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Les nursing sisters
Les nursing sisters
Les nursing sisters
Livre électronique424 pages6 heures

Les nursing sisters

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À propos de ce livre électronique

Al’automne 1940, Flavie et Évelina s’apprêtent à vivre l’épreuve la plus intense de leur vie. Diplômées de l’école d’infirmières de l’hôpital Notre-Dame au moment où se trame la Seconde Guerre mondiale, les braves jeunes femmes ont décidé de s’engager pour porter secours aux soldats blessés en Angleterre. Alors que Flavie espère retrouver Clément, devenu médecin militaire en Europe, Évelina souhaite simplement fuir une vie qui ne lui était pas destinée. Quant à Simone, la troisième complice choisit de ne pas prendre part à l’aventure, menant son propre combat au service de l’hôpital de Rouyn en dépit de son statut de
femme mariée. En débarquant dans le Vieux Pays, les deux amies découvriront les atrocités de la guerre, affectées
d’abord aux hôpitaux de campagne, puis plus près du front. Heureusement, ces Nursing Sisters, comme on appelle les infirmières canadiennes dépêchées sur les champs de bataille, trouveront un certain réconfort ainsi qu’un parfum de leur terre natale en entretenant une correspondance avec leur collègue demeurée de l’autre côté de l’Atlantique. Elles entendent bien la revoir un jour, si jamais le terrible conflit prend fin… Passionnée depuis toujours par l’histoire, Marylène Pion s’est d’abord fait remarquer par la publication de la saga Flora, une femme parmi les Patriotes. Elle met ici sa plume à contribution pour nous offrir le volet final de la série Les Infirmières de Notre-Dame.
LangueFrançais
Date de sortie5 juin 2020
ISBN9782897653682
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    Aperçu du livre

    Les nursing sisters - Marylène Pion

    Pion.

    Prologue

    Montréal, 1940

    En constatant qu’Évelina s’impatientait et afin de passer le temps, Flavie saisit la théière et remplit deux tasses du liquide brûlant. Évelina ignora le thé que Flavie lui versa et jeta un autre coup d’œil à sa montre. Comme si de rien n’était, Flavie prit sa tasse, souffla sur le liquide pour le refroidir et but une gorgée. Évelina hocha la tête et s’adossa à sa chaise en maugréant :

    — Je ne peux pas croire qu’elle va nous faire faux bond !

    — Ne t’inquiète pas, elle viendra. Elle a toujours été ponctuelle. Il y a sûrement une raison à son retard.

    Au moment où Évelina, lassée d’attendre, s’apprêtait à faire signe à monsieur Zheng pour commander son repas — ce dernier étant le propriétaire du restaurant chinois où les deux jeunes femmes se trouvaient —, elle aperçut Simone, le nez collé à la vitrine. Celle-ci scrutait l’intérieur du commerce. Dès qu’elle la vit, Flavie lui fit signe. La clochette tinta lorsque Simone poussa la porte et se précipita vers ses amies, une petite valise à la main. Elle s’excusa aussitôt :

    — Le mautadit train avait du retard, et puis le chauffeur de taxi donnait vraiment l’impression de tout juste débarquer en ville. Heureusement que je connais le coin ! J’ai bien cru que je n’arriverais jamais à l’heure.

    Flavie s’était levée pour embrasser son amie, Évelina aussi, mais cette dernière était restée en retrait, la mine boudeuse. Le regard renfrogné d’Évelina ne freina pas les ardeurs de Simone qui, après avoir serré Flavie dans ses bras, s’avança vers elle.

    — Change d’air, Évelina ! Tu savais bien que je viendrais. Jamais je ne me serais pardonné d’avoir manqué votre départ.

    Évelina retrouva rapidement le sourire après l’étreinte de son amie. Elle invita Simone à s’asseoir. Pour se faire pardonner son accueil plutôt froid, elle lui versa une tasse de thé. Simone parcourut le restaurant des yeux et poussa un soupir.

    — Mon Dieu, ça fait si longtemps que je ne suis pas venue ici !

    — Seulement un an, Simone, lui rappela gentiment Évelina.

    — Je sais bien, mais j’ai vraiment l’impression que ça fait une éternité. Rien n’a changé pourtant. La collection de bibelots de chats de madame Zheng attend toujours un coup de plumeau, là, sur la tablette.

    Flavie et Évelina se retournèrent en même temps et pouffèrent de rire. Simone avait toujours été celle des trois qui pouvait se vanter de remarquer les moindres détails dans une pièce et, de plus, elle possédait une mémoire presque infaillible. Monsieur Zheng, qui avait eu connaissance de l’arrivée de Simone, vint prendre la commande. Avec son accent coloré, il lança :

    — Ça fait très longtemps que je ne vous ai pas vues toutes les trois réunies. Vous allez bien, mademoiselle Lafond ?

    — Je vais très bien, merci. Vous semblez en forme, vous aussi.

    — Maintenant, Simone porte le nom de madame Choquette, monsieur Zheng, intervint Évelina en dépliant sa serviette de table. Elle est LA femme mariée de notre groupe !

    Le restaurateur marmonna un mot d’excuse avant de prendre la commande. Ensuite, il retourna dans les cuisines.

    — Tu l’as fait fuir, Évelina, avec tes remontrances ! Pauvre lui !

    — Ben quoi ? C’est vrai que tu es la seule femme mariée de notre trio. Et puis, Simone, tu sais comme moi que monsieur Zheng n’a jamais été vraiment sociable, de toute façon. Il se dépêche toujours de servir ses clients. Alors, quoi de neuf, la « maîtresse d’école » ?

    Simone ne put s’empêcher de sourire. Évelina l’avait toujours surnommée ainsi, ce qui lui rappelait sa vie avant qu’elle ne devienne infirmière.

    — Paul a bien failli m’empêcher de venir vous voir. Il n’était pas chaud à l’idée que je fasse ce long voyage en train…

    — Il était mieux de te laisser partir. Sinon, je serais allée moi-même te chercher en Abitibi !

    Évelina ne saisit pas la subtilité du message de Simone. Flavie fixa Simone, essayant de déchiffrer les propos de son amie. Paul n’était pas un homme de nature tyrannique ; jamais il n’aurait empêché Simone de venir voir ses amies à Montréal. Il y avait sûrement une raison à sa réticence. Quand Simone lui fit un clin d’œil, Flavie comprit immédiatement de quoi il était question.

    — Non ?

    — Eh oui !

    Évelina fronça les sourcils. Que signifiait ce court échange entre ses deux amies ? Puis, elle comprit. Faisant sursauter les clients du restaurant, elle s’exclama :

    — Tu es enceinte, Simone Lafond !

    — C’est Simone Choquette, maintenant ! lui rappela Flavie pour se moquer tout en jetant un regard de connivence à Simone.

    Évelina ne releva pas la plaisanterie de Flavie. Après s’être levée avec précipitation, elle déposa deux baisers sonores sur les joues de son amie.

    — Je suis si contente pour toi, Simone ! L’arrivée du bébé est prévue quand ? Raconte-nous tout !

    Simone entreprit de faire le récit des derniers mois passés en Abitibi. Même si celle-ci se trouvait à des lieues de Flavie et d’Évelina, ses amies et elle entretenaient une correspondance assidue depuis son installation à Rouyn. Paul et Simone s’étaient mariés à l’automne 1939, un peu après le début de la guerre, et la jeune femme avait suivi son mari médecin en Abitibi — ce coin de pays qui avait bien besoin de personnel médical. C’est d’ailleurs grâce à cette pénurie que Simone — à son grand bonheur — pouvait travailler en tant qu’infirmière là-bas. En effet, la plupart des conseils d’administration des hôpitaux toléraient mal la présence d’infirmières mariées dans leurs établissements.

    — C’est tout nouveau encore cette grossesse. Il n’y a que Paul et vous deux qui soyez au courant.

    — Tu vas cesser de travailler ? s’informa Flavie avant de prendre une cuillerée dans le bol de soupe que monsieur Zheng venait de déposer discrètement devant elle.

    — Pour le moment, ça ne paraît pas trop, alors je continue de travailler. Ensuite, je devrai arrêter. Mais après, je compte bien y retourner !

    — Voyons donc ! Tu n’y penses pas !

    Flavie déposa sèchement sa cuillère sur la table, choquée des propos de son amie. Devant le ton réprobateur de celle-ci, Simone crut bon de s’expliquer. Évelina, plus ouverte d’esprit, n’avait pas bronché ; elle continuait de manger sa soupe.

    — C’est déjà tout décidé avec Paul. Ce n’est pas parce que je suis mariée que je dois renoncer à ma profession. Je travaillerai quelques heures par semaine pour superviser un groupe d’infirmières, c’est tout.

    — C’est certain que ce n’est pas la norme…

    — Quand nous nous sommes mariés, Paul savait déjà que je ne resterais pas à la maison pour m’occuper des enfants. Il songe à ouvrir un cabinet ; je serai son assistante. On a tout le temps d’y penser, de toute façon.

    — Oui, c’est vrai ; et puis, l’important est que vous soyez d’accord tous les deux, déclara Évelina à l’intention de Flavie.

    Cette dernière approuva en hochant la tête, puis elle termina son bol de soupe en silence. La jeune femme réagissait toujours ainsi en cas de contrariété : elle se repliait sur elle-même. Évelina et Simone étaient bien placées pour le savoir, car leur amie et elles avaient passé ensemble toutes leurs années d’études en soins infirmiers à l’hôpital Notre-Dame. Toutes trois terminèrent leur soupe sans échanger une parole. Pourtant, elles avaient tant de choses à se dire avant le départ imminent de Flavie et d’Évelina. Quelques mois avant leur mobilisation, ces dernières avaient réussi avec brio la brève formation portant sur les méthodes de travail en vigueur dans les hôpitaux militaires. Le lendemain, les deux jeunes femmes prendraient le train tôt le matin pour Halifax, où elles embarqueraient sur un navire en direction de l’Angleterre. Sur place, elles travailleraient au sein du Corps de santé royal de l’armée canadienne. Pour Flavie, le choix s’était imposé de lui-même puisqu’elle allait rejoindre là-bas Clément Langlois, son fiancé, qui s’y trouvait déjà en tant que chirurgien. Évelina et elle s’étaient portées volontaires pour aller soigner les blessés outre-mer.

    Lorsque monsieur Zheng vint récupérer les bols de soupe vides, Simone brisa le silence.

    — En tout cas, les filles, je vous trouve courageuses d’aller en Angleterre. Ça ne vous fait pas un peu peur ?

    — Nous ne serons pas directement sur le front ; nous travaillerons dans des hôpitaux de campagne, indiqua Flavie d’une voix rassurante.

    — Je vous envie un peu, car j’aurais bien aimé vivre une expérience semblable. Ce doit être tellement gratifiant de venir en aide aux soldats qui se battent au nom de la liberté.

    — Effectivement. Mais ce que tu fais est gratifiant aussi, Simone. Les gens de Rouyn ont beaucoup de chance de se faire soigner par toi.

    — Peut-être, mais cela m’aurait vraiment plu, déclara Simone, songeuse.

    — On ne peut pas tout avoir : un mari, une belle situation dans un hôpital et un bébé en route ! la taquina Évelina. Compte-toi chanceuse ! Tu pourrais être encore vieille fille comme nous deux.

    — Pour Flavie, ce n’est qu’une question de temps. Après la guerre, son beau Clément la mariera vite fait. Mais en ce qui te concerne, Évelina, c’est autre chose…

    Monsieur Zheng arriva avec le reste des plats qu’elles avaient commandés. Évelina aurait voulu remercier le restaurateur de lui sauver la mise, elle qui voulait éviter à tout prix de parler de sa rupture avec Antoine devant Flavie. Le sujet était plutôt épineux entre les deux parce que Flavie ne comprenait pas les raisons de la fin de cette relation. Pourtant, le couple était promis à un bel avenir. Évelina avait contribué au financement de la fromagerie, et Antoine avait agrandi son entreprise. Ils avaient même choisi l’emplacement où serait construite leur nouvelle maison à La Prairie. Puis, Évelina avait fait volte-face. Elle avait rompu avec Antoine et décidé de suivre Flavie dans son périple en Angleterre.

    Le reste du repas se déroula sans heurt. Une fois la gêne de l’éloignement surmontée, le trio discuta comme s’il s’était vu la veille, se racontant des anecdotes et tous les potins concernant le personnel de l’hôpital Notre-Dame. Évelina insista pour régler l’addition, mais elle ne réussit pas à convaincre Flavie de venir passer la nuit chez elle pour poursuivre leurs discussions. Celle-ci avait encore quelques affaires à préparer avant son départ et elle voulait passer sa dernière soirée au Canada en compagnie de son père, Victor Desaulniers. Elle retrouverait Simone et Évelina à la gare le lendemain. Le trio se sépara ; Simone et Évelina sautèrent dans un taxi, et Flavie monta dans un autre.

    ***

    Simone s’installa dans la chambre des invités. Elle enfila rapidement sa chemise de nuit et son peignoir, et descendit rejoindre Évelina au petit salon. Cette dernière s’y trouvait avec Fedora, son ancienne gouvernante qui demeurait avec elle depuis la mort de sa mère. À l’arrivée de Simone, Fedora quitta la pièce afin de laisser les deux jeunes femmes seules. Simone s’assit sur un fauteuil en face d’Évelina.

    — Ça doit te faire drôle d’habiter encore avec une gouvernante à ton âge !

    — Je l’ai toujours considérée plus comme un membre de ma famille que comme une gouvernante. À la mort de ma mère, je ne voulais pas vivre seule dans cette grande maison. Ça tombe bien, car Fedora s’occupera de tout pendant mon séjour en Angleterre. Je pars donc en toute confiance.

    — Pourtant, tu aurais très bien pu partager cette maison avec Antoine…

    Évelina se leva pour replacer les coussins sur le fauteuil précédemment occupé par Fedora. Elle espérait paraître suffisamment affairée pour que Simone change de sujet — même si Évelina savait pertinemment que lorsque son amie voulait savoir quelque chose, elle finissait toujours par parvenir à ses fins. La jeune femme retourna à sa place, appréhendant le moment où Simone passerait à l’attaque. Cette dernière ne tarda pas à la questionner.

    — Flavie n’est pas là, Évelina, alors tu peux parler en toute quiétude. On ne peut pas dire que tu sois très portée sur la correspondance… C’est Flavie qui m’a appris ta rupture avec Antoine dans une de ses lettres. J’avoue que je n’ai pas compris les véritables raisons de votre séparation. Tout semblait si bien aller entre vous deux.

    — Ça allait bien, comme tu dis. Antoine m’avait laissé du temps ; j’ai même pu travailler à l’hôpital durant un an tout en continuant d’habiter à Montréal. On se voyait quand même souvent, car je lui avais laissé l’automobile de ma mère pour faciliter ses voyages à Montréal.

    — Et alors, que s’est-il passé ?

    Évelina se mit à arpenter la pièce, essayant de trouver une réponse à la question de Simone. Elle-même avait du mal à se comprendre. La jeune femme s’était longuement questionnée depuis son engagement au sein du Corps de santé royal de l’armée canadienne ; elle n’était plus certaine de faire la bonne chose en allant travailler en Angleterre. Le seul aspect qui la consolait était qu’elle serait auprès de Flavie. Antoine était un homme exceptionnel. Il l’avait attendue patiemment, prêt à faire plusieurs concessions lorsqu’elle se serait installée à La Prairie. Il avait choisi de bâtir leur maison au village pour lui faire plaisir, même si cela l’éloignait de la campagne et de sa ferme — où il devrait se rendre matin et soir. Il était même disposé à déménager sa fromagerie pour rapprocher celle-ci de son domicile. Évelina était amoureuse d’Antoine ; pourtant, cela n’avait pas été suffisant pour que le mariage ait lieu.

    Simone observait son amie qui faisait les cent pas dans le salon. Elle décida d’être franche avec elle.

    — Veux-tu savoir ce que je pense, Évelina ?

    — Même si je refuse, Simone, crois-tu vraiment que cela t’empêcherait de le faire ?

    Évelina croisa les bras, attendant que son amie lui dise ses quatre vérités. Simone se lança :

    — Antoine est l’homme qu’il te faut, il n’y a pas de doute. Je pense seulement que tu as pris peur devant toutes les responsabilités que comporte le mariage.

    — Moi, j’aurais eu peur ! Elle est bonne celle-là ! Tu m’as confié tout à l’heure que tu me trouvais courageuse de partir pour l’Angleterre.

    — Je pense que de te joindre au sein du Corps de santé royal est une porte de sortie pour toi…

    Évelina se laissa choir dans un fauteuil et porta les mains à son visage. Simone vint se poster près d’elle.

    — Excuse-moi d’être aussi directe, Évelina. Mais je crois sincèrement qu’Antoine est l’homme de ta vie. Le problème, c’est que tu ne le sais pas encore. Comment a-t-il réagi lorsque tu lui as annoncé que tu partais pour l’Angleterre ?

    — Il est resté silencieux pendant plusieurs minutes, cherchant à comprendre. Il aurait pu se fâcher… mais non. Il m’a simplement dit qu’il pensait pouvoir me rendre heureuse et qu’il était terriblement désolé de ne pas y être arrivé.

    Voyant que son amie s’ouvrait à elle, Simone l’incita à poursuivre ses confidences.

    — C’est tout ?

    — Il m’a fait promettre de veiller sur Flavie. Je n’ai pas été capable de lui confier pourquoi j’avais décidé de rompre.

    — Tu ne lui as pas avoué que tu avais peur, tout simplement ?

    — Oui, j’ai peur de l’engagement, mais j’ai surtout peur de ne pas être à la hauteur de ce qu’Antoine attend de sa femme. Il rêve d’un idéal que je ne suis pas apte à lui offrir.

    — Je pense que tu te sous-estimes, Évelina.

    — Peut-être bien. J’ai essayé de me convaincre que je pouvais passer ma vie à la campagne à laver des fromages. J’y ai presque cru, Simone ! Mais je ne suis pas sûre que ma place soit à La Prairie, auprès d’Antoine. J’ai le cœur brisé de m’éloigner, mais je sais qu’il faut que je le fasse. Le pire dans tout ça, c’est que je sais que je l’ai terriblement déçu.

    Évelina ferma les yeux quelques secondes pour chasser cette vision encore douloureuse de son esprit. Simone tenta de rassurer son amie.

    — Cet homme-là est généreux, Évelina. Il t’a redonné ta liberté pour que tu découvres ce que tu veux vraiment, pour que tu ailles au bout de toi-même.

    — Je ne suis plus certaine d’avoir envie de travailler en Angleterre. Oui, ça me fait peur d’aller là-bas. Flavie a une bonne raison, elle ! Notre amie s’en va rejoindre Clément. Moi, je n’ai aucune raison de m’exiler…

    — Tu vas t’occuper des soldats blessés, Évelina. C’est tout à ton honneur.

    — Tu l’as dit, Simone. Ce n’est pas parce que je suis généreuse ou courageuse que je pars. Je fuis, tout simplement…

    — Ça prend tout de même du courage pour le faire, Évelina. Tu aurais très bien pu rester ici, dans le confort de ta maison.

    Simone fit un grand geste de la main pour montrer tout le luxe du petit salon. Sourire en coin, Évelina observa le geste théâtral de son amie.

    — Si vous êtes faits pour être ensemble, Évelina, Antoine t’attendra.

    — Tu penses ?

    — J’en suis convaincue ! Allez, nous devrions monter pour que tu puisses dormir. Demain, une longue journée t’attend. Pour ma part, depuis le début de ma grossesse, chaque soir mon lit est le bienvenu !

    ***

    Évelina avait passé une fort mauvaise nuit. Plusieurs fois, elle avait vérifié ses bagages et remis en question sa décision de tout quitter — car elle doutait de plus en plus d’avoir envie de se retrouver en Angleterre. Finalement, elle avait résolu que c’était sa place et que, s’étant engagée, elle ne pouvait plus se désister. Sa discussion avec Simone avait remué certaines choses qu’elle essayait d’oublier, entre autres, le regard rempli de tristesse d’Antoine lorsqu’elle lui avait annoncé qu’elle rompait leurs fiançailles. Elle aurait voulu lui dire que le mariage lui faisait peur, mais elle en avait été incapable. La jeune femme s’en voulait pour sa lâcheté. Antoine avait pris toute la responsabilité de cette rupture ; il croyait qu’il n’était pas assez bien pour elle. Évelina n’avait pas trouvé le courage de lui dire la vérité.

    Fedora passa la tête dans l’ouverture de la porte entrebâillée.

    — Tu as mal dormi, bella. Je t’ai entendue faire les cent pas toute la nuit. Tu es inquiète de partir, n’est-ce pas ?

    — Oui, je le suis. On ne peut rien vous cacher.

    — Tout se passera bien, tu verras. Tu es certaine que tu ne veux pas que je t’accompagne à la gare ?

    — J’en suis certaine ! Simone sera là et ce sera bien suffisant. J’ai peur de manquer de courage au moment de monter dans le train.

    — Promets-moi d’être prudente et de me revenir en pleine forme.

    — Rassurez-vous. Je ne m’en vais pas me battre contre les nazis. Je serai en sécurité en Angleterre.

    — Fais tout de même attention. Les nazis sont prêts à tout pour gagner la guerre. Ils ont même commencé à bombarder Londres.

    — Je ferai attention, Fedora, n’ayez crainte.

    Sur ces entrefaites, Simone entra dans la chambre.

    — Elle est bien mieux de faire attention, Fedora, car elle me l’a promis aussi. Tes bagages sont prêts, Évelina ?

    Une dernière fois, la jeune femme passa en revue les affaires qu’elle emportait. Outre ses uniformes, quelques bouteilles de vernis à ongles et des produits de maquillage se trouvaient dans sa valise. Lorsque Simone avait jeté un coup d’œil au contenu de celle-ci, elle n’avait pu s’empêcher de sourire. Évelina ne renoncerait pas à la coquetterie, même en temps de guerre !

    ***

    Flavie aussi avait mal dormi. Elle était restée longtemps éveillée, songeant à son départ. Avant d’aller dormir, elle s’était entretenue plusieurs minutes avec sa mère au téléphone. Cette dernière lui avait fait promettre de donner de ses nouvelles tout en s’excusant de ne pouvoir être présente lors de son départ. Flavie se doutait bien que Bernadette voulait s’éviter une scène déchirante sur le quai de la gare, ce dont elle lui était reconnaissante. Sa mère n’avait cessé de répéter qu’elle ne comprenait pas que son unique fille s’engage dans cette guerre insensée ; chaque fois, Flavie lui avait rétorqué qu’elle se rendait en Angleterre pour aider à soigner les blessés. Malgré tout, Bernadette continuait de croire qu’elle travaillerait directement sur les champs de bataille.

    Son père voyait d’un autre œil son engagement. La veille, il lui avait fait les recommandations d’usage tout en saluant son courage et sa détermination à vouloir prêter main-forte aux hôpitaux de campagne.

    — Quand j’ai combattu lors de la Première Guerre mondiale, ce sont les infirmières qui m’ont redonné courage et espoir. Elles n’étaient pas là uniquement pour nous soigner physiquement, mais aussi pour s’occuper de notre âme. Tu vas apporter beaucoup aux soldats, ma chérie. Pense à ton vieux père de temps en temps, et écris-lui quand tu le pourras.

    La hâte de partir des derniers jours s’estompait peu à peu à présent que Flavie se trouvait dans la voiture conduite par Arthur, le chauffeur de son père, en route vers la gare. Victor paraissait nerveux à cause du départ imminent de sa fille pour l’Europe. Il restait silencieux à ses côtés. Flavie songea à Clément, qu’elle reverrait sous peu. Lorsque le Canada avait déclaré la guerre à l’Allemagne en appui au Royaume-Uni, elle avait bien vu le tiraillement de son fiancé. Il avait hésité entre son devoir en tant que médecin d’aller soigner les blessés de guerre et la promesse de mariage faite à Flavie. Celle-ci l’avait laissé partir à contrecœur, tout en sachant qu’il lui reviendrait lorsque la paix serait rétablie. Elle avait donc mis de côté son projet de poursuivre ses études pour devenir hygiéniste à la Ville de Montréal et avait travaillé quelque temps comme infirmière à l’hôpital Notre-Dame. Puis, lorsqu’elle avait vu l’offre d’emploi au sein du Corps de santé royal, elle avait sauté sur l’occasion d’aller soigner les blessés outre-mer. Flavie n’avait pas hésité une seule seconde à s’engager, croyant qu’elle serait plus utile là-bas, et aussi qu’elle aurait la chance de voir Clément qui travaillait comme chirurgien à l’hôpital de Bramshott.

    La traversée et tout ce que le travail d’infirmière de guerre comportait l’inquiétaient un peu. Mais Flavie ne serait pas seule, car Évelina serait près d’elle. Cette dernière avait préféré la suivre plutôt que de se marier avec Antoine. « Pauvre Antoine, il va l’attendre encore une fois et espérer qu’elle lui revienne », pensa Flavie qui en voulait un peu à son amie de jouer avec les sentiments de son frère. « Le pire dans tout ça, c’est qu’ils s’aiment tellement tous les deux. » Comme pour Clément et elle, d’ailleurs, la guerre avait mis leurs projets en attente. Au début, le gouvernement avait prédit que cette guerre serait très brève, mais rapidement, elle avait pris des proportions gigantesques. Flavie se désespérait que le conflit ne se termine afin que son fiancé rentre au pays. « Au moins, là-bas, j’aurai l’impression d’être utile, de participer activement à l’effort de guerre. »

    Flavie jeta un coup d’œil à sa montre. Simone et Évelina l’attendaient sûrement déjà à la gare. En ce jour, il n’était pas question qu’elle soit en retard. En constatant la nervosité de sa fille, Victor prit la main de celle-ci pour la rassurer. Tous deux demeurèrent silencieux durant le reste du trajet. Victor souhaitait que tout se passe bien pour sa fille unique. Pour sa part, Flavie espérait se montrer à la hauteur dans son rôle d’infirmière de guerre.

    ***

    Le train s’éloigna. Sur le quai, Simone et Victor continuaient d’envoyer la main aux deux voyageuses. Évelina quitta la fenêtre la dernière, le cœur gros que son ancien fiancé ne soit pas venu lui souhaiter bon voyage. Elle avait tant espéré le voir apparaître ; c’est pourquoi elle avait attendu le plus longtemps possible avant de monter dans le train. Puis, l’appel final avait été lancé et Évelina avait pris place dans le véhicule. Elle était restée plusieurs minutes à la fenêtre pendant que le train se mettait en marche. La jeune femme alla s’asseoir près de Flavie qui s’épongeait les yeux et se mouchait bruyamment. Évelina se mordit les joues pour ne pas éclater en sanglots. Elle ne pouvait plus reculer ; l’Angleterre l’attendait.

    Si Évelina était restée plus longtemps à la fenêtre, elle aurait vu Antoine rejoindre Simone et Victor. Le jeune homme était effondré d’avoir manqué le train conduisant sa sœur et la femme qu’il aimait vers la guerre qui faisait rage de l’autre côté de l’océan.

    Première partie : Angleterre 1940-1943

    1

    25 septembre 1940

    Mes chères amies,

    J’ai décidé de vous écrire durant votre périple de l’autre côté de l’océan. Mes lettres seront un peu les paroles que je ne prononcerai pas. Je ne cache rien à Paul, mais notre amitié a quelque chose de précieux que je souhaite chérir sans la partager. J’ignore quand vous recevrez mes lettres et s’il sera facile de vous les faire parvenir, mais en couchant sur papier mes pensées pour vous, j’ai un peu l’impression de faire partie de votre aventure. Comme j’aurais aimé être près de vous… Je ne regrette pas mon mariage avec Paul, loin de là. Mais parfois, je me prends à rêver que nous sommes toutes les trois réunies dans notre chambre de la résidence des infirmières. Évelina peste contre son vernis à ongles qui s’écaille et toi, Flavie, les yeux dans le vague, tu songes à ton beau Clément. Ce sont des choses futiles, mais elles rendent mes souvenirs ô combien vivants ! Je vous imagine à l’instant sur votre navire, traversant l’océan vers un monde incertain, vers cette guerre qui changera probablement à jamais le cours de l’histoire. Toutes les deux, vous êtes sur le pont du navire. Toi, Flavie, tu respires à pleins poumons les effluves de l’océan, essayant de te convaincre que tu as fait le bon choix en t’embarquant dans cette galère, les papillons dans le ventre en pensant que tu retrouveras Clément sous peu. Ne doute pas un seul instant de tes capacités d’infirmière. Tu as toujours été celle qui était la plus compatissante, la plus attentionnée, de nous trois. Ta présence sera un grand réconfort pour les soldats blessés et mutilés. Toi, Évelina, tu replaces pour la centième fois tes cheveux décoiffés par la brise marine. Tu réfléchis à ce que tu as laissé derrière toi ; cela a été un grand sacrifice de quitter Antoine. Tu as toujours été à la recherche d’un idéal, Évelina. J’espère vraiment que tu le trouveras de l’autre côté de la grande mare. Sous tes allures un peu grognonnes se cache le plus grand cœur que je connaisse. Quand il sera question de réconforter les soldats, ta générosité t’honorera. Ne perds pas espoir, Évelina : tu trouveras ta voie. N’oublie pas ceux que tu laisses derrière toi. Tu m’as avoué que tu croyais ne pas être assez bien pour Antoine… Sache qu’il était très malheureux d’être arrivé en retard lorsque tu es partie pour Halifax. Eh oui ! Contre toute espérance, il était venu te confier qu’il continuera de penser à toi et qu’il ne t’en veut pas.

    J’aurais tant voulu vous manifester de vive voix, mes amies, à quel point je suis fière de vous… Mais vous me connaissez ; je n’étale pas facilement mes sentiments et j’ai toujours détesté les au revoir. Juste avant que vous ne montiez dans le train, je n’ai pu m’empêcher de vous recommander d’être prudentes. Toutefois, j’aurais tellement aimé vous dire à quel point vous avez embelli ma vie, comme vous êtes importantes pour moi et combien vous allez me manquer. Je pense à vous et — ne riez surtout pas ! — je prie tous les soirs pour qu’il ne vous arrive rien. Comme vous le savez, je n’ai jamais été croyante. Eh bien, le temps de cette guerre, je vais prier pour vous afin que vous reveniez saines et sauves !

    Simone

    ***

    C’était la première fois que Flavie et Évelina effectuaient un aussi long voyage en train. Elles n’étaient pas les seules, car plusieurs autres infirmières faisaient partie elles aussi de cette aventure. Une sorte d’euphorie régnait dans les wagons. Les deux amies s’étaient isolées dans un compartiment pour rattraper un peu de sommeil perdu, et surtout pour trouver un semblant de calme. Aucune de leurs connaissances ne faisait partie du groupe d’infirmières qui se joignait au Corps de santé royal. Les deux jeunes femmes avaient préféré attendre avant de rencontrer les nouvelles venues, ce qu’elles auraient amplement le temps de faire en voguant vers l’Angleterre. Flavie et Évelina avaient grand besoin de se retrouver seules pour faire le point sur le tournant que leur vie venait de prendre.

    Chacune perdue dans leurs pensées, les deux amies restèrent silencieuses durant une bonne partie du trajet. À un moment, Évelina crut bon de tirer au clair la situation concernant sa rupture avec Antoine.

    — J’ai l’impression que tu m’en veux à propos de ce qui s’est passé avec ton frère, Flavie. J’ai vraiment cru que je pourrais m’installer à La Prairie avec lui. Je ne veux pas que tu croies que j’ai joué avec les sentiments d’Antoine. J’étais sincère, tu sais.

    — Je le sais, Évelina. J’ai parlé avec lui au cours de l’été. Il ne comprend pas ce qui a pu se passer. C’est la première fois que je vois mon frère aussi dévasté.

    Jamais Évelina n’avait souhaité faire souffrir Antoine. Il ne le méritait pas ; d’ailleurs, personne ne méritait de vivre une rupture amoureuse. Mais au sein d’un couple, personne ne devrait avoir à supporter que son partenaire doute toujours.

    — Je ne savais plus où j’en étais, Flavie. Et loin de moi l’idée de le rendre malheureux. J’ai préféré lui redonner sa liberté. J’aurais tant voulu que ça se passe autrement pour nous deux. Je me déteste d’être une girouette.

    — Je t’aime quand même, mon amie girouette ! N’empêche qu’Antoine prend ça dur. Il s’en remettra sûrement ; seul le temps arrangera les choses. Et puis, si vous êtes faits l’un pour l’autre, le destin vous réunira de nouveau.

    — Simone m’a dit la même chose !

    Flavie avait peut-être raison, même si Évelina doutait que le destin eût quoi que ce soit à voir avec son tempérament indécis. Elle avait toujours été comme ça. Elle s’acharnait pour obtenir quelque chose et, une fois son but atteint, elle se tournait aussitôt vers un autre projet. Son cours d’infirmière était bien la seule chose qu’elle eût menée à terme. Même sa relation avec Antoine avait pris fin abruptement sans qu’elle-même y comprenne quoi que ce soit. Ce n’est qu’un peu plus tard qu’Évelina avait compris que c’était la peur qui l’avait fait reculer.

    Évelina espérait sincèrement que son séjour en Angleterre apporterait la réponse à ses nombreuses questions, et surtout à celle qu’elle se posait depuis un bon moment : « Pourquoi ai-je si peur de l’engagement ? » Elle avait rompu ses fiançailles avec Wlodek Litwinski, un pédiatre polonais, quand il lui avait avoué son intention d’aller s’installer au Manitoba. Elle avait cru que le manque d’engouement pour ce projet n’était qu’un prétexte, et que la véritable raison de cette rupture était parce qu’elle pensait toujours à Antoine. Puis, Évelina avait vécu les tout premiers mois de ses fréquentations avec Antoine comme l’idylle idéale. Ce dernier comprenait qu’elle souhaite rester à Montréal une année entière avant le mariage pour travailler à l’hôpital en tant que nouvelle infirmière diplômée, et aussi pour qu’elle puisse organiser la vente de la maison de sa mère. Les mois avaient passé et Évelina remettait toujours à plus tard son installation définitive à La Prairie. Lorsque Antoine l’avait mise au pied du mur en lui demandant de choisir entre sa carrière et son mariage, elle avait dû se rendre à l’évidence : elle n’était pas prête pour le mariage, et pas prête non plus à troquer la ville contre la campagne. Suivre Flavie en Angleterre lui permettait de tenir la promesse qu’elle avait faite à Antoine de veiller sur sa sœur et l’accommodait en lui offrant une excellente porte de sortie !

    ***

    L’Empress of Australia n’appareillait que le lendemain. Ce paquebot — dorénavant peint en gris et autrefois utilisé pour le transport des passagers — était désormais réquisitionné, comme beaucoup de navires, pour l’effort de guerre. Après avoir procédé à tous les enregistrements requis, Flavie et Évelina étaient libres de déambuler à leur guise dans

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