Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

L’héritage d’Éva
L’héritage d’Éva
L’héritage d’Éva
Livre électronique428 pages6 heures

L’héritage d’Éva

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Pas un jour ne passe sans qu’Éva ne pense à sa mère et à cette mise en garde qu’elle lui a adressée: «Je sais que tu trouveras un mari, mais je t’en conjure, ma fille, sois certaine de ton choix.»

Éva se sent seule et abandonnée après la perte de sa mère et de ses soeurs. Tous ses deuils la ramènent à cet anneau ancestral supposément
porte-bonheur, dont la légende n’est que pure invention à ses yeux. Éva ne veut pas croire au maléfice qui touche sa famille…

Les enfants d’Éva sont les victimes de ses mauvais choix, dictés par la rigidité de la société québécoise. Philippe, son fils, fuit la maison et brise à jamais le coeur de sa mère. Suzanne, sa fille, doit être placée au pensionnat dès l’âge de 7 ans. À l’insu de sa mère, la petite y vivra un enfer, livrée aux mains de religieuses cruelles…

Une saga de femmes qui forcent l’admiration.
Un récit bouleversant aux rebondissements à couper le souffle.
LangueFrançais
Date de sortie14 août 2020
ISBN9782898180446
L’héritage d’Éva
Auteur

Suzanne Lavigne

Suzanne Lavigne est une mère et une grand-mère qui a passé sa vie entre sa famille et ses nombreux champs d’intérêts dans le but de nourrir la curiosité des siens et de dépasser ses propres limites. Elle a écrit aussi de nombreuses chroniques sur l’astrologie et la numérologie, destinées à des magazines populaires, tels que Le Lundi et Femmes plus, qui ont connu un vif succès auprès du lectorat. Agente de voyages depuis plusieurs années, parcourir le monde la fascine. Rappelle-moi pourquoi, une saga historique familiale riche et étonnante, est sa première oeuvre littéraire.

Auteurs associés

Lié à L’héritage d’Éva

Titres dans cette série (2)

Voir plus

Livres électroniques liés

Romance historique pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur L’héritage d’Éva

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    L’héritage d’Éva - Suzanne Lavigne

    C843/.6—dc23

    DEUXIÈME PARTIE

    L’héritage d’Éva

    1954-1975

    Chapitre 1

    Verdun, 1954

    L’ arrivée du bébé fut source de joie et de bonheur, même pour Willie, qui trouva agréable d’avoir une fille, à tel point qu’il laissa tomber toute rancoeur. L’amour avait rapidement remplacé l’indifférence, voire le mépris qu’il témoignait à l’enfant lors de la grossesse. Les expressions de son bébé le faisaient sourire. Il aimait quand elle lui saisissait ses deux gros doigts pour se redresser. Peut-être que ses gazouillis lui rappelaient le chant des oiseaux de sa Gaspésie natale ?

    Toute la famille était ravie, à l’exception de Philippe, qui s’était replié sur lui-même. Il peinait à gérer toute l’émotion que les derniers événements suscitaient en lui. D’abord, il n’acceptait pas la naissance de sa soeur. Elle n’était qu’une intruse qui avait pris toute la place auprès de sa mère. Il savait bien que cette naissance n’avait pas été désirée. Par conséquent, pourquoi ses parents devaient-ils accepter un enfant dont ils ne voulaient pas ? Ensuite, il se sentait trahi par sa mère. Elle lui avait juré qu’ils allaient partir ensemble, tous les deux, loin de l’agressivité de son père. Maintenant, il était évident que cet espoir était vain, à cause de l’arrivée de sa soeur. Même si sa mère quittait son père, la petite serait toujours entre Éva et lui.

    Il se sentait laissé pour compte, car Suzanne, en tant que nourrisson, avait besoin de beaucoup de soins. Philippe finit par se dire que, contrairement à ce que sa mère lui racontait, le responsable des problèmes de la famille n’était pas son père, mais bien elle, sa mère. Elle ne tenait pas ses engagements. C’était donc normal que son père lui crie dessus ou la frappe pour qu’elle agisse comme doit le faire une vraie mère. Pire, il croyait qu’elle se servait de lui pour manipuler son père. Désormais, pouvait-il croire en sa mère ? Rire avec elle ? Rêver d’une vie meilleure, puisque, dans les faits, c’était elle la responsable du malheur de la famille ?

    Dans la tête de Philippe, quelque chose s’était brisé. Pour lui, celle qui l’avait enfanté n’existait plus. Il tira un trait sur sa mère. Elle n’était plus sa maman, mais uniquement cette femme qui vivait avec eux.

    Éva voyait bien que son fil s’éloignait d’elle. Mais elle se sentait impuissante à se réconcilier avec lui. Elle espérait qu’en grandissant, il s’ouvrirait de nouveau à elle. Elle profitait du fait que Philippe soit au pensionnat pour panser sa profonde blessure avec son bébé, sa petite Suzanne. Elle était devenue son rayon de soleil, celle qui lui apportait la joie de vivre. La bercer lui procurait un bonheur sans nom.

    Mais la réalité rattrapa vite Éva. Le seul revenu de son mari ne suffisait plus pour nourrir sa famille. Elle trouva une gardienne pour s’occuper de la petite en semaine, et elle retourna travailler.

    Un jour de janvier 1955, Willie reçut une lettre d’un de ses frères de Gaspésie.

    Cher Willie

    Accepterais-tu de prendre ma fille Cécile en pension pour quelque temps ? Elle arriverait vers le début du mois de février.

    Je te remercie à l’avance‚ Tom.

    Willie et Éva acceptèrent d’héberger leur nièce. Willie alla l’accueillir à la gare. Quelle ne fut pas alors sa surprise de constater qu’elle était… enceinte… à quatorze ans !

    Dès leur arrivée à la maison, Willie fit signe à Éva de porter son regard sur le ventre arrondi de Cécile. La mère de famille fut stupéfaite de voir l’état avancé de la grossesse. Willie gesticulait dans tous les sens tandis qu’il déblatérait en long et en large contre la situation. Il en voulait à son frère de ne pas lui en avoir soufflé mot dans la lettre. Cécile était enceinte de sept mois. Très vite, la jeune fille comprit que son père n’avait pas mis son oncle au courant de la situation. Mal à l’aise devant la colère de Willie, elle se tourna vers Éva à qui elle fit cette confession :

    — Ma tante, je peux pas garder cet enfant ! Mes parents m’ont dit que vous étiez capables de m’aider à trouver une bonne famille pour mon bébé. Paraît que vous avez beaucoup de contacts.

    Éva fut émue par le regard désemparé qu’elle lui lançait. Elle savait combien il était pénible de vivre une grossesse non désirée. Elle eut pitié.

    — Écoute, Cécile, ton oncle et moi ferons tout notre possible, je te le promets. Mais en contrepartie, j’aimerais te demander de nous rendre un grand service. Pourrais-tu veiller sur notre bébé durant la journée ?

    — Oh oui, ma tante ! Je me suis déjà occupée de mes petits frères. Ce sera avec grand plaisir.

    Deux mois plus tard, Cécile, âgée de quatorze ans seulement, mise enceinte par un membre de sa famille, donna naissance à un petit garçon. Une semaine plus tard, des parents adoptifs vinrent le chercher à la maternité. Ce fut un moment déchirant pour cette très jeune fille. Seule une mère peut comprendre pourquoi il est si difficile de se séparer d’un enfant après l’avoir porté durant neuf mois.

    L’hiver et le printemps se succédèrent. Cécile vivait toujours chez son oncle et sa tante. En journée, elle remplissait avec brio sa tâche de gardienne. Elle savait prendre soin de Suzanne comme la mère qu’elle aurait voulu être pour l’enfant qu’on lui avait arraché des bras. Éva la trouvait responsable, au point qu’elle lui confiait sa fille et se rendait au travail sans inquiétude.

    Pourtant, un jour, Maureen, la voisine irlandaise, entendit Suzanne pleurer à pleins poumons. Inquiète, elle se rendit chez Éva pour voir si Cécile avait besoin d’aide. Elle eut beau frapper à la porte, personne ne répondit. Elle appela Éva au travail pour l’informer de la situation. Aussitôt, celle-ci contacta la société de taxis où travaillait Willie. On le joignit sur son CB.

    Il se précipita chez lui. Cécile n’y était plus. Pire, il trouva sa fille en pleurs, baignant tristement dans son urine et ses selles. N’ayant presque aucune expérience en la matière, il la lava avec des gestes un peu empruntés et malhabiles, la langea et prit le temps de la réconforter. En fait, cela ne dura pas longtemps, car dès qu’il commença à se demander depuis combien de temps elle pleurait et pourquoi Cécile l’avait abandonnée, il eut un accès de rage - fort heureusement, il avait déjà déposé la petite dans son berceau. Dans ces moments-là, Willie était dangereux ; il ne pouvait répondre de ses actes.

    — Attends que je la retrouve, la p’tite bonyenne !

    Tremblante d’angoisse, Cécile s’était enfuie de la maison pour se réfugier chez une amie, la seule qu’elle avait réussi à se faire depuis son arrivée dans la métropole. Elle se cachait chez elle. Et il y avait de quoi. Après avoir été mise enceinte par un membre de sa famille, voilà que les agressions se reproduisaient.

    — Mon oncle Willie m’a fait des avances, confia-t-elle à son amie. Je l’ai repoussé comme j’ai pu. Il m’a menacée. J’ai eu très peur après qu’il m’a dit que ce n’était pas fini. J’ai fui avant qu’il ne revienne à la maison. Je veux plus y retourner, tu comprends ?

    Son amie lui offrit l’argent nécessaire pour prendre le train et retourner chez ses parents à Chandler. Mais avant son départ, Cécile, qui avait été très bien reçue par sa tante Éva, eut la délicatesse de lui téléphoner au travail.

    — Ma tante, je tiens à te présenter mes excuses. Je suis trop mal à l’aise pour t’expliquer pourquoi, mais je peux pas rester plus longtemps chez vous. Je regrette amèrement d’avoir abandonné la petite Suzanne sans prévenir personne, mais je devais fuir, conclut-elle d’une petite voix tremblante de peur.

    — Cécile… Cécile. Je t’en prie, explique-moi ce qui s’est passé. Ça te ressemble tellement pas de te conduire ainsi ! Tu te rends compte ? Tu as laissé le bébé tout seul à la maison… ! Tu imagines tout ce qui aurait pu lui arriver ? Je ne comprends pas quelle mouche t’a piquée. Pourquoi t’as agi comme ça ? J’aimerais bien le savoir, supplia Éva.

    — J’ai dû partir, c’est tout… répondit Cécile avant de raccrocher.

    Parce que Cécile aimait sa tante, elle n’eut pas le courage de lui avouer la vérité. Elle savait que cela créerait de graves disputes dans le couple. Éva avait eu la gentillesse de la recevoir chez elle, elle ne voulait pas la mettre dans l’embarras. Ce ne fut que quarante ans plus tard, à la suite du décès de Willie, qu’elle raconta toute l’histoire à sa cousine Suzanne.

    Longtemps, Cécile se sentit coupable d’avoir laissé la petite toute seule. Elle avait paniqué et elle n’avait pensé qu’à fuir loin, très loin de cet homme malsain qu’était son oncle.

    Chose étrange, le départ de Cécile apporta une nouvelle ambiance familiale. La maison devint paisible et agréable. Pendant un certain temps, Éva et Willie donnèrent l’illusion d’un très beau couple aimant, uni par l’arrivée du bébé. La bonne humeur régna. Ils sortaient souvent, pour aller rendre visite à des amis, pour jouer aux cartes ou pour aller au bingo. Dans ces moments-là, c’était Philippe, le grand frère, qui gardait la petite Suzanne. À son grand dam ! En tant que garçon, il avait bien d’autres choses à faire que de jouer à la poupée.

    Malgré l’accalmie, Éva vivait dans un état de stress permanent. Bien sûr, à chaque saute d’humeur de Willie, à chaque contrariété, elle craignait que la violence ne reprenne. Mais c’était surtout pour Philippe qu’elle s’inquiétait. Dieu merci, elle avait d’excellents rapports avec le voisinage, surtout avec des Irlandaises et des Écossaises qui l’adoraient. Superstitieuses par culture, elles aimaient qu’Éva leur lise les feuilles de thé. Elles appréciaient ses propos et la justesse de ses prédictions. Quant à Éva, elle pouvait compter sur elles pour se changer les idées ou même pour garder sa fille, à l’occasion.

    Maureen aimait faire de la divination par les cartes. Quoi de plus naturel qu’elle et Éva se lussent l’avenir ! C’est ainsi qu’un jour, au cours d’un tirage au tarot, Maureen dit à Éva :

    — Je vois des déboires pour Philippe. Il a de mauvaises fréquentations en ce moment et ça pourrait le mettre dans des situations néfastes et périlleuses pour son avenir…

    Éva ne fut pas étonnée par ces révélations, elles confirmaient ce qu’elle-même voyait dans le thé. Dernièrement son fils n’avait cessé de s’en prendre à sa soeur. Il allait jusqu’à s’en prendre à elle physiquement. Depuis, elle savait qu’il se défoulait autrement. Il passait son mal de vivre sur les autres. Pas besoin d’être voyante pour observer l’aigreur dont, chaque jour, il faisait preuve. Elle ne pouvait accepter que son petit Philippe tourne mal ; elle avait sans cesse besoin de se rassurer. C’est pourquoi elle répétait inlassablement à Maureen :

    — Ah ! Il est encore jeune ! Je sais qu’il redeviendra celui qu’il était jadis : un garçon bon et généreux.

    Chapitre 2

    Verdun, 1959

    Au fil des ans, la relation entre Philippe et Suzanne s’améliora. La petite sut apprivoiser son grand frère et s’en faire accepter. De son côté, il avait trouvé d’autres moyens de se défouler que de faire retomber tout le poids de sa colère sur elle.

    Les premières années, les deux enfants partageaient une petite chambre, mais il fallut se rendre à l’évidence que l’appartement de la 5e Avenue à Verdun était devenu trop petit. Il était grand temps que chacun ait une vraie intimité. C’est pour cela qu’un soir, Éva aborda le sujet avec Willie.

    — Ça n’a plus de sens qu’ils aient la même chambre. Suzanne grandit. Elle a déjà cinq ans et Philippe, seize ! C’est un homme maintenant !

    — Ouais… Faut être aveugle pour pas le voir ! Il tient de moi. Il est beau et viril comme moi, répondit-il en ricanant.

    — Il va falloir chercher un nouvel appartement.

    — T’as raison… Ça serait bien ! T’as un endroit en tête ?

    — J’ai vu des logements à louer, pas très loin d’ici, vers la 1re Avenue.

    Willie approuva. Leur discussion s’acheva ainsi et peu après, ils annoncèrent cette nouvelle à leurs enfants. En apprenant qu’ils allaient déménager, Suzanne angoissa. Où allaient-ils se retrouver ? Elle ne pouvait songer à changer de quartier, et surtout, à quitter ses amis. Une telle idée était si douloureuse !

    — Maman… Pourquoi faudrait changer de maison ? Je suis bien ici… Je veux pas partir !

    À ces mots, Éva la prit dans ses bras.

    — Ne t’inquiète pas, ma chérie ! Tout va bien se passer. T’auras aucune difficulté à te faire de nouveaux amis, et surtout, tu auras enfin ta chambre, à toi toute seule. Et puis, tu sais, elle sera peinte en rose, ta couleur préférée. Ça s’arrête pas là. Juste à côté de l’endroit où je pense qu’on habitera, il y a un très grand parc avec des balançoires, des glissades et des jeux d’eau. Tu vas avoir tellement d’activités que tu n’auras pas le temps de t’ennuyer, crois-moi.

    Sa mère savait apaiser ses inquiétudes et surtout nourrir son enthousiasme, à telle enseigne qu’en imaginant l’endroit, Suzanne se mit à avoir hâte de le découvrir. Chaque jour, elle demandait quand ils allaient partir. Ce fut au mois de mai que le déménagement eut lieu. Leur destination était rue Verdun, au coin de la 1re Avenue.

    Changer de quartier ne fut pas si facile pour la fillette. Elle n’avait plus ses amis, elle ne connaissait pas les rues environnantes et encore moins les voisins. En d’autres mots, elle était privée de repères. Elle se sentait abandonnée. Quand elle n’avait pas classe, elle restait seule à la maison, triste de n’avoir personne à qui parler. Heureusement, il lui restait ses poupées.

    Éva travaillait maintenant comme standardiste pour la papeterie Domtar, dont le siège social occupait l’un des plus prestigieux édifices de Montréal, celui de la Financière Sun Life. Avec ses vingt-six étages et ses cent quatorze colonnes, il était le plus grand de tout l’Empire britannique.

    Chaque année, durant la période des fêtes, était installé, dans le grand hall d’entrée de la Sun Life, le plus magnifique arbre de Noël de Montréal, sur lequel des centaines de lumières scintillaient de mille feux. L’imagination de Suzanne fut nourrie de cette période fantastique, des décorations fabuleuses et des airs traditionnels de Noël. Avec Éva, elle sillonnait sans se fatiguer les rues du centre-ville pour admirer les vitrines animées des grands magasins de luxe et de vente au détail comme Ogilvy, Eaton et Morgan. C’était bien mieux que d’aller au cinéma. Continuellement, des mises en scène féeriques se déroulaient sous ses yeux émerveillés. Elle ne s’en lassait jamais. Sa préférée était celle d’Ogilvy et ces vitrines mécaniques d’animaux en peluche¹. Le nez collé à la vitrine, hypnotisée par ce fabuleux royaume de Noël avec, en vedette, les personnages de la crèche faits en peluche, elle s’imaginait et se projetait dans ce décor pour jouer avec eux. Dans ces moments-là, elle était heureuse et oubliait toutes les difficultés vécues à la maison. Elle espérait que le temps des fêtes ne s’arrêterait jamais pour vivre cette magie à l’année.

    Et comment oublier le défilé du père Noël ? Et ce petit train chez Eaton, qui offrait aux enfants un tour complet du magasin, justement à l’étage où se trouvait le fameux village du monsieur tout en rouge avec sa longue barbe blanche ? Les enfants faisaient la queue pour le rencontrer. Il les prenait sur ses genoux pour les écouter réciter leur liste des cadeaux tant espérés. Bien sûr, il fallait se prêter à un interrogatoire pour savoir si l’on avait été sage toute l’année. Pour Suzanne, ce n’était qu’une formalité : elle était une enfant obéissante. En récompense, elle repartait avec une canne en sucre et remplie de l’espoir que ses voeux seraient exaucés durant la nuit de Noël.

    Éva la regardait tendrement pendant qu’elle trépignait de joie dans le minuscule wagon tiré par une tout aussi minuscule locomotive. Ses yeux brillaient de bonheur. Elle agita la main pour dire au revoir à sa mère : elle partait faire un long voyage au pôle Nord dans le royaume enchanté du père Noël.

    Suzanne avait hâte que cette nuit arrive pour ouvrir ses cadeaux au son des chansons traditionnelles à répondre, rythmées par les cuillères de bois, le tambourinement des tapeux de pieds et les claquements des mains. Elle aimait cette période des fêtes, car tout autour d’elle, les gens étaient joyeux.

    Le soir du réveillon, la famille se réunissait à Pointe-Calumet, chez l’oncle Armand. Sa tante Madeleine et son fils Yvan aimaient les fêtes de famille. Armand avait conservé cette tradition de ses parents, Emma et Louis-Samuel. L’entendre en parler faisait toujours regretter à Suzanne de ne pas avoir connu ses grands-parents ; elle se les imaginait comme des êtres extraordinaires sortis tout droit des contes de Noël.

    Pour Armand, propriétaire d’un magasin général, il était important de livrer les marchandises achetées par ses clients le soir du 24 décembre. Willie se déguisait donc en père Noël et, avec Philippe et Yvan, ils accompagnaient Armand dans sa tournée. Les clients, et surtout leurs enfants, étaient heureux de voir le père Noël en personne. Une fois la tournée finie, les hommes rentraient prendre un p’tit coup de caribou pour se réchauffer ! Pendant ce temps, Madeleine, Éva et Suzanne dressaient la table du réveillon.

    Quelques heures avant le réveillon, Suzanne se reposait, mais Éva s’empressait de la réveiller peu de temps avant les douze coups de minuit.

    — Suzanne, lève-toi ! J’ai entendu des cloches. Je crois que ce sont celles des rennes du père Noël.

    La fillette se levait d’un bond, enfilait en un instant sa petite robe des fêtes et retournait le plus vite possible dans la cuisine, où se tenait le réveillon. Elle s’étonnait cependant que son père soit absent chaque Noël. Elle le cherchait partout pour qu’il la prenne dans ses bras, mais on lui disait inévitablement : « Ah ! Willie ? Il est allé reconduire quelqu’un. Il reviendra tantôt, ne t’inquiète pas ! » ou « On vient de l’appeler pour une course, il sera vite de retour ».

    Bien plus tard, Willie lui avouerait qu’il se cachait dans le magasin général adjacent à la maison. Ce n’est que sur un signe de Madeleine qu’il pénétrait dans la cuisine, son sac rempli de cadeaux à l’épaule, en s’exclamant :

    — HO ! HO ! HO ! Y a-tu des enfants sages icitte ?

    — OUI, OUI ! criait Suzanne, remplie de joie.

    Après la distribution des cadeaux, Willie repartait aussitôt pour se changer et revenait festoyer avec la famille. Comme toujours, Suzanne lui sautait au cou.

    — Papa, tu as manqué le père Noël ! Regarde ce qu’il m’a apporté !

    Cette année-là, elle lui montra un mini-lave-linge pour les vêtements de ses poupées. Il se réjouissait toujours de voir l’émerveillement sur le visage de sa fille.

    — Le père Noël t’a gâtée, c’est parce que tu as été une très gentille petite fille toute l’année ! répondait-il en riant.

    Une fois les fêtes terminées, la routine reprit son cours. La nouvelle année apporta son lot de changements.

    Suzanne était en admiration devant l’actrice Shirley Temple. Depuis qu’elle avait vu son premier film, elle ne cessait de répéter à sa mère qu’elle voulait faire pareil. Souvent, Éva la surprenait à oser quelques pas de claquettes devant le miroir du salon. La petite fille s’imaginait devenir une star à l’image de cette actrice.

    — Maman, je veux danser comme Shirley Temple ! disait-elle.

    Au début, Éva tenta de la décourager dans cette voie. Mais comme sa fille insistait, de guerre lasse, Éva l’inscrivit à des cours de claquettes.

    Malheureusement, Willie et Éva n’avaient pas les moyens de renouveler l’inscription après la première année, au grand regret du professeur qui avait décelé en elle un talent inné. Dépitée, l’enfant dut abandonner son rêve de devenir une petite Shirley. Toutefois, elle continua de danser devant le miroir du salon et monta ses propres chorégraphies.

    À la maison, les disputes parentales reprirent et les colères de Willie se firent de plus en plus fréquentes. À quelques occasions, la fillette feignit de perdre connaissance, dans l’espoir qu’ils arrêtent de se chamailler. Les premières fois, cette tactique porta ses fruits, mais par la suite, rien n’y fit. Suzanne craignait les accès violents de son père, surtout lorsqu’il levait la main sur Éva. À plusieurs reprises, terrorisée, et sans pouvoir venir en aide à sa mère, elle se cacha dans le placard de peur qu’il ne lui fasse du mal, à elle aussi.

    Éva reprochait souvent à son époux de s’absenter du travail. Il allait jouer aux courses à l’hippodrome Blue Bonnets, et pratiquement toutes ses payes y passaient. Son orgueil était mis à mal. Un jour, sa colère fut si intense que Suzanne fut persuadée qu’il allait tuer sa mère. Elle s’enfuit de l’appartement et courut à perdre haleine chez les voisins, où se trouvait son frère. C’est là que se réfugiait habituellement Philippe. Avec ces gens, il se sentait bien.

    — Philippe… Philippe… Au secours ! Viens vite ! cria-t-elle essoufflée.

    — Quoi ? Qu’est-ce qui se passe ?

    — Il faut que tu viennes vite, papa va faire très mal à maman… Je t’en supplie, viens !

    Suzanne tira son grand frère par la main, mais il se dégagea et lui répondit avec une indifférence incompréhensible à ses yeux d’enfant :

    — Qu’elle se débrouille toute seule !

    C’en était trop. Suzanne n’avait que cinq ans et demi, et la peur l’habitait. Elle rebroussa chemin. Elle ouvrit tout doucement la porte du logement. Aucun bruit. Suzanne trouva sa mère assise dans le fauteuil du salon, perdue dans ses pensées. Quelques larmes lui coulaient sur les joues. L’enfant se précipita pour la consoler, lui enserrant la taille de ses petits bras.

    — Maman ! Maman, j’ai eu peur… !

    — Ça va aller, ma petite Suzon… Ton papa est calmé maintenant.

    L’enfant fit quelques pas et leva les yeux pour les poser sur son père, assis, les deux coudes sur la table de la cuisine. Il tenait sa tête entre ses mains et lui aussi pleurait. Surprise et mal à l’aise de le voir dans cet état, Suzanne ne savait que faire. Lorsqu’il la vit s’approcher de lui, les larmes de Willie redoublèrent.

    — Je suis désolé de t’avoir fait peur. Je regrette tellement d’avoir perdu le contrôle. Excuse-moi, tout est correct maintenant. Ne crains rien.

    Pour échapper à cette atmosphère, l’enfant se réfugiait souvent chez madame Gagné, la couturière du troisième étage. C’était un endroit où la fillette aimait passer une partie de la journée. L’ambiance y était bien plus paisible que chez elle. Elle la regardait coudre, impressionnée par l’habileté dont elle faisait preuve.

    Lors d’une visite, madame Gagné était en train de terminer une jolie robe bleue à volants en mousseline pour sa fille. Suzanne s’extasia devant tant de beauté, elle qui rêvait tant d’en avoir une semblable. Depuis, le soir, avant de s’endormir, elle s’imaginait dans cette robe, tournant et tournoyant, paradant dans cette tenue somptueuse. La fillette n’osait en parler à sa mère : ses parents n’avaient pas les moyens de lui en offrir une.

    Heureusement, les cadeaux ne manquaient pas, et tante Louise, la soeur de Willie, n’arrivait jamais les mains vides. Elle n’habitait pas très loin et leur rendait visite à l’occasion. Suzanne l’aimait. Il faut dire que Louise était affectueuse et drôle. Un jour, apprenant que l’enfant avait reçu son premier pick-up², elle lui offrit un trente-trois tours. La pochette représentait une danseuse du ventre et un homme assis portant un fez turc. Louise s’empressa de mettre le disque pour voir la réaction de Suzanne. Les yeux de cette dernière s’écarquillèrent de surprise : elle n’avait jamais entendu de tels sons auparavant. Tout en riant, Louise prit la main de la petite.

    — Viens, Suzanne, je vais te montrer comment on danse sur cette musique.

    En se déhanchant, elle noua un grand foulard de soie autour de la taille de la fillette. Cette dernière était gênée. Elle se mit à imiter sa tante. Sous les éclats de rire, tous les morceaux du disque défilèrent. Des moments comme ceux-là rendaient l’enfant heureuse et effaçaient de sa mémoire les misères ponctuant trop souvent sa vie familiale.

    — À quoi tu penses, ma petite chérie ? demanda Louise, en voyant Suzanne tourbillonner.

    — Tante Louise, l’autre jour, madame Gagné finissait de coudre une jolie robe en mousseline bleue pour sa fille. Cette robe avait plein de volants et ressemblait aux robes espagnoles que tu m’as déjà montrées en photo, tu te rappelles ?

    — Et ?

    — Je peux pas en parler à maman. Tu sais ben qu’on est pas riches. Elle serait malheureuse de pas pouvoir me l’acheter. Un jour, lorsque je serai grande, je m’en achèterai une comme celle-là. Et moi aussi, je serai jolie. Plus personne ne dira que je suis laide !

    — Comment peux-tu dire que t’es moche ? répliqua Louise. Tu es très belle et ceux qui disent le contraire ne sont que des jaloux.

    Sachant que jamais elle ne répéterait quoi que ce soit à personne, Suzanne appréciait de tout confier à sa tante Louise : ses peines, ses joies, ses secrets et ses rêves.

    Louise était désormais divorcée de Roméo Martel, mais ils étaient restés amis. Un jour qu’il rendait visite à Louise et à Billy, son enfant illégitime à qui Roméo avait donné son nom, elle lui raconta l’histoire de la robe à volants bleus. Roméo aimait beaucoup la petite Suzanne et quand il le pouvait, il lui rapportait des cadeaux de ses nombreux voyages en Europe.

    Ce fut ainsi qu’un jour, il arriva chez Louise comme le père Noël.

    — Ma belle Suzon, je t’ai rapporté de Paris une jolie veste bleue. Lorsque je l’ai aperçue dans la vitrine, j’ai aussitôt pensé à toi. J’ai aussi pris quelques cartes postales de la tour Eiffel et de l’Arc de Triomphe.

    Il sortit la veste du sac et l’offrit à Suzanne. Elle resta figée sur place.

    — Oh ! Oncle Roméo, elle est magnifique ! Magnifique ! Magnifique ! Merci, merci, je n’en avais jamais vu d’aussi belle. Est-ce que je peux la mettre maintenant ?

    — Bien sûr, mon p’tit trésor.

    Ravie, Suzanne l’enfila rapidement, puis s’admira dans le miroir avec fierté. La petite était aux oiseaux. Comme une mannequin, elle défila devant son oncle.

    — Elle te va à ravir, cette veste, dit-il, amusé.

    Elle le gratifia d’un câlin, puis s’empara des deux cartes postales pour mieux les observer.

    — Elles sont jolies. Un jour, j’irai à Paris, moi aussi. Je mettrai ma veste bleue et j’irai voir la tour Eiffel.

    Roméo lui sourit à son tour, content de la rendre heureuse.

    La fin du mois d’août 1960 annonça la rentrée scolaire pour tous les élèves du Québec, et pour Suzanne, ce fut son entrée en première année.

    Ce jour-là, sa mère l’avait réveillée un peu plus tôt, car elle voulait s’assurer que la petite avait bien toutes ses affaires avant de partir.

    — Suzon, j’ai oublié de te dire hier que je ne pourrais pas t’accompagner pour ta première journée d’école. Je suis vraiment désolée. Maman a essayé de prendre congé, mais ç’a été impossible.

    — Ça va, maman, ne t’inquiète pas ! Je suis une grande fille maintenant et j’ai très hâte d’aller à l’école.

    — Bien, ma grande ! Assure-toi d’avoir ta clef à ton cou. Rends-toi directement à l’école et ne parle à personne en chemin. Ne t’inquiète pas pour tes repas, papa va s’en occuper. Je vais penser très fort à toi. Si tu as besoin de quelque chose, demande à un adulte, il pourra t’aider. Bonne journée, mon coeur. Ne t’en fais pas, tout va bien aller. Je te vois ce soir et tu pourras tout me raconter.

    Toute joyeuse, Suzanne marcha jusqu’à l’école en pensant aux nouvelles amitiés qu’elle allait nouer et à toutes les choses qu’elle apprendrait, malgré sa nervosité devant l’inconnu qui l’attendait.

    Dans la cour d’école, elle remarqua vite que tous les enfants étaient accompagnés de leurs parents. Un vide se creusa en elle. Plus que jamais, sa mère lui manquait.

    Une institutrice s’approcha :

    — Comment t’appelles-tu ?

    — Suzanne Lavigne ! Je commence ma première année !

    — Je vois que tu es toute seule…

    — Oui, mes parents sont au travail.

    Avec un sourire plein de bienveillance, elle l’encouragea :

    — Alors, prends ma main, je vais te montrer ta classe. Mon nom est madame Thibault et c’est moi qui serai ton institutrice.

    Ce contact chaleureux rassura l’enfant.

    Dans la salle de classe, madame Thibault indiqua les places de chacun et les enfants s’installèrent à leurs pupitres. Étant la plus grande en taille, Suzanne se retrouva au fond de la classe.

    Ensuite, chacun fut invité à se présenter, avant que l’enseignante ne donne les consignes à suivre. Enthousiaste, Suzanne buvait ses paroles. Puis l’heure de la pause du midi arriva. La fillette s’empressa de rentrer à la maison pour raconter à son père comment s’était déroulée sa rentrée scolaire. Elle se servit de sa clef à son cou et poussa la porte, tout en criant avec joie :

    — Papa, t’es là ? J’ai tellement de choses à te raconter !

    Aucune réponse. Willie était absent et n’avait rien préparé pour le repas. L’enfant se fit un sandwich au beurre d’arachides, but un grand verre de lait, et, déçue, reprit le chemin de l’école. Ce jour-là, une grande solitude l’envahit. Hélas, ce sentiment l’accompagnerait encore longtemps.

    Dans l’après-midi, madame Thibault lança une activité de bricolage, puis elle remit les livres et cahiers à ses élèves en expliquant leur utilité et, surtout, comment s’en servir. Juste avant que la sonnerie de l’école n’annonce la fin des cours, elle leur donna aussi un premier devoir à faire à la maison.

    Les autres mères attendaient leurs enfants à la sortie. Suzanne et sa solitude retournèrent tranquillement vers la maison, la clef au cou, le sac rempli de livres et de cahiers. Malgré ses petites déceptions, elle demeurait fort heureuse de sa première journée. Il était encore tôt, sa mère ne serait pas rentrée du travail, mais elle trépignait d’impatience de lui raconter tout ce qu’elle avait fait et, surtout, de lui dire qu’en guise de premier devoir, madame Thibault avait demandé de recouvrir livres et cahiers pour le lendemain.

    Willie n’était toujours pas là. Suzanne s’empara du pot de beurre de cacahuètes et s’en tartina une tranche de pain. Cela deviendrait vite une habitude. Presque tous les jours, midi et soir, elle devrait se préparer ses éternels sandwichs au beurre d’arachides et boire son verre de lait.

    Elle était à la table de la cuisine en train de contempler ses livres lorsqu’enfin la porte s’ouvrit. Elle se leva d’un bond pour voir qui arrivait. Sa mère apparut, et sans lui laisser le temps de rentrer, la fillette déclara avec enthousiasme :

    — Maman, maman, j’ai mes livres et mes cahiers d’école !

    Elle tira sa mère par la main vers la cuisine. Celle-ci remarqua aussitôt le pot de beurre de cacahuètes qui traînait sur le comptoir. Une certaine tristesse envahit son regard.

    — Ton père est rentré pour te préparer à manger ?

    — Non, maman, mais, ce n’est pas grave, regarde comme ils sont beaux !

    — Oh ! Ils sont superbes tes livres, ma Suzon ! s’exclama Éva avec entrain pour cacher sa déception.

    — Madame Thibault nous a donné pour devoir de couvrir nos livres et nos cahiers.

    — Oh ! s’écria Éva. Bon Dieu ! Je pense pas qu’on ait ça, ici…

    Éva cumulait deux emplois : la journée, elle était standardiste chez Domtar, et le soir de dix-huit heures à vingt et une heures, elle travaillait comme réceptionniste chez un détaillant automobile. C’était la seule solution pour joindre les deux bouts. Elle payait le loyer et les dépenses familiales, et Willie, quand il le voulait bien, y contribuait un peu.

    Devant la mine défaite de sa fille, elle ajouta aussitôt :

    — … mais ne t’en fais pas, j’ai une solution. Elle sortit du placard des sacs bruns d’épicerie.

    — Ils ne sont pas froissés, tu verras, ça va faire l’affaire.

    Éva et Suzanne passèrent leur soirée à recouvrir livres et cahiers, puis l’enfant épuisée se coucha.

    Ce soir-là, Philippe, qui allait maintenant au secondaire, se rendit directement chez ses amis après l’école. Il y passait ses soirées et rentrait fort tard à la maison. Tout pour éviter l’atmosphère pourrie de la maison ! Quant à Willie, il n’embrassait que rarement sa fille au coucher. Il rentrait trop tard pour ça, souvent bien après son fils.

    Le lendemain matin, en classe, madame Thibault demanda de sortir livres et cahiers, et de les placer à l’intérieur des pupitres. En voyant les beaux papiers de différentes couleurs des autres élèves, Suzanne eut honte des siens. Elle s’empressa de les sortir de son sac pour les mettre à l’abri des regards dans son bureau, mais hélas, son geste ne fut pas assez rapide. Des élèves les avaient vus et commencèrent à la railler d’avoir utilisé des sacs d’épicerie. Mal à l’aise, humiliée, se sentant ridicule, Suzanne fixa la porte de la classe pour mesurer la distance jusque là. Elle n’avait qu’une envie : se précipiter vers la sortie et s’enfuir. D’un regard, l’institutrice saisit toute la scène. Avec autorité, elle demanda aux enfants de s’asseoir et se dirigea vers Suzanne. Après avoir ouvert le

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1