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L' Évaluation muséale: Savoirs et savoir-faire
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Livre électronique529 pages4 heures

L' Évaluation muséale: Savoirs et savoir-faire

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À propos de ce livre électronique

Témoignant des 23 ans d’expérience professionnelle de son auteur au sein du Musée de la civilisation à Québec, ce guide présente les principales méthodes auxquelles ont recours les évaluateurs en contexte muséal. Devis d’évaluation, questionnaires fermés, schémas d’entrevues ouvertes ne sont qu’une infime partie des outils présentés.
LangueFrançais
Date de sortie26 août 2014
ISBN9782760532953
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    Aperçu du livre

    L' Évaluation muséale - Lucie Daignault

    Bibliographie

    Introduction

    Dès sa création, le Musée de la civilisation (MCQ) a opté pour une approche client fondée sur ses publics, traduisant ainsi sa volonté de rendre ses ressources culturelles accessibles au plus grand nombre. S’adresser à tous les types de visiteurs implique de leur fournir les outils nécessaires pour qu’ils se sentent concernés par les sujets exposés. Il est loin le temps où les visiteurs étaient considérés comme des pages blanches à remplir et où un préalable était exigé pour avoir accès aux savoirs proposés par les musées. Le déplacement des objets de collections vers les publics a imposé de nouvelles formes de savoir et de savoir-faire¹, lesquelles ont accentué la place accordée aux publics, d’où l’essor de la recherche en évaluation. L’évaluation constitue le seul moyen objectif de rester en contact avec le public. Évaluer, c’est établir un dialogue permanent avec les visiteurs. Toute évaluation commence par les questions fondamentales suivantes : que voulons-nous savoir exactement et que ferons-nous avec les résultats ?

    Ce livre illustre à partir d’exemples concrets en quoi consiste la démarche pour mener à bien une évaluation en contexte muséal. Il ne s’agit pas de proposer une méthodologie idéale, mais de présenter les principales approches utilisées en muséologie afin de répondre aux interrogations. Comme nous le verrons, l’évaluation dans le domaine muséal répond à plusieurs objectifs et recourt à diverses méthodologies. En fait, chaque type d’évaluation a ses possibilités et ses limites ; le choix et la mise en place des méthodes d’évaluation dépendent essentiellement de ce que l’on veut connaître. Chaque méthode a ses règles, mais il ne s’agit pas d’un répertoire de règles inflexibles puisque chaque problématique, chaque questionnement ou chaque objectif comporte ses spécificités et ses façons de faire. Chaque méthode a sa démarche heuristique.

    Cet ouvrage constitue une sorte de boîte à outils qui devrait permettre au lecteur de sonder le pouls de ses publics, de disposer de moyens pour aller à la rencontre des visiteurs et pour comprendre la portée de l’évaluation. La partie méthodologique n’est pas exhaustive. Elle souhaite familiariser toute personne intéressée par la connaissance des publics aux principales méthodes auxquelles ont recours les évaluateurs en contexte muséal.

    Le contenu de cet ouvrage se caractérise par l’utilisation soutenue d’exemples, tous tirés de notre pratique professionnelle. Chacun d’eux vise à illustrer et à expliquer le propos dans le but de faciliter la compréhension des diverses étapes de la démarche d’évaluation dans un établissement muséal ou culturel. Des outils sont suggérés : devis d’évaluation, questionnaires fermés, schémas d’entrevues ouverts, grilles d’observation, journal de bord, etc.

    Les publics cibles

    Ce livre s’adresse aux professeurs et étudiants en muséologie, en patrimoine et culture ainsi qu’en tourisme culturel, aux professionnels et aux gestionnaires de musée et des autres secteurs connexes (tourisme et culture, loisirs culturels, patrimoine, etc.) intéressés par les retombées de l’évaluation.

    Un programme d’évaluation qui s’inscrit dans les missions du MCQ

    Les évaluations et enquêtes que nous avons réalisées ont couvert de nombreux champs d’études. Elles s’inscrivent toutes dans les diverses missions du Musée (identitaire, internationale, éducative et sociale), tout comme elles s’insèrent dans son projet culturel. La plupart du temps, les demandes d’évaluation proviennent des unités administratives (expositions, éducation, technologies, activités culturelles, communications, etc.) ainsi que de la direction générale. Le programme est établi annuellement, selon les projets et les priorités. En effet, toutes les actions entreprises par le Musée ne doivent pas nécessairement faire l’objet d’une évaluation. Ce programme est en constante évolution puisque de nouvelles questions surgissent au fur et à mesure des évaluations réalisées et de la production de nouvelles activités muséologiques. Les divers travaux d’évaluation que nous avons menés peuvent être regroupés dans les catégories suivantes.

    1) Les études de marché

    Pour évaluer le taux de fréquentation du Musée dans la région de Québec

    Pour connaître la notoriété du Musée sur l’ensemble du Québec

    Pour mesurer la pénétration d’une campagne publicitaire

    2) Les évaluations institutionnelles

    La mesure de la fréquentation

    L’analyse des données de la billetterie

    L’analyse d’une revue destinée aux enfants

    L’analyse de la revue de presse

    L’analyse des commentaires des visiteurs rédigés dans le livre d’or

    3) Les enquêtes générales de publics

    Elles sont menées annuellement, le plus souvent au cours de la période estivale pour :

    connaître les caractéristiques sociodémographiques et socioculturelles des visiteurs ;

    établir les sources d’information ;

    relever les attentes ;

    relever les images associées au musée ;

    déterminer les comportements ;

    relever les taux de fréquentation des expositions et des activités ;

    mesurer la satisfaction à l’égard des expositions et des activités ;

    relever les taux d’utilisation des services ;

    mesurer l’impact touristique d’une exposition ;

    etc.

    4) Les enquêtes auprès de clientèles spécifiques

    Au fil des ans, le Musée a souhaité disposer d’informations plus détaillées sur les familles, les jeunes adultes et les adolescents. Les interrogations étaient les suivantes :

    Quelles sont leurs pratiques de visites de Musée ?

    Quelles sont leurs attentes et leurs préférences lorsqu’ils viennent au Musée ?

    Quels sont les facteurs d’insatisfaction ?

    Que recherchent-ils lorsqu’ils font une activité ?

    Comment les rejoindre ?

    Comment s’adresser à eux, à la fois dans les expositions et dans les médias ?

    5) Les évaluations liées aux expositions, aux produits en ligne, et aux espaces découverte essentiellement interactifs

    Peu importe le moment où elle est réalisée, l’évaluation aide les équipes de projet à communiquer avec les publics variés qui fréquentent les expositions. Les objectifs sont diversifiés :

    relever les représentations et les intérêts pour les thèmes d’exposition et les sous-thèmes ;

    vérifier les approches retenues ;

    repérer les contresens liés aux moyens utilisés ;

    établir les sources d’information ;

    mesurer le pouvoir d’attraction et de rétention ;

    mesurer les taux de satisfaction ;

    établir le profil des visiteurs ;

    vérifier l’appropriation des messages et les découvertes ;

    mesurer l’impact de l’exposition (cognitif, social ou émotif) ;

    mesurer l’atteinte des objectifs ;

    comprendre l’interaction entre l’exposition et les visiteurs ;

    comprendre les comportements des visiteurs (le parcours, la durée, les arrêts…) ;

    valider le titre de l’exposition ;

    etc.

    6) Les enquêtes auprès des enseignants

    Chaque année, un questionnaire est remis aux enseignants qui participent aux activités dirigées avec leur classe afin de recueillir de l’information sur les thèmes suivants :

    les caractéristiques du groupe ;

    la préparation de la visite ;

    le déroulement de la visite ;

    l’évaluation des visites ;

    la satisfaction générale.

    7) Les enquêtes sur les services

    Le restaurant

    L’accueil

    La boutique

    Etc.

    Un travail d’équipe

    Ce programme d’évaluation n’aurait pu être mené à terme sans l’appui de plusieurs personnes. Les études ont été réalisées pour une bonne part à l’interne, mais ont donné lieu à plusieurs collaborations avec l’extérieur : encadrements de stagiaires et d’étudiants issus de diverses disciplines (muséologie, communication, sociologie, ethnologie, histoire, psychologie, anthropologie, éducation, etc.), principalement des Québécois et des Français. Nous avons aussi collaboré avec des chercheurs universitaires dans le cadre de subventions. À quelques reprises, des contrats ont été attribués à des firmes spécialisées, notamment pour des études de marché.

    Un ouvrage en quatre parties

    Dans la première partie, le chapitre intitulé Le contexte d’émergence du Musée de la civilisation et de la place de l’évaluation, signé par Bernard Schiele, rappelle que l’ouverture du Musée de la civilisation symbolise pour le Québec les changements sociaux et culturels qui ont transformé la société. La mission du Musée s’organise autour de deux idées-force : démocratiser et communiquer. Les visiteurs sont au centre du dispositif muséal. On cherche autant à les intéresser qu’à s’intéresser à eux. Le Musée tient compte de leurs valeurs, de leurs intérêts, de leurs goûts… Il se veut donc ouvert et accessible à ses visiteurs. C’est dans cette perspective que l’évaluation s’institue au Musée. Elle est vue comme le garant de son accessibilité, car elle est la condition du maintien du dialogue entre la production culturelle du Musée et ses publics.

    La deuxième partie, intitulée L’évaluation en contexte muséal : les types d’évaluation et les orientations méthodologiques, est composée de deux chapitres. Le premier traite des types d’évaluation menés en contexte muséal, lesquels sont le plus souvent catégorisés en fonction du moment où ils ont lieu, soit avant (étude préalable), pendant (évaluation formative ou évaluation de remédiation) ou après la réalisation du projet en question (évaluation sommative).

    Le deuxième chapitre présente les deux approches méthodologiques auxquelles ont recours les évaluateurs en contexte muséal : l’approche quantitative et l’approche qualitative ainsi que les circonstances dans lesquelles elles sont utilisées. Elles sont aussi souvent jumelées afin de pouvoir répondre à l’ensemble des interrogations.

    La troisième partie, intitulée Les méthodes quantitatives et qualitatives, étape par étape, aborde tous les aspects à considérer pour mener à terme une enquête quantitative ou une étude qualitative. Elle est constituée de trois chapitres. Les deux premiers correspondent aux diverses étapes de la réalisation d’une enquête quantitative ou d’une étude qualitative ; des objectifs à l’élaboration du questionnaire, de la délimitation de la population à l’étude au plan de l’échantillonnage, de la validation du questionnaire à son administration, et du traitement des données à leur analyse. Le troisième chapitre est consacré à la technique de l’observation in situ et à la caméra. Le contenu de cette partie se caractérise aussi par l’utilisation soutenue d’exemples.

    La quatrième et dernière partie est consacrée aux études de cas. Le corpus est composé des enquêtes et études que nous avons réalisées au Musée de la civilisation au cours des 23 dernières années. Elle n’a pas la prétention d’être exhaustive.

    Les exemples ont été sélectionnés en fonction de leur représentativité à couvrir les divers types d’études (enquêtes de publics, études préalables, évaluations formatives et évaluations sommatives) et les diverses approches (quantitatives, qualitatives et mixtes). Ils ont été retenus également parce qu’ils peuvent être réutilisés ou adaptés pour des études similaires, quel que soit le musée ou l’institution culturelle. Une attention particulière est accordée aux aspects essentiels à la compréhension de la démarche et aux décisions qui ont été prises à la lumière des résultats.

    Pour faciliter la lecture et la compréhension, la structure des cas est toujours la même. Nous présentons la problématique et le contexte, puis nous répondons aux questions suivantes : Quoi ? Pourquoi ? Comment ? Avec qui ? Où ? Puis, dans le cas des études préalables et formatives, nous présentons les principaux problèmes décelés ainsi que les décisions prises pour y remédier, tandis que pour les évaluations sommatives, nous illustrons l’apport de l’évaluation par quelques résultats et constats.

    1.    Montpetit, R., « Les musées et les savoirs : partager des connaissances, s’adresser au désir«», dans Côté, M. et A. Viel (1995). Le Musée : lieu de partage des savoirs, coll. « Muséo«», Musée de la civilisation, SMQ, AMC, ICOM, Patrimoine Canadien, p. 39-58.

    001

    Partie 1

    Démocratisation et communication

    Chapitre 1

    Le contexte d’émergence du Musée de la civilisation et de la place de l’évaluation

    Bernard Schiele

    « C’est le temps que ça change«»

    L’empêcheur de tourner en rond

    Le vent du changement social et culturel

    Une révolution des mœurs et des idéaux

    La poussée de la culture populaire

    Le Musée de la civilisation et l’air du temps

    L’évaluation comme garant de l’accessibilité

    Le parcours de l’évaluation

    Le changement de paradigme

    Le tiers indispensable

    Chapitre 1

    Le contexte d’émergence du Musée de la civilisation et de la place de l’évaluation

    Bernard Schiele

    « C’est le temps que ça change

    ¹»

    L’enchaînement des circonstances et des décisions politiques qui ont conduit à la création du Musée la civilisation a été rappelé par Christine Tarpin (1998) dans son ouvrage consacré à l’émergence du Musée de la civilisation². Pour elle, la création du Musée de la Civilisation découle de la poussée de la Révolution tranquille qui fait de l’affirmation de l’identité collective francophone le « vecteur principal des transformations de la société québécoise³«». La culture devient donc un enjeu de société et une arme politique. Et, en 1978⁴, le gouvernement québécois, qui se « positionne comme une instance mobilisatrice«» et se veut le maître d’œuvre du développement culturel, table sur la « responsabilité de tous«» pour affirmer et préserver « la singularité du Québec⁵«». C’est dans cette perspective, qui associe étroitement « patrimoine et nationalisme«», que la recomposition du réseau muséal est envisagée et la création du Musée de la civilisation décidée en 1980⁶. Il ouvre ses portes le 19 octobre 1988.

    Son ouverture symbolise – pour ainsi dire – le moment où les changements profonds qui avaient transformé le Québec entrent dans la conscience de celles et ceux qui les avaient vécus. Même les critiques qui dénoncent le programme muséologique du Musée admettent, à contrecœur, que les choses ont irrémédiablement changé⁷ et qu’il n’est plus possible de concevoir le rôle du musée et de réaliser des expositions comme on avait l’habitude de le faire. L’effet d’entraînement du Musée est immédiat. Malgré les résistances qui s’y manifestent, le réseau muséal entame son passage à la modernité. Les musées québécois vont rapidement se recomposer et se réinventer.

    Quels étaient donc ces changements ? Comment ont-ils affecté le champ muséal ? De quelle manière le Musée en était-il la concrétisation ? Pour répondre à ces questions, il est nécessaire de prendre du recul par rapport à l’évolution de la société québécoise. Plus précisément, il faut tenter de la saisir dans la dynamique de la révolution sociale et culturelle qui transmue les sociétés d’après-guerre. Sans quoi, il n’est pas possible de comprendre le mouvement de refondation de la muséologie dont le Musée est le fer de lance au Québec. Les innovations du Musée, comme la décision de privilégier les expositions thématiques, de se doter d’une programmation d’activités publiques, de créer un service de la recherche et de l’évaluation, montrent que les influences externes ont trouvé au Québec une conjoncture sociale, politique et économique qui réunissait leurs conditions de possibilité, rendant ainsi nécessaires ces changements dans le champ muséal, et disponibles ceux qui les opéraient.

    L’empêcheur de tourner en rond

    Deux mots caractérisent le programme muséologique du Musée lors de son ouverture – et encore aujourd’hui – : communication et démocratisation.

    D’une part, « le désir de communiquer«», écrit Roland Arpin, son premier directeur, « colore fortement son organisation administrative, son aménagement physique, le choix de ses thèmes d’exposition et ses programmes d’activités éducatives et culturelles⁸«». Ainsi, la volonté de communiquer se matérialise non seulement dans le choix des thèmes d’exposition mais aussi dans l’organisation administrative et les relations entre les services du Musée. Autrement dit, il s’agit d’une refonte de la structure organisationnelle du musée traditionnel et une réorientation de ses priorités, et du coup, une mise en cause des discours et des pratiques muséales au Québec. Pour en rappeler les enjeux, qu’il suffise de souligner que le débat entre les « Anciens«» et les « Modernes«» que suscitent les premières expositions du Musée tourne autour du rôle de l’objet dans l’exposition. Pour les « Anciens«», ceux qui sont aux commandes dans le réseau muséal, l’exposition est au service de l’objet ; pour les « Modernes«», c’est le contraire : l’objet doit servir le propos de l’exposition. Derrière cette querelle, apparemment futile et anodine, se lit toutefois le conflit entre ceux qui, détenteurs d’un capital culturel et exerçant un pouvoir légitime dans le champ muséal, entendent bien préserver leur position et leur autorité au détriment des entrants et de leurs projets iconoclastes. D’autre part, la démocratisation s’ancre dans un musée voulu « accessible […]«» en offrant « des heures d’ouverture et un horaire d’activités«» étendus, « polyvalent«» en déployant « nombre de moyens de communication«» pour divers publics et « participatif«» en privilégiant les « activités d’échanges et de dialogues«». La démocratisation, c’est aussi aborder les questions qui préoccupent les publics et « [s’adresser] à ceux-ci selon des langages adaptés⁹«». La personnalité du Musée se construit donc autour de la communication et de la démocratisation pour être accessible à tous, et ainsi se vouloir « un acteur social et un partenaire dans le développement culturel¹⁰«». Cette révolution muséale au Québec, qui bouscule un secteur traditionnellement conservateur, solidement arrimé au goût des élites, participe à une mutation sociétale qui a transformé l’idée même de culture et le rapport à celle-ci dans les pays développés.

    Ouvrons une courte parenthèse pour rappeler que ce sont les expositions universelles qui les premières se sont voulues accessibles, qui ont eu le souci de s’adresser à chaque visiteur en particulier, de toucher chaque idiosyncrasie et qui ont déployé des trésors d’imagination pour y arriver. Expo 67, en tirant partie des innovations en art, en architecture, en design, en mode et en technologie pour réaliser des dispositifs scéniques et visuels attractifs, cherchait elle aussi à intéresser et à captiver tout un chacun dans la foule qui se pressait pour visiter les pavillons, qui qu’il soit et d’où qu’il vienne. Conjuguant humanisme – Terre des Hommes – et modernité, elle interpellait le visiteur pour lui offrir un aperçu du futur. Ainsi, elle a contribué au basculement du Québec dans la modernité¹¹. L’arrivée d’un nouveau musée sur la scène québécoise, configuré autour du visiteur, permet aux créateurs, artistes, designers et architectes qu’Expo 67 avait inspirés d’en transposer l’esprit dans le champ muséal alliant ainsi le renouveau du projet muséal avec celui de la muséographie. Le souci de communiquer et de démocratiser s’ancre aussi dans une transformation du dispositif de l’exposition qui recompose ainsi la relation du visiteur à l’espace, au visuel et aux objets.

    Le vent du changement social et culturel

    Un rappel succinct des transformations sociales et culturelles, qui ont sous-tendu la montée du discours de la communication et de la démocratisation dans le champ muséal, permettra de saisir la dynamique qui l’anime et qui l’entretient.

    Dès la fin de la guerre, sur fond de développement économique continu, le rythme des changements sociaux s’accélère dans les pays développés¹². Pour les États-Unis et, à un degré moindre, le Canada, cette période prolonge « l’expansion des années de guerre«». Qualifiée d’« Âge d’or«» ou des « Trente glorieuses«», elle s’étend de 1946 à 1975 et se termine par un « effondrement bancaire et immobilier¹³«». Cette poussée va se perpétuer au Québec bien au-delà de la Révolution tranquille – le nom donné à la prise de conscience des bouleversements qui transforment la société québécoise. Entraînée, elle aussi, la société québécoise vit une brusque accélération des changements techniques et des innovations culturelles ; elle connaît une urbanisation massive, une augmentation du parc automobile et un développement des transports publics¹⁴. De plus, durant ces années, le développement industriel améliore les anciens produits, mais surtout multi- plie et diversifie les produits nouveaux¹⁵. À la clé, une révolution des modes de vie : la nouveauté engendre son corollaire, la consommation¹⁶. Le slogan « C’est le temps que ça change«» est bien l’écho des mutations de la société québécoise.

    Dans la foulée, le Québec entreprend une réforme majeure du système d’enseignement, amorcée par la Commission Parent¹⁷, pour répondre aux besoins de modernisation de la société et adapter ses structures à son évolution rapide. « Dans ce monde, constatent les membres de la Commission, quatre grands ordres de problèmes se posent à l’enseignement : une véritable explosion scolaire, la révolution scientifique et technologique présentement en cours, de profondes transformations dans les conditions de vie et une évolution rapide des idées¹⁸.«» La Commission Parent, en condensant les aspirations de la société québécoise, cristallise pour celle-ci le moment « fondateur¹⁹«» de son basculement dans la modernité et de sa démocratisation²⁰, car elle sanctionne « le droit de chacun à la meilleure éducation possible²¹«». C’est-à-dire l’accès pour tous à l’éducation et à la culture. Et c’est de cette volonté, transposée dans le champ muséal, dont témoigne le programme du Musée de la civilisation. Mais de quelle culture s’agit-il ?

    Une révolution des mœurs et des idéaux

    La révolution sociale se double d’une révolution culturelle, c’est-à-dire d’une crise des valeurs. Elle revendique un accès généralisé à la culture certes, mais à une culture revue et corrigée.

    L’évolution rapide des idées, que constatent les commissaires de la Commission Parent, est en fait une crise des normes et des comportements qui se déploie de 1945 à 1990, et qui touche tous les aspects de la vie sociale²². Tout d’abord, une crise de la famille : une libéralisation des mœurs « régissant le comportement sexuel, la vie de couple et la procréation²³«» fait éclater le cadre traditionnel de la famille nucléaire. De facto, il s’agit d’une crise des référentiels jusqu’alors tenus pour indépassables²⁴. L’exposition Souffrir pour être belle (du 20 octobre 1988 au 27 août 1989), qui aborde la beauté en invitant les femmes à se demander si leur corps leur appartient vraiment où s’il n’est « que le reflet d’une collectivité qui dicte les modes, les critères et les manières d’être²⁵«», est possible car « des choses sont devenues admissibles, qui étaient jusque-là interdites, non seulement par la loi et par la religion, mais aussi par la morale coutumière, la convention et le qu’en-dira-t-on²⁶«». Familles (du 22 mars au 27 août 1989) propose une réflexion sur « les transformations de la famille québécoise depuis la Révolution tranquille²⁷«», et Histoire d’amour et d’éprouvette (du 10 juin au 6 décembre 1990) traite de la procréation assistée. Autant d’expositions qui reflètent la nouvelle réalité sociale québécoise et qui en proposent une lecture.

    Puis, cette mutation des référentiels se double d’une seconde crise, celle du rapport entre les générations : la jeunesse devient une couche sociale autonome. « L’essor d’une culture juvénile spécifique et extraordinairement puissante [témoigne] d’un changement profond des relations entre les générations²⁸.«» Pour l’historien du 20e siècle Eric Hobsbawn, la nouveauté de la culture jeune est triple. Premièrement, la jeunesse n’est plus une étape transitoire entre l’enfance et l’âge adulte, elle a sa propre spécificité. Deuxièmement, elle devient « dominante dans les économies de marché«», car elle représente une « masse concentrée de pouvoir d’achat dans le cadre d’une culture juvénile consciente de son identité²⁹«». Troisièmement, c’est une culture internationale, diffusée et propagée par le tourisme et le réseau des universités, qui s’affiche et se reconnaît dans le blue-jean et la musique rock, marqueurs d’identité matériels et culturels.

    La poussée de la culture populaire

    Mais il y a plus. Pour Hobsbawn, d’une part, la culture jeune est la matrice de la révolution culturelle « au sens de révolution des us et coutumes, des manières d’occuper ses loisirs et des arts commerciaux, qui [forment] de plus en plus l’atmosphère que [respirent] les hommes et les femmes des villes³⁰«». Cette culture jeune, peut-être pour prendre ses distances avec la génération précédente et affirmer sa différence, s’approprie la culture populaire qui avait toujours été considérée inférieure à la culture bourgeoise. Au 19e siècle, par exemple, les musées s’ouvrent à tous les publics avec l’espoir que les membres des classes populaires qui les fréquentent y verront le moyen de s’instruire et d’élever leur esprit³¹. Même au tournant des années 1930, lorsque le musée commence à exposer les objets de la vie quotidienne, la culture et les valeurs des couches populaires, qu’ils évoquent, restent subordonnées aux idéaux de la bourgeoisie³². L’inversion débute au cours des années 1950. Dès lors, l’influence culturelle va progressivement s’exercer du bas vers le haut³³ jusqu’à refléter la diversité culturelle qu’on connaît aujourd’hui³⁴. Même si cette tendance est aussi à l’œuvre au Québec – Les Belles-Sœurs de Michel Tremblay avaient été produites au théâtre dès août 1968 reflétant ainsi dans le monde du théâtre cette évolution culturelle – il faut attendre néanmoins l’ouverture du Musée pour que le champ muséal en prenne acte. Des expositions comme Mémoires, l’exposition permanente lors de l’ouverture du musée, présentée du 20 octobre 1988 jusqu’en 2005, illustrant l’histoire du Québec par des objets tirés de la vie courante et par des témoignages de gens ordinaires ; CBV 980 – 50 ans de radio à Québec, présentée du 20 octobre au 11 décembre 1988 et rappelant que la radio omniprésente dans tous les foyers a su évoluer constamment ; ou encore Jeux : un peu, beaucoup, passionnément, présentée du 17 octobre 1990 au 5 janvier 1992, montrent que le Musée, en abordant résolument l’imaginaire de la vie quotidienne, donne tout son sens au terme musée de société.

    D’autre part, cette culture jeune est antinomiste et individualiste³⁵ : elle tend à se détacher des observances rituelles. Les individus refusent de s’abandonner aux routines, aux traditions, aux rôles et aux normes. Il est interdit d’interdire pouvait-on lire sur les affiches à Paris en 1968 pour bien démarquer les idéaux revendiqués des modèles légitimés et imposés³⁶. Ils préfèrent par-dessus tout expérimenter, pour rechercher la satisfaction et la libération personnelles³⁷. Tutto e subito revendiquaient-ils à Rome en 1969. Toutefois, si Mai 1968 voit « une culture hédoniste et libertaire s’y exprimer«» sur un fond de croissance économique, la crise des années 1970 y substitue « un individualisme moins flamboyant, renvoyant à une compétition accrue entre les individus, dans un contexte de raréfaction des ressources«». C’est-à-dire un individualisme qui, s’étant affirmé publiquement, s’intériorise et se vit dès lors au quotidien et non plus en tant que revendication collective. On peut interpréter ce changement comme un « triomphe de l’individu sur la société³⁸«», mais on peut y voir aussi la montée d’une éthique de l’authenticité³⁹. Ainsi, un double mouvement : d’abord une rupture avec les

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