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Enseigner à la formation générale des adultes: Une pratique et un contexte à découvrir
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Enseigner à la formation générale des adultes: Une pratique et un contexte à découvrir
Livre électronique348 pages5 heures

Enseigner à la formation générale des adultes: Une pratique et un contexte à découvrir

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À propos de ce livre électronique

L’enseignement à la formation générale des adultes (FGA) se pratique dans un secteur éducatif très ouvert qui propose aux apprenants adultes une diversité de voies pour réaliser leur projet de formation. La FGA comporte toutefois plusieurs particularités – approches d’enseignement, fonctionnement en classe, diversité de services, précarité d’emploi du personnel – qui en influencent la pratique.

Cet ouvrage s’appuie sur nombre de travaux de recherche et sur six récits d’enseignantes qui révèlent les défis propres à leur contexte d’enseignement. À partir de ces récits qui traduisent certains enjeux typiques de la FGA, des propositions pour dénouer les difficultés sont formulées. L’ouvrage offre également plusieurs ressources utiles pour la pratique.

Préparé pour le personnel enseignant de la FGA de toutes disciplines, cet ouvrage est aussi d’intérêt pour les personnes conseillères pédagogiques, les directions d’établissement, les équipes de recherche et les personnes qui offrent de la formation universitaire. Il se veut utile autant pour l’intervention auprès des adultes que pour la réflexion et l’adoption d’une pratique éthique.
LangueFrançais
Date de sortie13 sept. 2023
ISBN9782760558465
Enseigner à la formation générale des adultes: Une pratique et un contexte à découvrir

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    Aperçu du livre

    Enseigner à la formation générale des adultes - Brigitte Voyer

    L’enseignement à la formation générale des adultes

    Pratiquer dans la complexité

    CIBLES

    •Prendre conscience de l’étendue du secteur de la formation générale des adultes et de la diversité de ses services.

    •Sensibiliser aux spécificités de la carrière enseignante à la formation générale des adultes.

    •Réfléchir à la dimension de la responsabilité collective à l’égard du soutien au développement de la compétence à lire et à écrire des adultes afin de contribuer aux efforts collectifs du maintien du patrimoine culturel.

    Vivre une carrière en enseignement auprès de personnes adultes est une expérience qui exige un engagement important. Cette profession incite aussi à la réflexion sur sa pratique. Pour bien s’engager et cheminer professionnellement, une connaissance de son contexte de travail est essentielle. Ce premier chapitre souligne le fait que le milieu de la formation générale des adultes (FGA) comporte plusieurs particularités qu’il est profitable de bien connaître. Pour cela, nous décrirons tout d’abord quelques éléments propres à son histoire, à son offre de services et à son environnement. Puis, nous aborderons brièvement la question des conditions de travail du personnel enseignant de la FGA. Ensuite, nous traiterons de la responsabilité qui incombe à tout le personnel enseignant, soit celle d’agir comme « passeur culturel » en accompagnant les adultes dans le développement d’une compétence particulière, celle de lire et d’écrire, afin d’acquérir une formation de base.

    1.La formation générale des adultes: un secteur éducatif unique au monde

    Enseigner à la FGA permet de participer à un ambitieux projet collectif: rehausser la scolarisation de la population québécoise et donner accès à l’éducation au plus grand nombre de personnes. Ce projet trouve ses origines au milieu des années 1960 lorsque la FGA a vu le jour dans la foulée des recommandations de la Commission royale d’enquête sur l’enseignement dans la province de Québec présidée par Mgr Alphonse-Marie Parent (commission Parent). À cette époque, la société québécoise souhaitait se doter d’un système scolaire public, ouvert à tous, unifié et intégré qui couvrirait les études de la maternelle à l’université. Quelques années avant le dépôt du rapport de la commission Parent, un comité spécial présidé par Claude Ryan avait recommandé au Québec de se doter de programmes qui seraient adaptés aux adultes. C’est ainsi que l’État a commencé à soutenir un vaste réseau d’organismes voués à l’éducation des adultes, dont le secteur de la FGA (Voyer, Potvin et Bourdon, 2014). Suivant les avis du comité Ryan, la FGA offrait divers services, certains avec des composantes d’une éducation formelle et d’autres moins formelles, comme cela est encore le cas aujourd’hui (Chabot, 2002, cité dans Turgeon, Bourque et Thibeault, 2007). Dès ses débuts, la FGA a fait partie du système scolaire québécois en étant associée à l’ordre d’enseignement secondaire (Ministère de l’Éducation [MEQ], 2022). Sur le plan administratif, l’éducation des adultes est maintenant gérée au sein de la Direction de l’éducation des adultes et de la formation professionnelle.

    La FGA fait aussi partie de ce qu’on nomme communément le réseau de l’éducation des adultes. Celui-ci est particulièrement vaste. Il est composé de nombreuses organisations publiques, associatives, privées et communautaires qui offrent des activités éducatives plus ou moins formelles (figure 1.1).

    FIGURE 1.1.

    La FGA au confluent des deux champs éducatifs

    Les services éducatifs de la FGA sont organisés de façon telle que les personnes intervenant dans ce vaste réseau sont souvent amenées à « agir en partenariat » (MEQ, 2002). Effectivement, la contribution d’organisations communautaires, de services de loisir, d’entreprises, de services de main-d’œuvre, de cégeps et d’autres organismes est fréquente à la FGA. L’enseignement à la FGA se fait dans un système ouvert qui propose aux adultes une diversité de voies pour réaliser leur projet de formation. D’ailleurs, une telle orientation est encouragée par la Politique d’éducation des adultes et de formation continue (MEQ, 2002).

    L’enseignement à la FGA se fait dans un système ouvert qui propose aux adultes une diversité de voies pour réaliser leur projet de formation.

    Cette ouverture qui caractérise la FGA vise à répondre aux besoins d’adultes dont on sait qu’ils vivent des situations de vie et des enjeux qui influencent souvent leur projet de formation. Pour bien réussir leur mission, les centres d’éducation des adultes (CEA) offrent des services variés et diverses mesures visant à favoriser la poursuite des études chez les adultes et leur réussite. Dix services d’enseignement sont offerts conformément au Régime pédagogique de la formation générale des adultes (Loi sur l’instruction publique [LIP], D. 652-2000, a. 3.). On compte comme services d’enseignement ceux spécialement destinés à l’aide à la démarche de formation de l’adulte. Mais la FGA rend aussi d’autres services éducatifs, comme les services d’éducation populaire et les services complémentaires (MEQ, 2021b, p. 15-16). Cet ouvrage s’intéresse principalement à des situations qui concernent les services d’enseignement. Toutefois, il est bien de savoir que le personnel enseignant peut être amené à collaborer avec des personnes œuvrant dans ces autres services.

    La FGA se caractérise également par la souplesse des services offerts. En effet, les adultes ont la possibilité de s’inscrire et de commencer leurs études à divers moments de l’année. À la FGA, on permet à ces adultes d’interrompre leurs études et de les reprendre plus tard (MEQ, 2021b). Cette possibilité repose sur le constat que la plupart des adultes doivent assumer des responsabilités importantes. Cela demande souvent une attention immédiate, ce qui rend difficile la poursuite régulière des études. Cela peut être le cas, par exemple, lors de l’obtention d’un nouvel emploi ou lorsque survient une maladie, un divorce, un déménagement ou la naissance d’un enfant. Suivant cette perspective, un adulte qui interrompt ses études peut être considéré autrement que comme décrocheur. D’ailleurs, ce terme désigne assez mal les jeunes adultes qui poursuivent leurs études au secteur des adultes sans les interrompre (Rousseau et al., 2010), par exemple lorsqu’il s’agit de personnes immigrantes entreprenant des études au Québec du fait qu’elles ont grandi dans un pays où le système scolaire était précaire (Potvin et Leclercq, 2014).

    Un adulte qui interrompt ses études peut être considéré autrement que comme décrocheur.

    C’est également par considération pour des enjeux propres à la vie adulte et dans le but d’augmenter l’accessibilité que la FGA a privilégié un fonctionnement sur la base des entrées continues et sorties variables. De même, la visée d’accessibilité justifie que plusieurs services d’enseignement sont offerts en mode individualisé. Cela permet aux adultes de trouver une place en classe dès le moment de leurs inscriptions à la FGA, indépendamment de leurs niveaux académiques, du cours à suivre ou du moment de leur inscription. Tout au long de l’année, les CEA sont ouverts et reçoivent de nouveaux adultes désireux de poursuivre des études. Comme l’ont observé Rousseau et al. (2010), l’approche individualisée est appréciée de certaines personnes. Selon ces chercheurs, les jeunes adultes y voient plusieurs avantages. Par exemple, des jeunes mères en formation apprécient cette formule d’enseignement, car elle peut les aider à concilier les études et la vie familiale (Mercier, 2019). D’autres études, comme celle de Potvin et Leclercq (2014), indiquent toutefois que d’autres adultes l’apprécient beaucoup moins. On observe notamment que la formation individualisée exige une grande capacité d’autonomie qui peut être difficile à mobiliser pour certains jeunes adultes. D’ailleurs, au fil du temps, les jeunes adultes sont devenus de plus en plus nombreux à fréquenter la FGA (Doray et Bélanger, 2014). Du reste, dès le milieu des années 1960, le fait que les CEA n’aient pas besoin d’attendre de former un groupe complet d’apprenants pour commencer un cours était considéré comme un bénéfice social de grande importance.

    Il est essentiel que le personnel de la FGA connaisse l’ouverture et la souplesse qui caractérisent l’organisation de ces services éducatifs. L’enseignement doit s’inscrire dans l’esprit de la philosophie et des orientations d’origine visant l’accessibilité à l’éducation et le respect de l’autonomie des adultes. Nous verrons cela plus amplement dans cet ouvrage.

    2.Une carrière à la FGA: pratiquer sa profession dans un contexte de précarité d’emploi

    Nous venons de décrire quelques spécificités de la FGA qui devraient influencer la manière d’intervenir auprès des adultes apprenants. Mais ces aspects touchent surtout les orientations et les services des CEA. Or, le fonctionnement particulier des CEA conditionne également la manière de vivre une carrière d’enseignement dans ce secteur. Un CEA, c’est aussi un milieu de travail. Les règles de financement des établissements influencent de manière importante la dynamique interne dans le CEA. Les règles d’embauche et les conditions de travail relèvent des conventions collectives, la convention nationale et la convention locale. Or, il est connu que le personnel enseignant de la FGA a la situation d’emploi la plus précaire au sein de l’ensemble du corps enseignant du réseau scolaire au Québec. En effet, 72% des personnes enseignantes de la FGA ont un statut précaire. Plus précisément, en 2019-2020, 40% du personnel enseignant de la FGA détenait un statut d’engagement « taux horaire » et 32% un statut « temps partiel ». Seulement 28% étaient engagés à « temps plein » (MEQ, 2021a). À notre connaissance, un certain nombre de personnes enseignent aussi sans qualification légale, une situation qui peut limiter la progression de leur carrière (Voyer, Brodeur et Meilleur et Sous-comité de la Table MELS-Universités de la formation à l’enseignement des adultes, 2012) compte tenu du Règlement sur les autorisations d’enseigner (RAE) (LIP-RAE, 2022).

    Le personnel enseignant de la FGA a la situation d’emploi la plus précaire au sein de l’ensemble du corps enseignant.

    Malheureusement, le MEQ manque de données statistiques et descriptives portant sur la situation d’emploi du personnel enseignant de la FGA. Il est alors difficile de décrire exactement les répercussions de la précarité d’emploi sur le développement de carrière ou son influence sur les pratiques d’enseignement. Cependant, les études menées par Mukamurera sur la précarité d’emploi en enseignement offrent quelques observations intéressantes, même si elles ne portent pas précisément sur la situation à la FGA. À ce sujet, relevons quelques aspects. D’abord, la précarité affecte la mobilité professionnelle: le personnel enseignant sans emploi régulier vit des changements fréquents d’établissements ainsi que des changements de niveaux. Chez le personnel débutant surtout, l’embauche se fait à la dernière minute (Gingras et Mukamurera, 2008). Ensuite, le personnel précaire a une tâche d’enseignement plus diversifiée que celle des collègues en situation d’emploi régulier (Mukamurera et Martineau, 2009). Puis, il n’est pas rare que les personnes enseignent des matières pour lesquelles elles n’ont pas été formées. Une étude récente de Moscoso, Casavant et Tardif (2021) fait le même constat. On comprend que le personnel au statut d’emploi précaire risque alors d’avoir une connaissance moins approfondie des savoirs à enseigner du fait qu’il n’obtient pas nécessairement les contrats d’enseignement qui correspondent à la spécialité pour laquelle il a été formé. Avec raison, Mukamurera et Martineau (2009, p. 56) soulignent aussi que, par rapport à la précarité d’emploi, « les conséquences sont inégales d’une personne à l’autre » et que plusieurs facteurs en influencent l’expérience: la « nature des tâches demandées, la culture, les ressources du milieu ainsi que les ressources personnelles sur les plans cognitif, affectif, social et financier ».

    Il est possible de mener une longue carrière à la FGA et d’y trouver satisfaction, malgré la précarité statutaire.

    Nos travaux sur les professionnels en situation d’intermittence (Voyer, 2002, 2010) révèlent aussi que le changement répétitif d’emploi n’est pas vécu pareillement par tous. Nos observations sur le terrain de la FGA permettent de constater qu’il est possible de mener une longue carrière à la FGA et d’y trouver satisfaction, malgré la précarité statutaire. Du reste, l’une des rares études qualitatives sur la précarité d’emploi à la FGA, celle de Messing et Seifert (2002, p.104-106-107), en montre plusieurs effets négatifs. Leur étude menée dans deux CEA auprès de 14 personnes suggère que les conditions de travail précaires suscitent chez ces enseignantes de la « rivalité », de la « méfiance », un « esprit de compétition » ainsi que la perception, chez ce personnel, d’un « arbitraire patronal dans l’affectation des contrats ». D’autres études seraient nécessaires pour saisir les effets de la précarité d’emploi sur les conditions d’exercice du travail enseignant à la FGA. Nous mentionnons plus loin dans cet ouvrage d’autres observations montrant l’influence des conditions de travail sur l’enseignement aux adultes qui ont été révélées au cours de notre recherche-action.

    Malgré les contraintes associées à la précarité statutaire et à des conditions d’emploi considérées comme désavantageuses dans les CEA, il semble que des personnes préfèrent de loin l’enseignement aux adultes. Ces personnes y voient plusieurs aspects positifs, notamment la maturité des adultes en formation. Elles trouvent aussi intéressant d’intervenir auprès de personnes ayant une longue expérience de vie, en particulier dans les services de francisation où le public est généralement plus âgé. Même s’il y a des profils très divers chez les adultes, des personnes enseignantes disent remarquer chez eux une plus grande motivation pour les études, alors que d’autres apprécient le fait qu’il y a moins de gestion de classe à faire auprès des adultes.

    Du reste, retenons que la précarité d’emploi à la FGA est une réalité à considérer lorsqu’on décide de mener une carrière dans ce secteur. En effet, celle-ci exige de la part du personnel enseignant à la fois de la polyvalence, une tolérance forte à l’incertitude et l’aptitude à faire face à la nouveauté. Pratiquer en contexte de précarité implique de cultiver certaines compétences en matière de gestion de la carrière enseignante à la FGA. En particulier, il est bon d’entretenir une certaine vigilance à l’égard des procédures, règles et mesures d’attribution des contrats de travail et des tâches d’enseignement. Concrètement, cela signifie de s’informer des offres de contrats, des dates d’attribution et des règles d’ancienneté. Pour cela, la connaissance des conventions collectives – locale et nationale – est importante. Il s’avère souvent utile de développer une agilité à repérer les besoins organisationnels, tout en faisant preuve d’initiative pour proposer des projets spéciaux potentiellement stimulants pour les CEA ou y participer. Malgré les défis posés par la précarité en matière de socialisation avec les collègues de travail, il est opportun d’éviter l’isolement professionnel et de se joindre à sa communauté professionnelle (comité de travail, syndicat, associations professionnelles).

    3.Une responsabilité partagée: soutenir le développement de la compétence à lire et à écrire

    Une carrière à la FGA comporte une responsabilité partagée entre les personnes enseignantes concernant la langue d’enseignement. Bien que le français soit la langue officielle du Québec, selon la Charte de la langue française, le statut du français a été et est encore aujourd’hui la source de nombreux débats. Le français comme langue d’enseignement renvoie alors à une question hautement politique, ce qui peut complexifier encore davantage l’enseignement à la FGA. En effet, le personnel enseignant accompagne des personnes au parcours fort diversifié; certaines d’entre elles ont un rapport difficile avec la langue, ce qui complique leur apprentissage. Pensons aux personnes qui expriment des résistances à l’égard du français et son statut de langue officielle. Pensons aussi aux adultes dont l’obtention d’un diplôme vise surtout une insertion professionnelle rapide sans préoccupation particulière pour la qualité de la langue. Dans un tel contexte, les personnes enseignantes peuvent envisager leur rôle en inscrivant leur intervention éducative dans la perspective des efforts collectifs qui sont déployés pour préserver et maintenir un patrimoine linguistique et culturel francophone. Le Référentiel des compétences professionnelles de la profession enseignante invite le personnel enseignant à considérer la langue comme « objet de culture et rapport à la culture » (MEQ, 2020, p. 21). Le Ministère associe même les questions de la langue d’enseignement et de la culture à 2 compétences fondatrices parmi l’ensemble des 13 compétences qu’il prescrit pour la profession enseignante. Tout le personnel enseignant est donc appelé à jouer le rôle de « passeur de culture » (MEQ, 2020, p. 48).

    Dans les programmes d’études dont le français est la langue d’enseignement en FGA, soit le contexte linguistique et scolaire auquel s’est intéressée notre recherche-action, le français constitue en soi une matière balisée par les cours que donnent les spécialistes du français. Ces personnes assument la responsabilité de l’enseignement de cette langue (figure 1.2). Mais cette responsabilité est aussi partagée avec l’ensemble du personnel enseignant au regard la LIP.

    FIGURE 1.2.

    Les questions de langue et de culture: une responsabilité partagée

    En effet, l’article 22 de cette loi fait reposer le devoir de « prendre les mesures nécessaires pour promouvoir la qualité de la langue écrite et parlée » (LIP, 2022) sur tout le personnel enseignant. Dans ce contexte, compte tenu de la centralité politique, sociale, culturelle de cette langue, les attentes sociales sont importantes envers les personnes enseignantes.

    Compte tenu de la centralité politique, sociale, culturelle de cette langue, les attentes sociales sont importantes envers les personnes enseignantes.

    En plus de la loi qui confie le partage des responsabilités en matière de langue d’enseignement à l’ensemble du corps enseignant, une autre raison peut convaincre celui-ci d’assumer ces responsabilités: celle de la spécificité de la langue d’enseignement, écrite et parlée, dans leur matière. Chaque matière comporte effectivement des spécificités: une culture disciplinaire, un lexique, des manières de penser cette matière et d’en parler, ainsi que des façons particulières d’écrire à son sujet. Si l’usage de la langue comporte des spécificités propres à chaque matière et à son contexte d’enseignement et d’apprentissage, on peut penser que les meilleures personnes pour enseigner ces spécificités sont les personnes enseignantes de cette matière. L’un des motifs justifiant l’intérêt à partager les responsabilités en matière de langue d’enseignement va dans le sens de nombreuses recherches qui tendent vers un consensus: lire et écrire sont des activités hautement contextualisées. La lecture et l’écriture sont de moins en moins considérées comme un ensemble de compétences monolithiques transférables d’un contexte à un autre. Ces compétences sont plutôt conçues comme étant toujours fortement influencées par le contexte. Cela signifie qu’une personne enseignante d’univers social peut se sentir interpellée par la spécificité de l’utilisation de la langue, incluant la langue écrite, dans sa matière. Cette spécificité peut certes s’exprimer dans les termes utilisés. Par exemple, le terme espace n’a pas le même sens dans un cours de science que dans un cours d’univers social. Elle peut aussi s’exprimer dans les nombreux médiums de la langue et dans l’usage que les adultes apprenants en font: un tableau périodique ou une carte géographique, par exemple. C’est désormais l’idée du pluriel des contextes et des usages, toujours spécifiques, qui est retenue pour penser et représenter la lecture et l’écriture. On pense aux travaux sur les littératies (p. ex. Barton et Hamilton, 1998; Masny, 2009; New London Group, 1996; Street, 2003) ou sur les pratiques de l’écrit (p. ex. Bélisle, 2012; Mercier, 2017; Thériault et Bélisle, 2020).

    Dans cette perspective, le concept de « littératie disciplinaire [disciplinary literacy] » peut être aidant pour penser et mettre en application le partage des responsabilités en matière d’enseignement et d’apprentissage de la lecture et de l’écriture. Ce partage des responsabilités est important en FGA pour favoriser le maintien et le développement des compétences en littératie des adultes. En multipliant les situations où la littératie disciplinaire est enseignée dans les cours autres que ceux de langue, les adultes apprenants auront un grand nombre d’occasions pour exprimer leurs compétences dans la littératie spécifique à chaque domaine d’apprentissage. Un consensus se dégage autour du concept de « littératie disciplinaire » (Buehl, 2011; Lee et Spratley, 2010; Moje, 2008; Ouellet, Dubé et Boultif, 2016; Shanahan et Shanahan, 2008). Celle-ci inclut la présence de pratiques de lecture et d’écriture spécialisées pour une discipline ou pour un domaine d’apprentissage donné.

    Le partage des responsabilités est important pour favoriser le maintien et le développement des compétences en littératie des adultes.

    Avec un enseignement et un accompagnement appropriés par l’ensemble du personnel enseignant, les adultes sont plus susceptibles de développer graduellement leur habileté à lire, à écrire et à réfléchir selon les modalités qui caractérisent chaque discipline scolaire. Ils peuvent s’approprier une façon de lire ou d’écrire, par exemple en histoire, en mathématiques ou en biologie, spécifique à une discipline (Buehl, 2011). Chaque discipline ou contenu disciplinaire présuppose des connaissances antérieures précises sur la manière de lire ou d’écrire un texte dans le domaine étudié (Lee et Spratley, 2010).

    C’est donc avec la perspective d’une responsabilité partagée par l’ensemble du personnel enseignant de la FGA pour permettre le développement des compétences à lire et à écrire en français langue d’enseignement et pour contribuer au maintien du patrimoine culturel que nous aborderons la suite du présent livre. D’ailleurs, l’idée d’un tel engagement de la communauté éducative était déjà valorisée par le Conseil supérieur de l’éducation (CSE, 2013) dans son avis de 2013 Un engagement collectif pour maintenir et rehausser les compétences en littératie des adultes. Tout au long de cet ouvrage, nous ferons principalement référence à des situations de personnes qui enseignent le français langue d’enseignement, la recherche-action que nous avons menée s’y étant directement intéressée. Si nous fournissons les récits de ces personnes et, par la suite, des exemples et des illustrations concrètes se rapportant à cet enseignement spécifique, notre propos est également d’ordre plus général et pourra intéresser l’ensemble du personnel de la FGA.

    ÉLÉMENTS À RETENIR

    Une bonne connaissance des nombreux services de la FGA et des ressources offertes par d’autres organismes du réseau de l’éducation des adultes est importante pour bien accompagner les personnes apprenantes.

    Bien que la précarité d’emploi demande une tolérance à l’incertitude et de l’adaptation, il est possible de se développer professionnellement au secteur de la FGA et d’apprécier les avantages d’enseigner à des personnes adultes.

    La profession enseignante comporte une importante dimension culturelle et l’une de ses manifestations consiste à promouvoir la qualité de la langue auprès des adultes. Cette mission doit être portée par l’ensemble du personnel enseignant de la FGA.

    QUESTIONS CLÉS

    Depuis le milieu des années 1960, la FGA fait partie d’un vaste réseau d’organisations voué à donner accès à la scolarisation à tous les adultes du Québec. En tant que membre ou futur membre du personnel à la FGA, en quoi vos actions individuelles ou collectives contribuent-elles à cette mission?

    Pour plusieurs, la carrière enseignante à la FGA se caractérise par la précarité d’emploi. Quels moyens peuvent aider à composer avec cette précarité?

    Que pensez-vous de l’idée que l’ensemble du personnel enseignant a la responsabilité de promouvoir la qualité de la langue écrite et parlée des adultes apprenants?

    Que retenez-vous au sujet de la notion de « littératie disciplinaire »?

    L’enseignement aux adultes

    Cadre conceptuel et démarche collaborative

    CIBLES

    •Saisir le cadre conceptuel employé pour analyser les situations d’enseignement décrites dans cette recherche.

    •Se familiariser avec des concepts qui décrivent l’enseignement à la formation générale des adultes.

    •Prendre connaissance des étapes de la démarche de recherche-action ayant permis à des enseignantes de faire la narration de leur expérience sous forme de récits de pratique et d’en discuter en groupe.

    Le chapitre précédent a présenté quelques éléments de base pour se situer dans l’univers de la Formation générale des adultes (FGA) et pour mettre en évidence le fait que l’ensemble du corps enseignant a une responsabilité à l’égard du développement de la formation de base d’adultes apprenants, notamment pour les aider à lire et à écrire. Ce chapitre-ci se penche spécialement sur la démarche de recherche que notre équipe a entreprise pour mieux comprendre comment se réalise l’enseignement à la FGA, plus particulièrement l’enseignement de la lecture et de l’écriture. Pour développer cette connaissance, nous avons invité des enseignantes à raconter comment elles s’y prennent pour aider les adultes dans leur apprentissage et à décrire leur contexte de travail. Deux conseillères pédagogiques ont également participé au projet. Nous avons choisi de réaliser cette démarche à travers une recherche-action avec la conviction qu’un partenariat entre le milieu universitaire et le milieu de l’enseignement pouvait être profitable pour développer le savoir sur l’enseignement. Dans une visée de collaboration, les personnes chercheuses, les enseignantes et les conseillères pédagogiques ont formé un groupe de discussion pour analyser des situations d’enseignement en vue de développer un savoir nouveau, lequel a contribué directement à la préparation de cet ouvrage. Ce chapitre est consacré à la description d’un cadre conceptuel pour analyser les situations tout au long de la recherche-action ainsi qu’à la démarche méthodologique employée.

    1.L’enseignement aux adultes: un cadre de référence conceptuel

    Avant d’entamer cette étude, le groupe de recherche s’est doté d’un modèle conceptuel. Celui-ci expose notre manière de comprendre comment s’effectue l’enseignement dans le contexte de la formation générale. Élaboré à partir de divers résultats de recherche et de notre propre expérience d’enseignement aux adultes, notre modèle établit la représentation générale que nous avions de cet enseignement ainsi que les dimensions que nous souhaitions étudier avec les enseignantes et les conseillères pédagogiques qui se sont jointes à nous pour former le groupe de discussion.

    L’enseignement dispensé dans le cadre de la FGA a été considéré comme une intervention qui consiste à aider et à soutenir un adulte apprenant dans le développement d’un savoir visé. Dans une perspective d’accompagnement, il répond aussi aux demandes d’assistance de l’adulte apprenant. Ainsi, l’enseignement ne se limite pas à la transmission d’un savoir. L’intervention des personnes enseignantes s’inscrit plutôt dans un cadre d’interactions où une dyade – un adulte apprenant et une personne enseignante – cherche à clarifier, préciser et corriger le savoir visé selon, tour à tour, la demande de l’adulte et le diagnostic posé par la personne enseignante au sujet de son besoin d’apprentissage en vue d’arriver à une situation améliorée. Dans notre étude, le savoir à améliorer concernait particulièrement la lecture ou l’écriture. Puisque dans le cadre de la FGA, l’infrastructure d’enseignement s’appuie en grande partie sur l’approche individualisée, la relation entre la personne enseignante et la personne apprenante est centrale, comme on le voit à la figure 2.1. Avant d’aborder cette dimension, il faut souligner les particularités de l’infrastructure propre à la FGA.

    FIGURE 2.1.

    Cadre de référence conceptuel pour une analyse de pratiques d'enseignement à la formation générale des adultes

    1.1.L’enseignement modulaire et individualisé au sein d’une infrastructure andragogique

    L’intervention enseignante se réalise, en bonne partie, selon la formule de l’enseignement modulaire individualisé (EMI). Celle-ci consiste en une répartition des contenus et des activités de formation en unités indépendantes sous forme de modules consacrés à l’étude autonome (Goldschmid et Goldschmid, 1973). À la FGA, le contenu est principalement présenté dans des cahiers d’apprentissage. Pour la personne enseignante, le suivi de chaque adulte apprenant et l’évaluation continue des apprentissages sont des éléments centraux (Mercier, 2019). L’EMI s’appuie sur les principes de l’andragogie qui valorisent la prise en compte de l’autonomie des adultes apprenants, de leur expérience et de leurs besoins ainsi que du respect de leur rythme d’apprentissage (Knowles et al., 2020). Selon l’andragogie, pour aider l’adulte à apprendre, il est requis que la personne enseignante s’intéresse à son parcours individuel, son profil académique, son rythme d’apprentissage, son niveau de motivation et ses stratégies d’apprentissages. Ainsi, la personne enseignante ajuste son intervention en tenant compte de la variété des demandes d’assistance qui lui sont faites.

    Pour aider l’adulte à apprendre, la personne enseignante doit s’intéresser à son parcours individuel.

    1.2.L’adulte apprenant et la demande de formation

    L’intervention en FGA est consacrée à des publics adultes très diversifiés, bien qu’une proportion importante vive en situation de précarité (Landry, 2017; Marcotte, Villatte

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