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À bout de souffle - Défaillances
À bout de souffle - Défaillances
À bout de souffle - Défaillances
Livre électronique523 pages8 heures

À bout de souffle - Défaillances

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À propos de ce livre électronique

Le rêve d’Emily se réalise enfin: elle entreprend ses études en arts. Cependant, alors qu’elle s’attendait à tisser facilement des liens avec ses condisciples, elle se heurte à leur jugement défavorable en raison de sa relation avec une célébrité.

Chris, en tournage à New York, continue heureusement à veiller sur elle. À l’occasion d’une visite éclair, il contribue à aplanir les choses entre elle et Matt, son principal détracteur.

Alors qu’elle commence un nouveau traitement pour son hypertension pulmonaire, Emily repousse un peu plus chaque jour ses limites au péril de sa santé. Les conséquences pourraient bien être désastreuses…
LangueFrançais
Date de sortie1 avr. 2021
ISBN9782898180750
À bout de souffle - Défaillances
Auteur

Nathalie D’Amours

Née à Winnipeg au Manitoba, d’une mère enseignante et d’un père journaliste, Nathalie D’Amours a fait la majorité de ses études sur la Rive-Sud de Montréal. Passionnée par les arts et les voyages, elle partage son temps entre l’enseignement, sa famille et l’écriture.

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    Aperçu du livre

    À bout de souffle - Défaillances - Nathalie D’Amours

    C843/.6—dc23

    Chapitre 1

    Paria

    Emily s’arrêta juste devant la salle de cours et s’appuya contre le mur, au milieu des étudiants qui passaient, le temps de regarder le texto qu’elle venait de recevoir. Il venait de Chris. Une semaine s’était écoulée depuis son départ pour New York, mais il arrivait presque à lui faire oublier son absence en communiquant avec elle dès qu’il en avait l’occasion. Tout en cachant son écran, elle ouvrit son message. « Tu es la meilleure. Mets-leur en plein la vue et profite de cette journée. Je t’aime xxx. » Elle sourit et lui envoya trois lignes de « x » en guise de réponse avant de remettre son téléphone dans son sac. Fébrile, elle réajusta la sangle de son sac sur son épaule et s’assura qu’elle était arrivée devant le bon local. Son premier cours s’appelait Initiation à l’histoire de l’art. Inconsciemment, elle porta la main au médaillon que Chris lui avait offert et qui renfermait une photo de ses parents. S’il la voyait, son père serait tellement fier. Elle inspira et entra dans la salle de classe.

    Les étudiants étaient rassemblés en groupe de trois, quatre ou cinq et discutaient entre eux. La première impression qu’eut Emily, en les voyant, était qu’ils semblaient tous se connaître. Même si elle savait que c’était probablement faux, ce sentiment fut assez fort pour lui faire momentanément regretter d’avoir visité les Forester, sur un coup de tête, les trois derniers jours avant la rentrée. Elle aurait probablement dû rester et socialiser, elle aussi. Elle se disait cela, tout en avançant vers une place libre, sous les regards des étudiants et dans un silence presque complet, car plusieurs conversations s’étaient arrêtées.

    — C’est elle, chuchota une fille assise derrière une table, au centre de la classe.

    — Tiens. Voilà miss super bourse tout droit sortie du High School¹ !, commenta, avec condescendance, un étudiant qui se tenait debout, face à elle. On dirait que coucher avec une célébrité vient avec de grands privilèges.

    Interdite, Emily s’immobilisa une ou deux secondes pendant que des sourires discrets mais moqueurs apparaissaient sur de nombreux visages. Celui qui venait de parler était grand et agréable à regarder. À l’évidence, il avait un certain ascendant sur ses pairs et il n’en était pas à sa première rentrée universitaire. Tout comme les autres étudiants du groupe. Finalement, elle posa son sac sur la table devant elle et s’assied en esquissant elle aussi un sourire qu’elle voulait le plus naturel possible. Qui aurait cru que son expérience de l’été dernier sur les tapis rouges, à feindre le bonheur, lui servirait lors de son premier cours ? À l’avant de la classe, l’enseignant, un certain Vincent Jefferson, attira l’attention en toussotant.

    — Bien ! Puisque tout le monde est finalement arrivé, nous allons pouvoir commencer sans prendre plus de retard.

    Discrètement, la jeune femme regarda sa montre. Huit heures cinquante-sept. Il avait trois minutes d’avance.

    Sous des apparences neutres, l’enseignant se révéla aussi hostile que ses pairs à son égard. Une fois le plan de cours présenté, il entama la matière avec empressement. S’il ne fit aucune allusion déplacée à son endroit, c’est toujours à elle qu’il choisit de poser les questions les plus difficiles, qu’elle ait la main levée ou non. Heureusement pour elle, le cours était en grande partie basé sur un livre écrit par son père et elle en maîtrisait le contenu. Ses lectures personnelles et ses nombreuses visites dans les musées avaient approfondi les connaissances qu’il lui avait transmises et elle put répondre assez facilement aux questions posées. Même si elle réussit à rester calme, Emily trouva l’expérience pénible.

    À la fin du cours, en reprenant son sac, elle décida que si ses condisciples étaient décidés à la mépriser aussi ouvertement, ils ne méritaient pas qu’elle leur accorde la moindre importance. Elle résolut également de faire absolument toutes les lectures obligatoires et suggérées avant les cours. Si possible, elle devait même surpasser ce qui était demandé, faire davantage encore de lecture. De cette façon, si l’on l’interrogeait à nouveau avec autant de zèle, elle ne serait pas prise au dépourvu.

    C’est avec une bonne vingtaine de minutes d’avance qu’elle se présenta à son cours suivant, en après-midi. Cette fois, elle fut la première arrivée. D’autres étudiants commencèrent à s’installer peu après. L’une d’entre eux lui fit un rapide sourire, mais se dirigea sans s’arrêter vers deux autres camarades qui étaient présents au cours du matin.

    Emily soupira doucement et sortit son téléphone afin de s’occuper un peu. Chris lui avait envoyé deux photos. L’une de l’endroit où il tournait dans la ville, en extérieur, avec les toiles et l’éclairage, les caméras, les roulottes et l’équipe de tournage en pleine préparation. L’autre était la vue de la rue avec l’Empire State Building en toile de fond. Cette image lui était tellement familière qu’elle éveilla soudain des milliers de souvenirs d’enfance douloureux qu’elle s’efforça aussitôt de refouler. Les yeux fermés pour mieux échapper à cette réalité cruelle, elle éteignit l’appareil.

    Elle respira profondément pour se calmer. En ouvrant les yeux, quelques secondes plus tard, elle reconnut aussitôt l’enseignant qui venait d’entrer. Il avait été présent lors de son entrevue pour la bourse : c’était celui qui lui avait parlé de ses parents. Il la vit lui aussi sur-le-champ et lui adressa un sourire chaleureux. Il déposa négligemment ses choses sur le bureau et vint immédiatement vers elle.

    — Mademoiselle Bradford !

    — Emily, s’il vous plaît.

    — Emily, reprit-il avec enthousiasme, je suis vraiment content de te revoir. Adam Daniels, ajouta-t-il en lui tendant la main. Nous nous sommes rencontrés…

    — Pour la bourse, oui, le coupa-t-elle en lui serrant la main. Je me rappelle. Je suis aussi heureuse de vous revoir. Donc, vous donnez le cours d’intégration au programme ?

    — Tutoie-moi, s’il te plaît. En effet, et je donne aussi des cours pratiques. J’aurai donc l’occasion de te voir à l’œuvre avec tes pinceaux.

    Sur ces entrefaites, l’étudiant qui l’avait dénigrée devant toute la classe, le matin même, fit son entrée en compagnie du même groupe d’amis. Il se dirigea droit vers l’enseignant. Dépitée, elle regarda les deux hommes échanger une solide poignée de main.

    — Hé, Matt !

    — Adam ! Comment ça va ?

    — Bien et toi ?

    — Fantastique !

    Tandis que Matt s’installait un peu plus loin, l’enseignant rapporta son attention vers Emily.

    — Vous vous connaissez bien, observa-t-elle.

    — Matt compte parmi mes étudiants, depuis deux ans, et j’ai signé l’une de ses lettres de recommandation pour ce programme. Il est aussi venu souper à la maison à quelques reprises.

    — Oh, fit-elle simplement, sentant son estomac se nouer.

    — Tu avais un cours avec lui ce matin ?

    — Oui. Introduction à l’histoire de l’art. Il est donné par Vincent Jefferson, ajouta-t-elle sombrement.

    — Ça ne s’est pas bien passé ?

    Emily haussa les épaules pour éviter de répondre.

    — Ne le prends pas personnel, commenta le prof avec un sourire empathique.

    — C’est un peu difficile. Il s’est acharné sur moi pendant trois heures.

    — Jefferson a un ego surdimensionné. Quand ils ont décidé d’ouvrir le programme, il a manigancé afin d’enseigner les cours pour lesquels il a le plus d’intérêt. Après cette petite victoire, il a flotté pendant quelques semaines sur son nuage. Ensuite, tu as gagné la bourse Avery. Avec les moyens supplémentaires débloqués pour le programme et la visibilité accrue que cela a apportée à l’université, disons que quelqu’un de nouveau, avec beaucoup plus de compétences et de notoriété que lui, est venu lui prendre sa charge. Il en est « réduit » à enseigner un cours d’introduction, comme n’importe quel enseignant qui commence sa carrière et doit faire ses preuves, avec une tâche de second choix. Depuis, il jalouse tous ceux qui ont du succès.

    — Je vois… fit-elle pensivement.

    Elle comprit ainsi que Jefferson allait tout faire pour lui empoisonner l’existence. Heureusement, il ne lui donnait qu’un seul cours cette session.

    — Mais parle-moi plutôt de toi, un peu. Comment s’est passé ton été ? J’ai cru comprendre que tu ne t’es pas ennuyée.

    Emily resta muette d’étonnement, comprenant mal comment il pouvait se permettre une telle allusion à sa vie privée que les magazines populaires avaient étalée au grand jour. Il dut le comprendre parce qu’il rit et précisa aussitôt l’objet de sa question.

    — Tu as vu tous les musées et toutes les toiles que tu voulais admirer ?

    — Non, dit-elle en riant nerveusement, embarrassée pas sa méprise. Je ne disposais pas de beaucoup de temps dans chaque ville, seulement quelques jours à peine. J’ai dû prioriser. Je crois qu’il me faudrait des semaines, des mois même, pour arriver à tout voir à chaque endroit.

    — Une femme curieuse, méthodique et disciplinée. Ça me plaît ! Nous aurons l’occasion d’échanger sur toutes les merveilles que tu as pu voir. On pourra comparer nos impressions !

    Ce cours fut agréable. Personne d’autre ne lui adressa la parole, mais à tout le moins, elle ne ressentit aucune hostilité non plus. L’enseignant, que tous appelaient Adam, ne tolérait aucune forme d’intimidation dans ses cours et les étudiants respectaient le professeur et ses règles. Le lendemain, au cours pratique, il s’arrêta devant le travail de chacun, rappelant un détail qui les aiderait à s’améliorer, posant des questions sur la perception du sujet, les effets de lumière et de couleur, la technique ou le choix d’un pinceau. Lorsque ce fut son tour, plutôt que de se sentir menacée, Emily apprécia ses commentaires. Personne n’avait jamais remis en question sa façon de peindre. Depuis trop longtemps, elle tirait son savoir des livres qu’elle dévorait et elle avait enfin une véritable occasion d’apprendre de quelqu’un. Pendant la pause du dîner, elle sortit manger quelque chose, revint rapidement dans l’atelier vide et examina avec attention le travail de chacun.

    — Tu te mesures à la compétition ?

    Emily sursauta et se retourna pour voir qui l’avait ainsi interpellée.

    — Adam ! Tu m’as fait peur, je ne t’ai pas entendu arriver, souffla-t-elle, la main sur son cœur qui battait la chamade.

    L’enseignant vint s’installer à côté d’elle et ils regardèrent ensemble l’ébauche de la toile devant eux.

    — C’est excellent, commenta-t-elle après un moment. Ces étudiants sont tous excellents. J’ai tellement à apprendre !

    — Tu sais, dit-il en la regardant attentivement, la plupart d’entre eux chercheraient plutôt des faiblesses techniques dans le travail des autres plutôt que d’admirer leur talent.

    — Sans doute, réfléchit-elle avec sérieux, mais ce n’est pas mon cas. Je préfère voir cela comme une fantastique opportunité d’apprendre et de me dépasser. C’est très stimulant.

    — Tu es consciente que tu es probablement la seule à voir les choses de cette façon ?

    — Oui, eh bien… dommage.

    — La compétition peut être saine aussi, parfois.

    — Sans doute. Cependant, elle n’est pas nécessairement souhaitable. Pourquoi serions-nous en compétition ? Parce que nous sommes tous inscrits dans ce programme ? Je ne vois pas ce qu’on aurait à gagner d’une telle attitude. De la collaboration sont nées de grandes choses. Manet, Monet, Renoir et Bazille, entre autres, étaient des amis, pas des concurrents. Ils ont étudié ensemble et se sont rencontrés au café Guerbois pour discuter et tenter d’innover. Crois-tu que s’ils s’étaient affrontés au lieu de se parler, le mouvement impressionniste serait devenu ce qu’il est aujourd’hui ? Crois-tu que nous aurions hérité de tous ces chefs-d’œuvre ?

    — Tu es jeune et idéaliste, mais tu es aussi intelligente. Tu ne peux pas ignorer que personne d’autre ne pense comme toi, ici.

    — Oui, je sais, soupira-t-elle gravement. Je n’ai aucun contrôle sur les perceptions des autres. La seule perception sur laquelle j’exerce un pouvoir est la mienne et je fais le choix d’avancer et d’apprendre. Le reste…

    Emily haussa les épaules. Tous deux songèrent à l’accueil glacial auquel elle avait eu droit. Adam la dévisagea quelques instants, impassible.

    — Tu as beaucoup de courage, dit-il enfin.

    — Oui, enfin… C’est facile de me tenir debout aujourd’hui. Nous n’en sommes qu’à la première journée de cours. Mais je peux encore changer d’idée et me mettre à vouloir dépasser mes collègues, plaisanta-t-elle.

    — Sans aucun doute, dit-il en souriant, mais je suis certain que tu ne le feras pas.

    Leur discussion s’acheva là-dessus. Un peu amère, Emily termina ainsi sa première journée de la rentrée. Pendant la soirée, Chris appela brièvement à deux reprises, entre le tournage de différentes scènes, puis en rentrant dans l’appartement où il logeait. Malgré l’heure tardive pour lui – il était minuit trente à New York –, et le fait qu’il devait se retrouver sur le plateau de tournage dès cinq heures du matin, il tenait à entendre son amoureuse. Il lui parla des gens avec qui il travaillait, des photos qu’il avait prises et du peu qu’il avait exploré de la ville. Mais surtout, il lui parla d’elle.

    — Je te vois partout, Em. Chaque fois que je tourne un coin de rue, que je découvre un nouvel édifice ou que j’aperçois un parc, je pense à toi. Je me demande si tu es déjà passée par là, si tel ou tel lieu faisait partie de ton quotidien. Je me demande si tu connais les inconnus que je croise dans la rue.

    — New York est une grande ville. On peut s’y promener pendant des jours ou même des semaines sans jamais croiser quelqu’un que l’on connaît, même si on a vécu là-bas pendant des années. Je suis partie depuis longtemps, tu sais.

    — Je sais. Un jour, on verra tout ça ensemble.

    Emily ne répondit rien, se contentant d’esquisser un sourire aussi contraint qu’incertain. Chris sembla le deviner et ne laissa pas ce silence s’étirer.

    — Parle-moi de toi. Comment ça va, tes cours ? Ça te plaît ? C’est à la hauteur de tes attentes ?

    — Ça va. Devant toute cette nouveauté, je suis plus motivée que l’an dernier, c’est certain. Disons que je plafonnais au secondaire. Le choix de cours est emballant, parfois j’ai du mal à croire que j’étudie vraiment ici, en arts !

    Il rit.

    — Presque tous les autres ont déjà fait une ou deux années d’université, ajouta-t-elle. Le programme est chargé et le rythme va être rapide, je crois. Les lectures et les travaux vont s’accumuler vite. Je vais devoir me mettre rapidement au travail.

    — Tu crois que ça va être difficile ? Tu es douée, pourtant.

    — Je ne sais pas. J’arrive de Horizon City et du High School. Ici, tout est différent. D’abord, c’est l’université. Ensuite, c’est la Californie. Les cours sont beaucoup plus chargés.

    — Tu trouves ça difficile ? insista-t-il.

    — Non, pas vraiment. Ça sera simplement beaucoup plus de travail.

    — Et côté amitié, comment ça avance ? C’était une des raisons principales que tu avais évoquée pour vivre sur le campus.

    — Oh… fit-elle en prenant le temps de réfléchir. Je ne sais pas. Je n’aurais peut-être pas dû aller voir les Forester juste avant la rentrée. Tout le monde semble se connaître. J’ai manqué l’initiation.

    — Et alors ? Ce n’est pas grave. Je suis certain qu’il va y avoir de nombreuses autres occasions pour toi de faire la fête avec eux. On en organise toujours sur le campus, tout le monde sait ça !

    — Peut-être, mais pour y aller, encore faut-il être invité.

    — Em, qu’est-ce qui se passe ?

    Elle déballa alors ce qu’elle avait sur le cœur. Elle parla des murmures, des regards torves, de l’attitude méprisante de Matt et de Vincent Jefferson. Elle dit cela simplement, sans chercher à embellir ou empirer la situation. Chris resta à son tour muet quelques instants avant de la relancer.

    — Tu sais, Em…

    Même s’il était à l’autre bout du téléphone, de l’autre côté du pays, elle savait qu’il se pinçait l’arête du nez, cherchant les bons mots.

    — Peut-être que c’est ma faute, tout ça, reprit-elle finalement, le cœur lourd. J’ai passé l’été sur les tapis rouges avec toi et j’ai gagné cette bourse. Je n’ai participé à aucune activité avant la rentrée. Ils me trouvent sans doute prétentieuse. Je ne suis pas très sociable, je crois. Il est possible que je les repousse, inconsciemment.

    — Tu n’es pas sérieuse ! Voyons, Em. Qui a gagné le prix de l’amie que tout le monde voudrait avoir, en juin dernier ? Tu es une personne sincère et généreuse, et tous ceux qui te connaissent t’adorent.

    — J’ai peut-être changé pendant l’été. Il est possible que je sois devenue hautaine et distante sans m’en rendre compte. Tu me le dirais si c’était le cas ?

    — Ce n’est pas le cas. Crois-moi. Tu te rappelles, l’an dernier, quand tout le monde à ton école a appris que toi et moi, on se fréquentait ?

    — Oui, je me rappelle. L’expérience a été pénible.

    — Même avec Jess, les choses étaient difficiles. Pourtant, elle était ta meilleure amie. Ils étaient tous tes amis, ils te connaissaient déjà et il a quand même fallu une période d’adaptation avant que tout ne rentre dans l’ordre. Maintenant, personne ne te connaît. Tout ce qu’ils savent de toi, c’est que tu es avec moi et que tu as gagné cette bourse. Il leur faudra sans doute quelque temps pour passer par-dessus leur envie et découvrir qui tu es vraiment.

    Elle soupira, découragée.

    — Je commence à me demander si ça va s’arrêter un jour, dit-elle avec lassitude. D’abord, Sean m’a reniée parce que j’ai choisi d’étudier en arts. Mon propre frère qui me jette hors de sa vie ! Tu te rends compte ? Puis, cet été, je n’étais pas à ma place dans tous ces événements mondains. Personne n’a remis ma présence en question, car je t’accompagnais, mais je ne faisais pas partie de ton monde, c’était clair.

    Il voulut protester, mais elle l’interrompit aussitôt.

    — Je ne suis pas une célébrité, je n’ai rien à voir avec ce milieu, ça va, je comprends. Mais maintenant, les études à l’université, c’est mon monde. Je devrais y être à ma place et pourtant, on me fait encore sentir comme une intruse parce que j’ai foulé les tapis rouges avec toi et que j’ai gagné une bourse ! Peu importe ce que je fais, où je vais et avec qui je suis, on me traite en paria.

    — Je suis sincèrement désolé, Em… Ne te laisse pas abattre ; ce sera probablement un peu plus long que l’an dernier, mais tout va s’arranger. Ça ne doit pas t’atteindre, Bébé. Je t’ai connue plus combative ! C’est toi qui voulais dire ses quatre vérités à Ashley, cet été. Ça demandait beaucoup de cran. Tu es une battante.

    — Je suis fatiguée, annonça-t-elle simplement après un autre silence.

    Chris sentit son estomac se nouer. Tout l’été, elle avait visité une quantité phénoménale de musées, s’était démenée pour faire bonne figure dans les médias, à ses côtés, et maintenant elle était épuisée, ils le savaient tous les deux. Il avait espéré qu’un peu de repos l’aiderait à se remettre, mais ce n’était visiblement pas le cas. Ses capacités avaient décliné pendant l’été. Pas de façon dramatique, mais suffisamment pour l’empêcher de récupérer. Il s’efforça de maîtriser ses émotions et d’étouffer ses craintes, pour elle.

    — À l’hôpital, ils ont confirmé ton rendez-vous ?

    — Oui, dans trois semaines. Ça fonctionne toujours, tu viendras ?

    — Oui, je serai là, c’est réglé. Tu as des nouvelles pour les assurances ?

    — Non, pas encore.

    — Tu sais, tu n’es pas obligée de vivre là et de supporter tout ça vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Va vivre à la maison. Prends la Porsche ou achète-toi une voiture. Tu n’as qu’à la mettre sur la carte de crédit, je la paierai.

    — Je peux acheter une voiture avec la carte de crédit ? fit-elle, estomaquée. N’importe laquelle ? Non, ne réponds pas. Je ne veux pas le savoir. Je ne vais pas acheter de voiture, ni déménager. Je reste ici. Tu as sans doute raison : je vais finir par me faire des amis. Je dois simplement être patiente.

    Ils raccrochèrent peu après. Emily se repassa leur conversation en boucle. Un mot lui resta en tête. Patience. Le lendemain, elle se le répéta trop de fois pour en garder le compte. Dans son cours sur les techniques de jeu, ils étaient à peine une vingtaine et c’était la première fois qu’elle rencontrait la plupart de ces élèves. Trois seulement d’entre eux étaient dans ses autres classes. L’absence de Matt et de sa bande la soulagea, mais il était difficile d’ignorer les regards curieux et insistants qui se posaient sans arrêt sur elle. Certains lui dire bonjour, mais encore une fois, elle sentait une barrière invisible érigée entre eux. En contrepartie, le cours était très intéressant et elle en ressortit stimulée. Elle retourna à sa résidence seule, mais cela lui fut égal puisqu’elle reçut par courriel, en chemin, la première lettre d’amour de Chris depuis son départ. En arrivant à sa chambre, Emily s’installa devant son ordinateur pour lui répondre avant de se replonger dans ses livres.

    En se levant jeudi matin, elle constata que quelqu’un avait glissé quelque chose sous sa porte. Emily se pencha et ramassa un magazine. En le retournant, elle eut un choc. C’était le Time qui contenait l’entrevue qu’elle leur avait accordée ! Le journaliste lui avait promis de lui en envoyer un exemplaire lorsque le magazine sortirait. Elle n’y avait plus pensé. Le sourire aux lèvres, elle prit son déjeuner en lisant l’article et en regardant les photos. Après avoir feuilleté le reste de la publication, elle se dit que Chris était probablement en tournage, mais tenta sa chance et lui téléphona pour lui annoncer la nouvelle. Elle l’attrapa de justesse, pendant une pause. Il était heureux pour elle et lui promit de la rappeler une fois qu’il aurait lu l’article. Emily appela également Jessica et lui demanda de bien vouloir faire le message à la famille.

    En arrivant dans le bâtiment où avait lieu son premier cours de la journée, la jeune femme se dirigea distraitement vers l’ascenseur tout en observant l’escalier qui menait à l’étage. Son esprit, encore engourdi par l’étrange sensation que l’on parle d’elle dans un magazine aussi réputé, redevint brutalement clair alors que Matt passa devant elle avec son groupe d’amis, un exemplaire du Time à la main. Persuadée qu’ils allaient passer rapidement, sans la regarder, elle tendit machinalement la main pour appuyer sur le bouton de l’ascenseur.

    — Hé, Bradford ! Le cours est juste là, au premier, l’apostropha Matt en pointant le local un peu plus haut à l’étage, visible de l’endroit où ils se tenaient.

    — Je sais, répondit-elle simplement, affectant l’indifférence.

    — Tu vas prendre l’ascenseur pour monter d’un étage ?

    Matt s’était arrêté, ses amis aussi, et ils la dévisageaient comme si elle venait de polluer la moitié des réserves d’eau potable du monde entier.

    — Oui.

    — Tu es trop bien pour monter les escaliers, comme tout le monde ?

    — Les ascenseurs sont aussi pour tout le monde et ils sont très faciles à utiliser. Même toi, tu devrais y arriver.

    Alors qu’elle terminait sa phrase, les portes s’ouvrirent et elle s’y engouffra rapidement. Une fois la cabine refermée, elle ferma les yeux, furieuse contre Matt. Elle était également désespérée. Pourquoi fallait-il que ce soit encore difficile de se faire respecter et de se faire des amis ? Elle ne se lierait certainement pas avec des types aussi imbuvables que Matt et sa clique.

    Les portes de l’ascenseur s’ouvrirent à l’étage et Emily eut la surprise désagréable de se retrouver devant lui. Un sourire narquois s’étira sur son visage, il recula d’un pas et s’inclina dans une parodie de révérence.

    Ravalant péniblement quelques répliques acerbes qui lui brûlaient la gorge, elle passa devant lui en silence et alla se choisir une place dans la salle de cours. Conserver son calme et marcher à pas mesurés avaient exigé toute la maîtrise dont elle était capable. Matt et ses amis allèrent s’installer plus loin, aux côtés d’une étudiante qui les attendait déjà. Ils parlèrent à voix basse et quelques regards furtifs glissèrent vers elle. Emily sortit un cartable et le livre obligatoire dont elle avait déjà entrepris la lecture. L’enseignant entra peu après et commença son cours, ce qui lui permit de se détendre un peu et de penser à autre chose.

    Après trois heures d’enseignement magistral, quelques étudiants s’empressèrent de se lever pour sortir. Elle prit son temps, rangeant ses choses avec soin, son esprit déjà occupé par le travail qu’elle aurait à faire pour ce cours. Lorsqu’elle referma son sac, Matt et ses amis étaient debout, deux rangées plus loin, et riaient sans doute d’une plaisanterie qui n’était pas parvenue à ses oreilles. Elle regarda Matt droit dans les yeux, impassible.

    — En tout cas, elle n’est pas pressée de partir, fit Kelly, celle qui se tenait à côté de lui.

    — Non, ça, c’est clair. Elle attend probablement sa limousine, ajouta-t-il en ricanant.

    Emily explosa en une fraction de seconde.

    — C’est quoi, ton problème ?

    Elle faisait face à Matt, cherchant à dissimuler toute l’étendue de sa colère.

    — C’est toi, mon problème, répondit-il sur un ton aussi hostile et froid que le sien.

    — Je peux savoir ce que je t’ai fait ?

    — Les gens qui sont ici sont sérieux et motivés. Ils ont travaillé pour y arriver. Toi, tout le monde sait que c’est Chris Taylor qui t’a acheté une place.

    — Je mérite ma place ici au moins autant que toi. Je te signale que c’est à moi que l’on a donné cette bourse, pas à toi.

    — Bla-bla-bla. C’est rien que des histoires de politique et de relations publiques. Ça n’a rien à voir avec le talent, ajouta-t-il en lançant avec dédain son exemplaire Time sur une table. Tu n’es pas à la hauteur. Tu n’as pas ce qu’il faut.

    — Comment pourrais-tu le savoir ? Tu ne me connais même pas !

    — Tu crois ? demanda-t-il, un détestable sourire aux lèvres. Bien sûr que je te connais. Le monde entier te connaît, pour autant qu’il sache lire entre les lignes de tous les magazines du pays. Tu es Emily Bradford, la prise de l’heure de Chris Taylor. Cocue, publiquement humiliée et pourtant toujours amourachée d’un acteur dont la réputation de tombeur n’est un secret pour personne. Alors dis-moi, qu’est-ce que cela peut bien dire sur toi ?

    — Rien du tout, répliqua-t-elle.

    — Encore une fois, tu fais erreur. Tu ne connais rien à la vie. Deux raisons expliquent ta relation avec ce gars-là. Ou tu t’accroches aux gens qui sont en position de t’apporter ce que tu désires dans la vie et tu les utilises jusqu’à ce que tu aies tout obtenu d’eux ou jusqu’à ce que tu trouves quelqu’un de plus riche, de mieux placé. Ou alors tu te laisses drôlement manipuler. Si tu n’es pas assez futée pour t’en rendre compte, tu ne seras jamais diplômée. D’une façon comme d’une autre, ton talent en peinture ne suffira jamais à compenser pour ton manque de caractère. Tu n’es pas à ta place, ici.

    Estomaquée, Emily prit quelques secondes pour se ressaisir.

    — Si tu crois nous connaître, Chris ou moi, parce que tu as lu quelques journaux à potins pendant l’été, c’est que ta capacité de réflexion est aussi profonde que celles des scribouilleurs qui travaillent dans ces torchons. Ça ne dépasse pas l’épaisseur de leur magazine. De plus, ce n’est pas ma faute s’il t’a fallu deux ans d’université pour en arriver là où j’en suis aujourd’hui, à la sortie du High School. Tu crois que tu m’es supérieur ? Parfait. Tu n’as qu’à le prouver en ayant de meilleures notes que moi. En attendant, cesse de me jalouser si ouvertement, tu me fais pitié.

    Sans même lui accorder une seconde de plus, elle se retourna, prit son sac et se dirigea vers la porte.

    — Je te battrai dans tous nos cours, annonça-t-il, sûr de lui. Si tu finis la session, évidemment.

    — C’est ce que l’on verra, fit-elle sans s’arrêter ni se retourner, avec un calme qui déconcerta tous les témoins de leur échange.

    Plutôt que de s’engouffrer dans l’ascenseur à la sortie du local, elle bifurqua vers les toilettes et fut soulagée en constatant qu’elles étaient vides. La jeune femme choisit la cabine du fond, referma la porte derrière elle et s’assied, plongeant la tête entre ses mains. Une boule d’émotions vint se loger dans sa gorge et ses yeux commencèrent à piquer. Emily fit tout ce qu’elle put pour ravaler ses larmes, refusant de pleurer. Matt ne le méritait pas. Elle ne devait pas le laisser l’atteindre. Après avoir pris de profondes respirations pour se calmer, elle releva enfin la tête pour s’apercevoir qu’une publicité de Hugo Boss, dont Chris était l’effigie, était installée sur la porte et que par conséquent, son amoureux semblait la regarder, aussi séduisant qu’il était possible de l’être. Peut-être même plus. La jeune femme songea au nombre de femmes qui auraient l’occasion de l’admirer sur cette pub ou ailleurs. Elle soupira, consciente qu’elle devait absolument replonger dans l’anonymat. L’étalage de sa vie privée sur la place publique donnait prise à ceux, comme Matt, qui lui voulaient du mal. Cette pensée l’accompagna lorsqu’elle revit cette même publicité, format géant, en sortant du pavillon, puis sur un banc à un arrêt d’autobus alors qu’elle retournait à sa chambre pour l’heure du dîner. Mais puisque son amoureux était une personnalité publique, prendre ses distances serait probablement plus facile à dire qu’à faire.

    Elle pensait encore à cela, pendant son cours de l’après-midi, lorsqu’on frappa à la porte de la classe. Emily reconnut Marlene Cooper, la secrétaire du chancelier, qui demanda à la voir. Intriguée, elle sortit du local et referma la porte derrière elle.

    — Bonjour, Emily, comment vas-tu ? Tes cours se passent bien ?

    — Très bien, merci.

    — As-tu ton téléphone avec toi ? Tu ne réponds pas à tes appels.

    — Je suis en cours, remarqua-t-elle, soulignant l’évidence.

    — Oui… Bien sûr. Quelqu’un de l’émission America Tonight essaie de te joindre depuis environ une heure. Finalement, ils nous ont appelés. Un de leurs invités vient de se désister et ils ont besoin de quelqu’un d’autre ce soir même. Ils ont pensé à toi.

    — Moi ?

    C’était à cette émission que Chris avait annoncé leur relation. Une émission très populaire qui recevait quotidiennement les plus grandes personnalités du monde artistique hollywoodien.

    — Mais… reprit-elle, ça n’a aucun sens ! Je ne suis personne, pourquoi voudraient-ils que j’aille là-bas ?

    — Tu es entrée dans notre nouveau programme et tu as gagné la bourse Avery. Il y a pas mal de gens que ça intéresse, à Hollywood comme ailleurs. En plus, tu es dans le Time.

    Avant qu’elle n’ait le temps de protester, Marlene poursuivit.

    — C’est une excellente opportunité de faire la promotion de ton talent, de notre programme et des arts en général. Le chancelier, monsieur Foster, se réjouit déjà de cette publicité positive et se fera un plaisir de te regarder ce soir. Tu devrais allumer ton téléphone, ils vont te recontacter dans quelques minutes.

    « Une excellente opportunité de faire de la promotion » ? se répéta mentalement Emily, sous le regard de la secrétaire. Chris lui avait dit cela un nombre incalculable de fois pendant l’été. Il était celui qui saisissait toutes les opportunités. C’était lui qui passait à la télévision et faisait la une des magazines. Elle, pour sa part, n’avait pas la moindre idée de ce qu’elle devait dire ou faire. Marlene n’avait cure de ses doutes. Elle s’éloigna sans lui laisser « l’opportunité » de répondre quoi que ce soit. Un peu étourdie par la tournure des événements, elle retourna dans la classe, prit son téléphone, l’alluma et ressortit sans rien dire. Ensuite, elle s’adossa au mur et attendit. La vibration se fit sentir presque aussitôt.

    1. Aux États-Unis, règle générale, le primaire compte cinq années ; le Middle School, trois ans ; le High School, quatre ans. Ensuite, c’est le collège ou l’université, selon le programme d’études choisi.

    Chapitre 2

    Ancrage

    Emily était presque arrivée à sa résidence lorsque son téléphone se fit entendre. En regardant l’écran, elle soupira de soulagement en constatant que c’était Chris qui la rappelait.

    — Em ? Lauren vient de m’annoncer la nouvelle, c’est génial !

    — Oui, génial, fit-elle, peu convaincue.

    — Écoute : passe par la maison. Lauren dit que tu devrais porter la robe grise Calvin Klein, celle qui… attends deux secondes…

    Il la mit un peu en attente et parla avec Lauren qui lui décrivait la robe et suggérait un choix de bijoux. Emily pouvait entendre toute leur discussion.

    — Lauren, reprit Chris, dit que c’est celle qui est drapée aux épaules.

    — Ça va, j’ai entendu, dit-elle aussitôt pour lui éviter d’avoir à répéter toutes les recommandations.

    — Ils vont s’occuper de ta coiffure et de ton maquillage ?

    — Oui, je dois arriver plus tôt pour ça.

    — Très bien, fit-il, satisfait et soudain plus détendu. Je suis vraiment content pour toi, c’est une belle opportunité.

    Encore ce mot. À croire qu’il n’en existait aucun autre pour décrire cette situation.

    — Oui, c’est certain. C’est une belle opportunité, ajouta-t-elle, peu convaincue.

    — Tu es nerveuse ? comprit-il enfin.

    — Je suis morte de peur. Je ne sais pas…

    — Tout va bien se passer, Em. Écoute : quand tu vas arriver sur le plateau de tournage, ne t’arrête pas pour regarder le public. Va directement voir l’animateur. Tu lui serres la main ou tu l’embrasses sur la joue et tu t’assois dans le fauteuil à côté de son bureau. Pose tes bras de façon naturelle et confortable, et bouge-les le moins possible. De cette façon, si tes mains tremblent parce que tu es nerveuse, personne ne le verra. Regarde l’animateur, jamais les caméras. C’est avec lui que tu dois parler. Tu n’as qu’à bien écouter ses questions et à répondre simplement. Concentre-toi sur lui, imagine-toi que tu parles seulement avec lui et qu’il n’y a pas de public.

    — Quand tu le dis, ça semble tout simple. Qu’est-ce que je vais bien pouvoir raconter ?

    — Ça, c’est la partie facile, Bébé. Il va te poser des questions sur toi. Tu es la mieux placée pour en parler et tu connais déjà toutes les réponses !

    — D’accord, fit-elle en prenant une profonde inspiration. C’est ce que je vais faire. Qu’est-ce que je ferais si tu n’étais pas là ? ajouta-t-elle avec reconnaissance.

    — Tu t’en sortirais très bien. Ta vie serait probablement moins compliquée.

    — Ce n’est pas toi qui me compliques la vie, c’est le reste du monde entier.

    Chris rit doucement, conscient que même si elle avait dit cela sur un ton léger, pour plaisanter, une part d’elle-même le pensait réellement. Cependant, il ne tenta pas de lui dire qu’elle faisait erreur. Trop souvent, depuis qu’il était relativement connu et que sa vie avait été étalée au grand jour, il avait pensé la même chose. Il comprenait exactement ce qu’elle ressentait.

    — Je t’aime, lui dit-il avant de raccrocher.

    Elle fit exactement ce qu’il lui avait dit. Après avoir pris sa douche, parlé avec John et Helen et avalé quelque chose en vitesse, Emily sauta dans un taxi et se rendit à l’appartement où elle revêtit la robe, les chaussures et les bijoux choisis par Lauren. Même si elle trouvait qu’elle et Chris accordaient un peu trop d’importance à son image, elle dut cependant admettre, en inspectant son reflet dans le miroir, que la styliste savait ce qu’elle faisait.

    Dans le taxi, en se rendant à la station de télévision, la jeune femme se demanda une fois de plus ce qu’elle faisait là. En quoi ce qu’elle avait à dire pouvait bien intéresser les téléspectateurs ? Malgré ses doutes, elle fut accueillie avec le même empressement et le même professionnalisme auxquels Chris avait eu droit en juin. Elle emprunta les mêmes couloirs, passa sur la chaise d’un coiffeur et d’un maquilleur, et une fois dans la « salle verte », on lui installa son micro juste avant qu’elle ne fasse son entrée. En arrivant sur le plateau, Emily suivit les conseils de Chris tout en tâchant de sourire et tentant de paraître à son aise. L’animateur avait fait une présentation élogieuse à son intention et l’embrassa sur les deux joues avant de l’inviter à s’asseoir. Il lui signifia qu’il était ravi de sa présence, parla du fait que le Time l’avait louangée et la fit parler du programme et de la bourse.

    — Comment se sent-on quand, du jour au lendemain, on devient le point de mire de la communauté culturelle et artistique ? demanda-t-il soudainement en la déstabilisant. Tu es passée devant des génies en sciences ou en droit pour cette bourse. Les attentes sont énormes ! La pression n’est pas trop forte ?

    — Eh bien… réfléchit-elle, il y a sans doute une certaine pression, oui. Les récipiendaires précédents se sont tous nettement démarqués dans leur domaine, ils sont devenus des références incontournables pour quiconque exerce la même profession qu’eux. Ils ont fait avancer la science, la technologie, la médecine, le droit et donc contribué de façon concrète à améliorer notre société, alors que moi, je ne fais que peindre. C’est très intimidant, ajouta-t-elle simplement. Je ne sais pas vraiment ce que je dois accomplir pour répondre aux attentes. Ce que je sais, cependant, c’est que des gens ont confiance en moi, confiance en mon talent, et j’ai l’intention de faire absolument tout ce qui est en mon pouvoir afin de cheminer en tant qu’artiste et également en tant que personne. Je me donnerai à fond. On verra bien la suite.

    Des applaudissements fusèrent dans la salle et Emily sursauta presque.

    — Voilà qui est très sage. Comment est l’atmosphère, sur le campus ? Ça se passe bien, en cours et avec les autres étudiants ?

    Emily sentit ses paumes devenir moites et dut faire un effort pour garder son sourire.

    — Vous savez, c’est un programme très contingenté, nous sommes cinquante à en faire partie, ce qui veut dire que chaque étudiant est extrêmement doué et les enseignants sont les meilleurs dans leurs domaines respectifs. Je considère que les côtoyer constitue une autre fantastique opportunité pour moi.

    — Tu es vraiment une personne très charmante, Emily. Intelligente, aussi. Ta famille et tes amis doivent tous être très fiers de toi.

    — Tous ceux qui m’entourent sont très fiers, effectivement, répondit-elle avec tact en pensant à Sean qui avait rompu tous les liens avec elle, puis aux Forester et à Chris.

    — Je me trompe ou tu étudies également l’art dramatique ?

    — Oui, en effet. Ainsi que l’histoire de l’art.

    — Envisages-tu de faire du théâtre ou du cinéma ? Va-t-on voir ton visage sur le grand écran ?

    — Pour l’instant, je me contente d’apprendre. Je n’ai pas de projet particulier en tête.

    — Eh bien, tu devrais y réfléchir ! Je suis certain que tu ferais une actrice formidable. Tu as déjà d’excellents contacts dans le milieu. Tu fréquentes Chris Taylor, aimerais-tu travailler avec lui ?

    — Je ne prétends pas être une actrice, répondit-elle aussitôt, choisissant d’ignorer l’allusion à Chris. Je suis loin de maîtriser toute la technique nécessaire et de plus, il y a tellement d’autres aspects qui viennent se greffer au métier, comme la promotion et les entrevues, entre autres. C’est très intimidant.

    — Tu côtoies les médias depuis plusieurs mois déjà et je dois dire que tu te débrouilles très bien. Regarde-toi : une vraie professionnelle ! Je suis certain qu’un jour, tu viendras nous présenter ton film, en plus de tes toiles.

    — Merci, c’est très gentil. Je suis probablement la première de vos invitées à venir ici avant de sortir un film ou de faire un vernissage, ajouta-t-elle en riant.

    — Tu es ici parce que tu as accompli quelque chose d’extraordinaire. Tu as rappelé au monde que les arts y sont aussi importants que tous les autres domaines. Ils manifestent nos angoisses, nos peurs, nos doutes, mais aussi toutes les beautés de la vie. Bref, ils témoignent de notre humanité. Aujourd’hui, tu es dans le Time, ce n’est pas rien ! Nous sommes tous très fiers de toi.

    Le public applaudit avec enthousiasme et Emily sentit le rouge lui monter aux joues.

    — Merci beaucoup, réussit-elle à articuler, émue.

    — Nous allons suivre ton cheminement avec intérêt. Tu vas revenir nous voir pour nous dire comment les choses se passent ?

    — Oui, avec plaisir.

    Après l’entrevue, l’animateur la remercia de nouveau, lui souhaita la meilleure des chances et réitéra son désir de la réinviter afin que tous puissent suivre son parcours. Elle accepta et le remercia également.

    Songeant à tout ce qui lui arrivait, la jeune femme était toujours habitée par une drôle d’impression. Avait-elle vraiment fait le Time ? Venait-elle de passer à une émission de télévision aussi populaire ? Tout ça était complètement irréel. Tandis qu’elle se glissait dans un taxi, elle s’efforça de penser à des choses plus concrètes afin d’étouffer ses inquiétudes au sujet de sa performance lors de l’entrevue. Au même instant, son téléphone sonna. C’était Chris. Très fier, il la félicita et lui annonça qu’une bonne partie de l’équipe de tournage s’était réunie dans sa roulotte pour la regarder à la télévision. Tous étaient unanimes : elle avait été excellente. Il la taquina en faisant mine de s’offusquer à l’idée qu’elle avait déclaré ne pas vouloir travailler avec lui, lui dit de nouveau qu’il l’aimait et lui souhaita une bonne nuit. Il était trois heures de plus à New York qu’à L.A., il était donc tard pour lui et il avait encore plusieurs scènes à tourner avant le lever du soleil.

    Personne, mis à part son enseignant Adam qui la félicita, ne fit allusion à son entrevue télévisée le lendemain, ce qui lui convenait parfaitement. Ainsi, il était facile de poursuivre sa vie comme si cela n’était jamais arrivé. Cependant, personne ne chercha à l’aborder non plus. Même l’étudiante qui lui avait esquissé un sourire fragile la semaine précédente évitait désormais soigneusement son regard. Cependant, même si Matt et les autres l’ignoraient superbement, cela lui était complètement égal. Mieux, elle s’en réjouissant. Au moins, elle n’avait pas à supporter leurs commentaires méchants. C’était déjà beaucoup.

    En début d’après-midi,

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