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Un roman dont vous êtes la vicitme - Le visage sous le masque
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Livre électronique304 pages4 heures

Un roman dont vous êtes la vicitme - Le visage sous le masque

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À propos de ce livre électronique

La série des Romans dont vous êtes la victime présente des choix narratifs déchirants au lecteur. Ici, pas besoin de calculs ni de notes; que des décisions à prendre, qui mèneront inévitablement à des péripéties et des fins différentes.

Vous comprendrez bien vite qu’il y a parfois des conséquences pires que la mort.

Une psychiatre carcérale ayant perdu le contrôle de sa vie amoureuse, familiale et professionnelle, hait ce qu’elle devient: une victime qui subit au lieu de défoncer les portes.

Alors qu’elle n’arrive plus à rien, recluse dans sa maison au bord du lac, elle reçoit une vidéo anonyme.

À l’écran, une femme masquée lui impose une «thérapie par le jeu» pour trouver sa vérité.

L’inconnue propose de terribles scénarios… Et il n’y a aucune échappatoire.
LangueFrançais
Date de sortie16 oct. 2020
ISBN9782898190179
Un roman dont vous êtes la vicitme - Le visage sous le masque

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    Aperçu du livre

    Un roman dont vous êtes la vicitme - Le visage sous le masque - Vic Verdier

    dessous.

    Chapitre 1

    DONG ! DONG ! DONG !

    Tic. Tac. Tic. Tac.

    Les secondes qu’égraine l’horloge grand-père frappent Victoire Verdier comme autant de coups de masse qui l’enfoncent un peu plus. Vic soupire. Elle voudrait rebondir sur le « tic » et atterrir loin devant, sur le « tac ». Dans sa vie d’avant, c’est ce qu’elle aurait fait. Elle aurait furieusement possédé chacune de ces secondes. Elle souhaite redevenir celle qui profite pleinement de ce court laps de temps qui lui est imparti et qui se dresse devant l’avenir. Mais non —  plus maintenant.

    Thomas vient de lui envoyer une invitation pour son plus récent vernissage. Vic tient toujours le carton entre ses doigts mous : Espace Neuf // 31 octobre 2021 // *Déguisement conseillé*. Le sculpteur a choisi le thème de l’écartèlement ; il a décomposé, déstructuré et éclaté toutes sortes d’objets du quotidien. Pour Vic, les nouvelles sculptures de son ex, en photo sur l’invitation, sont autant de représentations de leur rupture. Thomas Desjardins s’y amuse, s’y construit un lieu de création, pendant qu’elle rumine encore. L’événement est dans un peu moins de deux semaines.

    Une alerte sonore couvre le son de l’horloge. Vic a reçu un autre message dans l’application Messenger. Elle les a assez ignorés. Cette fois, elle y jette un œil.

    Olivia : Les filles ! J’ai trouvé un maillot vraiment hot chez Suzie les bains pour le voyage dans le Sud.

    Gabrielle : T’es donc ben matante. C’est une boutique pour les vieilles peaux !

    Olivia : Va chier, toi pis ton cul de spinning. Tu vas te promener à poil sur la plage anyway. Moi, il me faut du support.

    Olivia est une femme superbe, avec des courbes et des rondeurs, contrairement à Gabrielle, qui a toujours été svelte et athlétique. Évidemment, Olivia se trouve grosse.

    Gabrielle : Combien ?

    Olivia : Pas de prix pour se sentir belle.

    Gabrielle : Trop cher. C’est sûr. Ton avis, Vic ?

    Victoire ne se sent pas le cœur de répondre. Elle a eu une journée difficile à l’Institut. Présentement, elle ne n’a pas décidé si elle ira en voyage avec les Sirènes.

    Vic : J’ai ma journée dans le corps, je suis fatiguée… mais je pense qu’on trouve du réconfort là où on peut. Si le maillot te donne l’impression d’être une meilleure version de toi-même, je n’hésiterais pas.

    Gabrielle : Maudite psy à la con, tu nous prends pour tes patientes ?

    Olivia : On savait bien que Vic allait nous sortir une de ses théories…

    Gabrielle : Moi, je pense qu’une photo et tout serait réglé. Allez Livy, selfie en maillot ?

    Olivia : Combien de psy il faut pour changer une ampoule ?

    Gabrielle : Les psychiatres ne changent pas d’ampoule, c’est en dessous de leur standing. (Tu évites le sujet…) Combien ?

    Olivia : Un seul… mais il faut que l’ampoule veuille VRAIMENT changer.

    Vic : Tu sais qu’elle est vieille comme la terre, ta joke ? ;-)

    Olivia : LOL. Idée folle : les Vols d’Alexis offrent des allers-retours Montréal-Reykjavik pour 650 $. Plein de dates, cet automne. On se jette là-dessus et on improvise un voyage en Islande à la place des Caraïbes. Partantes ?

    Gabrielle : Non. Tu veux juste pas aller quelque part où on va te voir en maillot ! On a besoin de soleil, pas de glacier… On est des sirènes, pas des phoques.

    Victoire décide de prendre son courage à deux mains. Elle s’approche du clavier.

    Vic : Ni l’un ni l’autre, pour moi. Je ne peux pas quitter le pays présentement. Désolée, les filles.

    Gabrielle : WTF ?

    Olivia : Ben voyons, en quel honneur ?

    Vic : Longue histoire. Je suis en lice pour devenir la directrice de l’Institut… je dois demeurer disponible pour les entrevues. Je sais, c’est plate. Je vais devoir annuler mon colloque à Berlin aussi.

    Olivia : Merde. Meeeerde. Mais… félicitations, aussi, j’imagine.

    Gabrielle : Bon, OK. On est contente pour Vic, mais on n’annule rien. On a besoin de soleil. Olivia ? D’accord ?

    Gabrielle agit en alpha. Elle donne la direction depuis que Vic ne le fait plus.

    Elles ont toujours été trois, les Sirènes : Gabrielle, Olivia et Victoire – des amies proches, de celles qui se comptent sur les doigts d’une seule main. Elles avaient pensé un temps à se surnommer les « trois mousquetaires », mais ça n’avait pas collé. Elles avaient passé beaucoup d’après-midis, ensemble chez papa Verdier, dans la piscine intérieure qui coûtait les yeux de la tête, à inventer des noms farfelus pour la grande baraque de Sillery et pour leur sorority improvisée. Finalement, la maison était devenue le Manoir et elles, les Sirènes. Leur groupe Messenger porte encore ce nom. Chaque année, en novembre, les Sirènes partent dans un tout-inclus des Caraïbes pour rire, prendre des cocktails et jouer dans l’eau, comme trois femmes-poissons.

    Vic délaisse son ordinateur. L’horloge vient de sonner trois heures, il faudrait qu’elle mange, elle n’a rien avalé à part son bol de yogourt, ce matin. Elle soupire.

    La vieille demeure du chemin du Curé, à Lac-Delage, semble toujours un peu trop sombre, même au milieu de la journée. On dirait que la lumière ne filtre pas à travers les arbres qui entourent la propriété, qu’elle peine à traverser la vitre sale des fenêtres. Octobre est arrivé depuis deux semaines, mais la météo ne s’est pas encore transformée en cette terrible noirceur humide et glaciale qui précède la neige. On dirait que la lumière s’attarde, sauf à l’intérieur de la maison de matante Béatrice, où la pénombre règne. La demeure devrait être l’endroit idéal pour profiter des belles journées d’automne : le lac qui clapote au pied de la pente douce, le vent dans les érables qui rougissent, le feu qui crépite dans le grand foyer extérieur… C’est la théorie. Parce qu’en pratique, la demeure a cruellement manqué d’amour. Ce manque a laissé des traces. Nous sommes comme cul et chemise, cette bicoque et moi… Nous avons autant de cicatrices l’une que l’autre. Vic se surprend à aimer cette maison, qu’elle rénove à défaut de pouvoir se rénover elle-même.

    Présentement, rien n’est fait, les ouvriers sont à l’étape de la démolition. Il n’en reste pas moins que le projet est rempli de promesses. Toute cette partie de la vieille demeure qui craque est cachée derrière des polythènes qui confinent la poussière au chantier —  autant que faire se puisse. La construction originale, que Vic habite présentement, servira surtout à accueillir des invités. Des chambres d’amis, une cuisinette, un salon, du rangement… De quoi recevoir une sirène en visite chaque fin de semaine.

    Bientôt, une fois les rénovations terminées, Vic s’installera dans la partie de la maison dont matante Béatrice faisait son garage et son atelier. Elle y aménagera une immense salle d’eau avec une douche à vapeur et une baignoire antique. Il y aura aussi un vaste espace de détente, en haut de l’escalier, avec une baie vitrée qui donnera sur le lac, par-dessus les arbres. Le plan de l’aile rénovée prévoit un studio d’entraînement et une aire ouverte où la cuisine sera déménagée avec la salle à manger. Vic veut donner de l’amour à la grande maison mal entretenue ; c’est un projet pour l’aider à trouver du positif dans sa vie, elle le sait bien. Est-ce une maladroite tentative de thérapie ? Possible, mais pourquoi pas ?

    Victoire se redresse sur le divan du salon. Elle laisse tomber l’invitation pour le vernissage sur le plateau de la table à café. Deux des masques qu’elle collectionne et qu’elle accroche aux murs comme éléments de décoration semblent la juger. Collectionner les masques quand on est psychiatre relève du stéréotype, Vic en est consciente, mais elle a toujours aimé ces faux visages qui peuvent exprimer une foule de sentiments. Certains articles de sa collection viennent de très loin, d’autres sont les œuvres d’artistes de la région. La plupart sont encore dans des boîtes, au sous-sol de la baraque, du côté du chantier. Elle les accrochera probablement, une fois les rénovations achevées. Une maison remplie de visages de papier, de bois, de pierre. Les deux masques qui la jugent viennent du Ghana. On dirait qu’ils froncent les sourcils et qu’ils grondent Victoire. Je sais, j’ai connu des jours meilleurs. Je devrais me prendre en main.

    Le grand miroir, placé en face du fauteuil, lui renvoie l’image d’une femme qui a perdu le contrôle de sa vie. Ses épaules carrées saillent toujours sous son chemisier, mais les années passées au dojo, à exécuter des katas épuisants et complexes, sont loin derrière. Elle a de la difficulté à sourire, ce qui lui tire les traits. Sa canine croche semble l’enlaidir, alors que, l’an passé, elle lui donnait plutôt un air frondeur. Vic se dit qu’elle pourrait faire un effort et se maquiller un peu plus. Peut-être un rendez-vous chez la coiffeuse pour couper ses pointes ? Non. Ce serait de la poudre aux yeux.

    Le voisin de droite fait démarrer le moteur de sa Harley. Un vacarme qui résonne dans la maison de matante Béatrice comme dans une casserole. Il est encore à bricoler quelque chose sur son engin ; les dimanches après-midi sont faits pour ça, non ? Le chien de la voisine de gauche se met à aboyer, il n’aime pas le bruit de la pétarade et il veut qu’on le sache.

    Vic décide d’aller courir. Elle mangera plus tard.

    • • •

    L’Institut médico-légal du Centre hospitalier Robert-Giffard a bonne réputation. Victoire Verdier dirige l’équipe de santé mentale, qui comprend trois autres psychiatres. Cette équipe n’est que professionnelle pour Vic. Elle ne cherche pas beaucoup les contacts avec ces personnes hors de l’hôpital, sauf avec Marie-Hélène Ferland, une collègue qui est peut-être devenue son amie après la mort de papa Verdier et sa séparation d’avec Thomas.

    Les éminents collègues psychiatres de Victoire, à l’Institut comme ailleurs, reconnaissent son talent et sa compétence. En tous cas, c’est ce qu’ils lui disent à sa face même. On lui reproche parfois ses techniques marginales, mais d’un autre côté, on lui envie aussi ses succès. En vérité, les interventions de la docteure Victoire Verdier connaissent souvent des résultats surprenants. Elle parvient à traiter les « intraitables » en utilisant la régression active, la plastie neurologique, l’hallucination spontanée et plusieurs formes d’hypnose. Ce sont autant de pratiques admises —  bien que peu communes.

    Vic termine une conversation avec le professeur Robert Pouliot. Puisque le directeur précédent de l’Institut médico-légal a accepté un poste à Baltimore, le haut dirigeant du centre hospitalier a pris la relève des dossiers pressants, le temps qu’un nouveau directeur soit nommé à l’Institut. Le hasard fait bien les choses, le Dr Pouliot est justement un psychiatre qui se spécialise dans les comportements sexuels atypiques. Il a lui-même dirigé l’Institut avant de gravir les échelons et de prendre les rênes de l’ensemble de l’hôpital. Vic et le Dr Pouliot ont fait le tour des dossiers en cours qui touchent la santé mentale. Depuis des années, Robert agit comme un mentor auprès de Vic. Elle se sent en confiance avec lui.

    Un gros procès devrait commencer en décembre ; une terrible histoire d’infanticide quadruple, tous des garçons. On s’attend toujours à ce que le meurtrier soit le père. Cette fois, c’est la mère. Vic ne traite pratiquement que des femmes, en milieu carcéral de surcroît, c’est donc vers elle qu’on s’est tourné pour obtenir l’expertise. La mère a reproduit des comportements qui sont résolument associés aux hommes. Elle a essayé de s’enlever la vie avec un fusil de calibre 12. Elle s’est manquée, mais s’est arraché la majeure partie du visage. Vic a trouvé une façon d’établir le contact avec cette patiente hors du commun, elle est parvenue à peler les couches des différents traumatismes de cette femme, jusqu’à pouvoir dialoguer avec le cœur de sa personnalité. Elle va être appelée à présenter son diagnostic devant la cour.

    — Quand tu auras écrit ton diagnostic, je voudrais le lire avant les autres.

    — Merci, Robert. Ça va être délicat. Je penche vraiment du côté de la défense : cette femme-là n’avait pas conscience de ce qu’elle faisait.

    — Le public va crier au scandale… Les médias sociaux veulent un lynchage. Il ne faut pas l’échapper, celle-là. Ton argumentaire doit être solide comme du roc.

    Victoire range ses papiers. Le Dr Pouliot se redresse sur sa chaise. Il reboutonne sa veste à carreaux, tendue sur son ventre, et replace ses lunettes de lecture dans leur étui.

    — Toi ? Tu vas bien ? demande le professeur.

    — J’ai l’air de ne pas bien aller ?

    — J’ai vu les annonces. Il a vraiment appelé ça Écartèlements ?

    — Oui. Il semble que Thomas Desjardins ait été très inspiré.

    — Et toi ? Qu’est-ce que ça t’inspire ?

    Vic hésite à répondre qu’elle est dévastée. Elle a besoin de préserver les apparences.

    — Ça m’inspire de pas y aller. Tout simplement. Tu as vu, Robert ? Ils conseillent les déguisements pour participer au vernissage. Je vais me déguiser en courant d’air.

    — Ça fait encore mal ?

    Vic comprend qu’elle ne pourra pas mener son mentor en bateau. Il voit à travers mes écrans de fumée.

    — Oui, ça fait encore mal. J’apprends à vivre avec la situation, comme toutes les femmes qui se sont fait tromper.

    — Et la succession ? Il faut que tu gères ça en même temps que la fin de ton histoire avec lui, j’imagine.

    — Mon histoire avec Thomas remonte déjà à plus d’un an, j’ai plus rien à gérer, à part des invitations indélicates de sa part. Pour ce qui est de la succession, c’est pratiquement terminé. Le testament a été homologué, je l’ai pas contesté, finalement. On n’en parlera plus dans quelques semaines.

    Victoire convoite le poste de directrice de l’Institut. Elle s’y prépare depuis quelques années. Il faut que Robert Pouliot comprenne qu’il peut toujours compter sur elle.

    — Écoute, Robert, présentement, je n’aime pas du tout ce qui se passe dans ma vie personnelle. Tu le sais, je le sais aussi. C’est comme ça. Mais j’aime vraiment mon travail. Je suis solide ici, à l’Institut. Par ailleurs, mon nouveau bureau est très agréable, avec la vue sur le fleuve ! Dans l’ensemble, je vais bien.

    L’Institut vient tout juste de réaménager les espaces de travail des psychiatres. Ce petit changement a apporté du positif, malgré les boîtes à faire et défaire.

    — Hmmm. D’accord, dit le Dr Pouliot. Tout est à sa place dans ton nouveau bureau, Vic ? Il est un peu plus grand que l’autre, je pense ?

    — J’ai de la place et le fleuve me tient compagnie. J’ai encore quelques boîtes à défaire, mais ce ne sera pas long.

    — Hmmm. D’accord, d’accord.

    Robert Pouliot scrute le visage de Victoire. Il se gratte la joue, sous ses lunettes de lecture. Il ne semble pas convaincu. Vic n’aime pas du tout l’air qu’il fait.

    Robert accepte finalement ce qu’elle dit d’un signe de tête, mais son expression indique qu’il se garde des réserves. Ou autre chose ? Vic ne sait plus. Elle a moins confiance en son propre jugement qu’auparavant. Robert se lève, lui souhaite une bonne journée et sort de la salle de réunion. Vic retourne à son bureau d’un pas lent.

    Qu’est-ce que Robert Pouliot voit qu’elle ne voit pas ? Pourquoi n’a-t-il pas parlé du processus d’embauche pour le poste de directeur ? Vic s’assoit devant sa bibliothèque et elle est forcée de reconsidérer ce qui s’est passé dans la dernière année et demie.

    Maudit Thomas. Tout commence avec lui. Ils avaient pourtant tout ce qu’il fallait pour bâtir un couple solide. C’est ce que Vic avait ressenti pendant des années ; sept, pour être exact. Thomas était un amant passionné, un homme intelligent, agréable, un gars capable de s’amuser, professeur d’arts plastiques à l’université la semaine et bricoleur du dimanche. Tom voulait des enfants. Vic voulait lui en donner. Tom et Vicky (Thomas n’avait jamais accepté de l’appeler Vic, comme ses amis) avaient d’abord convenu que leurs carrières demandaient de l’attention et ils avaient attendu quelques années. Leurs efforts avaient porté leurs fruits, lui à l’Université Laval, elle, à l’Hôpital Robert-Giffard. Ensuite, ils avaient décidé de s’y mettre. Sauf que la nature y avait trouvé à redire. Rien. Rien. Rien. Elle était devenue Vic-au-ventre-plat. Le couple en avait souffert. Les déceptions successives, cycle menstruel sur cycle menstruel, leur avaient coûté cher. Puis, les tests de fertilité, les examens, les diagnostics… le verdict des spécialistes était tombé : trouble de l’ovulation. Dans son cas, quasi complète anovulation. Victoire pourrait ne jamais avoir d’enfant.

    En mai de l’année passée, Thomas avait finalement pris sa décision et l’avait quittée. « Tu as fait ce que tu pouvais, mais je ne serai jamais parfaitement heureux avec toi. » Lui était fertile. Lui pouvait fonder une « vraie » famille.

    Thomas lui avait demandé de quitter l’appartement dans la même semaine où elle avait appris la maladie de son père.

    Le cancer avait donc fait son entrée dans la vie de Vic, côté jardin, question de compliquer les choses. Cancer d’abord caché par l’orgueil du bonhomme Verdier, qui avait refusé de porter attention aux symptômes et qui se trouvait soudainement en phase terminale sans même avoir su qu’il avait déjà traversé les autres. Les poumons du paternel étaient durement atteints et les métastases se trouvaient maintenant dans la plupart des organes vitaux.

    Victoire allait perdre papa Verdier, fin des émissions. Et voilà que les histoires de Thomas avaient fait surface.

    Pendant leur relation, Vic avait été sourde et aveugle. Elle, qui se considérait d’ordinaire hautement attentive aux détails et consciente des comportements des autres, avait eu toutes les misères du monde à admettre que Thomas ait pu lui cacher ses aventures. Pas qu’une seule. Il en avait caché plusieurs. Dès la séparation, les commentaires avaient commencé. Olivia : « Il te méritait tellement pas, laisse-le jouer avec ses pitounes, un jour, il va peut-être grandir ». Gabrielle : « Tu as été une sainte de le tolérer, Vic. Tom n’aurait jamais été aussi compréhensif pour toi. » Tout le monde savait. Tout le monde pensait qu’elle savait aussi et qu’elle avait passé l’éponge.

    Thomas avait couché avec au moins une chargée de cours de son département, une ancienne flamme du cégep, une fille de son gym et un nombre indéterminé d’étudiantes. Personne n’en avait parlé à Victoire. La dernière en lice, Chloé, étudiante au doctorat, avait rapidement pris la place laissée vacante par Vic. La psychiatre avait fini par comprendre à retardement que leur séparation avait été directement liée au désir de Thomas de baiser sa jeune conquête plus souvent et que les problèmes de fertilité avaient simplement servi de prétexte. Ils avaient joué un scénario d’une platitude soporifique, une séparation textbook. Une fois la poussière retombée, Thomas avait demandé à Chloé d’emménager chez lui, dans l’appartement du quartier Montcalm.

    Vic avait fait de son mieux pour s’en foutre. Elle s’était abandonnée aux soins dont son père avait besoin. Elle avait mis ses quelques meubles en entreposage et pris possession d’une des chambres d’amis au Manoir, la grande demeure familiale de Sillery.

    L’année dernière, à pareille date, papa Verdier avait insisté pour qu’elle parte avec les Sirènes, comme d’habitude :

    — Je suis sur mes derniers miles, fille, mais je ne suis pas encore mort. Ça fait des semaines et des semaines que tu t’occupes de moi, Victoire. Pars donc prendre du repos avec tes amies. Ton frère va prendre la relève.

    — Clovis ? Voyons, papa. Il vient à peine te visiter. Il a sa femme, les jumeaux, sa nouvelle business… Il aura jamais le temps.

    — Il va le prendre, ma belle. Il va le prendre.

    Vic était partie avec les Sirènes. Clovis avait tenu parole, mais pas le paternel. Pierre Verdier, chirurgien plastique et héritier des Fabriques Jacques-Cartier (vendues au groupe Proctor & Gamble en 1979), avait rendu l’âme au Manoir. La cérémonie funèbre avait eu lieu à la Basilique de Québec, quelques jours après le retour de Victoire, l’ensemble organisé par son frère en vitesse, comme s’il avait voulu l’exclure. Le gratin de la Vieille Capitale avait rendu ses hommages, battant des records de visages passés au lifting dans une seule église, et tout le monde était rentré chez soi en se disant que la fille du défunt avait un bronzage superbe pour une endeuillée… Une belle tache au tableau.

    Au début, Vic n’en avait pas voulu à son frère, trop occupée qu’elle était de la peine d’avoir perdu son père et de consacrer de l’énergie à se foutre passivement de la nouvelle vie amoureuse de son ex. Les choses s’étaient gâtées par la suite. Le processus de succession avait consisté en une série de mauvaises surprises, un véritable chemin de croix. Si Clovis avait accepté de venir au chevet de son père, c’est parce qu’il avait une idée derrière la tête. Le testament avait été modifié à la dernière minute, selon les supposées volontés de papa Verdier : Clovis devenait l’unique exécuteur testamentaire et l’héritier principal. Pierre Verdier aurait souhaité, dans ses derniers jours, que son fils redonne vie à l’esprit des Fabriques Jacques-Cartier ; que sa « vision entrepreneuriale » ait les moyens de se réaliser pleinement afin que se poursuive la tradition commerçante de la famille. Tradition que Pierre avait lui-même abandonnée, ô hélas, au profit de la chirurgie.

    Une histoire à dormir debout —  facilitée par les doses de morphine en croissance —  et qu’il était cependant impossible de contredire.

    Bref, Clovis avait tout obtenu, à part une somme, plutôt symbolique dans les circonstances, de 100 000 $ et la maison vétuste de matante Béatrice, au bord du lac

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