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Les constellateurs
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Livre électronique294 pages4 heures

Les constellateurs

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À propos de ce livre électronique

Myramaz… Cité idyllique dissimulée au coeur du Triangle des Bermudes.
Sur cette île, le quotidien des habitants rime avec paix, sécurité et perfection.

Prunille, jeune habitante de ce pays, coule des jours heureux loin de la guerre, de la pauvreté, de la criminalité et des autres atrocités qui caractérisent L’Autre Monde. Son bonheur atteint son apothéose le jour de ses seize ans, lorsqu’elle est appelée à rejoindre le clan des Constellateurs. Ces mages capables d’invoquer les étoiles pour effacer les malheurs pouvant naître sur l’île la fascinent, particulièrement depuis le jour où ils ont sauvé son frère malade.

Mais la jeune fille était bien loin de se douter que l’accès à ce doux rêve la confronterait à l’envers d’un décor qu’elle n’était pas certaine de vouloir découvrir. Tout bascule le jour où elle rencontre Colin, cet étrange garçon qui semble avoir perdu la mémoire…
LangueFrançais
Date de sortie22 août 2018
ISBN9782897866006
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    Aperçu du livre

    Les constellateurs - Tiffany Schneuwly

    Chapitre 1

    — M ademoiselle Prunille Hengouth, êtes-vous avec nous ?

    Prunille se ratatina sur sa chaise, honteuse de sentir les regards de tous ses camarades se poser sur elle. Derrière ses lunettes carrées, son professeur la toisait, attendant qu’elle réagisse. Âgée de presque 16 ans, la jeune fille avait toujours été une élève modèle, calme et disciplinée. Elle apprenait ses leçons par cœur, obtenait de bons résultats et ne rechignait jamais à apporter de l’aide aux étudiants qui en avaient besoin. Aussi, le fait d’avoir été rappelée à l’ordre devant tout le monde l’emplissait d’une certaine gêne qu’elle n’était pas habituée à ressentir. Mais au fond d’elle, Prunille ne parvenait pas à s’en vouloir. Aujourd’hui était un jour spécial : en fin d’aprèsmidi, des Constellateurs rendraient visite à sa famille afin de soigner son petit frère malade.

    Denys était né avec un dysfonctionnement respiratoire. Cette gêne ne s’était tout d’abord pas avérée très conséquente. Les médecins avaient jugé qu’il pourrait très bien vivre avec ce mal et que ce dernier finirait même par disparaître sans demander son reste. Pendant les neuf années qui avaient suivi ce diagnostic, la santé de l’enfant avait semblé donner raison aux éminents savants. Par la suite, le mal avait toutefois repris le dessus, clouant Denys au lit et l’empêchant de profiter de sa vie comme tous les petits garçons de son âge. Heureusement, Prunille et sa famille avaient la chance de vivre à Myramaz. Dans ce pays, on ne laissait pas un enfant privé de sa liberté et de son insouciance. Ici, les crimes, le malheur et la pauvreté étaient des notions abstraites qui n’apparaissaient que brièvement avant d’être aussitôt vaincues par le gouvernement, aidé de ses fidèles Constellateurs. Prunille n’avait encore jamais eu l’occasion de les voir en action, ce qui signifiait que sa vie n’était pas entravée par le moindre problème. Du moins, cela avait été le cas jusqu’à ce que la maladie de Denys s’aggrave. Mais lorsque le soleil se coucherait ce soir-là, tout redeviendrait à la normale. Les Constellateurs, ces personnes mystérieuses sachant manier la magie qu’ils tiraient des étoiles, viendraient effacer cette petite zone d’ombre que la famille Hengouth devait traverser pour la mener à la lumière. La jeune fille avait hâte de les accueillir. Son petit frère lui manquait terriblement. Le pauvre était obligé de demeurer alité et ne pouvait plus prendre part au moindre jeu ; même une simple partie d’échecs s’avérait trop éprouvante pour lui. Les efforts qu’il devait fournir pour respirer prenaient toutes ses forces et l’éreintaient.

    Sentant que son enseignant s’impatientait, Prunille lui adressa un des sourires charmeurs dont elle avait le secret. Ses joues s’empourprèrent légèrement. Elle baissa un peu sa tête de manière à cacher une partie de son visage derrière ses mèches blondes et répondit :

    — Excusez-moi pour mon manque d’attention. Vos cours sont évidemment passionnants, mais en fin de journée, les Constellateurs nous honoreront de leur présence, et je ne parviens pas à penser à autre chose.

    Le professeur demeura quelques instants impassible, puis un sourire vint faire frémir ses lèvres. Prunille aimait voir cette expression sur le faciès âgé de l’instituteur. Des fossettes se creusaient sous ses pommettes. On les devinait à peine derrière sa barbe, mais elles étaient bien là et suffisaient à la rassurer.

    — Bien sûr ! J’avais oublié que votre famille devait avoir recours à la clémence astrale. Votre inattention est compréhensible. Mais je vous demanderais néanmoins de bien vouloir faire quelques efforts. Il reste moins d’un quart d’heure avant que la cloche sonne, et croyez-moi, chaque minute a son importance dans un apprentissage.

    Prunille se contenta d’approuver d’un signe de tête. Elle regarda le professeur se retourner vers le tableau holographique qui représentait des équations compliquées. Sitôt que ce dernier fut reparti dans ses explications, la jeune fille laissa à nouveau son esprit vagabonder. Les chiffres et les symboles qui voletaient devant la classe lui évoquaient les étoiles et la voûte céleste. En ce moment, elle aurait préféré apprendre le nom des astres plutôt que les secrets de l’algèbre. L’astrologie et les cartes du ciel étaient cependant réservées aux Constellateurs et aux rares élus qui pouvaient suivre une formation visant à leur donner accès à ces postes tant admirés. Prunille n’avait jamais vraiment envisagé cette carrière, mais depuis qu’elle savait que ces mages viendraient guérir son frère, sa curiosité était éveillée.

    Le chant d’un oiseau qui venait de se poser à même le sol, juste derrière la baie vitrée à côté de laquelle son pupitre était installé, attira son attention. Décidément, elle ne parviendrait pas à faire le moindre effort pour donner raison au professeur et écouter la leçon jusqu’au bout. Le volatile multicolore picora le sol, laissant tout juste à Prunille le temps d’observer ses teintes tapageuses avant de s’envoler vers d’autres horizons. Rechignant à se concentrer encore sur les équations représentées en hologrammes, elle choisit plutôt d’étudier son reflet dans la vitre. Le blanc de son uniforme scolaire se démarquait dans le paysage coloré qui s’étendait au-dehors. Elle aimait beaucoup porter ces vêtements et ne ressentait aucune lassitude à devoir s’habiller tous les jours de la même manière. La robe de soie nacrée laissait ses épaules à nu pour s’attacher autour de son cou. Cintrée au niveau de la taille, elle terminait de cascader juste au-dessous de ses genoux, dévoilant ainsi une grande partie de sa peau claire. Malgré le climat tropical qui régnait à Myramaz, le teint de Prunille ne parvenait pas à brunir, mais cela lui était bien égal.

    Enfin, la sonnerie retentit. La jeune fille ne se fit pas prier. En deux temps trois mouvements, ses affaires furent rangées dans sa sacoche, et elle quitta la salle de classe la première, sous le regard amusé de son professeur. Ce dernier ressentit de la nostalgie en la voyant s’enfuir de la sorte. Il savait le bonheur que procurait le fait d’accueillir des Constellateurs lorsqu’un problème ternissait le quotidien. Il avait lui-même eu la joie de voir ces mages embellir sa vie lorsqu’il était plus jeune et qu’il avait perdu l’usage de ses jambes. Il ne pouvait donc pas en vouloir à ces étranges guérisseurs de lui avoir volé la vedette et de s’être emparés de l’esprit d’une de ses élèves pendant cette leçon.

    Dans les couloirs de son école, Prunille slalomait entre les élèves. Elle s’empressa de déposer les affaires qu’elle n’avait pas besoin d’emporter avec elle dans son casier, puis courut jusqu’à l’extérieur pour rejoindre l’arrêt de la navette. L’établissement scolaire dans lequel elle étudiait se trouvait en plein centreville de Myramaz. L’île ne comportait qu’une seule cité qui regroupait tous les habitants. Certains s’étaient déjà demandé ce qui pouvait se trouver audelà de la mer fleurie qui entourait leur pays, dans ce qu’on appelait « l’Autre Monde ». Myramaz était cependant une telle source de bonheur, un si beau paradis terrestre que l’interrogation ne restait jamais bien longtemps dans la tête des gens, qui préféraient profiter de leur quotidien rassurant au lieu de rechercher ce qui se trouvait au-delà de ces frontières.

    Arrivée à la station, Prunille croisa les bras sur sa poitrine et tapota nerveusement du pied sur le sol. La prochaine navette ne pointerait pas le bout de son nez avant une bonne dizaine de minutes. Plus elle approchait de la venue des Constellateurs, plus son impatience devenait invivable. Comment avait-elle bien pu faire pour réussir à tenir en place durant toute cette journée ? Et maintenant que cette dernière touchait à sa fin, elle n’avait jamais eu l’impression d’être aussi loin de son but. Les minutes se succédaient avec lenteur. Puis, enfin, elle entendit le bruit caractéristique de la navette qui approchait. Le véhicule ressemblait à un long tube de verre dans lequel des sièges doublés en cuir blanc étaient installés pour permettre aux voyageurs de s’asseoir. Lorsque l’appareil s’immobilisa, un « bip » retentit, signalant l’ouverture imminente des portes. Sitôt que l’espace fut suffisamment grand entre les deux panneaux pivotants, Prunille enjamba la marche et alla prendre place dans l’arrière de la navette. Une fois que cette dernière se fut remise en marche, la jeune fille observa les autres usagers pour se changer les idées. Inutile de regarder au-dehors malgré les grandes parois de verre. Le véhicule avançait à une telle vitesse, flottant au-dessus du sol sans même le frôler, suivant une trajectoire délimitée à l’aide de barrières magnétiques, qu’il était impossible de distinguer quoi que ce soit du paysage. Elle reconnut certains de ses camarades de classe arrivés dans le wagon juste après elle, le blanc de leurs uniformes accrochant le regard plus que les vêtements des autres passagers. Les filles portaient des robes identiques à la sienne. Quant aux garçons, ils étaient vêtus d’un pantalon à pince en lin blanc, et d’une chemise à manches courtes assortie. Les blasons de l’établissement scolaire auquel ils appartenaient trônaient fièrement sur les sacoches qui leur avaient été remises en début d’année. Myramaz était une grande cité où plusieurs écoles avaient été construites afin d’inculquer savoir et éducation aux jeunes générations. Aucune institution n’était plus réputée qu’une autre, l’équité étant l’une des valeurs principales du pays. Les étudiants aimaient toutefois s’apparenter à leur école et étaient généralement satisfaits de porter ses écussons.

    Une secousse sortit Prunille de ses pensées. La navette perdit de la vitesse avant de s’immobiliser en douceur à la station la plus proche du domicile de la jeune fille. Cette dernière joua des coudes pour se créer un passage jusqu’aux portes puis descendit du véhicule sans même répondre à ses camarades qui lui adressaient de chaleureux signes de la main. Une fois à l’extérieur, elle attendit que le tube de verre s’en aille puis traversa le passage à niveau avant de reprendre sa course. Elle n’avait jamais été une grande sportive, privilégiant les activités artistiques telles que la musique. Ce ne fut qu’en cet instant, alors qu’un point commençait à lui scier le torse, qu’elle avoua l’utilité d’avoir une bonne gestion des efforts physiques.

    Arrivée devant sa maison, elle s’immobilisa d’un geste sec. Les grandes baies vitrées de sa demeure — conçues pour favoriser un espace de vie lumineux sans pour autant négliger l’intimité des habitants — ne lui permettaient pas de voir l’intérieur et donc de constater si les Constellateurs étaient déjà présents. Une boule se forma au creux de son estomac. Et si ces mages savants ne parvenaient pas à guérir Denys ? Et si la maladie était déjà trop étendue pour qu’ils obtiennent un résultat convaincant à l’invocation astrale ? Prunille se mordilla la lèvre inférieure et brassa ses souvenirs. Elle n’avait jamais entendu parler d’un malheur qui avait tenu les Constellateurs en échec. Elle était idiote de se faire autant de souci. Après avoir lâché un profond soupir pour tenter de défaire un tant soit peu ce nœud qui prenait bien trop de place dans son ventre, elle franchit le seuil.

    — Bonjour, ma chérie ! lança Caliste Hengouth dès que sa fille arriva dans le salon.

    Prunille posa un regard doux sur sa mère et répondit brièvement à son accueil avant de demander :

    — Ils ne sont toujours pas là ?

    Caliste traversa la pièce d’un pas feutré pour rejoindre sa fille et ébouriffer ses cheveux. Elle la couva des yeux et murmura au creux de son oreille :

    — Ils ne devraient plus tarder, à présent.

    Le vert de ses iris était ponctué d’étincelles qui témoignaient de son impatience. Bien sûr, elle prenait sur elle pour se montrer impassible et soutenir au maximum ses enfants. Elle avait pourtant hâte d’en finir. Cette année écoulée avait été rythmée par les douleurs de son fils. Caliste était habituée à voir des jeunes souffrir de par son métier. Guérisseuse dans Les Thermes, un centre de soins pédiatriques, elle côtoyait quotidiennement des bambins et des adolescents malades. Lorsque leurs cas devenaient trop difficiles à gérer ou trop compliqués, les Constellateurs prenaient la relève. Caliste s’affairait donc à dégrossir au mieux le travail pour que les mages ne soient pas trop sollicités. Alors que la maladie de Denys prenait un tournant trop risqué, la mère avait fait le choix de le ramener sous le toit familial, jugeant l’atmosphère du centre de soins trop pesante pour son enfant. Ce choix lui avait également permis de se détacher un peu de son lieu de travail pour passer plus de temps auprès des siens, un confort qu’elle avait su accueillir à bras ouverts.

    Une fois libérée de l’étreinte de sa mère, Prunille se dirigea vers la cuisine, saisit un jus d’orange dans le frigo et courut rejoindre son frère, toujours alité dans sa chambre. La jeune fille s’immobilisa sur le pas de la porte, admirant avec tristesse la scène qui s’offrait à elle. Son père avait pris place au chevet de son fils. Sa main posée sur le bras de l’enfant paraissait démesurée tant le malade était chétif. Il n’avait pas entendu Prunille et parlait à Denys, lui murmurant des mots tendres pour tenter de lui donner courage :

    — Ne t’en fais pas, fiston, tout ira pour le mieux. Les Constellateurs seront bientôt là, et une fois qu’ils t’auront guéri, tout redeviendra comme avant. Je t’emmènerai à nouveau pêcher au large des côtes, et tu tomberas à la renverse par-dessus l’embarcation quand tu tenteras de retenir un poisson plus grand que toi. Ta sœur t’attendra sur la plage, et vous partirez ensuite à la chasse aux coquillages, comme elle aime tant le faire

    Prunille racla sa gorge pour signifier sa présence, ce qui fit sursauter son père. Il écarta alors ses bras pour l’inviter à le rejoindre, et la jeune fille se cala sur ses genoux. Elle aimait se blottir tout contre lui. Dwight Hengouth était un homme imposant à la carrure d’ours. Son visage sévère rebutait parfois les gens qui ne le connaissaient pas. Pourtant, sous cette allure qui pouvait s’avérer impressionnante, ce père de famille était un véritable nounours chérissant les siens plus que tout. Il était fier de vivre avec eux dans un pays qui leur promettait quiétude et sécurité. Dwight travaillait comme ingénieur dans un institut d’agronomie. Il s’occupait de développer l’agriculture sur l’île afin de rationner les denrées et de faire en sorte qu’il y ait assez de nourriture pour tout le monde. À Myramaz, aucun argent ne circulait. En participant à la vie du pays — qualifiée parfois de communauté —, les habitants obtenaient des bons leur permettant de se loger, se nourrir, se vêtir et s’adonner à quelques plaisirs afin de se distraire. Chacun en recevait la même quantité ; il n’y avait aucun privilégié.

    La sonnette de la maison retentit. Prunille et son père échangèrent un coup d’œil inquiet. La jeune fille décolla des genoux de Dwight et courut jusqu’à l’entrée, prenant sa mère de vitesse, pour ouvrir la porte. Elle se figea en découvrant la délégation qui se tenait sur le seuil. Le premier visage qu’elle observa fut celui — pâle et énigmatique — de Nelliana Woodar, sénatrice de Myramaz. Chaque fois que des Constellateurs devaient intervenir, l’un des deux chefs du gouvernement était obligatoirement présent. La jeune fille sentit une pointe de déception. Elle n’avait pas souvent l’occasion de voir les dirigeants. Si elle avait pu choisir, elle aurait préféré accueillir Odysseus Blow dans sa demeure. Même si, au final, le plus important résidait dans le fait que Denys puisse être sauvé, ce dernier lui paraissait bien plus sympathique, et il était vrai que son visage d’ange retenait facilement l’attention des adolescentes. Nelliana, quant à elle, était très belle, à sa manière. Fine, élancée, sa peau évoquait le marbre. Mais ses yeux ne reflétaient pas grand-chose et donnaient presque froid dans le dos. Aussi, quand un sourire vint animer ses lèvres, son expression parut fausse et étrange.

    — Bonjour, jeune fille. Tes parents sont-ils là ? demanda-t-elle d’une voix cristalline.

    Caliste avait déjà rejoint sa fille et prit donc le relai :

    — Madame Woodar, c’est un réel plaisir de vous accueillir. Nous vous sommes tellement reconnaissants d’avoir accordé toute votre attention au cas de notre petit Denys.

    — Le bonheur des habitants de Myramaz tient à cœur au gouvernement ; nous ne pouvions évidemment pas laisser nos citoyens dans la peine et la douleur. Je vous présente les Constellateurs qui se chargeront aujourd’hui d’effacer le mal de votre fils : Niklavs Randin ainsi que son apprenti, qui vient tout juste de finir sa formation.

    Un vieil homme salua d’un signe de tête solennel les propriétaires de la demeure puis échangea un regard discret avec son disciple. Prunille n’eut pas le temps de les observer davantage, car sa mère les avait déjà invités à entrer et les conduisait au chevet de Denys. Le dénommé Niklavs toisa la pièce puis déclara :

    — C’est un peu petit, ici. Il faudrait déplacer le malade.

    — Le salon me semble tout à fait adapté, proposa le disciple.

    Aussitôt, Dwight glissa ses bras musclés sous le corps de son enfant afin de le soulever de sa couche et l’emmena jusque sur le divan. Puis une fois que Denys fut installé, il se retira pour rejoindre sa femme et sa fille, debout à l’écart dans un coin de la pièce. La famille ne semblait pas très à l’aise et appréhendait ce qui allait se passer. Prunille regardait son petit frère, des larmes embuant sa vision. Il avait l’air si faible Le verrait-elle à nouveau rire et courir ?

    Nelliana était également restée en retrait. Seuls les Constellateurs occupaient l’espace central du salon. L’apprenti avait sorti d’une valise des instruments savants qui ressemblaient à des télescopes. Il regardait la demeure à travers les engins, comme s’il faisait des calculs, puis notait des points sur le sol en ardoise à l’aide d’une craie blanche. La fascination provoquée par leurs gestes parvint presque à faire oublier à Prunille le nœud qui tiraillait toujours au creux de son ventre. Elle n’avait aucune idée de ce qu’ils préparaient, mais elle était bien décidée à enregistrer leurs mouvements pour pouvoir tout raconter à ses camarades d’école.

    — C’est prêt ? demanda Niklavs à son assistant, qui ne tarda pas à acquiescer. Bien ! Nous allons commencer l’invocation. Vous allez vivre quelque chose d’extrêmement perturbant. Je vous conseille donc de vous asseoir. Une fois que notre travail sera terminé, vous risquez de vous sentir un peu nauséeux. Notre action vise à modifier le passé afin de défaire la maladie de votre enfant. Aussi, comme ce passé sera modifié, vos mémoires seront également touchées. Lorsque nous en aurons fini, vous n’aurez aucun souvenir du malheur causé par l’état de santé actuel de ce garçon. Pendant quelques jours, vous risquez d’être déstabilisés. Il vous faudra un peu de temps pour reprendre vos repaires.

    — Cela signifie donc que nous allons perdre la mémoire ? s’enquit Caliste.

    Niklavs incita son disciple à répondre afin de tester ses connaissances acquises :

    — En quelque sorte, oui. Vous allez perdre les mauvais souvenirs, ceux que vous avez accumulés en accompagnant Denys tout au long de sa maladie. La peur de le perdre, la douleur de le voir souffrir — tout disparaîtra. Vous ne garderez en vous que les bons moments que vous avez passés avec lui. Quand l’invocation sera terminée, vous aurez la sensation de sortir d’un rêve étrange. Pendant un bref instant, vous ne saurez plus vraiment où vous êtes ni ce qui s’est passé. Mais n’ayez crainte. Nous sommes ici pour vous guider et pour vous aider à retrouver le juste équilibre que votre famille a perdu avant que la maladie vienne ternir votre quotidien.

    — Il est temps ! conclut Niklavs.

    Dwight s’empressa de prendre des chaises placées autour de la table à manger et les apporta près de sa fille et de sa femme afin qu’elles s’installent convenablement. Lorsqu’il en eut fait de même, les Constellateurs se mirent au travail. Ils fermèrent les yeux pour se concentrer. Aussitôt, la pièce s’assombrit comme par enchantement. Puis les deux hommes se mirent à citer des mots que Prunille n’avait encore jamais entendus. Ces derniers ne lui évoquaient rien, mais ils démontraient leur efficacité chaque fois qu’ils passaient la barrière des lèvres des Constellateurs. Les paumes de ces derniers étaient ouvertes vers le plafond, faisant naître des flammèches vertes dans leurs mains qu’ils allaient déposer sur les points dessinés à la craie à même le sol au début de la cérémonie. Ils semblaient respecter un ordre précis. Quand chacune des marques blanches eut accueilli une lumière, le disciple s’approcha de la construction sous le regard inquisiteur de Niklavs et prononça à voix haute :

    — Comme le Phénix qui se démarque par un cycle éternel, que le mal brûle à jamais et que cet enfant puisse renaître de ses cendres.

    Les flammes gagnèrent alors en intensité, donnant l’impression d’être alimentées par un souffle magique et invisible. Prunille les regarda prendre de l’ampleur pour occuper de plus en plus de place dans le salon. Elle les vit bientôt s’approcher d’elle et sentit la peur l’envahir. Aucune chaleur ne la menaçait, mais la jeune fille n’était pas rassurée pour autant. Le décor l’entourant devint de plus en plus flou. Elle essaya tant bien que mal de se concentrer sur les objets familiers pour s’ancrer dans la réalité, mais ses efforts furent vains. Prunille laissa ses paupières s’abaisser et accueillit avec soulagement le noir qui masquait désormais sa vision et qui parvint un tant soit peu à calmer la nausée qu’elle ressentait. Après quelques instants à se muer dans l’obscurité, l’adolescente finit par s’endormir.

    • • •

    — Hé, Prunille ! Réveille-toi, espèce de grande marmotte !

    La voix qui résonnait semblait lointaine. Pourtant, Prunille la reconnut aussitôt. L’avait-elle réellement entendue ou était-elle en train de rêver ? Le timbre de Denys n’avait pas retenti avec autant d’enthousiasme depuis bien longtemps. Durant ces derniers mois, le garçon peinait à respirer. Émettre des sons lui demandait beaucoup trop d’effort, aussi ne parlait-il presque plus. Se rendant alors compte qu’elle l’avait bien entendu, Prunille ouvrit les yeux. La clarté dans laquelle la pièce était à nouveau plongée l’aveugla pendant quelques instants. Puis, quand sa vision redevint plus nette, elle vit son petit frère, debout devant elle. Un large sourire fendait son visage tandis que ses yeux bruns — identiques à ceux de son père — brillaient de malice. La jeune fille l’observa pendant quelques secondes avant de lui sauter au cou et de le serrer dans ses bras.

    — Doucement jeune fille, tu vas finir par étouffer ce pauvre enfant ! Il serait dommage de devoir retenir les Constellateurs pour une seconde invocation astrale, déclara Nelliana.

    Prunille rit à ses propos, surprise de voir que la sénatrice parvenait à faire de l’humour. Apparemment, elle avait eu tort de ne se fier qu’à son apparence froide.

    La jeune fille s’écarta de son frère pour pouvoir à nouveau l’admirer. Elle repensa aux paroles de la dirigeante et tenta de se remémorer ce que les Constellateurs étaient venus faire chez elle. Prunille savait qu’ils n’intervenaient qu’en cas de grand malheur, mais elle avait beau farfouiller dans sa mémoire, il lui était impossible de ressentir la moindre trace de tristesse ou de souffrance. Sa vie semblait avoir toujours été belle. Tandis que ses souvenirs tentaient de refaire

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