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La malouinière du diable: Ty-Diaoul
La malouinière du diable: Ty-Diaoul
La malouinière du diable: Ty-Diaoul
Livre électronique274 pages3 heures

La malouinière du diable: Ty-Diaoul

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À propos de ce livre électronique

Un accident de noyade survient aux Bas-Sablons... à moins qu'il y ait un tueur dans la région.

Quand la mer rejette le cadavre d’un touriste parisien aux Bas-Sablons, tout porte à croire qu’il s’agit d’un regrettable accident… Pourtant, la découverte, dans une poche de la victime, d’une plaquette publicitaire va conduire le commissaire Erwan Le Morvan à s’intéresser à une singulière pension de famille de Saint-Servan : Le Refuge de Kerland.

Plongez dans cette enquête du commissaire Erwan Le Morvan !

À PROPOS DE L'AUTEUR

Né en 1948 à Laval, R.-G. ULRICH passe sa jeunesse au Mans, puis à Paris avant de s’installer définitivement dans la région Malouine d’où est originaire sa famille. Après une carrière dans les télécommunications, il se consacre aujourd’hui à sa véritable passion l’écriture.
LangueFrançais
Date de sortie27 mai 2020
ISBN9782374690810
La malouinière du diable: Ty-Diaoul

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    Aperçu du livre

    La malouinière du diable - R. G. Ulrich

    hasard.

    PROLOGUE

    Paris, mai 1968

    Louis Verran jubilait. Il trouvait enfin un sens à sa vie.

    Révolution !

    Le mot pouvait paraître un peu fort mais pas vraiment usurpé, car la gravité des événements qui se déroulaient depuis quelques semaines prouvaient qu’il ne s’agissait pas d’une simple révolte estudiantine. Louis n’était pas étudiant, ne l’avait jamais été, ne le serait jamais ! Et pourtant, du sixième étage d’un immeuble cossu du boulevard Saint-Michel, dans sa minuscule chambre de bonne, l’oreille collée à son petit poste transistor, il suivait depuis le début l’évolution de la crise avec passion, voire même avec une certaine délectation un peu malsaine. Et comme bon nombre de gens, il nourrissait l’espoir que la crise ne s’arrêterait pas là ! … Un ras-le-bol général soufflait sur la capitale. En ce début mai, les leaders du mouvement du 22 mars à la faculté de Nanterre pouvaient être fiers : le malaise latent de l’université avait littéralement éclaté. Les revendications de départ mettant en cause l’enseignement traditionnel, l’insuffisance des débouchés et la sélection par les examens avaient été vite dépassées. Aujourd’hui, après de graves incidents, les autorités avaient décidé de fermer la Faculté de Nanterre, et d’évacuer manu militari la Sorbonne, provoquant immédiatement une série de manifestations violentes au quartier Latin.

    Ce fut ce jour-là que les étudiants révolutionnaires édifièrent les premières barricades.

    Après, la situation n’avait fait qu’empirer !

    Et Louis Verran s’était déchaîné !

    Dans la nuit du 10 au 11 mai, bien décidé à en découdre avec les forces de l’ordre, la tête coiffée d’un bonnet de laine, le visage masqué d’un foulard, il s’était mêlé à un groupe d’étudiants. Comme ça, sans vraie raison, par pur plaisir. L’enthousiasme exacerbé par les hurlements de slogans et de chants révolutionnaires, il avait participé à l’édification d’une barricade. Une vraie, faite de deux voitures, d’une dizaine de poubelles et du mobilier d’un local d’auto-école dont la vitrine avait été brisée par un grand gaillard un peu trop âgé pour pouvoir prétendre être étudiant. Puis il y avait eu un premier affrontement avec une compagnie de C.R.S. Quelques mauvais coups, quelques blessés de part et d’autre, l’abandon de la barricade et le repli stratégique vers la rue Gay-Lussac.

    Louis Verran courait en compagnie d’un groupe de cinq garçons casqués. Au bout d’un moment, celui qui était en tête s’arrêta, fit signe aux autres de l’imiter.

    – Inutile de s’essouffler bêtement, on les a semés !

    Les uns et les autres regardèrent en arrière. Pas un uniforme à l’horizon. Dopés par ce franc succès, ils se congratulèrent et se vautrèrent sur une Dauphine Renault rouge malencontreusement garée là.

    L’un des garçons tira de sa poche un paquet de Gauloises froissé.

    – On s’en grille une, les mecs ?

    – Ouais, on l’a bien mérité…

    Le paquet passa de main en main. Louis se sentait bien. Lui qui ne fumait que très rarement, éprouva un réel plaisir à inhaler la fumée de la première bouffée. C’était, en quelque sorte, son baptême du feu, sa première vraie manif, sa première aventure digne de ce nom.

    Le plaisir et l’émotion étaient intenses…

    – On ne va pas en rester là ! lança soudain un type assis en tailleur sur le capot de la dauphine.

    – Que veux-tu faire ? demanda naïvement Louis.

    – Marquer le coup !… Cette société décadente a besoin de signes forts pour se réveiller. Il faut aspirer à d’autres idéaux que la consommation. L’homme a besoin d’être libre, de s’épanouir, de vivre pleinement sa vie et non pas de sacrifier au sempiternel métro boulot dodo dans le seul but de s’offrir le dernier poste de télévision à la mode. Nous ne sommes pas des machines à produire, nous sommes des hommes !

    Le gars avait terminé son discours debout sur le capot de la voiture. Les autres le regardaient sans broncher mais avec une lueur d’admiration dans le regard. Au terme d’un silence de réflexion l’un des garçons demanda :

    – Tu proposes quoi ?

    Celui qui tout naturellement venait de s’imposer comme le leader du groupe, martelant du pied sans ménagement le capot de la dauphine, reprit la parole le visage éclairé d’un sourire satisfait :

    – Attaquons-nous au symbole de cette société dévoyée. C’est la seule façon de faire prendre conscience aux gens du bien fondé de notre révolte, et du carcan dans lequel petit à petit ils s’enferment sans s’en rendre compte.

    Tout le monde l’écoutait sans bien comprendre où il voulait en venir, mais chacun avait la certitude d’être là au bon moment avec le chef qu’il fallait.

    – On fait quoi, alors ? se hasarda une voix.

    – On brûle cette putain de bagnole symbole de l’embourgeoisement du peuple laborieux !

    Sans laisser aux autres le temps de réfléchir, le garçon sauta à terre et, brandissant un nerf de bœuf, avec une violence inouïe, fit voler en éclats la vitre latérale de la dauphine rouge.

    Le groupe se mit à hurler. Louis, dans l’euphorie générale s’empara d’un journal trouvé à l’intérieur de la voiture et l’enflamma avec son briquet.

    On entonna les premières notes de l’Internationale :

    « C’est la lutte finale… »

    Après quelques essais infructueux, Le siège avant gauche s’embrasa. Louis sentit son cœur battre un peu plus vite.

    Au loin on entendait les sirènes des ambulances, des pompiers et des voitures de police. Des groupes de manifestants affluaient dans la rue Gay-Lussac, un instant plus tôt quasi déserte.

    Et bientôt d’autres voitures brûlèrent…

    La soirée ne faisait que commencer. Louis Verran vivait des minutes extraordinaires. Il participa à l’incendie et la destruction de quelques autos, une façon pour lui d’apporter sa pierre à l’édifice. A plusieurs reprises, il affronta les C.R.S., pleura sous l’effet des bombes lacrymogènes, mais eut la chance d’être ni blessé, ni interpellé.

    Au petit matin, épuisé mais comblé, il regagna son sixième étage avec la conviction d’avoir vécu un moment historique. Pourtant, il ne savait pas encore que la presse parlerait de Nuit des Barricades avec un sinistre bilan de 400 blessés et près de 200 véhicules détruits ou gravement endommagés.

    * * *

    Malgré la fatigue de cette folle nuit, Louis n’arrivait pas à trouver le sommeil. Muscles tendus et douloureux, images violentes et désordonnées dans la tête, il s’agitait dans son lit, impatient de repartir au combat.

    Car c’était sa guerre à lui.

    Le sel de sa vie.

    Son heure de gloire !

    Il venait de se lever pour se rafraîchir au lavabo ébréché de sa chambre quand on toqua à sa porte. Surpris, il jeta un rapide coup d’œil à son réveil matin, fronça les sourcils :

    – C’est qui ? fit-il perplexe.

    – Sylvie…

    Il se détendit, ouvrit la porte et laissa entrer la jeune fille.

    – Qu’est-ce que tu fais là ? Tu as vu l’heure ?

    – Je sais mais je ne dormais pas… Hier soir j’étais inquiète quand je t’ai vu partir à la manif. A la radio, ils disaient qu’il y avait de violents affrontements entre manifestants et C.R.S. J’ai eu peur et de chez moi j’ai guetté ton retour toute la nuit… Tout à l’heure j’ai aperçu ta lumière…

    Louis hocha la tête. Sylvie était la fille de son patron, coiffeur pour hommes dont le salon et l’appartement étaient situés au rez-de-chaussée de l’immeuble d’en face. Elle venait d’avoir dix-huit ans et ne cachait pas ou peu, l’intérêt qu’elle portait à Louis depuis que ce dernier, un an auparavant, était entré au service de son père comme apprenti garçon coiffeur.

    Mais Louis demeurait insensible à son charme car la jeune fille, élevée dans la plus pure tradition judéo-chrétienne, respectueuse des usages maintes fois séculaires, ne concevait l’amour que dans la perspective de l’union sacrée. Le mariage ou rien !

    Et pas question de songer au plaisir charnel avant d’avoir satisfait au rite de la cérémonie religieuse.

    Une philosophie à laquelle Louis était bien loin d’adhérer. D’autant plus qu’aujourd’hui, au cœur des manifestations, on commençait à parler contraception, union libre et libération de la femme. Les plus audacieux prétendaient même qu’il était temps de faire le distinguo entre sexe et amour !

    Tout un programme.

    Louis prit soudain conscience qu’il était en slip et maillot de corps quand il avait ouvert à la jeune fille. Bizarrement celle-ci ne semblait pas choquée. Il l’invita à s’asseoir.

    – Il est presque six heures, je te fais un café ? proposa-t-il.

    – Oui, je veux bien.

    Il mit l’eau à bouillir.

    Discrètement, du coin de l’œil, il observait Sylvie dans la petite glace au-dessus du lavabo. Brune, les cheveux courts coupés au carré, elle avait un visage d’ange. Elle portait un chandail léger qui laissait deviner les courbes harmonieuses de ses seins et une jupe en tissu écossais rouge qui lui couvrait les genoux, un peu trop longue au goût de Louis.

    Fatigue ou tension due aux événements extraordinaires de la nuit, Louis sentit une bouffée de chaleur lui envahir le corps. D’un coup il trouva Sylvie sexy, attirante, excitante. Il se passa un peu d’eau sur le visage pour calmer ses ardeurs naissantes, puis prépara le filtre et le café moulu.

    – Tu veux que je t’aide, Louis ? demanda-t-elle en se levant.

    – Non, pas la peine, répondit-il d’une voix rauque que lui-même eût du mal à reconnaître.

    – Où sont les tasses ?

    D’un signe de tête, il lui montra le placard près du lit. Elle dénicha deux tasses différentes, les posa sur la table de formica gris. C’était la première fois qu’elle venait ici. La chambre était en désordre et le ménage laissait à désirer, mais c’était l’univers de Louis et elle s’y sentait bien. Elle aurait aimé lui proposer d’assumer ses tâches domestiques mais elle craignait de le vexer… Les hommes sont tellement imprévisibles.

    Quand il emplit les deux tasses d’un café noir et épais, elle le dévisagea avec curiosité. Il avait le teint coloré et le regard brillant comme s’il était fiévreux. Sa main tremblait légèrement. Il renversa quelques gouttes que Sylvie s’empressa d’essuyer du revers de la main.

    – Ça ne va pas, Louis ?

    – Si, si… tout va bien.

    Il reposa sa cafetière en tôle émaillée sur le réchaud à gaz.

    Malgré de louables efforts pour penser à autre chose, Louis sentait le désir monter en lui, pulsion incontrôlée qui lui tiraillait le ventre. Une sensation qu’il n’avait jamais éprouvée auparavant pour Sylvie qu’il considérait, jusqu’à présent, comme une petite fille sans importance. Il contourna la table, s’arrêta devant elle et lui prit les mains. Il plongea son regard trouble dans le sien.

    – Tu es belle, murmura-t-il.

    Interloquée, Sylvie s’empourpra, bégaya d’une voix sourde où se mêlaient crainte et joie, peur et plaisir.

    – Mais… mais… qu’est-ce que tu…

    Elle n’acheva pas sa phrase. Louis l’avait attiré contre lui, posé ses lèvres sur les siennes…

    Bien qu’inexpérimentée, la jeune fille comprit aussitôt que le moment était exceptionnel mais fort périlleux pour sa vertu. Elle essaya de résister à la tentation sans avoir vraiment envie de résister au garçon. Tout se bousculait dans sa tête, impossible de raisonner, de justifier une attitude, de prendre une décision réfléchie. D’une profonde inspiration, elle fit le vide, ferma les yeux et entrouvrit les lèvres. C’était son premier vrai baiser.

    Prise de vertige, elle se laissa aller…

    Devant l’apparente complicité de Sylvie, Louis s’enhardit. Tandis qu’il l’embrassait fougueusement, il glissa une main sous son chandail et frissonna en découvrant la douceur de sa peau. Il emprisonna un sein, le caressa doucement. Moment de plaisir intense qui décupla son désir mais provoqua une réaction violente chez la jeune fille qui se dégagea en force de l’étreinte pour reculer d’un pas et se plaquer dos au mur.

    – Mais qu’est-ce que tu fais, Louis ? s’écria-t-elle en remettant maladroitement un peu d’ordre à sa tenue. Décontenancé, un peu agacé, il lança de bonne foi :

    – Mais rien !… Rien d’anormal, tu me plais, j’ai envie, c’est tout !

    – Tu m’aimes ?

    Il la dévisagea comme s’il était en présence d’une extraterrestre.

    – Oui, je t’aime bien. Tu es jolie… attirante…

    – Mais tu ne m’aimes pas ! l’interrompit-elle.

    Cette fois, Louis demeura silencieux. C’était une telle évidence pour lui et une telle déception pour elle qu’il ne se sentait pas capable de fournir une explication plausible et surtout acceptable. Malgré tout, loin de le calmer, le minois dépité de Sylvie, sa moue boudeuse de gamine contrariée, sa tenue quelque peu débraillée ne faisaient qu’augmenter sa libido.

    Il fit un pas vers elle.

    – Non Louis, je t’en prie, calme-toi !

    Il posa une main sur son épaule, se fit conciliant :

    – Je ne te veux pas de mal, Sylvie. Nous ne sommes plus au moyen âge mais en 1968 !… Aujourd’hui, chacun est libre de ses actes, de son corps. Tu n’es pas obligée d’attendre d’être officiellement mariée pour connaître l’amour. Sois forte, sois indépendante ! Ce n’est ni à tes parents, ni à la société, ni à ta religion de te dicter ta conduite… Laisse parler ta tête, ton cœur et ton corps !

    Sylvie, éberlué, ne comprenait pas un traître mot du discours de Louis. Son engagement dans les manifestations l’avait rendu fou. Pauvre Louis ! Elle le regarda avec une pointe de tristesse au fond des yeux. Ce pouvait-il qu’il fût à ce point sensible aux théories qu’on développait aujourd’hui et qui faisait fi des valeurs transmises par les générations précédentes ?

    Il était tout près, elle perçut sa respiration anormalement saccadée, s’en inquiéta :

    – Ça ne va pas, Louis ?

    – Si, si…

    Sylvie pressentait le danger mais ne le redoutait pas.

    Laisse parler ta tête, ton cœur et ton corps !

    Elle éluda la tête pour n’écouter que son cœur et son corps. Elle aimait Louis depuis leur première rencontre dans le salon de coiffure paternel. Et même si le garçon s’était montré lointain, voire indifférent à son égard, elle était persuadée qu’un jour à son tour il l’aimerait.

    Il posa ses lèvres sur son front, fourragea ses cheveux trop courts, releva son chandail. Elle tressaillit, étouffa une protestation et fut envahie par une vague de plaisir interdit quand il dénuda sa poitrine.

    – Non, Louis, je t’en supplie, murmura-t-elle sans conviction.

    Il la fit taire en plaquant sa bouche contre la sienne. Puis avec un peu plus de fermeté mais sans violence, il retroussa la jupe écossaise et fit glisser d’un coup la petite culotte de coton blanc.

    * * *

    Le soleil filtrait à travers les rideaux trop légers. Louis, après une bien courte nuit, venait de s’éveiller. Sylvie dormait encore étendue au-dessus des draps, nue, offerte et indécente à ses côtés. Il l’observa un long moment. Son corps avait une fraîcheur juvénile malgré des seins un peu lourds et une abondante toison brune sur laquelle venait mourir un rai de soleil indiscret. Par instants, son visage paisible s’animait d’un sourire énigmatique laissant présager des rêves inavouables mais tellement agréables.

    Louis tendit une main vers elle mais se ravisa aussitôt. Il n’était pas très fier de ce qu’il avait fait cette nuit, considérant à présent qu’il avait outrageusement abusé de la naïveté de la jeune fille. Elle était belle, très belle, mais il ne l’aimait pas.

    Et ces choses-là ne se commandent pas !

    Quant à sa grande théorie sur la distinction entre l’amour et le sexe, elle ne le convainquait que lorsqu’elle s’appliquait à des jeunes filles inconnues. Des rencontres d’un soir.

    Et Sylvie n’était pas de celles-là !

    Alors, et ce malgré le désir qu’elle suscitait en lui, pas question de prolonger une aventure qui les conduirait au désastre.

    Persuadé de l’avoir honteusement trahie, il quitta le lit et s’habilla en silence. Il n’était pas loin de midi et le tourbillon des événements passés lui avait donné faim. Une dernière fois, il regarda Sylvie avec tendresse et murmura avec une sincérité non feinte :

    – Désolé…

    Puis il s’éclipsa.

    * * *

    Après une après-midi d’errance dans les rues de la capitale, Louis, qui redoutait une confrontation avec Sylvie, renonça à rentrer chez lui. Une partie de la nuit, il arpenta le quartier latin, se mêlant à des groupes d’étudiants révoltés qui, de thèses fumantes en théories excessives, condamnaient l’éthique pseudo-bourgeoise pour remodeler le monde à leur convenance. Après avoir participé modestement à quelques conversations animées, des idées plein la tête et un peu trop de canettes de bière ingurgitées, Louis s’était assoupi dans l’encoignure d’un porche d’immeuble en compagnie de deux révolutionnaires imbibés.

    Le lendemain matin, il lui fallut près d’une heure pour s’introduire dans la cours d’honneur de la Sorbonne à nouveau occupée. Un cordon de C.R.S. cernait l’établissement. Il profita d’une vive altercation entre manifestants et forces de l’ordre pour franchir l’obstacle au pas de course. Les étudiants qui gardaient l’entrée l’accueillir sans discuter.

    Ambiance de kermesse, on grillait des saucisses sur des barbecues improvisés, on distribuait des sandwiches, des boissons fraîches, des cafés. Les occupants devaient avoir été ravitaillés durant la nuit car ils semblaient ne manquer de rien. Y compris le haschisch qui circulait à la vue et au su de tous en échange de quelques pièces de monnaie. On parlait beaucoup, exubérance de paroles parfois sensées, parfois infondées, mais toujours prononcées avec foi et sincérité. Les uns et les autres redécouvraient les vertus du dialogue, la chaleur réconfortante de la communication, le plaisir d’être ensemble.

    Louis la repéra au premier coup d’œil. Silhouette filiforme anachronique au milieu des jeans, pulls et autres tenues débraillées. Entièrement vêtue de noir, les cheveux blonds coupés court, elle se tenait droite comme un i, apparemment indifférente à l’agitation alentour. D’un pas mesuré, elle avançait vers un groupe composé de deux filles négligées et trois garçons aux cheveux longs. Louis, fasciné par le port altier de la jeune fille qui la faisait paraître plus grande que la majorité de ses condisciples, sentit une onde bienfaisante lui traverser le corps. Instinct du chasseur découvrant sa future proie. Presque fébrile, il se dirigea vers elle. Comme les lois de la nature l’exigent, il se sentait inexorablement attiré par son contraire.

    Elle était grande, lui plutôt petit.

    Elle était mince, lui plutôt rond.

    Elle était intellectuelle, lui plutôt prolétaire.

    Elle avait de la classe, lui plutôt nature…

    Enfin tout les rapprochait !

    Pourtant, Louis ne doutait pas que la partie serait difficile. Il avait beau avoir confiance en son potentiel séduction, il savait que celle qu’il considérait déjà comme sa prochaine conquête n’aurait pas la naïveté complaisante de la petite Sylvie.

    Loin s’en faut !

    Elle entama la conversation avec le groupe. Les filles avaient l’air de la considérer avec méfiance et les garçons semblaient à la

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