Des nouvelles de la vie
Par Thierry Dodard
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTEUR
Le goût de Thierry Dodard pour la relation à l'autre l'a guidé vers le chemin de l'animation socioculturelle. Toujours en quête de récits mettant en lumière des âmes en communion avec le monde qui les entoure, il est convaincu que chaque individu porte en lui une dimension universelle.
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Aperçu du livre
Des nouvelles de la vie - Thierry Dodard
Partie I
Les beaux souvenirs
Les Beaux Souvenirs
Cette maison de famille. Depuis que je fais partie de la tribu, j’en entends parler. Je ne sais pas d’ailleurs si j’en fais partie, de la tribu. Disons que je suis l’ami d’Agathe, l’ami du moment. J’ai cru comprendre, lorsqu’elle m’a présenté à sa famille, que je n’étais pas le premier. Et que tout le monde pensait que je ne serais pas le dernier. On m’a accepté, on m’a laissé une place, mais sur un strapontin. Un siège éjectable.
Cette maison, j’en entends parler, mais je n’y ai pas encore mis les pieds. Chaque fois qu’Agathe aborde le sujet, elle a des étincelles dans les yeux. Comme Julien, son frère, comme ses parents, comme André, son oncle, le frère de sa mère. Le Palais des Mille et une Nuits du clan d’Agathe, un éden d’où émane une telle sérénité. Ils sont tous très loquaces à propos de cette maison. Dithyrambiques. À force, je finis par faire un blocage, je finis par ne pas l’aimer, cette si formidable demeure. Elle me paraît trop belle, irréelle. Les Beaux Souvenirs, c’est comme ça qu’ils l’ont appelée.
Un soir, je lui ai dit, à Agathe, il est un peu stupide, ce nom, je trouve. Les souvenirs, c’est du passé, tu trouves pas. Moi, c’est le présent qui m’intéresse. C’est agaçant, Les Beaux Souvenirs, en plus, je ne le connais même pas, ce lieu paradisiaque. Agathe s’est un peu énervée, elle n’aime pas qu’on critique son havre de paix, ce refuge où règne l’harmonie.
Tu verras, tu comprendras quand tu la connaîtras. Une nuit passée là-bas fera cesser tes sarcasmes.
J’ai compris que, si je ne veux pas me fâcher avec Agathe, je dois éviter le sujet. J’ai joué l’apaisement, je l’ai enlacée, je l’ai embrassée dans le cou et j’ai murmuré à son oreille, tu m’y emmènes quand, alors. Une nuit avec toi au milieu des tamaris, un bain d’air pur nous ferait du bien.
Oui, on ira, a-t-elle répondu dans un souffle. Et elle a rapidement changé de sujet.
C’était dimanche dernier.
Le lendemain soir, lorsque je suis rentré du travail, j’ai trouvé Agathe agitée, tendue. Elle avait vaporisé son angoisse dans l’appartement.
J’ai appelé mes parents aujourd’hui, lançant l’information comme si c’était un scoop. Ses parents, elle les appelle presque tous les jours.
J’ouvrais le journal qui traînait près du canapé.
Je l’avais fâchée.
Nous sommes vendredi midi, je fais ma pause du midi en forme de sandwich sur un coin de mon bureau. Je vais faire vite pour finir plus tôt. Trois heures de route pour arriver aux Beaux Souvenirs, si on ne trouve pas trop d’encombrements sur la route.
J’ai appelé Agathe tout à l’heure. Répondeur. Je n’ai pas laissé de message. C’est bizarre, elle répond toujours. Agathe, elle ne supporte pas de rater un appel quoiqu’elle fasse à l’instant.
La semaine a été pénible. Une Agathe silencieuse, renfrognée. Uniquement les mots nécessaires du quotidien. Une tension palpable. Je ne comprends pas trop. Son mutisme semble lié à la perspective du week-end. J’aurais peut-être dû, j’y ai pensé, provoqué une discussion, réclamé une explication, mais un mauvais pressentiment m’a fait craindre une crise. Et je ne veux pas m’engueuler avec elle.
C’est idiot, ce projet de quelques jours à la campagne devrait nous réjouir.
Ce pressentiment s’est trouvé renforcé par les appels de toute la tribu. Ils m’ont tous appelé dans la semaine, les uns après les autres. Pour me parler des Beaux Souvenirs. À vrai dire, pour me dissuader d’y aller, chacun trouvant des arguments pour remettre cette escapade. Ils semblent tous inquiets.
Je les ai renvoyés vers Agathe, c’est elle qui a décidé de ça.
Oui, oui, unanimes, mais Agathe, elle ne veut pas nous entendre, elle nous envoie paître.
Ils pensent que ce n’est pas une bonne idée. Je ne comprends pas trop ce qui les inquiète.
J’essaie à nouveau d’appeler Agathe.
Répondeur.
J’aime sa voix sensuelle.
Je rage de ne pouvoir lui parler. J’ai envie d’annuler. L’inquiétude familiale m’a gagné. Un séjour au milieu des tamaris, même seul avec Agathe, ne me dit plus rien. Mais je ne peux même pas avancer un prétexte météorologique, il fait beau.
Je ramasse les miettes sur mon bureau. Je retourne à mon ordinateur et passe un après-midi pas très efficace, l’esprit ailleurs.
Lorsque j’arrive à la maison, Agathe m’attend. Son sac est posé par terre près de la porte d’entrée. Elle a sorti la voiture du garage. Je suis tenté un instant de me moquer, de lui lancer que Les Beaux Souvenirs font des miracles. Elle est prête à l’heure.
Son regard noir m’en ôte toute velléité. Le week-end commence bien.
Presse-toi, elle me dit autoritaire. Je vais conduire.
Nous avons roulé, silencieux. Juste quelques grognements d’Agathe provoqués par le comportement d’autres conducteurs. J’ai regardé l’asphalte de l’autoroute défiler à cent trente kilomètres à l’heure.
À mi-chemin, à une station-service, elle décide une pause.
Nous sommes assis depuis un moment à une table de la cafétéria. Agathe triture son gobelet de café court. Elle n’y a pas encore porté les lèvres. J’attends. J’observe le va-et-vient des clients. Des enfants courent, s’agitent, réclament des barres chocolatées. La queue s’allonge devant la caisse. Les distributeurs de boissons délivrent leurs commandes. Je regarde Agathe. Je n’ose pas lui suggérer de reprendre la route.
Elle semble soudain se détendre. Je la trouve belle.
Tu sais, elle me dit.
Mes yeux sur elle la remercient de rompre enfin ce pénible silence et l’encouragent à poursuivre.
Quand j’étais gamine, mes parents n’étaient pas très riches. Mon père trimait à l’usine, opérateur de production, on dirait ça de nos jours, ma mère ne travaillait pas. Alors les vacances… Par chance, mon père avait un collègue qui possédait un petit bout de terrain dans un coin de campagne. Avec dessus une caravane qui y avait perdu son côté mobile. Une semaine par an, il nous le prêtait. C’était, pour Julien et moi, magique. On s’ennuyait un peu parfois, mais malgré tout, cela a été pour nous pendant des années une respiration. Et puis, il y avait cette belle propriété attenante au terrain, enclose de haies d’aubépine et de tamaris. On passait de longs moments à surveiller ce qui s’y passait. La semaine où nous nous entassions dans la caravane, il n’y avait jamais personne. Alors, avec mon frère, nous nous imaginions nous étourdir sur la grande balançoire installée devant la maison. Mes parents et André lorgnaient aussi avec envie la demeure inoccupée. Et puis, des années plus tard, pendant un repas de Noël, je ne sais pas comment c’est venu, nous nous sommes tous avoué comment elle nous faisait rêver, cette maison. Et dans un accord tacite, nous avons décidé qu’elle faisait partie de nos souvenirs, que c’était notre résidence secondaire à nous. Depuis, nous l’avons baptisée Les Beaux Souvenirs. Elle est à nous.
Cela fait longtemps qu’on n’est pas retourné sur ce terrain avec la caravane.
Voilà !
Agathe boit lentement son café qui doit être froid maintenant. Ce n’est pas grave. Elle lève la tête. Un large sourire illumine son visage. Ce sourire qui m’a séduit et qui me fera toujours fondre. Elle pousse sa chaise en arrière. Elle se lève.
Bon, on va où maintenant ? Elle éclate de rire.
Un dîner particulier
Je me demande ce qui m’a pris. Une stupide invitation à dîner. Mon père, et les autres. Mon habituel goût de la provocation.
Mon père, d’abord. Depuis la mort de Maman, il ne me lâche pas, tous les jours il m’appelle. Et qu’est-ce que tu vas devenir ? Et tes études d’histoire de l’art, à quoi ça va te servir ? Et quand vas-tu te caser, trouver un mari, et bla-bla-bla ?
J’ai 21 ans, j’ai le temps encore. Bon, c’est vrai, la fac, je traîne un peu et j’avoue que moi-même, je ne sais pas trop où cela va me mener. Je me dis que je m’en inquiéterai bien assez tôt. Quant au mari, ce n’est vraiment pas ma priorité.
Mon père descend rarement en ville. Alors quand, la semaine dernière, il m’a annoncé sa venue, je ne sais pas quel emportement idiot m’a fait l’inviter à dîner. J’aurais pu lui proposer un resto, la pizzeria en bas de chez moi est très bien, Tino est très sympa (et je le trouve très sexy, j’avoue). Mais non, je l’ai invité à dîner chez moi. Il a été assez surpris, puis rapidement ravi.
Oui, oui, s’est-il empressé de répondre, avant que je ne change d’avis.
J’étais coincée.
Toute la journée, je me suis engueulée, mais quelle imbécile, quelle cruche ! Je n’avais aucune envie de me retrouver en tête à tête avec lui et avec sa litanie de récriminations, pour mon bien, toujours pour mon bien. Le soir, bougonne devant mes pâtes au Viandox et « Desperate Housewives » sur la TNT, j’ai pensé à une parade. Inviter d’autres personnes. Mais qui ?
Alors j’ai eu une idée lumineuse, comme il m’arrive souvent d’en avoir. Idée particulièrement fumeuse en fait, mais bon, il est trop tard maintenant, les invitations sont lancées.
C’est tout moi ça.
Fredo, Justine, Marion en plus de mon père donc. À imaginer la tablée, je ne peux m’empêcher de rigoler.
Fredo, il sort juste de prison, un braquage minable qui a mal tourné. Fredo, c’est un dur à cuire. Je ne le connais pas depuis longtemps, je l’ai rencontré il y a quinze jours dans une boîte où je me trémoussais comme une démente avec Éléonore au son d’une musique techno. Il m’a draguée sans vergogne et moi, j’ai craqué devant ses mâles tatouages. Sûrement pas le gendre idéal dont rêve mon père, mais pour cette soirée, ça m’épargnera ses remarques.
Il a été surpris, Fredo, quand je l’ai appelé. Comme ça, je te présenterai mon père, je lui ai lancé, perfide. Mon ex-taulard préféré n’a pas eu l’air convaincu de l’urgence de cette rencontre, j’ai senti un flottement à l’autre bout de la ligne. Mais il a finalement accepté.
Justine, elle, je l’ai connue au cours de gym où Éléonore m’emmène de force chaque semaine. Éléonore, c’est ma meilleure amie, elle prend soin de moi, de ma forme, de mes formes. C’est vrai que je suis un peu boulotte, un euphémisme qui me rassure. Pour moi, mes kilos en trop sont un cocon où je me réfugie, c’est confortable.
Justine est une des acharnées de cette gymnastique qui modèle le corps et oxygène les tissus par des mouvements rapides effectués en musique.
Pour moi, c’est une séance de torture hebdomadaire. Pour la gym, et pour la musique qui va avec.
Justine m’a prise en sympathie, ou en pitié, je ne sais pas. Elle me distille des conseils bienveillants sur mes postures et mes mouvements.
Très surprise aussi de mon invitation. Elle et moi, c’est deux mondes. Justine est responsable du rayon « Mer et montagne » dans une grande chaîne de magasin de sport. Pur produit d’une école de commerce, son truc, c’est le marketing, le positionnement de produits.
C’est gentil, elle m’a dit, à vendredi donc.
Ces deux invitations lancées, je me suis dit que j’étais tout de même un peu dure avec mon pauvre père, que je lui organisais un moment infernal, à lui couper l’appétit. Un remords m’a pris. J’ai tapoté mon smartphone et j’ai fait défiler la liste de mes contacts.
Marion. Je ne me souvenais même plus que j’avais son numéro.
Marion, c’était une amie de Maman. Elle est professeur de français dans un lycée professionnel. Mon père l’aime bien, je le sais. Quand Maman était encore là, quand j’habitais encore à la maison, je le surprenais parfois à lui jeter des regards en coin, avec des yeux de merlan éberlué. Je me suis même demandé s’il ne se passait pas quelque chose entre eux.
J’ai appelé Marion. Elle a d’abord cru à une mauvaise nouvelle. Je l’ai vite rassurée et je lui ai proposé ce repas chez moi.
Ah oui, ton père, cela fait longtemps que j’ai eu de ses nouvelles. Cela me fera plaisir de le voir, elle a lancé, enthousiaste.
Voilà. J’en suis là. On est vendredi matin et je panique. J’ai voulu faire la maligne, comme