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Fuir pour Survivre: Uuroca, l'esprit maudit, #1
Fuir pour Survivre: Uuroca, l'esprit maudit, #1
Fuir pour Survivre: Uuroca, l'esprit maudit, #1
Livre électronique408 pages4 heuresUuroca, l'esprit maudit

Fuir pour Survivre: Uuroca, l'esprit maudit, #1

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À propos de ce livre électronique

Peut-on tuer un esprit  ?
Cette question obsède Ylia depuis que l'un d'eux l'a prise pour cible. Elle qui rêvait d'étudier à la grande école, doit voyager à travers le royaume en quête d'une réponse dont sa survie dépend. Heureusement, elle peut compter pour ce faire sur des amis dévoués et un esprit de la nature aux pouvoirs bien utiles.
Duel, complots et révélations sont au programme  !

Avis de premiers lecteurs  :
«  Je trouve que les personnages sont adorable. Le texte est bien écrit et c'est facile de voir l'environnement et l'action en images dans sa tête. Dans cette région enneigée, je suis certain que de grandes aventures se produiront.  »
«  Une histoire très bien écrite, un régal pour le lecteur !  »

LangueFrançais
ÉditeurCléo Didée
Date de sortie1 mars 2024
ISBN9782958594428
Fuir pour Survivre: Uuroca, l'esprit maudit, #1

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    Aperçu du livre

    Fuir pour Survivre - Cléo Didée

    Chapitre 1

    Le Tournoi des Quatre Saisons

    Ylia n’aurait jamais cru voir un pnevma.

    Sur les flancs escarpés de la montagne, elle observait le faîte d’un sapin majestueux, troublée par un mouvement capté à la lisière de sa vue. Sa cime avait frémi, déversant une pluie de neige sur sa ramure. L’espace d’un instant, elle avait perçu ce qui ressemblait à une brume verdâtre qui s’infiltrait entre les aiguilles. Trop bref pour en être sûre. La jeune fille scruta la canopée pour tenter d’apercevoir de nouveau l’entité spiritique.

    Une bourrade la tira de son observation.

    — Tu vas prendre froid, le nez levé ainsi !

    — Oh, Oko, j’espérais voir un pnevma, soupira-t-elle.

    Elle réajusta son chaperon rapiécé sur ses cheveux blonds.

    — Un oiseau a dû se poser et repartir sans que je le remarque.

    Son ami d’enfance mit sa main en visière pour regarder à son tour.

    — Ce serait fantastique, mais il faut se rendre à l’évidence : même si le héros Ennal est né dans notre vallée, le village n’a plus compté de pnevmanthe depuis longtemps, renifla-t-il.

    D’accord avec lui, Ylia replaça son fagot de bois sur son dos et reprit le sentier sinueux.

    — C’est plus de notre âge, devisa Oko de sa voix encore aiguë. Toi tu viens de quitter ta robe d’enfance et moi bientôt aussi.

    Il frotta son menton imberbe qui commençait à se piqueter de boutons. Ylia se moqua gentiment.

    — Soucie-toi plutôt de me rattraper en taille.

    — T’as toujours été plus grande, pesta-t-il. Attends, si je tape sur ta tête avec cette grosse souche, tu vas rétrécir.

    Ylia s’échappa en riant. Avec les vieilles chausses de son père, elle avait gagné en mobilité dans la neige et distança son ami dont la longue cotte en laine s’agrippait par moments aux ronciers et aux branches basses.

    — Allez, hâte-toi ! l’appela Ylia. Sinon, le tournoi des quatre saisons va débuter sans toi !

    La menace joua son rôle de stimulant et les deux montagnards glissèrent avec aisance sur les pentes pour prendre des raccourcis. Leur village, Grloo, nichait dans un col, à l’ombre de deux pics si hauts que nul n’y avait grimpé. L’hiver accentuait leur isolement vis-à-vis du reste du royaume et même les brigands préféraient les flancs à plus basse altitude.

    La seule occasion de rétablir des liens avec le pays d’en bas se présentait sous la forme des tournois retransmis par magie.

    Dans le hameau de bois et de tuiles jaunâtre, Ylia et Oko coururent à leur domicile respectif pour y déposer leurs fardeaux. Ils firent tinter des carillons en céramique sur leurs passages, accrochés aux portes. La jeune fille aimait la symphonie hivernale qui baignait Grloo à chaque brise. Elle retrouva son ami devant la maison des fêtes.

    Cette grande bâtisse abritait les réunions de toutes sortes. Elle accueillait également le seul appareil alchimagique du village et des lieux dits à la ronde : un genre de miroir encastré dans un boîtier de bois et de métal qui transmettait des images se déroulant ailleurs. Un transimage.

    En rentrant dans la maison des fêtes, la chaleur humaine les assaillit. La salle était déjà comble. Avec les fenêtres closes par des volets l’hiver durant, des lanternes et un feu dans l’âtre baignaient la pièce d’une atmosphère mystique. Sous les lueurs orangées, adultes et enfants se serraient devant l’écran. Un couple manipulait les molettes sur le côté pour régler l’image. Ylia alla s’asseoir en admirant la merveille d’alliance entre alchimie et magie. On avait formé des habitants spécialement pour en prendre soin et ceux-ci gardaient jalousement ce savoir-faire.

    Enfin, le spectacle débuta et le public réuni devant l’artefact poussa un soupir de satisfaction face au défilement de la vidéo du concours. Le transimage représentait pour eux leur unique moyen d’observer des pnevmanthes. Seuls humains capables de percevoir les pnevmas, ces derniers pouvaient se lier à eux pour obtenir des pouvoirs magiques.

    Cette fois-ci, il s’agissait d’une épreuve de glisse sur une pente encombrée d’obstacles.

    — T’as vu cette descente, moi, je me briserais le crâne ! s’emballa Oko.

    — D’où l’intérêt de regarder les pnevmanthes le faire, répliqua Ylia dont l’enthousiasme renforçait l’azur de ses yeux.

    — Dis, tu crois qu’il y en aura un qui passera par le village ?

    — Chut, ils rappellent les scores !

    Les concurrents étaient présentés avec leurs exploits antérieurs en compétitions. Sur les quinze participants, trois se démarquaient : Oyk Marmène, Lahiné Toisecorne et Florine Amaryllis.

    — Dix billes sur la victoire de Lahiné, paria Oko dans un murmure.

    Ylia réfléchit, hésita, puis se décida :

    — Je tiens, dix pour Oyk.

    Lahiné et Oyk. L’ancien champion et celui qui lui avait ravi son titre. Deux valeurs sûres. La troisième, Florine, était une nouvelle prometteuse qui charmait la gent masculine par sa coquetterie. Ylia l’appréciait par le naturel qu’elle affichait, la maîtrise de ses talents, son attitude gaie et amicale.

    Son estime se fondait sur le peu qu’elle pouvait voir. D’ailleurs, son admiration pour Oyk lui venait aussi de cette impression que le transimage permettait de dévoiler. Il paraissait calme et respectueux et ses duels démontraient la variété de ses pouvoirs, qu’il exploitait parfaitement.

    La suite du programme emporta son esprit dans des rêveries d’un autre monde. Car telle était la vision des Grlooïtes : ce qui était digne d’être transmis par transimage provenait d’une réalité très différente de celle de la haute montagne.

    Sur une luge en bois, les participants devaient descendre du haut d’un sommet, jusqu’à une combe, à peu près quatre kilomètres plus bas. Le tout sur deux cents mètres de dénivelé.

    L’exploit se révélait très périlleux sans le soutien de pouvoirs magiques, raison pour laquelle le commun des mortels se plaisait à voir les pnevmanthes s’en dépêtrer. Le bris ou l’abandon de la luge entraînaient l’élimination.

    Ylia se concentra sur le départ, afin de capter le moment où les guerriers fusionneraient avec leurs pnevmas. Certains se métamorphosaient réellement, à l’image de Toisecorne qui devenait un homme-bouc, et d’autres obtenaient des modifications corporelles plus subtiles, à l’instar de la peau plus grisâtre de Marmène ou brun-vert d’Amaryllis. La jeune fille aimait identifier l’instant précis du changement, s’imaginant presque voir les pnevmas. Comme à chaque fois, l’action se déroula trop rapidement pour en prendre conscience et déjà les concurrents s’élançaient à toute vitesse.

    Chacun usait de sa propre méthode pour franchir les obstacles et gagner en vitesse. Toisecorne tirait à profit ses pattes arrière puissantes pour se propulser, il repoussait ses adversaires trop proches de ses cornes proéminentes. Un petit malin qui avait tenté de s’accrocher à sa luge en fit les frais. Toisecorne en profita pour cabotiner à la grande joie des spectateurs. Amaryllis s’en sortait mieux encore. Ses lianes s’agitaient en tous sens pour améliorer ses trajectoires et lui permettre de contourner les dangers. Elle menaça de dépasser le doyen par un habile jeu de traction, hélas le tronc choisi se rompit la faisant basculer en arrière. Privée de conductrice, sa luge se brisa dans une faille un peu plus loin. Dans la Maison des Fêtes, des exclamations fusèrent, criant leur déception.

    De son côté, Marmène s’aidait de ses bourrasques. Cependant ce qu’il gagnait en vitesse, il le perdait en équilibre. Il manqua de chavirer sur plusieurs tournants en tête d’épingle avant de percuter de sa luge un rocher lors d’un saut. Il parvint à négocier son atterrissage, mais pas à sauver son véhicule.

    Ylia poussa un gémissement face à la défaite de son favori et s’efforça de ne pas voir les gestes de victoire d’Oko.

    Sachant parfaitement balancer son corps pour accompagner la pente, Toisecorne franchit en premier la piste d’arrivée sous les acclamations des spectateurs.

    La jeune fille se joignit aux ovations et applaudit fortement tandis que son ami bondissait sur place. Il lui semblait que rien ne pouvait atténuer sa béatitude jusqu’au journal d’information qui suivit le tournoi. L’organe de presse du seigneur des montagnes signalait la destruction d’une étable près de la frontière est. Le silence se saisit de la maison des fêtes, une tension couvait.

    — Les premiers éléments d’enquête assurent que l’Ivæn n’est pas impliqué, affirma le présentateur. Ils penchent plutôt en faveur d’une avalanche saisonnière.

    — S’il s’agissait d’une avalanche comme il y en a tous les hivers, ils en parleraient pas, grogna une apicultrice.

    La guerre contre le royaume voisin oriental relevait d’une histoire ancienne pour les plus jeunes. En réalité, Ylia avait quatre ans lorsque la trêve s’était établie entre la Miljii et l’Ivæn. Si ces dix dernières années lui paraissaient longues, elles ne l’étaient pas assez pour effacer la mémoire de plus de cent ans de conflit.

    — Ce sont des bêtises, allons ! s’exclama le maître d’école en voyant la chute d’enthousiasme des enfants. Nous avons assisté à une belle compétition aujourd’hui et demain nous célèbrerons le solstice.

    Les  villageois présents se rangèrent à son avis, davantage par prosaïsme qu’optimisme. La maison des fêtes se vida dans un courant d’air glacial. Ylia qui s’était allégée de son chaperon éternua. Oko et elle patientèrent avant de sortir à leur tour. Ils refaisaient les meilleurs moments du spectacle.

    Le maître d’école s’accroupit près d’eux et demanda à parler à Ylia. Oko obtempéra et se précipita dehors.

    — Dis-moi, as-tu fait part de ma suggestion à tes parents ? interrogea-t-il à mi-voix.

    — D’aller étudier à Viéro ? vérifia Ylia même si elle s’en doutait.

    Il opina.

    — Ils ne sont pas très enthousiastes, avoua-t-elle. Ils espéraient que je reprenne la poterie, comme ils n’ont pas d’autres enfants.

    — Mais toi, cela te tente toujours, n’est-ce pas ?

    Elle hocha la tête avec ferveur.

    — Je vais leur parler dans ce cas.

    Ylia pensa qu’avec cette histoire d’étable détruite, des rumeurs allaient courir à propos des Ivæns. Viéro étant plus à l’est par rapport à Grloo, cela renforcerait les réticences de ses parents à la voir partir.

    L’extérieur lui fit du bien. La salle se gorgeait de trop de sueur et de fumée lors de ces événements et l’air pur finissait toujours par lui manquer. Elle identifia Oko parmi un groupe de jeunes adultes. Ils s’éloignèrent avant qu’elle rejoigne son ami.

    — Qu’est-ce qu’ils te voulaient ? s’enquit-elle.

    Il triturait l’ourlet de sa manche. Ylia connaissait ce geste, il trahissait la nervosité du garçon.

    — Ils disent que ça pourrait être un pnevma le coup de l’avalanche, raconta Oko. C’est possible, tu penses ?

    — Pourquoi des représentants des esprits du bien feraient ça ? s’étonna-t-elle.

    — Ben, paraîtrait que le vieux au puits est né ici mais pas ses parents, tenta-t-il d’expliquer. Et qu’eux ne croyaient pas que les pnevmas soient des représentants des esprits, enfin pas que, et que du coup ils pourraient être néfastes.

    À ce moment une stalagmite pendant de l’avant-toit se détacha et se fracassa sur un tonneau renversé. Oko sursauta.

    — Il confond avec les démons ! protesta Ylia. Et même dans leur cas, le maître dit qu’on se sert d’eux pour expliquer des accidents ou des phénomènes.

    — Ouais, t’as raison.

    Oko s’exprimait lentement en considérant les propos de son amie. Il quitta des yeux les bris de glace.

    — Le vieux, c’est un fou, reprit-il. Il crache sur les guerriers pnevmanthes comme sur des sortes de sorciers maléfiques.

    Sans doute rassuré, Oko lâcha son ourlet maltraité.

    — Parlons d’autre chose, décida-t-il. Le maître voulait encore savoir si tu pouvais étudier en ville ?

    Ylia hocha la tête.

    — Ben, j’espère que tu pourras, même si je te voyais plus.

    Elle lui asséna une tape dans le dos.

    — Comment ça, on se verrait plus ! Je n’irais pas si loin que ça !

    Il haussa les épaules.

    — Tu aimerais venir ? demanda Ylia.

    — Étudier dans une grande école ? Très peu pour moi.

    Il leva le nez vers le ciel qui s’assombrissait.

    — Moi, je voudrais être un guerrier pnevmanthe, ce serait trop cool !

    Les yeux d’Ylia pétillèrent.

    — Quel pouvoir aurais-tu ?

    — Dure question, maîtriser le bois serait utile, pour cicatriser plus vite. Mais avoir une vision nocturne ou voler, ce serait chouette.

    Un hululement lui répondit au milieu des arbres. Il tombait tant à propos que les deux amis éclatèrent de rire.

    À la nuit tombante, les voix des parents s’élevaient pour ramener au logis les enfants baladeurs.

    Quand elle pénétra dans l’espace vie de la poterie, l’odeur d’une soupe chatouilla les narines d’Ylia. Le mobilier rustique remplissait la petite pièce et le bois crépitait dans les flammes. Tout était paisible.

    La légèreté d’esprit d’Ylia s’estompa face aux expressions sombres de ses parents. Le ventre alourdi, May rapiéçait de vieux langes, éclairée  par l’âtre. De son côté, Alian achevait la préparation du dîner.

    — Tout va bien ? s’enquit-elle avec suspicion. Le bébé va naître ?

    Sa mère frotta le ventre distendu, un pli d’inquiétude sur le front.

    — Il ne devrait plus tarder, si les esprits nous sont cléments.

    Son père lui fit signe de s’approcher. Ylia louvoya entre un coffre et la table.

    — Ton maître d’école est venu nous parler.

    Le cœur battant, la jeune fille serra ses poings dans son dos.

    — Ta mère et moi doutons que ce soit une bonne idée.

    Il ajouta des croûtons dans la soupe pour l’épaissir le temps de chercher ses mots. Les mains moites, Ylia appréhendait la suite.

    — La grande école, Viéro… Tout ça va coûter cher.

    — Le maître dit que je pourrais bénéficier d’une bourse pour encourager l’instruction, argua Ylia.

    — Oui, sans doute, hésita Alian. Enfin, ça te mènera à quoi ?

    Ne sachant que répondre, Ylia resta coite. Elle pensait d’abord à tout ce qu’elle apprendrait et ce qu’elle verrait. De son banc, May soupira et reposa son ouvrage.

    — Ce que ton père essaie de te dire, c’est que ce n’est pas le bon moment. Avec le bébé qui arrive, nous avons plus que jamais besoin de toi à la poterie. Nous espérions que tu en hérites, mais si tout va bien, peut-être que tu pourras partir dans un an ou deux.

    Après trois fausses couches et deux nourrissons morts en bas âge, Ylia craignait que rien n’aille bien. Elle n’en dit rien, à la fois par superstition et pour ne pas blesser sa mère. Après tout, elle avait raison sur un point : ce n’était pas le moment de quitter ses parents.

    — Tu es une adulte, maintenant, nous comptons sur toi.

    — Bien sûr, c’est normal, articula Ylia. Tant pis pour cette fois.

    Elle remisa sa déception en considérant que son maître trouverait peut-être d’autres arguments. Et puis, la guérisseuse avait assuré que cette fois tout se passerait bien.

    Elle ne laisserait pas son amertume gâcher la fête du solstice du lendemain.

    Chapitre 2

    Le chasseur et la proie

    Une journée aux couleurs d’azur et d’argent chassa la déception des pensées d’Ylia. Debout aux aurores, elle contempla un lever de soleil emmitouflée dans une cape épaisse. Dans la matinée sans vent, le col et son village campait un paysage serein qui augurait une délicieuse journée.

    Ylia se détourna de sa contemplation lorsque son estomac vide se rappela à elle. Elle pénétra dans l’abri à bois et chargea ses bras d’autant de morceaux qu’elle pouvait en porter. Ranimer les braises de l’âtre faisait partie de ses corvées quotidiennes et elle s’y attelait sans bougonner, ne serait-ce que pour goûter à ces moments de quiétude.

    Une fois chargée, elle contourna la poterie en suivant le chemin dégagé dans la neige. L’atmosphère tiède de la maison brûla ses joues gelées. Ylia claqua les deux pièces de métal d’un vieux briquet pour aider le feu à s’allumer. Alian descendit sur ces entrefaites dans un grand bâillement. Tous les trois dormaient dans la mansarde aménagée sous le toit, serrés les uns contre les autres pour avoir chaud l’hiver.

    — Prends donc ta matinée, l’invita-t-il. C’est le jour du solstice et nous avons achevé notre part.

    Elle ne se fit pas prier. Ylia avala en vitesse un bout de pain dans du bouillon de la veille et fila profiter du beau temps.

    Les heures défilèrent sans que la jeune fille les vît passer. Aux batailles de boules de neige se succédèrent des séances de glisse où les plus âgés s’essayaient à reproduire les techniques aperçus dans le tournoi. Par moments, Ylia levait la tête vers les cimes en quête d’un mouvement qui la conforterait dans ses espoirs. Se découvrir une pnevmanthe la consolerait de ne pas étudier en ville. Elle obtiendrait bien des réponses sur les pnevmas, leur nature ou leurs pouvoirs. Voilà qui assouvirait sa soif de connaissance.

    L’agitation ambiante ne permit aucune détection, les cris des plus jeunes devaient faire fuir à eux seuls tous les animaux réveillés des abords du village. Estimant qu’elle ne devait pas se bercer d’illusions, Ylia rejoignit Oko qui modelait un démon à cornes avec son petit frère.

    — Nous allons lui demander d’intercéder auprès des esprits pour que l’enfant naisse en bonne santé, lui annonça Noko.

    — Intercéder ? répéta Ylia surprise d’entendre ce mot dans la bouche du garçonnet.

    Ses traits s’abaissèrent de dépit.

    — C’est pas juste ?

    — Très bonne utilisation, le félicita Ylia. Maman sera rassurée de savoir qu’un messager portera une si belle attention jusqu’aux esprits de la nature.

    Ravi, Noko claqua dans la main de son frère et ils  achevèrent la statue de neige. Ils se dirigèrent ensuite vers la maison des fêtes, animés d’une faim dévorante.

    Un feu ronflait déjà, conférant une atmosphère tiède et confortable à la grande pièce. Plus tard, la présence de tous les habitants du village la rendrait étouffante. Ylia se glissa à la suite d’Oko entre les bancs et les successions de tables à tréteaux installées pour la journée. Dans ces occasions, on remisait le transimage contre un mur, protégé par une housse.

    — Au fait, tu me dois toujours dix billes, rappela le garçon une fois installé.

    Ylia fit semblant de soupirer de frustration et sortit la mise du pari de sa petite aumônière de tissu rafistolé. Elle comprenait neuf billes d’argile cuite et une de verre. En l’apercevant, son ami siffla et la tint devant les flammes pour admirer leur reflet. Aucun artisan ne coulait le verre à Grloo, la jeune fille avait acheté celle-là à prix réduit sur un marché à cause d’un accroc.

    Tandis qu’Oko la rangeait précieusement dans un repli de sa cotte, un ensemble de tintements s’éleva de l’extérieur qui attira leur attention. Une bonne moitié des carillons du village semblait chanter, comme bousculés par une violente bourrasque. En entendant les exclamations des grlooïtes, Ylia comprit qu’il ne s’agissait pas d’un phénomène naturel. Elle se précipita dehors et en découvrit l’origine avec ébahissement. Tout de sombre vêtu, un homme emmitouflé dans une large cape se tenait au cœur d’un tourbillon de flocons. Il s’épousseta tandis que les carillons s’apaisaient.

    Ylia referma sa mâchoire béante et garda ses yeux écarquillés. Elle écouta à peine les excuses que l’arrivant lançait à la cantonade. Elle le reconnaissait. Elle l’avait vu la veille au transimage. Oyk Marmène, son idole  !

    Il était grand, même par rapport à Alian. Son teint mat et ses cheveux de nuit le distinguaient plus sûrement encore que ses habits de voyage au milieu de la blondeur des grlooïtes.

    Avant que sa stupeur laisse place à la jubilation, Ylia perçut une petite silhouette évanescente s’extraire brièvement de l’épaule du Champion. Cela ressemblait à de la vapeur un peu grisâtre. Au moment où la forme retourna dans le corps de l’humain, la jeune fille pouvait jurer discerner deux yeux plus sombres se tourner vers elle.

    Un fourmillement lui parcourut l’échine. Elle avait vu le pnevma d’Oyk Marmène ! Cette fois, le doute n’était plus permis, elle percevait les pnevmas !

    Sonnée par cette découverte, Ylia demeura insensible à son environnement durant quelques secondes. Oko bondissait près d’elle en lui tirant la manche.

    — Tu l’as vu ? murmura-t-elle en revenant à ses sens.

    — C’est Oyk Marmène. Ici, à Grloo ! Tu m’étonnes que je le vois !

    — Non, souffla-t-elle. Je parlais de l’esprit qui est rentré dans son corps.

    Mais le garçon ne l’écoutait pas, il se précipitait déjà vers le Champion occupé à échanger avec des adultes. Une timidité inattendue s’empara de la jeune fille ; deux de ses rêves un peu fous venaient de se réaliser au même instant ! Tout se bousculait tant dans sa tête qu’elle ne parvenait pas à décider d’une action à prendre.

    À travers le brouhaha de ses pensées, elle regarda les grlooïtes parler au guerrier en indiquant la maison des fêtes et devina qu’on l’invitait à passer les réjouissances du solstice avec eux. Face à l’affluence de villageois autour du pnevmanthe, une soudaine inspiration l’envahit et elle récupéra sa cape avant de se précipiter dans la forêt.

    Confiante cette fois, elle avait la ferme intention de dénicher les pnevmas entraperçus ci et là. Ils hantaient la forêt, camouflés par les arbres et les roches, ne se dévoilant que par bribe et s’évanouissant aussitôt.

    Ylia cherchait des lieux où la sensation de percevoir quelque chose qu’elle ne voyait pas l’avait saisie. La chape neigeuse couvrirait les sons des bois et la blancheur immaculée limiterait les faux ressentis. Du moins le pensait-elle.

    Elle rallia trois emplacements avant de se contraindre à s’immobiliser et calmer sa hâte. Elle s’était montrée si excitée, qu’elle pouvait très bien avoir manqué ce qui y résidait. Un peu comme un phasme dont le camouflage le rendait invisible à qui ne scrutait pas avec attention la brindille qu’il imitait.

    Or ce jour-là, se contraindre au calme se révéla particulièrement épineux. Elle croisa les bras comme si les maintenir contre elle apaiserait son agitation interne et ouvrit de grands yeux sur une cascade gelée. Elle s’efforça à compter la régularité de ses expirations qui projetaient un nuage. Un, deux, trois, quatre… Ses jambes commencèrent à trépigner. Elle était pourtant sûre d’avoir été épiée par ici, l’année précédente.

    Ylia persévéra malgré tout en changeant de lieux. Là, un pin, ici, un monticule, par-là une fourmilière endormie.

    L’humidité alourdissait ses vêtements et elle se moucha aussi discrètement que possible pour n’effrayer aucun être vivant ou spiritique. Ses doigts gourds peinaient à maintenir correctement le tissu et elle se tamponna le nez avant de le ranger.

    Ylia s’arrêta devant une cascade gelée qui traçait un sillon immobile le long de la roche écrue. Un filin de glace parcourait le lit d’un ruisseau à nu. Elle s’adossa à un noyer perdu parmi les hêtres et les sapins. Même en hiver, le silence n’envahissait jamais totalement la montagne et elle captait des craquements de bois sous la neige et des battements d’ailes d’oiseau.

    Dans un état second, Ylia crut ressentir une présence. Comme si des yeux invisibles l’épiaient. Le cœur battant, elle se concentra dessus. Elle perçut soudainement d’autres bruits plus lourds et une respiration. L’espace d’un fol instant, elle repensa aux démons messagers et s’attendit à voir surgir une belette à cornes de bélier et queue de lièvre.

    — Ylia ?

    Elle rit en reconnaissant la voix d’Oko et l’appela. Elle regarda son ami la rejoindre, ébouriffé et les joues rougies autant par la morsure du froid que par l’excitation.

    — Dis Oko, tu crois que je pourrais être une pnevmanthe ?

    Arrêté net dans sa course, il la dévisagea avec de grands yeux ronds.

    — T’es une pnevmanthe ?

    Ylia secoua la tête.

    — Je n’en sais rien. Je crois avoir vu comme une forme spectrale autour d’Oyk Marmène et ça ressemblait aux impressions que j’ai eues par le passé.

    — Moi, j’en suis sûr ! Tu as toujours été douée pour débusquer les animaux.

    Ylia hocha la tête.

    — Moi, je n’ai rien vu, reprit Oko en s’assombrissant.

    Surprise par le changement subit d’attitude de son ami, Ylia ne dit rien.

    — Bien sûr, c’est toi l’élève qu’on envoie à la ville et c’est toi qui vois les pnevmas, grommela-t-il.

    — Quel est le rapport ? Tu t’en fichais d’aller à l’école de Viéro !

    — Être un pnevmanthe c’était mon rêve et j’aurais bien été en apprentissage en ville moi aussi.

    L’accès de jalousie ressemblait si peu à son ami qu’Ylia se sentait déboussolée.

    — Rien ne dit que tu ne l’es pas, hésita-t-elle.

    — C’est ça, c’est toujours toi qui sens des trucs dans la nature. Toujours toi qui réponds correctement à l’école, toujours toi qui gagne à cache-cache. Et on a le même âge pourtant tu es plus grande que moi alors que je suis un garçon !

    — Tu es idiot ou quoi ? Certaines femmes sont plus grandes !

    La frustration de son échec à trouver des pnevma se mua en agacement face à l’absurdité de son ami.

    — Ah, ouais, je suis idiot ? cria Oko.

    — Non, tu mélanges tout !

    — Espèce de prétentieuse ! Reste donc avec tes idioties de pnevmas, moi je me tire.

    — C’est les pnevmas qui sont idiots, maintenant ? Casse-toi !

    Ylia donna un coup de pied de rage dans une congère et délivra un paquet d’insultes mêlées de jurons. Quand elle se tut, à bout de souffle, elle n’entendait plus que la brise dans les arbres. Alors sa colère se retourna contre elle, elle se jugeait aveugle de n’avoir jamais remarqué la jalousie de son ami. Elle pouvait comprendre son aigreur à la voir être ce qu’il rêvait. En même temps, elle ne pouvait s’empêcher de lui en vouloir, car elle se faisait une joie de partager la nouvelle avec lui.

    — Et maintenant, je fais quoi ? demanda-t-elle à la cascade gelée.

    Une chauve-souris précoce lui répondit.

    Énervée, Ylia ferma les paupières et se frotta les tempes.

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