Mémoire enfouie
Le regard perdu dans ses pensées, Jeanne
émiettait un bout de pain et faisait rouler de petites boules de mie entre ses doigts.
Elle observait les mésanges qui se chahutaient la boule de gras qu’elle avait accrochée sur l’érable du Japon, juste devant la fenêtre. L’arrivée de son époux dans la cuisine la sortit de ses songeries.
Chaque fois qu’il entrait ainsi, mallette à la main, rasé de près, costume impeccable, elle se raidissait comme si elle devait se mettre au garde-à-vous devant un colonel de l’armée.
Il la regarda d’un air désolé et elle se força à lui sourire.
– Tu n’as encore rien mangé ce matin. Tu sais que je déteste cette habitude que tu as de jouer avec la nourriture. Regarde la nappe ! Elle ne répondit rien, se leva et alla jusqu’à l’évier, s’empara de l’éponge et nettoya tandis que son mari se servait un grand café noir sans sucre. Il faisait attention à sa ligne depuis peu.
– Tu rentres tard ce soir ? demanda-t-elle sans le regarder. Elle pouvait sentir physiquement l’agacement que cette question, posée tous les matins, provoquait chez Philippe.
– Je ne sais pas, je t’appellerai, mais le plus sûr est que tu ne m’attendes pas pour dîner.
Jeanne attrapa son paquet de cigarettes, en sortit une et l’alluma, les yeux tournés vers la fenêtre. Elle aspira une grande bouffée de fumée et la recracha avec satisfaction tout en contemplant les arabesques que le givre avait dessinées sur les arbres.
– C’est si féerique, si beau, murmura-t-elle.
Il ne prit pas la peine de lever le nez de son smartphone pour regarder cette splendeur.
– Ah, c’est peut-être beau, mais ça va glisser. Hier j’ai vu trois voitures dans le fossé. Vivement l’été !
Cette réflexion agaça Jeanne. Il le savait pourtant, qu’elle détestait l’été, la chaleur, le soleil qui vous brûle et vous épuise. Ils étaient si
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