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Pour une pratique réflexive de l'intervention psychoéducative
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Livre électronique445 pages4 heures

Pour une pratique réflexive de l'intervention psychoéducative

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À propos de ce livre électronique

Cet ouvrage est né d’une préoccupation par rapport à l’importante diminution des espaces de dialogue et de réflexion dans les milieux d’intervention dans lesquels les psychoéducatrices et psychoéducateurs sont appelés à travailler. Il souhaite décrire différents modèles de pratiques réflexives ; (re)valoriser l’apprentissage par l’expérience et lui (re)donner une importance complémentaire au savoir scientifique ; sensibiliser à l’importance des espaces de réflexion et de dialogue pour apprendre dans et sur l’action ; aider les étudiantes et étudiants en psychoéducation, ainsi que les psychoéducatrices et psycho­éducateurs à développer l’habitude d’utiliser des moyens pour prendre du recul par rapport à leurs interactions en stage de formation ou dans leur pratique.

Ce livre contient 9 chapitres, rédigés par 15 intervenantes, intervenants, chercheuses et chercheurs, qui présentent les fondements des pratiques réflexives, des illustrations de pratiques réflexives réalisées dans différents contextes (organismes communautaires Famille, milieux scolaires, milieux éducatifs en petite enfance et centres intégrés de santé et de services sociaux) et des applications concrètes de ces pratiques en psychoéducation (en contexte de supervision et dans un groupe de codéveloppement).
LangueFrançais
Date de sortie7 déc. 2022
ISBN9782760558014
Pour une pratique réflexive de l'intervention psychoéducative
Auteur

Vicky Lafantaisie

Vicky Lafantaisie est professeure au Département de psychoéducation et de psychologie de l’Université du Québec en Outaouais. Elle s’intéresse à la manière dont les situations de négligence et de vulnérabilité sont comprises et traitées à l’intérieur et autour des différentes organisations de services (CISSS, organismes communautaires, écoles, services de garde). Ses travaux portent également sur la mise en place et l’évaluation d’approches, de programmes et d’activités offerts aux familles.  

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    Aperçu du livre

    Pour une pratique réflexive de l'intervention psychoéducative - Vicky Lafantaisie

    Connaissances

    Fondements de

    la pratique reflexive

    Chapitre 1

    Réfléchir sur la pratique de l’intervention psychoéducative et sur son sens

    Jacques Dionne

    Pour qui et pourquoi intervenons-nous et comment intervenons-nous ? Pour répondre à ces questions, il nous semble important de nous appuyer sur des récits d’expériences afin que la pratique réflexive que nous proposons puisse s’ancrer dans l’expérience vécue exprimée à travers ces narrations. L’histoire de la psychoéducation regorge d’exemples en ce sens. Par exemple, dans les différents livres de Gendreau (1978, 1995 ; Gendreau, Lebon et Métayer, 1990), les concepts psychoéducatifs sont très souvent illustrés par des récits d’intervention. Il en est ainsi dans l’ouvrage de Marie-Paule Leduc qui raconte différentes expériences d’accompagnement d’enfants et ce que ces derniers lui ont permis d’apprendre sur eux, sur elle-même et sur ses interventions (Leduc, 2003). Il y a aussi le livre de Ducharme (2002) sur ses 35 ans en psychoéducation et bien d’autres. Toutefois, il semble qu’au cours des dernières années, avec le développement de la recherche et l’accumulation de nouvelles connaissances théoriques, cette dimension du développement des connaissances expérientielles, exprimée à travers des récits d’intervention, a été moins valorisée dans certaines conceptions de gestion ou de recherche. Plusieurs autrices et auteurs ont démontré l’importance de démocratiser tous les types de savoir, soit théoriques, pratiques et expérientiels, afin de lutter contre les injustices épistémiques présentes dans différents domaines, notamment ceux relatifs à la recherche et aux milieux de la santé, des services sociaux et de l’éducation (voir entre autres Aubry et Lemay, 2021 ; Bogaert, 2021 ; Carel et Kidd, 2014 ; Fossier et Gardella, 2010 ; Godrie, 2019 ; Gross et Gagnayre, 2021). L’expression « injustices épistémiques » réfère à « un type d’inégalité qui se manifeste dans l’accès, la reconnaissance, et la production des savoirs » (Bogaert, 2021, p. 127). Ainsi, selon cette idée, certains types de savoir, par exemple ceux produits par la science et les savoirs théoriques, sont davantage valorisés et leur production est réservée aux personnes « détentrices d’un doctorat ou, du moins, d’une formation académique de haut niveau » (Godrie, 2017, p. 101). Cette conception hiérarchique entre les types de savoir explique en partie pourquoi les savoirs d’expérience reçoivent moins d’attention et de considération.

    Ainsi, sans nier l’importance des connaissances et des savoirs théoriques de qualité pour éclairer les interventions, il nous semble nécessaire de redonner au récit sur l’expérience la place qui devrait lui revenir comme une approche favorisant le développement professionnel et l’acquisition de connaissances en intervention psychoéducative. En s’appuyant sur des récits de pratique, ce chapitre montre comment cet ancrage dans l’expérience peut permettre de rendre conscients certains réflexes d’intervention et de générer de nouveaux apprentissages afin d’améliorer la pratique des intervenantes et intervenants.

    Ce chapitre commence par le récit de quelques expériences d’intervention illustrant un questionnement sur le sens de l’intervention psychoéducative (intervenir pour qui et pourquoi ?). Puis, dans une deuxième partie, nous proposons un processus permettant une réflexion sur la conduite de l’intervention (avec qui, quoi, comment ?).

    | Des récits sur le sens de l’intervention psychoéducative

    Au milieu des années 1980, les éducatrices et éducateurs du Centre Cité des Prairies, soucieux de mieux soutenir certains jeunes contrevenants placés en « garde fermée » entre les murs du Centre, avaient créé et implanté de nouvelles activités préparatoires à leur réinsertion sociale grâce à l’initiation au monde du travail. Ces activités étaient conçues pour répondre aux besoins et capacités de celles et ceux pour qui les activités scolaires habituelles ne convenaient pas du tout. Parmi ces activités d’initiation au monde du travail, il y en avait une qui consistait à apprendre à couper des billots de bois, à les fendre et à les corder pour les vendre comme bois de chauffage. Un étudiant de deuxième année de l’École de psychoéducation de l’Université de Montréal, lors de sa première journée de stage de formation pratique dans ce projet, fut complètement déséquilibré par la question d’un jeune qui lui demanda : « Qu’est-ce que tu fais ici ? Tu es à l’université, tu pourrais faire bien d’autres choses que de venir fendre et corder du bois avec des délinquants un lundi matin où il pleut et fait froid. Pourquoi tu fais ça ? » L’étudiant ne sut pas vraiment quoi répondre sur le moment et cette question fut au centre de sa réflexion tout au cours de son stage de formation. À la fin de son stage, il revint sur cette expérience et dit :

    Je sais maintenant ce que je répondrais à ce jeune s’il me reposait cette question aujourd’hui. Je lui dirais : « Et toi, pourquoi tu fais cette activité ? Je trouve important d’être là avec toi pour que nous nous posions la même question. C’est en t’aidant à trouver ta réponse que je vais trouver la mienne. » Cela m’a pris plusieurs semaines à partager cette activité avec lui, à soulever de lourdes billes de bois, à rire par moment, avant de parvenir à nous parler et à échanger de façon plus intime et plus profonde. J’étais triste à la fin de mon stage. Lui, il m’a donné un coup de poing amical sur l’épaule et m’a dit : « Lâche pas mon homme, t’es un bon éducateur ! »

    Une étudiante au programme de maîtrise en psychoéducation avait été très heureuse, dans un premier temps, que la responsable du programme de formation ait accepté sa demande de placement de stage de formation pratique dans un centre d’aide aux femmes victimes de violence conjugale. Toutefois, au retour de sa première journée de stage, elle entra dans le bureau de son superviseur dans un état de grande colère et dit :

    Je ne fais pas une maîtrise en psychoéducation pour changer des couches. Hier, alors que je voulais faire une rencontre avec une mère en crise, mon accompagnatrice professionnelle, qui est une intervenante régulière dans cette maison, m’a demandé de plutôt m’occuper du bébé et de changer ses couches et elle, elle a fait la rencontre. J’étais en colère et je le suis encore. Si c’est cela un stage de maîtrise dans ce milieu, je vais demander de changer d’endroit.

    Pourtant, elle n’a pas changé d’endroit de stage et à la fin de son stage, elle fit cette réflexion :

    J’ai compris ce que Gendreau veut dire, quand il écrit que le psychoéducateur est « le spécialiste des banalités quotidiennes ». C’est à travers le partage des changements de couches et de gestion de pleurs de bébé que cette jeune mère s’est rapprochée de moi et que j’ai pu, avec les collègues, l’assister et l’accompagner dans ces moments de transition importante de sa vie.

    Une psychoéducatrice, qui avait le rôle de superviseure clinique dans son établissement, nous rapporte qu’elle était fortement ébranlée par la grande tristesse vécue par une intervenante de son service et se questionnait sur l’utilité de son rôle : elle-même se sentait démunie devant la situation dramatique d’une mère d’un jeune adulte avec une déficience intellectuelle. Cette mère venait d’apprendre qu’elle souffrait d’un cancer en phase terminale et elle se demandait ce qui arriverait à son fils qu’elle avait réussi à garder avec elle à la maison grâce au soutien de cette intervenante et de son centre de réadaptation en déficience intellectuelle. La superviseure clinique s’interrogeait sur ce qu’elle pouvait faire pour aider cette intervenante à assister cette maman. Mais elle ne trouvait rien et avait l’impression que son rôle était inutile. Après quelques jours de réflexion, elle comprit qu’il s’agissait là de ce que Gendreau et al. (1990) appellent les « questions existentielles », qui sont vécues tant par les accompagnés que par les personnes qui les accompagnent. Que le vécu partagé en psychoéducation, ce n’est pas toujours « faire avec » : il y a des moments où l’important c’est d’« être avec », c’est d’être là avec l’autre, d’être présent, de partager le sentiment d’impuissance de l’intervenante et de la mère. Elle prit conscience que d’être profondément empathique, d’être présente, d’« être avec » est parfois aussi et même plus important que de « faire avec ». Il s’agit là d’un savoir-être, d’un savoir expérientiel à développer et à approfondir pour une pratique réflexive de l’intervention psychoéducative.

    1.1 | Réfléchir à partir de ces récits

    Ces trois exemples, que nous pourrions compléter par plusieurs autres similaires, illustrent bien à quel point la présence de ces questions existentielles devrait être au cœur de la pratique psychoéducative, que ce soit dans un contexte de vécu partagé ou dans celui d’une fonction-conseil. Pour qui, pourquoi, au nom de quoi on intervient ? La recherche de la réponse à ces questions donne un sens à l’intervention en psychoéducation (Gendreau et al., 1990). Parfois, comme dans les exemples qui viennent d’être présentés, l’expérience de la personne qui intervient l’amène à vivre un déséquilibre et à devoir s’y arrêter pour y réfléchir.

    Il arrive aussi que ce déséquilibre ne soit pas provoqué par ses interactions avec des individus, mais plutôt par ses relations avec le milieu d’intervention et son organisation, comme lors d’importants changements administratifs. Ces relations peuvent avoir pour effet de la confronter à des contradictions importantes entre son idéal professionnel et les contraintes administratives avec lesquelles elle doit composer, par exemple le temps à consacrer aux différents rapports et procédures administratives contre le temps qu’elle trouve important de consacrer à ses interventions avec les personnes en difficulté (Gendreau et al., 1999).

    Cette quête de sens, qui est indispensable pour guider les interventions, constitue un défi continuel pour la psychoéducatrice et le psychoéducateur, qui ont besoin de moyens et de temps d’arrêt pour les soutenir dans le développement d’une pratique réflexive (Schön, 1994) de l’intervention psychoéducative. Certes, cette pratique demande de se questionner et de prendre le temps de préparer, d’appliquer et d’évaluer ses interventions en utilisant ses connaissances en matière de savoir et de savoir-faire pour conduire une intervention rigoureuse, intentionnelle et consciente. Mais comme nous venons de le mentionner, la psychoéducatrice et le psychoéducateur ont aussi besoin de s’arrêter parfois pour compléter cette réflexion et identifier ce qui guide leur action professionnelle. Quelles valeurs fondent l’intervention en psychoéducation ? Dans quelle mesure la psychoéducatrice et le psychoéducateur peuvent-ils exercer leur profession en accord avec leurs valeurs, malgré les contraintes imposées par leur environnement ou par leurs paradoxes personnels ? Ces valeurs, comme l’espoir, la justice, la considération, la disponibilité, la confiance, l’authenticité et l’empathie, qui les guident sont une partie intégrante et fondamentale de leur identité personnelle. Elles sont le socle qui définit leur conception de la personne humaine et de son développement, et elles constituent la source de leur motivation profonde à accompagner et à aider des personnes en difficulté d’adaptation ou à risque de le devenir. Il y a un ensemble de questions qui sont relatives au « pour qui » et d’autres au « pourquoi ».

    1.2 | Pour qui ?

    Qui sont, aux yeux de la psychoéducatrice et du psychoéducateur, ces personnes auprès desquelles ils interviennent ? Quelle importance accordent-ils à ces personnes ? Quelle considération ont-ils pour elles ? Quel espoir et quelle confiance ont-ils en leur possibilité de développement et d’amélioration de leur capacité d’adaptation ? Quelques psychoéducatrices et psychoéducateurs que nous avons accompagnés mentionnent que, dans des moments difficiles de changements, d’incohérence administrative ou de rareté des ressources, leur attachement aux personnes constitue leur principale motivation à continuer, à poursuivre leur action. Comme dans les exemples présentés plus haut dans le texte, il y a également le fait que les personnes qui interviennent sont, elles aussi, confrontées à des questions existentielles : « Certains matins, bien que je sois découragée en raison des incohérences de nos gestionnaires, c’est en pensant à nos jeunes que je retrouve le sourire et le goût de passer la journée avec eux », confie une psychoéducatrice en supervision.

    1.3 | Pourquoi ?

    Par son action avec une personne ou un groupe de personnes, est-ce que l’intervention psychoéducative peut contribuer à un effet plus large sur le plan social ? Par exemple, une psychoéducatrice intervenant auprès de personnes vivant avec une déficience intellectuelle sera aussi inspirée par la volonté de contribuer, par son intervention, à l’avènement d’une plus grande justice sociale favorisant une intégration sociale de plus grande qualité pour ces personnes. Ainsi, une pratique réflexive de l’intervention psychoéducative doit se fonder sur la recherche de son sens. Mais elle doit souvent commencer par une réflexion sur sa nature concrète et sur son processus : c’est ce dont nous allons discuter dans la prochaine section. Pour faciliter cette réflexion, nous proposons une façon de faire qui permet de répondre aux questions relatives aux savoirs théoriques (quoi ?) et aux savoirs pratiques (comment ?).

    | Un processus de réflexion sur et à partir de la pratique de l’intervention psychoéducative

    Une pratique réflexive de l’intervention psychoéducative a comme but de mieux comprendre pour mieux intervenir, c’est-à-dire de prendre un temps d’arrêt pour bien analyser la situation ; d’agir d’une façon rigoureuse ; d’apprendre à partir de l’expérience et de faire des liens entre les différents éléments qui ont été en interaction durant l’expérience afin de l’évaluer et d’essayer de mieux comprendre ce qui s’est passé pour tenter d’améliorer les prochaines interventions. En bref, cette réflexion cherche à favoriser l’application consciente du modèle d’intervention psychoéducative dans ses trois dimensions, soit une conception théorique de l’intervention comme un système ayant une structure d’ensemble, une méthode d’opérations professionnelles à effectuer (p. ex. l’observation, l’évaluation préintervention, la planification) et une rigueur sur le plan du savoir-être dans l’interaction qui s’exprime par des attitudes nommées « schèmes relationnels » (p. ex. la considération, la sécurité, la confiance).

    À cette fin, la pratique réflexive de l’intervention psychoéducative demande un arrêt, une pause avant et après l’action. Nous avions déjà illustré ce processus de réflexion par l’acronyme RIRE, soit « R » pour « Réfléchir », « I » pour « Intervenir », « R » pour « Réfléchir » et « E » pour « Évaluer » (Dionne, 2000). À la suite des réflexions faites avec des praticiennes et praticiens, et des personnes qui étudient dans le domaine de la psychoéducation au cours des dernières années, nous l’avons légèrement corrigé pour le formuler ainsi : RIR + E. En effet, il nous est apparu que ces processus (réfléchir et évaluer) sont profondément reliés et quasi indissociables.

    2.1 | R : Réfléchir

    Le premier temps de réflexion est celui qui précède l’action. Il s’agit à la fois d’un arrêt et d’un temps de recherche d’information dans l’expérience vécue antérieure et dans la documentation. Réfléchir sur l’expérience vécue, c’est un temps d’écoute, d’observation et d’analyse pour bien comprendre le contexte, la nature du problème précis. En ce qui concerne la recherche de documentation, soit dans les écrits scientifiques, soit dans les documents officiels (guides de pratiques, procédures, lois et règlements), il s’agit de consulter ou de se remémorer ce qui existe dans les écrits comme renseignements pouvant aider à comprendre le contexte et la nature de la problématique en jeu dans la situation d’intervention. Par exemple, consulter et se remémorer l’information existante sur les bonnes pratiques en milieu scolaire pour prévenir le décrochage. En ce qui a trait à l’expérience vécue, il s’agit de partir des observations faites avec une personne au cours des moments de suivi puis de formuler des hypothèses de compréhension des besoins et des capacités de cette personne et de son environnement afin de définir des objectifs, des moyens et des stratégies d’action pour une intervention pertinente. Cet arrêt préintervention permet de prendre un recul afin de bien évaluer le potentiel d’adaptation de la personne (PAD) ainsi que les éléments du contexte et de l’environnement pouvant influencer l’intervention, soit le potentiel d’expérience (PEX). Dans le cadre d’une intervention en vécu partagé, les interactions se déroulent rapidement et il n’est pas toujours facile de prendre ce temps de recul. Mais celui-ci est indispensable même s’il ne peut qu’être très court dans ce contexte où tout va vite. Quelques secondes suffisent parfois pour que la psychoéducatrice ou le psychoéducateur se demande ce qui se passe et puisse prendre la distance critique nécessaire pour éviter de se retrouver en pure réaction impulsive et pouvoir, au contraire, parvenir à intervenir d’une façon appropriée, réfléchie et consciente en ayant fait une évaluation rapide de la situation.

    Leurs connaissances ainsi que leur expérience constituent des outils qui vont faciliter ce recul, cette mise à distance. Par exemple, face à un enfant qui est en colère et qui provoque la personne qui intervient en l’accusant d’« être injuste, de lui en vouloir, de toujours chercher à le prendre en défaut et de le punir », cette dernière sera capable d’éviter de répondre à cette forme de provocation, car ses connaissances et son expérience lui permettent de comprendre qu’il s’agit d’une manifestation des difficultés de l’enfant. Sa connaissance d’elle-même l’aidera aussi à reconnaître et à nommer les émotions qu’elle éprouve dans cette situation, ce qui facilitera la prise de distance émotive et la distinction entre ce qui lui appartient à elle et ce qui appartient à l’enfant.

    En plus de ces connaissances expérientielles en matière de savoir-faire et de savoir-être, il y a aussi les connaissances issues des écrits scientifiques qui peuvent aider à conserver une distance critique dans certaines situations de vécu partagé avec des personnes ayant des difficultés spécifiques d’adaptation. Par exemple, avec un enfant ayant des problèmes sévères d’attachement, une éducatrice a pu apprendre qu’avec cet enfant, il y aura fort probablement dans le développement de la relation une alternance entre des périodes de relation quasi fusionnelle et d’autres de rejet relationnel (Bowlby, 2002 ; Lemay, 1979). Cette connaissance peut l’aider à éviter le piège de devenir trop proche de l’enfant quand il est en quête d’un attachement fusionnel ou de répondre par le rejet à ses tentatives de ruptures relationnelles. Toutefois, dans certaines de ces situations d’interactions émotives particulièrement chargées, elle aura aussi besoin d’un temps de recul supplémentaire en dehors de ces situations afin de profiter d’un soutien en rencontres de supervision, de consultation ou d’entraide au sein de son équipe d’intervention (Puskas, 2020).

    Dans d’autres contextes, ce temps de réflexion avant l’intervention peut être plus long. Il peut alors, par exemple, inclure un moment d’évaluation méthodique comprenant à la fois l’utilisation d’instruments d’évaluation validés scientifiquement et un ensemble d’observations faites en contexte de vécu partagé afin de bien comprendre le problème d’adaptation qui est en jeu avec tel enfant en particulier et de faire une bonne évaluation de ses capacités et vulnérabilités de manière à éclairer le plan d’intervention à formuler.

    Au cours de leur formation, les étudiantes et étudiants de plusieurs des programmes de psychoéducation ont à faire l’exercice de planifier une activité qu’ils comptent réaliser durant leur stage. Cela leur demande de prendre le temps de réfléchir à l’activité qu’ils veulent animer en s’inspirant des connaissances apprises dans leurs cours théoriques : notion de structure d’ensemble avec les diverses composantes ; évaluation du PAD ; précision du PEX et autres notions (Daigle, Renou et Bolduc, 2020 ; Gendreau, 2001 ; LeBlanc, 2020 ; Limoges, 2020 ; Renou, 2005).

    Dans les activités de formation continue réalisées depuis quelques années dans certaines organisations de services (des centres intégrés de santé et de services sociaux [CISSS], des écoles, des centres de la petite enfance), on fait faire ce même genre d’exercice à des éducatrices et éducateurs spécialisés et à des psychoéducatrices et psychoéducateurs qui cherchent à améliorer leurs compétences pour planifier des activités de prévention ou de réadaptation rigoureuses en appliquant le modèle d’intervention psychoéducative. Cette réflexion préintervention, qu’elle soit faite en dehors de la situation comme dans les exemples ci-haut ou dans le contexte d’un vécu partagé immédiat, a pour but de conduire une intervention la mieux éclairée possible. Car si, dans l’interaction propre à l’intervention psychoéducative, on vise à ce que la personne se mette en activité, s’approprie les objectifs, fasse l’effort de les atteindre, et soit le pôle actif de ce système, la psychoéducatrice ou le psychoéducateur doit intervenir d’une façon consciente, être le pôle de conscience de ces interactions, c’est-à-dire avoir défini des objectifs à son intervention et s’en rappeler en cours d’action. Bref, savoir où l’intervention mène. Par exemple, si la psychoéducatrice ou le psychoéducateur a préparé une activité sportive dans un contexte de programme de réadaptation, d’autres buts que celui de seulement faire jouer les jeunes sont poursuivis. Cela demande que la personne responsable de l’intervention psychoéducative ait une bonne connaissance des jeunes ainsi que du programme d’intervention dans le cadre duquel elle agit. Pour cela, elle doit être présente et réfléchir à ce qui se passe et à comment elle prévoit intervenir. On peut expliquer autrement la démarche qu’elle a à faire en disant qu’elle est appelée à réaliser de façon consciente ses trois premières opérations professionnelles et à les appliquer de façon consciente. Elle observe et s’informe, elle analyse et évalue les potentiels de la personne et de l’environnement, puis elle planifie son intervention (Réfléchir) et, par la suite, elle intervient. Pour se guider dans cette réflexion, elle s’est inspirée de la conception de la structure d’ensemble de l’intervention psychoéducative (Gendreau, 2001 ; Limoges, 2020 ; Renou, 2005) et elle a appliqué son savoir-faire relativement aux trois premières opérations de la méthode psychoéducative, soit l’observation, l’évaluation préintervention et la planification (Daigle et al., 2020).

    2.2 | I : Intervenir

    Cette réflexion préintervention étant faite, la psychoéducatrice ou le psychoéducateur est potentiellement prêt pour intervenir (I), c’est-à-dire que les conditions nécessaires à la poursuite et à l’atteinte des objectifs par la personne sont mises en place à l’aide des composantes satellites (Limoges, 2020) de la structure d’ensemble de l’intervention : le temps, l’espace, les règles et procédures, le système de partage des responsabilités, le système d’évaluation et de reconnaissance, et les moyens de mise en relation (Gendreau, 1978). Dans certaines situations, le rôle mutuel des parents ou des collègues de l’équipe multidisciplinaire est précisé dans la planification de cette activité ou moment de vie (Gendreau, 1995, 2001 ; Renou, 2005). Puis, la situation est animée de manière à permettre à la personne accompagnée ou au groupe de personnes de se mettre en activité, de s’animer à leur tour. Des moyens de mise en relation appropriés aux capacités des personnes à atteindre les objectifs sont utilisés, moyens de mise en relation ayant été planifiés autant à partir de la littérature professionnelle et scientifique qu’à partir de la réflexion de la psychoéducatrice ou du psychoéducateur sur son expérience pratique. Durant l’activité, il peut arriver des incidents complètement imprévus qui vont nécessiter un réajustement, une adaptation des moyens mis en place. Cela va lui poser un défi particulier sur le plan de la souplesse pour adapter les moyens prévus tout en ne perdant pas de vue ses objectifs. Pour être capable d’une telle souplesse, la personne responsable de l’intervention devra faire appel à sa sécurité intérieure professionnelle et personnelle (savoir expérientiel qui s’exprime dans un savoir-être sous la forme de schèmes relationnels [LeBlanc, 2020]) et s’appuyer sur ce qu’elle a appris au cours de ses expériences antérieures (savoir expérientiel pour un

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