De courbes et de craies

Une des roues du Caddie commençait à faire des siennes, bien que celui-ci ne soit pas si vieux que ça. Victoire l’avait acheté après s’être cassé le bras, un peu plus de deux ans auparavant. Elle s’en souvenait très bien. En descendant du bus, elle avait glissé sur une plaque de verglas et avait tenté de se rattraper tant bien que mal. Une histoire qui s’était évidemment soldée par une « balade » en camion de pompiers vers le service des urgences.

Ce que Victoire ne savait pas à ce moment-là, c’était que cette chute allait bouleverser sa vie.

Gérante depuis plus de vingt ans d’une boutique de décoration de luxe, Victoire n’avait jamais manqué une seule journée de travail jusqu’alors et ne s’attendait pas, en revenant de son arrêt maladie, à subir les remarques désobligeantes du grand patron et même de ses collègues. Elle qui s’était toujours montrée volontaire et présente pour les autres n’avait pas réussi à digérer tant d’ingratitude : elle avait décidé de « rendre son tablier » du jour au lendemain, et sans un mot d’explication. « Un prêté pour un rendu », aurait dit sa grand-mère.

Victoire sourit en traînant derrière elle son Caddie capricieux. Pas un jour ne passait sans qu’elle se félicite d’avoir pris cette décision. Aujourd’hui, à 48 ans, elle tenait une petite boutique de vêtements et accessoires de seconde main et ne subissait plus la pression constante de sa hiérarchie. Elle était heureuse.

Mais son bras cassé ne lui avait pas seulement permis de s’épanouir dans une autre activité, il lui avait également donné l’occasion de faire de belles rencontres qui, elles aussi, avaient changé sa vie. Lors des séances de rééducation prescrites par son médecin traitant, Victoire avait fait la connaissance de Maud, une jeune kinésithérapeute de dix ans sa cadette,