RENCONTRE
Un turban noir dégage son doux visage, ses mains frêles sont délicatement posées l’une sur l’autre. Assise sur une petite chaise, Catherine Robbe-Grillet reçoit à l’heure du thé, dans un salon inchangé depuis plus d’un demi-siècle, où le soleil s’infiltre avec politesse. Dans son gilet noir, elle pourrait être cette grand-mère qui déroule ses souvenirs comme on égrène un chapelet. Une grand-mère un peu particulière dont le fil de la pensée est parfois troublé par la sonnerie du téléphone fixe. Alors elle se lève, légère, d’un pas qui n’est pas celui de son âge (92 ans), décroche et entend :
« J’aimerais que vous m’insultiez, que vous me disiez des choses désagréables sur mon corps. »
Comme pour mieux réfléchir, elle replace le brillant accroché à son oreille gauche et répond d’une voix presque tendre : « Où êtes-vous Monsieur ?
– À Toulouse.
– Peut-être pourriez-vous vous adresser à quelqu’un dans votre ville ? » dit-elle simplement, comme on le ferait pour recommander un autre praticien.
Catherine Robbe-Grillet n’est pas psychologue. Elle a consacré une bonne partie de sa vie au BDSM – sigle qui, selon les époques, désigne les photographies de Robert Mapplethorpe, le succès de la saga ou tout simplement les pratiques de « Bondage Domination/Soumission Sado-Masochisme ». Dans ce domaine-là, elle a été une reine, l’une des plus grandes maîtresses du XXe siècle. Elle le raconte sans fard dans livre qu’elle a déjà publié en 1985 sous le pseudonyme de Jeanne de Berg, toujours par la vénérable maison Grasset. Un récit détaillé, tendu comme la soie, découpé en six tableaux de sa toucher de ses lèvres les lanières de mes sandales. [...] Mon adorateur ne bouge plus, il est prêt pour le sacrifice. »