façon de procéder à cette détermination peut être envisagée comme un exercice mental présupposant une variation légère, mais durable, des prix relatifs et évaluant les réactions probables des clients. L’exercice de définition du marché est axé sur les prix pour des raisons opérationnelles et pratiques et, plus précisément, sur la substitution du côté de la demande que pourraient entraîner des variations légères mais permanentes des prix relatifs. Ce test peut fournir des indications claires sur les éléments pertinents pour la définition des marchés.

    16. Ainsi conçue, cette approche permet, en partant du type de produits que les entreprises en cause vendent et du territoire sur lequel elles les vendent, d’inclure ou non dans la définition du marché des produits et des territoires supplémentaires, selon que la concurrence exercée par ces autres produits et territoires influe à court terme suffisamment ou non, y compris en la limitant, sur la stratégie des parties en matière de fixation des prix.

    17. La question posée est de savoir si les clients des parties se tourneraient vers des produits de substitution facilement accessibles ou vers des fournisseurs implantés ailleurs, en cas d’augmentation légère (de 5 à 10 %), mais permanente, des prix relatifs des produits considérés dans les territoires concernés. Si la substitution suffit, en raison du recul des ventes qui en découlerait, à ôter tout intérêt à une augmentation de prix, des produits de substitution et des territoires supplémentaires sont intégrés dans le marché en cause. On procède ainsi jusqu’à ce que l’ensemble de produits et la zone géographique retenus soient tels qu’il devienne rentable de procéder à des hausses légères mais permanentes des prix relatifs. On applique une analyse équivalente aux opérations concernant la concentration de la puissance d’achat où le point de départ de l’analyse serait alors le fournisseur et le test du prix permet de savoir quels autres circuits de distribution ou quels autres points de vente le fournisseur peut utiliser pour écouler ses produits. En application de ces principes, certaines situations particulières comme celles décrites aux points 56 et 58 devraient être soigneusement prises en compte.

    18. Pour donner une idée de la manière dont ce test est appliqué en pratique, on peut citer l’exemple d’une opération de concentration entre des embouteilleurs de boissons sans alcool. L’une des questions à se poser dans un tel cas est de savoir si différents arômes de boissons sans alcool appartiennent à un seul et même marché. En pratique, il faut se demander si les consommateurs de l’arôme A se tourneraient vers d’autres arômes si celui qu’ils consomment habituellement subissait une hausse de prix à caractère permanent de 5 à 10 %. Si le nombre de consommateurs reportant leur demande sur l’arôme B, par exemple, était suffisant pour rendre l’augmentation du prix de l’arôme A non rentable compte tenu du recul des ventes qui serait alors enregistré sur ce produit, le marché comprendrait au moins les arômes A et B. Le test devrait être ultérieurement élargi aux autres arômes disponibles jusqu’à ce que l’on trouve un ensemble de produits avec lequel une hausse de prix n’entraînerait pas de substitution suffisante au niveau de la demande. »

    29.   Considérations liminaires – L’analyse qualitative ne permet pas de déterminer le marché avec une grande précision. Pour remédier à cette défaillance, les économistes ont développé un outil : celui du test du monopoleur hypothétique, également connu sous l’abréviation de « SSNIP test » (small but significant and non-transitory increase in price). Ce test a été introduit aux États-Unis dans le cadre de l’analyse des fusions à partir de 1982. Sa première réception au niveau européen remonte à la décision de la Commission rendue dans l’affaire Nestlé/Perrier en 1992 ²². Depuis, cette méthode est utilisée par la plupart des autorités de concurrence et est considérée comme l’une des plus convaincantes pour définir le marché pertinent.

    30.   Fonctionnement théorique du test du monopoleur hypothétique – Le fonctionnement du test est clairement décrit au point 17 de la communication sur la détermination du marché pertinent. Le schéma reproduit ci-après permet de l’illustrer.

    Figure 1 : Test SNIPP

    Nous voulons savoir si les produits A, B et C appartiennent au même marché. Pour ce faire, il faut, d’une part, supposer que sur le marché du produit A une seule entreprise produit et commercialise le produit A, de sorte que cette entreprise est en situation de monopole. Il s’agit du monopoleur hypothétique. Supposons, d’autre part, que ce monopoleur hypothétique procède brusquement à une augmentation de 5 à 10 % du prix du produit A. Il s’agit de l’augmentation faible, mais significative et non transitoire du prix. À la suite de cette augmentation tarifaire, le comportement des consommateurs se doit d’être observé :

    Si la hausse du prix est profitable au monopoliste, cela signifie qu’un nombre significatif de consommateurs sont captifs du produit A. Les produits A et B ne sont pas substituables et le marché cible du produit A est le marché concurrentiel pertinent ;

    Si un nombre suffisant de consommateurs se reportent sur le produit B, l’augmentation du prix n’est pas profitable au monopoleur hypothétique. Les deux produits doivent dès lors être considérés comme substituables et appartiennent au même marché concurrentiel.

    Dans le cadre de cette seconde hypothèse, l’analyse doit alors être poursuivie et le même raisonnement reproduit. Pour ce faire, il sera alors supposé que les marchés A et B sont monopolisés et que le monopoleur hypothétique procède à une augmentation du prix brusque de 5 à 10 % de ces deux produits. Il conviendra alors d’observer le comportement des consommateurs vis-à-vis du produit C. Pour obtenir les limites du marché, l’opération doit être reproduite jusqu’à ce que l’augmentation soit profitable pour le monopoleur hypothétique.

    31.   Difficultés pratiques – Cette méthode présente toutefois une difficulté d’ordre pratique. Elle nécessite en effet de recueillir un certain nombre de données empiriques. Dans sa communication portant sur la détermination du marché pertinent, la Commission apporte un éclairage bienvenu. Cette dernière explique que les études de marché menées par les entreprises dans le but de définir leur stratégie ainsi que les résultats d’enquêtes d’opinion auprès des consommateurs sont susceptibles de lui fournir les renseignements nécessaires ²³. Dans la pratique, la Commission aura également recours aux associations professionnelles du secteur. Malgré cette difficulté, cette méthode reste très appréciée, car elle nécessite, proportionnellement à la précision des résultats qu’elle fournit, relativement peu d’informations ²⁴.

    32.   L’erreur de raisonnement dénommée « Cellophane fallacy » – Pour que l’application du « SSNIP test » ne soit pas erronée, encore faut-il que le prix initial de chaque produit pris en compte soit celui qui prévaudrait sur un marché compétitif. Si l’un des acteurs est déjà en position dominante sur un marché donné, il impose alors d’ores et déjà un prix lui permettant une rente maximale. Toute augmentation de ce dernier s’avérera alors non profitable. Si dans l’exemple ci-dessus, sur le marché du produit A, la concurrence était déjà réduite en raison

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