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Anna au fil de l'Art: Souvenirs en garde à vue
Anna au fil de l'Art: Souvenirs en garde à vue
Anna au fil de l'Art: Souvenirs en garde à vue
Livre électronique429 pages6 heures

Anna au fil de l'Art: Souvenirs en garde à vue

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À propos de ce livre électronique

Depuis son enfance, la vie d’Anna s’écoule au fil de l’art : sa passion, son refuge. Deux hommes, Gaël, son brûlant amour de jeunesse, et Yvon, son mari adoré vont l’entraîner dans la décision insolite de vivre en alternance entre-deux. Ils lui reviennent au même moment, après l’avoir, chacun leur tour, abandonnée pour des raisons obscures, durant de nombreuses années. Ils s’aiment toujours, elle et eux, alors elle choisit la situation qui lui convient le mieux, celle qui lui permet de conserver sa précieuse famille et de profiter des hommes qu’elle aime.
Entre bois et bords de mer, qu’elle arpente presque quotidiennement, Anna retrouve une paix essentielle à sa créativité. La nature stimule ses sens, apaise ses tentions, la « branche » à l’environnement, il lui semble alors mieux entendre, observer, ressentir la vie. C’est un rituel nécessaire pour nourrir ses idées, indispensable à son bien-être, à sa créativité.
Elle se donne avec énergie et bonheur à ses passions artistiques amoureuses.
LangueFrançais
Date de sortie23 oct. 2021
ISBN9782312082646
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    Aperçu du livre

    Anna au fil de l'Art - Liane Massini

    Chapitre I. À la recherche du passé

    Alors âgée de quatre ans, Anna tomba pour la première fois en admiration devant une peinture. Un bouquet de lilas, couleur lilas, qui trônait dans la vitrine d’un photographe. Comme les autres jours, en allant à l’école, elle s’attarda derrière sa mère à regarder les poissons dans l’Odet (une rivière qui traverse Quimper), lorsque, relevant la tête, elle l’aperçut de l’autre côté des quais, juste en face d’elle. À peine franchie la rue, elle se plaqua le nez contre la vitre pour mieux le savourer du regard. Éblouie, émue, elle découvrait la première peinture de sa vie. Une sensation inconnue, indéfinissable l’envahit. Tant de beauté la transportait. Les couleurs surtout, elle était habituée à voir des photos en noir et blanc, c’était la couleur qui avait sans doute capté son regard enfantin. Les traces de pinceaux donnaient une texture différente de celle lisse et glacée des photos, ça la fascinait, la séduisait. Elle ressentit comme une fête en elle, quelque chose qui venait de bousculer sa vie. Elle découvrait, prenait conscience de la beauté. À l’impact, que cet évènement eut sur sa vie, il semblait que l’art n’attendait pas le nombre des années d’un spectateur pour le séduire. Cette halte quotidienne, aussi longtemps que le tableau fut en vitrine, irritait sa mère qui devait faire marche arrière avec la poussette de sa cadette pour la récupérer. Bien trop absorbée dans sa contemplation, elle ne répondait pas aux appels agacés de sa mère. Plus tard, lorsqu’elle lui parla de ce tableau, celle-ci lui avoua n’y avoir jamais prêté attention, elle pensait juste qu’Anna retardait le moment de se rendre à l’école, car elle ne voulait pas y aller. Ce bouquet de lilas fut sa première grande émotion artistique.

    Toujours assise sur son rocher, elle tira un peu plus fort sur le fil de ses pensées pour essayer d’y attraper son plus lointain fragment de mémoire, nourri par ce que lui raconta sa mère, le jour de ses deux ans.

    Une voix interrompit le cours de ses pensées :

    – Anna… ? Anna Malone ?

    Un homme venait vers elle, les bras relevés en balancier afin d’établir son équilibre en sautant d’un rocher à l’autre pour la rejoindre. Trop éblouie par la lumière, elle ne distinguait pas son visage, bien qu’il fût proche, maintenant. Une voix familière débitait des mots qu’elle n’écoutait pas, tant elle faisait d’efforts pour essayer d’en retrouver le possesseur qui la tutoyait, donc qui la connaissait bien. Il était juste devant elle à présent. Ce visage avenant, ce sourire moqueur l’interpellaient, mais elle demeurait incapable d’y mettre un nom. Elle finit par bredouiller :

    – Je sais que je vous connais, mais je ne vous reconnais toujours pas.

    – Normal, répond la voix rieuse, j’avais les cheveux longs, blonds et bouclés, maintenant, ils sont courts et grisonnants, je porte des lunettes, je n’en avais pas, et j’ai un peu grossi. Je vais te mettre dans la bonne direction. Il y a quarante ans, les Beaux-Arts…

    Elle bondit vers lui, s’écriant :

    – Toi… toi, Gaël ! Vraiment toi !

    – Eh oui !

    Elle sauta dans ses bras, ils s’embrassèrent, elle s’embrasa à son contact, comme autrefois. Il faut préciser qu’ils avaient un passé commun très intime, quelque chose qui les habitait encore à ce jour. Comment n’avait-elle pas reconnu celui qu’elle avait tant aimé ?

    Elle se sentit laide, vieille, pas du tout à son avantage, en tenue de sport, car au cours de son jogging, elle s’arrêtait ici tous les jours pour « pêcher » ses souvenirs et les prendre en note. Il poursuivit :

    – Je t’ai reconnue de loin.

    À quoi elle répondit :

    – Moi aussi j’ai quarante ans de plus, des cheveux courts alors que tu aimais tant leur longueur, des lunettes que je n’avais pas… Je suis assise sur un rocher avec lequel on pourrait me confondre de loin et mon visage n’était pas tourné dans ta direction, je ne vois vraiment pas comment tu aurais pu me reconnaître ?

    Toujours moqueur, il reprit :

    – Je t’ai vue dessiner, peindre pendant cinq ou six ans un peu partout quand on allait travailler sur la nature. J’ai reconnu ton attitude, je savais également que tu avais une maison de vacances dans le coin et que tu venais par ici. J’ai moi aussi une maison pas très loin, à Saint-Gildas. Je viens souvent là depuis que j’ai appris que tu fréquentais cette grève, dans l’espoir de t’y retrouver un jour, et voilà !

    – Tu me cherchais ?

    – Ça t’étonne ?

    – Oui… J’étais à des années-lumière de nous, je ne pouvais même pas imaginer te revoir un jour, alors oui, je suis étonnée, éberluée serait plus juste, mais tellement heureuse !

    Son regard fixé sur celui d’Anna, il lui dit :

    – Tes grands yeux bleus m’ont tellement manqué… ton regard interrogateur…

    Il sembla soudain perdu dans ses pensées, et, elle, assise là sur son rocher, yeux bleus ou pas, ne se sentait pas belle du tout quand il plongeait son regard dans le sien. Quarante ans les séparaient, pourquoi l’avait-il recherchée si longtemps après ? Une idée lui traversa l’esprit, et, tout à coup, elle comprit.

    Elle craignit ce qu’il ou qu’elle-même désirait et se leva pour partir, prétextant que sa famille l’attendait. Pressant sur son épaule, il la fit rasseoir :

    – Attends un peu, on vient de se retrouver, tu n’es pas à cinq minutes près quand même ?

    – Je voudrais savoir ce que tu deviens, ce que tu fais et surtout ce que tu peins, tu peins toujours, j’espère ?

    – Bien sûr, c’est la seule chose immuable dans ma vie, peindre ou écrire.

    – Tu n’écrivais pas autrefois…

    – Si, j’écrivais des poèmes et j’en écris toujours, c’est mon jardin secret, j’en parle peu. Ici c’est différent, je me mets au calme de la nature pour prendre en note mes souvenirs au fur et à mesure qu’ils me reviennent, dans le but, si j’en suis capable, d’écrire un roman biographique. Ça demande beaucoup de réflexion, il faut se remuer les neurones pour remonter aussi loin que possible dans le passé.

    Son regard parcourait le paysage pour éviter celui de Gaël qui la sondait. Il y eut tant de ces regards entre eux, de complicité… d’amour… qu’elle avait peur de comprendre ce qu’il désirait. Elle ne le voulait pas… Ça ne servirait à rien aujourd’hui. Comme elle s’apprêtait de nouveau à… s’enfuir… il ajouta :

    – Revoyons-nous demain, j’ai beaucoup de choses à te dire et quelque chose à te montrer. J’ai besoin d’un flash-back de nos années d’amour.

    Elle se rebella :

    – Tu as décidé de nos vies, voici quarante ans, on ne va pas reprendre maintenant. Nous revoir ne servirait à rien, nous n’allons pas changer de vie.

    – Non, tu as raison, nous n’allons rien changer, nous allons continuer, assura-t-il sans se démonter.

    Elle lui fit remarquer :

    – Nous ne nous connaissons plus, nous ne savons plus rien l’un de l’autre.

    Il ajouta qu’ils en savaient l’essentiel et avant de la quitter, en équilibriste, comme il était arrivé, il ajouta :

    – À demain ici même heure.

    La seule chose qui vint à l’esprit d’Anna fut : « Et s’il pleut ? » Il cria en s’éloignant : « Prends un parapluie ! »

    Elle demeura seule, abasourdie, en proie aux plus vives émotions. Continuer, a-t-il dit… mais continuer quoi ? La passion inaboutie de leurs vingt ans ? Ça n’avait pas de sens… Demain elle ne viendrait pas… Il comprendrait, ou pas, qu’importait. Elle était heureuse comme elle était, avec un semblant de mari toujours absent, mais trois enfants qu’ils aimaient plus que tout, un amour de petite fille, leur maison de vacances ici, dans le golfe du Morbihan, et, en région parisienne, leur habitation principale avec son atelier dont elle était incapable de se passer. Elle ne voulait rien d’autre, surtout pas vivre autre chose ailleurs avec… avec… son grand amour de jeunesse, celui qui vivait en elle et ne l’avait jamais quittée ?

    Plongée dans ses réflexions, elle rentra chez elle, cette rencontre inimaginable l’avait bouleversée, le peu qu’elle avait appris par ouï-dire sur lui datait de très longtemps. Anna savait seulement qu’il était marié, papa de trois fillettes, évidemment adultes aujourd’hui, comme ses propres enfants, et qu’il possédait, comme il l’avait toujours désiré, une agence de publicité. Leurs sœurs ne connaissaient pas leurs liens, ils les avaient toujours gardés aussi secrets que possible, elle parce qu’elle ne voulait confier ce trésor à personne, leur relation était bien trop passionnée, trop particulière pour qu’elle en fît part à qui que ce fût, même à ses sœurs, et encore moins à ses parents.

    Lui avait sans cesse évité que leur relation ne se remarquât, sans qu’Anna ne se préoccupât d’en connaître la cause. Ça leur convenait ainsi, elle n’avait pas souvenir qu’ils en aient jamais parlé.

    Lorsqu’elle arriva chez elle, l’esprit perdu quarante ans en arrière, elle trouva la maison vide et en fut fort aise, elle n’avait pas envie de parler d’une telle rencontre. Elle avait besoin de réfléchir, de se ressaisir. Elle se demandait qu’elle pût bien être la probabilité de retrouver, quarante ans plus tard, le grand amour de sa jeunesse, alors qu’elle méditait tranquillement, sur une petite plage perdue et déserte du golfe du Morbihan. Vous êtes assise, seule, face à l’océan, recherchant votre passé au fond de votre mémoire et voilà que surgit, venu de nulle part, en chair et en os, un pan, le pan le plus important de ce passé. Plus de trente ans qu’elle venait ici dessiner ou écrire et juste au moment où elle commençait ce récit biographique, le passé venait se superposer au présent et bousculait tout, décidé à reprendre le devant de la scène. Elle ne devait pas se précipiter dans des questionnements métaphysiques, ça ne mènerait nulle part, ne pas se faire d’illusions, reprendre pied au plus vite dans la réalité, préparer le repas, voilà la réalité. D’ici peu, les uns et les autres ne tarderaient pas à rentrer de leurs diverses activités matinales, complètement affamés.

    Ce n’était quand même pas banal, pensait-elle en préparant une sauce tomate, à peine lancées les premières lignes de son roman, il semblait que le destin vînt lui donner matière à… Ce genre d’intervention du sort l’interrogeait, la surprenait, comme s’il venait la conforter dans l’idée qu’elle devait le faire. Sa vie habituelle s’organisait avec, en permanence, un pied dans la réalité des obligations quotidiennes et l’autre dans les rêves qu’elle bâtissait jour après jour, à la pointe de ses pinceaux ou de sa plume.

    En début d’après-midi, à nouveau tranquille, elle reprit le fil de sa vie artistique, celui qui l’empêchait de tomber ou de partir dans tous les sens. Elle tira très fort pour rattraper le souvenir qu’elle avait lâché ce matin, au moment de la rencontre. Il lui revint comme un boomerang qu’elle saisit à la volée : « Tu es une grande fille, maintenant, tu as deux ans aujourd’hui », dit son père en la soulevant de terre pour la poser, debout sur la table, où elle fut aussitôt saisie d’un étrange mal-être qui la fit paniquer et pleurer. Papa s’étonna, mais poursuivit : « Comme tu es devenue grande, quand papa sera en retard pour rentrer manger, tu viendras le chercher au café des Italiens. » Dans l’esprit de son père, un enfant de cet âge ne pouvait comprendre ce qu’on lui disait, il continua en lui donnant un drôle de sac qu’il appelait cartable pour aller à l’école. L’objet la séduisit… Son odeur, sa pénétrante odeur de cuir, qu’elle ne connaissait pas, mais qui lui plut aussitôt comme le sac lui-même… Le lendemain, elle demanda sans arrêt l’heure ; à un moment, jugeant sans doute que le temps était venu d’y aller, elle sortit, cartable en main, de l’unique pièce où vivait la famille. Occupée par sa sœur, bébé, la maman ne prêta pas attention à son départ.

    Elle était habituée à sortir pour aller chez la voisine d’en face, chez sa marraine ou encore en bas, au café, chez les propriétaires du petit immeuble qu’ils habitaient. Sa mère ne savait pas qu’elle avait une autre idée en tête.

    Elle traversa seule l’avenue de la liberté, très passagère, pour aller sur le trottoir d’en face. Chemin faisant, elle rencontra un homme qui connaissait sa mère, son dentiste, et qui s’inquiéta de savoir ce qu’un bout de chou de cet âge pouvait bien faire, seule, dans la rue. Elle lui expliqua qu’elle allait chercher papa au café des Italiens où le dentiste jugea utile de l’accompagner. Son père qui travaillait n’y était pas, d’autres Italiens, dont ses grands-oncles, aussi surpris que le dentiste, étaient là à jouer aux cartes. Ils lui posèrent des questions, auxquelles elle répondit invariablement que papa lui avait dit de venir le chercher. En attendant, on lui servit une limonade grenadine qu’elle sirota, perchée sur un tabouret de bar, entourée de grandes personnes à ses petits soins. Elle était ravie. Après la grenadine, elle reçut une sucette et « son dentiste » proposa à ses oncles de la raccompagner à la maison, c’était sur sa route. Elle fit le trajet de retour « à bras » en dégustant sa sucette. Maman demeura interdite, au récit de son escapade, qu’elle lui raconta plus tard, et, surtout, elle comprit vite d’où lui était venue cette idée. Son père dut en entendre parler, et par la suite, il tourna plusieurs fois la langue dans sa bouche avant de lui dire d’autres choses aussi irresponsables. Elle gardait un tendre souvenir de cette aventure grenadine, encore surprise de l’intérêt qu’on avait porté à sa toute petite personne. En ce temps-là, les adultes ne s’inquiétaient pas beaucoup des enfants, le manque de confort et d’argent occupait leur esprit et leur temps, occultant tout le reste, leur but essentiel étant de joindre les deux bouts. Pour un enfant d’un milieu aussi modeste que le leur, être le centre d’intérêt des adultes était chose rare. Pourtant, sa sœur et elle parvenaient parfois à retenir leur attention et à les faire trembler d’inquiétude.

    Dans la série des jeux dangereux, sa sœur et elle avaient, de temps à autre, de bonnes idées. Un jour que leurs parents recevaient des amis et qu’ils devisaient autour de la table sous laquelle jouaient les petites avec la ficelle dorée de la boîte de gâteaux, Zazie eut l’idée, comme elle adorait les bijoux, de faire de cette ficelle une belle chaîne en or. Elle demanda à Anna de la lui accrocher autour du cou. Sitôt dit, sitôt fait, Anna serra de toute la force de ses quatre ans, elle ne savait pas encore bien faire les nœuds, aussi, elle serrait le plus possible espérant que ça finirait par tenir. Elles étaient bien sages, Zazie, le souffle coupé, et sa sœur, concentrée sur la tâche. Leur calme, justement, alerta les adultes, car chacun sait que des enfants trop sages ce n’est jamais bon signe. Lorsque marraine regarda sous la table, elle aussi eut le souffle coupé. Elle y découvrit Zazie, le visage violacé, la langue dehors, et Anna continuant de serrer. Ce fut un choc général côté adultes, bien que Zazie eut assez vite retrouvé sa respiration, prête à souffrir à nouveau pour être belle, elle réclama à l’une des personnes de lui accrocher « sa chaîne en or ».

    Tout le monde fut soulagé de ce happy-end avec le sentiment d’avoir échappé à une catastrophe. Tandis que les enfants, eux, étaient déjà à d’autres jeux. Zazie dut en garder trace un moment, car elle toussota deux ou trois jours durant, peut-être même que le médecin fut consulté ?

    Le téléphone sonna, interrompant son récit, personne ne répondant, elle dut se déplacer pour décrocher. C’était lui, il lui proposait un rendez-vous ce soir même dans un bar du port. Elle avait réussi à mettre entre parenthèses leur rencontre, ayant pris la décision de ne plus retourner sur sa plage, mais elle n’avait pas prévu de réponse téléphonique, ils n’avaient échangé ni tel ni mails, il avait dû le trouver dans l’annuaire ! Il fut plus rapide et entreprenant qu’elle, lui proposant de venir chez elle si elle préférait. Pas question ! pensa-t-elle :

    – Je n’ai pas envie de discuter de notre passé devant mon mari et mes enfants qui vont et viennent dans la maison.

    Aussi, sa réponse fusa :

    – Je viens.

    Il n’imaginait quand même pas qu’elle allait le présenter à sa famille. Voici le grand amour de mes vingt ans, nous allons poursuivre notre romance commencée il y a quarante ans. Qu’avait-il en tête ?

    Son mari s’écria du haut de l’escalier :

    – Qui est-ce ?

    – Un copain des Beaux-Arts, en vacances ici, il m’invite à prendre un verre au Port ce soir.

    – Vas-y, je ne serai pas là, je vais m’entraîner avec mon prof de musique.

    De toute façon, il n’était jamais là, un vrai courant d’air ; il rentrait, sortait, s’en allait, revenait, il avait toujours de bonnes raisons d’être ailleurs. Heureusement, elle n’attendait pas ses autorisations pour faire ce que bon lui semblait, et il le savait. Vu les libertés qu’il s’octroyait, il était mal placé pour se mêler de ses affaires et se gardait bien de lui poser des questions à ce sujet. Malgré leurs différends, elle ne désirait absolument pas voir quelqu’un d’autre dans sa vie. Sa famille et son art la comblaient. L’amour qu’elle et son mari portaient à leurs enfants et à leur adorable petite-fille les tenait liés. Forte de cela, elle se sentit prête pour aborder sereinement la soirée. Il lui faudrait juste éviter de manière aussi courtoise que possible d’autres éventuelles rencontres. En attendant, elle sortit jardiner.

    On était fin juillet et la canicule avait fait place à un temps gris et frais pour la saison. Elle enfila un gilet, ses gants de jardinage et commença à couper les fleurs fanées. Elle constata qu’il y avait moins de fleurs que d’habitude et qu’elles étaient chétives. Les tiges des rosiers se cassaient aussitôt qu’elle les touchait. Les pauvres glaïeuls, si grands, si fleuris les années précédentes, faisaient peine à voir, il y avait une seule fleur et elle regardait Anna d’un air désespéré de soif, car il ne tombait pas une goutte depuis des jours. Comme il était interdit d’arroser pour cause de sécheresse, elle se résigna à quelques petits arrosages à la bouteille, tous les deux jours, par pitié pour ses fleurs. Elle ne sut pourquoi, mais le désespoir de ce glaïeul la fit basculer dans les glaïeuls du jardin de son enfance, à Quimper. C’était le jardin des propriétaires de l’immeuble qu’ils habitaient. Il fut son jardin d’Éden durant les six premières années de sa vie.

    Elle revoyait encore ce jour, l’unique de toute son existence, où son grand-père, venu de Quimperlé rendre visite à sa fille, la prit par la main et l’emmena pour une inoubliable promenade au jardin. Il lui apprit le nom des fleurs qu’on y voyait, entre autres, les glaïeuls et les dahlias, fleurs qu’elle affectionnait autant pour ce souvenir que pour leur potentiel décoratif. Grand-père lui expliqua aussi comment différencier un pommier d’un poirier grâce à leur feuillage. Les feuilles des pommiers sont larges et arrondies comme les pommes et celles des poiriers allongées suivant la forme des poires. Alors qu’elle courait après un papillon, il lui recommanda de ne pas l’attraper avec les doigts parce qu’ainsi on enlevait, ce qu’elle appelait la poudre (le pigment) qu’elle observait sur ses doigts, mais qui était vitale pour eux. Elle ne savait pas que cette poudre protégeait les ailes si fragiles et transparentes de l’insecte, le condamnant à mourir lorsqu’on l’attrapait sans filet. Cela la rendit attentive à protéger les papillons en expliquant ce qu’elle avait appris aux autres enfants. Elle avait reçu ce jour-là, la plus belle leçon de choses que puisse recevoir un enfant puisque celle-ci lui avait été donnée sur nature avec tout l’amour et toute la gentillesse de son grand-père. Cette journée fut pour elle un merveilleux cadeau de la vie, qui suffit à la faire aimer définitivement et à garder vivant en elle un grand-père qu’elle ne revit qu’une seule fois, dans de mauvaises conditions d’adieux. Ils avaient tous les deux senti que leur lien serait indéfectible. Leur amour commun pour la nature les avait enveloppés ensemble dans son voile mystérieux.

    Que lui arrivait-il en ce moment, pour qu’un simple glaïeul la replonge dans un si lointain passé ? Y aurait-il corrélation entre cette fleur, sa rencontre ce matin et l’écriture de son roman ? Elle était sûre que oui. Il lui arrivait comme à chacun de songer à des évènements du passé de manière occasionnelle, mais en ce moment, elle avait l’impression que ce passé voulait s’imposer, se superposer au présent.

    Chapitre II. Retour de flamme

    Le moment d’aller à son rendez-vous arriva, elle s’était faite belle ; un dernier coup d’œil dans le miroir, une ultime touche de parfum et la voilà partie. Elle se rendit avec dix minutes d’avance, au bar où ils devaient se retrouver. Elle envisageait de l’attendre sur un banc, face au port, mais elle l’aperçut assis à une table, seul. Elle alla vers lui, ils s’embrassèrent chaleureusement, leurs lèvres s’effleurèrent. La conversation s’engagea comme s’ils ne s’étaient jamais quittés. Ils avaient tant à se raconter d’hier ou d’aujourd’hui, que tout coulait de source. La grisaille s’était dissipée, un soleil timide laissait filtrer juste assez de rayons pour allumer leurs regards et illuminer la petite table ronde où ils sirotaient leur cocktail. Leur complicité revenait sans effort de l’un ou de l’autre, juste le naturel qui revenait au galop.

    Elle n’osait, cependant, toujours pas poser la question qui la taraudait depuis toutes ces années : pourquoi était-il revenu aux Beaux-Arts ce soir-là, après les avoir quittés depuis un an sans donner le moindre signe de vie ? Était-il juste passé lui dire qu’il l’aimait, mais qu’il la quittait pour en épouser une autre ?

    Il était aux environs de 18 h, ce fameux soir, lorsqu’il entra dans la salle où elle travaillait, seule. Tout le monde était parti et il le savait puisque c’était toujours ainsi, l’école fermait à 20 h. Les cours, histoire de l’art, anatomie, perspective terminaient à cette heure-là. Il connaissait la passion d’Anna et savait qu’elle travaillerait jusqu’à la dernière minute, surtout qu’on était en juin, et qu’elle préparait son diplôme, elle profiterait donc au maximum pour terminer ses travaux avant la fermeture fin juin. Toute cette année sans lui, sans en connaître la raison, avait été très dure à supporter pour elle. Les copains de Gaël qu’elle connaissait, mais voyait peu, semblaient ne pas savoir plus qu’elle ce qu’il devenait. Elle s’était jetée à corps perdu dans son travail, le meilleur moyen pour elle de ne pas trop y penser. Elle essayait de se faire à l’idée de ne plus le revoir, envisageant de nouvelles rencontres après son examen, mais ça lui faisait si mal qu’elle en rejetait chaque fois l’idée, espérant toujours son retour. La surprise qu’il lut dans son regard était si grande qu’il lui dit en souriant :

    – C’est bien moi, pas mon fantôme !

    Elle restait sans voix. Émue, elle finit par murmurer :

    – Un revenant.

    – Non, s’exclama-t-il, moi, en chair et en os !

    Il poursuivit, profitant de l’effet de surprise :

    – J’avais besoin de prendre du recul, je viens te faire, ou pas, mes adieux. J’ai longuement réfléchi, j’ai rencontré quelqu’un, on parle même mariage… Je t’aime, mais…

    Il s’interrompit, la sœur d’Anna venait d’arriver la chercher, pour rentrer ensemble en voiture. Il ne rajouta rien, les embrassa, jeta son dernier regard si pénétrant dans celui d’Anna, en s’esquivant… Sa future femme l’attendait dans sa voiture. Dire ce qu’Anna ressentit était impossible, son cœur et son âme se déchirèrent. Elle ne pouvait plus sortir un son, sa sœur ne connaissait pas leur relation, elle ne pouvait pas pleurer. Elle aurait dû tout raconter et elle ne le voulait absolument pas. Il était venu lui dire qu’il l’aimait, mais qu’il en épousait une autre… Elle était anéantie… Morte. Ce fut leur dernière rencontre, avant ce matin.

    Quelques mois plus tard, la réussite à son diplôme avec les félicitations du jury lui apporta réconfort et fierté. Ils étaient cinq ou six sur vingt-cinq de la promotion à l’avoir obtenu. Elle reprit espoir dans la vie et se mit en quête d’un travail. Dans la foulée quelques semaines après, elle rencontra Yvon en octobre. Elle était sortie en boîte de nuit avec sa sœur et le fiancé de celle-ci, pour fêter son diplôme. C’est à cette occasion qu’elle fit sa connaissance. Ce soir-là, ils avaient un peu dansé, mais surtout beaucoup parlé ; ils ne furent pas à court de conversation, c’est ce qui prima. Il était très drôle.

    Électronicien dans la marine nationale, à vingt et un ans il avait déjà fait le tour du monde. Il lui plut, sans pour autant qu’elle en tombât amoureuse. Elle accepta malgré tout de le revoir. C’est en dansant un slow avec lui sur une chanson de Maxime Le Forestier, le soir de Noël, que soudain, la flèche l’atteignit, lui transperçant le cœur. Cupidon avait visé juste. Les voix de l’amour aussi sont impénétrables. Voilà, c’était arrivé. Elle était à nouveau amoureuse de quelqu’un qui l’aimait en retour. Ça faisait un bien fou. Elle était en pleine euphorie, ses études terminées, un diplôme, un nouvel amour, elle abordait la vraie vie d’adultes dans les meilleures conditions, avec un projet de mariage en août suivant, le 11 août 1973. Elle avait 23 ans, était à nouveau heureuse, amoureuse, on s’adapte vite quand il y a de l’amour dans l’air. La différence entre Gaël, qu’elle avait poussé dans ses oubliettes et Yvon, c’était les projets. Avec Gaël, ils n’en avaient pas. Sorti de ses bras, c’était le désert, rien ne les liait en dehors du contexte de l’amour. Le besoin de construire un avenir après ses études la motivait. Yvon lui ouvrait des portes derrière lesquelles elle se précipita, à la conquête de nouveaux horizons, ceux d’une vie à deux. Elle ne pensait qu’à lui, son nouvel amour, elle bouillait de l’attendre toute la journée. Lorsqu’ils se retrouvaient, le soir, ils rêvaient de leur avenir. Son travail de décoratrice lui plaisait moyennement. Ça ne correspondait pas à ce qu’elle attendait de la décoration, mais elle gagnait un salaire, aussi petit fût-il, qui lui permettait de préparer leur futur foyer, d’acheter des cadeaux, des livres et autres babioles que l’on ne peut s’offrir quand on est étudiante. Elle s’occuperait d’un autre travail plus tard.

    Tout cela flashait dans sa tête, tandis que leur conversation se concentrait sur ce qu’étaient devenus leurs copains des Beaux-Arts. À ce sujet, Gaël lui en apprit beaucoup. Il n’avait pas quitté leur ville, tandis qu’elle était partie pour Paris. Il continuait à fréquenter certains d’entre eux. Elle fut très triste d’apprendre le décès de Norbert, qu’elle adorait, un peintre brillant, malheureusement, il était alcoolique déjà avant vingt ans. Il en mourut. Un autre, Mimi, était mort d’une overdose à vingt-cinq ans, deux ou trois encore avaient suivi, l’un d’eux avait brûlé dans son lit pour s’être endormi ivre en fumant… À ces évocations douloureuses, elle dit à Gaël qu’avec leurs comportements alcoolisés et drogués à moins de vingt ans, ce qui leur était arrivé était couru d’avance, hélas ! Certains, Dieu merci, avaient plutôt bien réussi et continuaient leur vie d’artiste, souvent, comme Anna, jusqu’à ces dernières semaines, où elle venait de prendre sa retraite, ils avaient enseigné l’art pour gagner leur vie.

    Ces histoires la laissèrent pensive, une de ses mains traînait sur la table, tripotant le mini parapluie de papier qui avait orné son verre, lorsque la main de Gaël se posa sur la sienne… Elle frissonna de tout son corps, le regard de celui-ci plongé dans le sien la fit baisser la tête qu’il lui souleva par le menton pour l’obliger à le regarder dans les yeux. Il remonta sa main, caressant son bras nu, elle eut l’impression de basculer dans une autre dimension.

    Tous ses sentiments, refoulés, enfouis depuis des décennies remontaient à la surface. Elle se retrouvait dans le même état qu’il y avait quarante ans quand ils faisaient l’amour à la plage, démunie, incapable de réagir. Elle murmura :

    – Pourquoi ?

    – Pour la même raison, je t’aime.

    – Mais nous ne savons plus rien l’un de l’autre, nous sommes mariés, chacun de notre côté…

    Il l’interrompit :

    – Je suis divorcé depuis près de vingt ans.

    Elle l’observa, étonnée.

    – Ce n’est pas en rapport avec moi, j’imagine ?

    – Indirectement si.

    – Comment ça ?

    Cette fois, il répondit sans son sourire, avec nostalgie. Leurs premières années de mariage furent assez heureuses. Pris par le travail, l’arrivée de leurs trois petites filles sur cinq ans, sa femme et lui avaient eu peu de loisirs pour rêver d’autre chose. Les petites étaient adorables et grandissaient vite. Bientôt arriva l’école, et ses tracas. Peut-être était-ce à ce moment-là que la situation avait commencé à se dégrader dans leur couple ? Mais peu importait aujourd’hui. Ils avaient divorcé après vingt ans de mariage.

    – C’est à cette période que je me suis remis à penser de plus en plus à toi, à espérer te retrouver un jour sans faire malgré tout de démarches en ce sens. Je restais indécis, craignant ce que je pourrais apprendre si toutefois je retrouvais ta trace. Mon envie de toi m’apparaissait aussi utopique que de vouloir vivre avec une idole de cinéma. J’ai recommencé à sortir, à faire des rencontres, mais ce n’était pas ce que je voulais. Au début, ma femme et mes filles occupaient mes pensées. Mais, petit à petit, ton image s’imposa, d’autant plus que dès les premiers conflits avec Coline, je pris l’habitude de penser à toi, ça me calmait. Avec le temps, ta personne a fini par évincer les femmes que je rencontrais. Te retrouver devenait un objectif. Mais c’était il y a près de quinze ans, j’étais très occupé par mon travail, les week-ends et vacances avec les filles ne me laissaient que peu de temps libre. Il n’y avait pas encore toutes les facilités d’aujourd’hui avec internet pour retrouver les gens. À cette époque, je me contentais donc de rêver et d’espérer te retrouver un jour, par hasard. Je me suis mis à ta recherche et cette fois sérieusement, il y a trois ans, quand le plus jeune de mes petits-enfants a commencé à prendre son envol, me libérant un peu de temps. Maintenant que c’est fait, parle-moi de toi. Je veux tout connaître de ta vie !

    – Non, répondit-elle, l’heure des explications a sonné. Puisque tu voulais tant me retrouver, commence par m’expliquer pourquoi tu m’as laissée tomber sans plus me donner de nouvelles pendant toute l’année scolaire ? Juste avant la fin de notre dernière année aux Beaux-Arts, tu reviens à l’improviste pour me dire que tu m’aimais, mais que tu en épousais une autre. Tu aurais décidé de me faire souffrir à vie, tu ne t’y serais pas mieux pris. C’était quoi ton idée ? Après tout ce que nous avions vécu, comment as-tu pu me laisser tomber pour la vie sans aucune explication ? As-tu réfléchi aux possibles conséquences de ta décision ? J’aurais pu rater mon diplôme, ne pas le passer, ou pire, me suicider, tellement j’étais désespérée, t’en avais rien à faire de mes sentiments ?

    Elle ne le laissait pas placer un mot et vidait son sac, du désespoir subi quarante ans plus tôt, surprise d’avoir conservé tant de rancœur et de questionnements depuis tout ce temps, tellement d’autres étaient venus s’y rajouter ! Les couches de problèmes, de déceptions avaient dû s’empiler comme un mille-feuille dans son subconscient. Ces années-là lui semblèrent tellement lointaines soudain ! Sa colère lui parut dépassée, ridicule… Elle se tut. Il la regardait intensément, avec tristesse.

    – Je n’avais pas vu les choses comme ça, reprit-il en lui prenant les mains.

    Il n’avait jamais eu l’intention de l’abandonner, c’était juste que les choses s’étaient passées de manière autre que ce qu’il avait imaginé. Dans un premier temps, son absence aux Beaux-Arts n’était prévue que pour prendre un peu de recul par rapport à ses études qu’il avait complètement négligées jusque-là. Il voulait réfléchir à leur relation, se trouvait trop jeune pour s’engager à vivre en couple, ce qu’elle ne lui avait jamais réclamé. Ne sachant pas le lui dire, il avait attendu de trouver la meilleure solution avant de revenir la voir. Puis, le destin s’en était mêlé, alors qu’il cherchait du travail. Il rencontra Coline, qui l’embaucha, il se lança avec elle dans une relation à la fois amoureuse et professionnelle. Elle avait cinq ans de plus que lui et était déjà bien lancée dans la vie active, justement dans la branche qu’il recherchait. Elle possédait une agence de publicité, dans laquelle il fut engagé pour un remplacement. Il pensa que son avenir s’éclairait enfin, et que c’était sans doute de ce côté-là qu’il devait regarder. Apprendre son métier avec sa nouvelle amoureuse, qui aurait résisté ? C’était pour en parler avec Anna qu’il était revenu ce fameux soir, l’entretenir de mariage. Encore indécis, il désirait connaître sa réaction, savoir ce qu’elle allait dire. Elle ne sut que penser d’une telle absurdité ? À sa grande déception, ou plutôt à son grand soulagement, pensa Anna, elle n’avait ni protesté ni laissé transparaître aucune émotion. Il ne s’était donc pas rendu compte de son désarroi ? Depuis cinq ans qu’ils étaient en couple, il ne savait toujours pas interpréter ses sentiments dans son regard ? Que dire dans ces conditions alors que tout vous échappe ? Sa sœur étant arrivée à ce moment précis, il en avait conclu que le sort avait décidé pour eux. Ça devait l’arranger, lui éviter de se poser des questions. Pourtant, il n’avait vraiment pas pris la décision de se marier, comme il lui avait dit alors, elle l’apprit à cet instant, il s’était marié un an après elle. Le choc de son annonce avait été tellement violent, qu’elle avait entendu ce qui lui faisait peur et non ce qu’il disait. Elle venait de comprendre que ça ne servait vraiment à rien de remuer le passé. La vie, pour des raisons complexes, les avait réunis dans l’amour, pour les séparer ensuite et les rassembler à nouveau quarante ans plus tard. Ils avaient à présent soixante-trois ans. À eux maintenant de décider de la suite à donner à cette nouvelle opportunité. Anna en conclut que ressasser ne servirait à rien, ça ne les ferait pas avancer.

    – Ça tombe bien ! dit-il. Je ne veux plus avancer, je veux stagner, maintenant que je t’ai retrouvée.

    Son trait d’humour les fit sourire. Elle en profita pour lui rappeler qu’elle n’était pas divorcée et n’avait pas l’intention de l’être. Elle avait connu durant vingt ans un grand bonheur avec son mari ; malheureusement, son univers s’était effondré, le jour où elle avait appris qu’il la trompait. Dans un premier temps, elle avait pensé divorcer, mais avait réfléchi. Ses enfants étaient encore jeunes, sa fille n’avait que sept ans et, comme ses frères, elle adorait son père. Anna remit à plus tard les grandes décisions, espérant que ça ne serait qu’une passade, la fameuse crise de la quarantaine. Elle aimait toujours Yvon. L’amour ne s’arrête pas à la commande, pas plus qu’il ne se décide. Elle

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