Hilda chérie

Gabrielle frappa le plancher du bout de sa canne. Sa voix chevrotante s’éleva du palier du premier étage où elle se tenait dans son fauteuil roulant: – Hilda chérie, peux-tu m’apporter ma camomille ?

Chaque fois que Gabrielle l’appelait, Hilda était parcourue d’un grand frisson de répulsion et d’agacement.

Gabrielle continua :

– Je suis fatiguée, si tu savais ! Il me tarde d’aller me coucher, cette journée a été épuisante.

La seule voix de sa belle-sœur était devenue insupportable pour Hilda.

A cette heure, elle était dans la cuisine, occupée à terminer la vaisselle du soir. Elle posa le torchon et l’assiette qu’elle était en train d’essuyer, jeta un coup d’œil au répondeur téléphonique qu’elle avait acheté quelques jours plus tôt. Elle n’avait pas encore eu le temps de l’installer, parce qu’avec Gabrielle, elle n’avait le temps de rien. Après avoir pris une très longue inspiration, histoire d’évacuer sa colère, elle se dirigea vers l’escalier :

– Qu’est-ce que tu fais là, Gabrielle ?

Gabrielle haussa les épaules.

– Un jour, tu tomberas cul par-dessus tête dans les marches avec ton fauteuil et tu seras bien avancée ! Tu ne sais pas manipuler cet engin ! – La preuve que oui, puisque je suis là ! dit-elle.

– L’autre jour, tu as tout de même emporté la console du couloir et tu as brisé le vase que ma mère m’avait offert pour mon mariage. J’y tenais beaucoup, tu sais…

Le coup du vase, Hilda ne le digérerait sans doute jamais. Il était désormais en mille morceaux qu’elle gardait précieusement enveloppés dans un torchon dans le fond de sa commode. Ce n’était plus qu’un puzzle qu’elle n’avait pas pu se résoudre à jeter. Comme elle avait pleuré la nuit suivante, en repensant au jour de son mariage ! Tous ceux qui y avaient assisté étaient morts désormais, sauf une vieille cousine qui vivait en Dordogne. Odette était sûrement immortelle puisque Hilda avait l’impression de l’avoir toujours connue vieille même quand elle ne devait pas l’être. Odette, si prude,